L’analyse comparative de l’autofiction révèle comment Amin Maalouf, à travers ‘Les désorientés’, redéfinit l’identité littéraire en mêlant autobiographie et fiction. Cette étude met en lumière les enjeux de la quête identitaire et les débats contemporains sur la légitimité de ce genre hybride.
1-5. La quête identitaire dans l’autofiction :
A travers la création du personnage de Adam, l’œuvre retrace les étapes de la construction identitaire de l’auteur , l’identité littéraire n’est pas clairement définie , l’écrivain Franco- Libanais se cache derrière la figure d’un exilé en France après de nombreuses d’année d’absence de sa terre natale dont le narrateur tente de réunir son groupe amis, ainsi l’espoir de restituer et de retrouver les traces et les vestiges de son passé .
En partant de la théorie de S. Hubier , selon laquelle ce monologue à la première personne , ou plus exactement ce monologue autofictionnel « trahit la désintégration et la dépersonnalisation des personnages. »191, en ayant a l’esprit que cette même première personne est une initiative a travers laquelle se manifeste une certaine identité narrative de l’auteur , on en arrive à une conclusion qui rejoint la définition même de l’autofiction : la part de la fiction qui prédomine dans le récit qui nous intéresse devient l’outil affiché d’une enquête identitaire , cette même fiction qui est « ce qui reste d’une identité quand il n’y a plus personne dedans »192
Amin Maalouf fait de cette quête identitaire un des nœuds de cette histoire ou elle se traduit par une recherche du sens à donner sa vie quand tout s’écroule autour de soi.il oscille entre sa quête identitaire en tant qu’un écrivain exilé Franco-Libanais d’expression française et celle de son héros qui poursuit le même but mais par des voix détournées.
« dans la famille d’artiste ou j’ai grandi, on ne m’as pas inculqué les mêmes vertus. Ni ce courage physique , ni ce sens du devoir , ni cette fidélité . dès les premières tueries , je suis parti, je me suis sauvé ; j’ai gardé les mains propres. Mon lâche privilège de déserteur honnête. » (p.21)
« Moi, depuis l’âge de treize ans , je me suis toujours senti , partout , un invité . souvent accueilli à bras ouverts , parfois tout juste toléré , mais nulle part habitant de plein droit . constamment dissemblable , mal ajusté – mon nom, mon regard , mon allure , mon accent , mes appartenances réelles ou supposées . incurablement étranger. Sur la terre natale comme plus tard sur les terres d’exil. » (p.32)
En faisant irruption dans son propre récit , l’auteur se confond avec son héros et rend hommage à cette écriture qui lui permet , par le biais de ses propres mots , de chercher son passé ,son histoire , sa terre natale perdue , son identité perdue entre la France et le Liban.
« Finalement , je n’ai appelé personne . J’éprouve soudain l’envie de me retrouver seul, anonyme , et comme clandestin . Cette sensation nouvelle commence a me plaire Incognito chez moi , parmi les miens ,dans la ville ou j’ai grandi . » ( p23)
« je ne vais pas vous raconter des histoires de paradis perdu , mais c’est exactement ce sentiment que je garde . un paradis dont j’avais été chassé comme l’ancêtre ,mon homonyme. mais pas a cause d’une faute , à cause d’un accident. » (p450-451)
A travers cet extrait , l’auteur compare son pays le Liban a un paradis dont il chassé a cause de la guerre . ce passage véhicule le sentiment de désarroi , la tristesse , la nostalgie voir la douleur .
A la lecture de ce récit, nous nous posons certaines interrogations qui rejoignent la théorie de P.LEJEUENE lorsqu’il parle de la stratégie employée pour structurer une identité qui s’appuie pas seulement sur le choix entre ce qui est réel et ce qui est fictif. Nous faisons face ici à une autre alternative, celle de choisir entre l’un et le multiple, ce qui génère une ambigüité qui se maintient entre différentes représentations d’une même histoire .Bernard Valette parlerait lui d’ « une perpétuelle partie de cache-cache dont l’enjeu est la révélation de l’identité narrateur. »193
La recherche identitaire prend ancrage avec ce premier acte qu’est l’écriture car, selon Philippe LEJEUNE, en écrivant, on redonne un sens à notre existence : l‘auteur « reprend contact avec son moi profond. Écrivant sa vie, il en redevint l’auteur, le démiurge »194.
Et quand il entre dans le domaine des écritures intimes, qui prend ici même un air d’écriture autofictionnelle, il ne lui est en aucun cas possible d’échapper « à cette force de pesanteur qu’est l’identité »195
Philippe LEJEUNE est rejoint en cela par Sébastien HUBIER qui affirme que toute écriture intime et/ou personnelle devient pour son auteur une façon de découvrir pourquoi et comment il est devenu la personne qu’il est désormais et qui écrit. La volonté de l’auteur de passer outre cet élan vers l’écriture ne le conduirait paradoxalement qu’à y entrer mais en laissant libre cours à son imagination.
L’écriture de ce point de vue a un but : la construction de l’identité. Et allant encore plus loin, la pratique de l’écriture autofictionnelle révèle d’autres « moi », tout cela dans un cadre qui s’apparente à un jeu identitaire.
Par le biais de cette recherche identitaire, G. Gusdorf affirme que toute parole prononcée vaut son pesant d’or , à commencer par le pronom « je » qui constitue purement et simplement « un principe d’identité »196 ; s’exprime en utilisant ce pronom revient à réunir tout ce que l’auteur ressent au plus profond de lui , même si c’est confus et même s’il expose d’une manière indirecte et partielle . l’autofiction aurait ainsi pour principale caractéristique de « jeter la lumière sur les terroirs obscurs de la personnalité. »197
« j’ai toujours du mal à croire que mes propres histoires puissent intéresser quiconque. Quand on m’assure du contraire et qu’on me conjure de raconter , je m’exécute volontiers. Je n’ai rien à cacher .ou plutôt si , j’ai à cacher , mais pas plus aux autres qu’à moi-même . en l’occurrence , si j’ai toujours évité de parler de la maison de mon enfance , c’est tout simplement parce que je m’efforçais de ne pas y penser . mais il a fallu , aujourd’hui , que je me fasse violence .j’ai indiqué à Sémi la route du village , puis, âpres quelques inévitables tâtonnements , j’ai fini par repérer la silhouette de « ma » maison » (p443-444).
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191 SÉBASTIEN HUBIER , Littératures intimes :les expressions du moi, de l’autobiographie a l’autofiction,op.cit.,p.106. ↑
192 LEJEUNE Philippe, Les brouillons de soi , 1998,p.7. ↑
193 -VALETTE Bernard , Le Roman :initiation aux méthodes et aux techniques modernes d’analyse littéraire. Ed Armand Colin , Paris,2011,p.102. ↑
194 -LEJEUNE Philippe, pour l’autobiographie .Ed du seuil , coll. « la couleur de la vie » , Paris , 1998, p.238. ↑
195 – LEJEUNE Philippe, les brouillons de soi , Ed du Seuil , Paris ,1998,p.40. ↑
196 -GEORGES GUSDORF , Esthétique et poétique , sur le roman à la première personne ,p.387. ↑
197 – SÉBASTIEN HUBIER , Littératures intimes :les expressions du moi, de l’autobiographie a l’autofiction,op.cit.,p.127. ↑
Questions Fréquemment Posées
Comment Amin Maalouf utilise-t-il l’autofiction dans ‘Les désorientés’?
Amin Maalouf utilise sa propre expérience de jeunesse tout en intégrant une part de fictivité, remettant en question le pacte autobiographique traditionnel.
Quelle est la quête identitaire du personnage principal dans ‘Les désorientés’?
La quête identitaire du personnage principal, Adam, retrace les étapes de la construction identitaire de l’auteur, oscillant entre son identité d’écrivain exilé et celle de son héros.
Quel est le rôle de la première personne dans l’autofiction selon S. Hubier?
Selon S. Hubier, le monologue autofictionnel à la première personne trahit la désintégration et la dépersonnalisation des personnages, tout en manifestant une certaine identité narrative de l’auteur.
Comment l’écriture aide-t-elle à redonner un sens à l’existence selon Philippe Lejeune?
Philippe Lejeune affirme qu’en écrivant, l’auteur reprend contact avec son moi profond, redonnant ainsi un sens à son existence.