Les acteurs miniers au Nord-Kivu génèrent des milliards, mais à quel prix pour les communautés locales ? Cette étude révèle les enjeux cruciaux de l’exploitation minière, mettant en lumière la nécessité d’une protection juridique pour les droits des populations face à cette industrie florissante.
§2. Les acteurs clés du secteur minier au Nord-Kivu
Les ressources minières constituent l’une des grandes sources de revenus, non seulement pour l’État et ses démembrements mais également pour d’autres personnes qui y interviennent soit en qualité d’exploitants (sociétés minières et exploitants artisanaux) ou alors en qualité de parties prenantes (communautés locales). Dans ce paragraphe nous allons démontrer les différents acteurs qui interviennent dans les activités minières, qui sont à l’occurrence : les exploitants miniers dans toutes leurs diversités et les communautés locales. Ces dernières ont vis-à-vis des premiers, des droits. De même, les exploitants miniers ont des responsabilités sociétales et industrielles envers les communautés locales.
Les exploitants miniers
Selon qu’il s’agit de tel ou tel type d’exploitation, le secteur minier fait intervenir différentes catégories d’exploitants qui sont les Sociétés minières, les exploitants artisanaux, les négociants, les comptoirs d’achats et les coopératives minières. Les sociétés minières sont soumises à une responsabilité sociétale au bénéfice de populations locales susceptibles d’être affectées par les activités minières.233
Catégories d’exploitants miniers
Comme nous l’avons dit précédemment, l’exploitation minière industrielle et celle de la petite mine, sont subordonnées à l’obtention d’un permis d’exploitation délivré par le ministre de mine. A ce titre, elles font intervenir des personnes morales (les sociétés minières). Par contre l’exploitation artisanale est conditionnée par l’obtention d’une carte d’exploitant artisanale délivrée par la division de mines et l’affiliation à une coopérative minières. Elle fait donc intervenir une personne physique (l’exploitant artisanale). Ces derniers travaillent au sein des coopératives minières et vendent leurs minerais aux négociants qui les vendent à leurs tours aux comptoirs d’achat ou aux sociétés minières habilités à exporter les dits minerais.
D’ores et déjà, le code minier de 2002 présentait une faiblesse234 liés notamment à l’éligibilité aux droits miniers et de carrières des personnes physiques, peu susceptibles de disposer des capacités financières et techniques exigées des droits miniers et de carrières ; les réformes de 2018 sont venu restreindre l’accès à ces droits aux seules personnes morales c’est-à-dire les sociétés commerciales ou autres entités juridiques différentes de la personne physique (le cas de la coopérative minière).
La personne morale qui se livre à cette exploitation est appelée exploitant minier et son travail consiste à extraire les substances minérales du gisement pour les traiter, les utiliser ou les commercialiser.235 La personne morale désirant procéder à la recherche et/ou l’exploitation non artisanale des substances minérales ou de carrière doit solliciter et obtenir des permis y relatifs (permis de recherche ou d’exploitation des mines ou permis d’exploitation de la petite mine,…).236
Les sociétés actives dans l’exploitation semi-industrielles et industrielle au Nord-Kivu sont à cette année au nombre de 2 (deux) après que l’on ait retiré le permis d’exploitation à la Société minière de Bisunzu (SMB). Il s’agit de la Société aurifère du Kivu-Maniema dans le Masisi et Walikale et la Société Alphamin Bisie Mining dans le Walikale.
La Société minière de Bisunzu, en sigle « SMB » Sarl (ex. MHI) est une société de droit congolais appartenant à Édouard Mwangachuchu (récemment condamné pour atteinte à la sureté de l’Etat, haute trahison, détention illégale d’armes à feu, incitations des militaires à commettre des actes contraires au devoir et à la discipline).
Elle est située en Territoire de Masisi avec un capital social de 900 000 000FC.237 Elle est titulaire du P.E 4731, qui, en date du 9 Aout 2017, a été renouvelé pour 15 ans, par l’Arrêté Ministériel n°0155/CAB.MIN/MINES/01/ et retiré en date du 14 aout 2023 par l’arrêté ministériel n°00222// du 14 juillet 2023 portant déchéance du permis n°4731 de la SMB pour non-respect des engagements vis-à-vis des obligations sociétales.
Sur ses 7 sites actifs dans le périmètre couvert par le PE 4731, six sont exploités par des exploitants miniers artisanaux regroupés au sein de la COOPERAMMA, laquelle est liée à la SMB par un protocole d’accord signé en Novembre 2013.239 Durant l’année 2022, La province du Nord-Kivu a exporté 1,39kg d’or d’origine artisanale sur le 42,25 de toute la république, soit 3,29% des exportations totales.240 Une preuve irréfutable de la fraude douanière dans le secteur.
Les exportations du secteur industriel de l’or étaient de 28 264kg d’or représentant plus d’un milliard et demi de dollars américains. la SMB a exporté 62 Tonnes d’Etain d’une valeur de 1 788 735 $ soit 62,60% des exportations totales, l’exploitation artisanale réalisée 847,85 tonnes d’une valeur de 11 730 381$ soit 9,92% des exportations de la RDC.241
Une grande partie de ces minerais lui a été vendu par la COOPERAMMA en vertu du Protocol signé en Novembre 2013 et renouvelé en 2018.
La Société aurifère du Kivu-Maniema, « SAKIMA » en sigle a été créée en mai 1997. Elle est totalement contrôlée par la RDC.242 La SAKIMA est détentrice de neuf P.E en province du Nord-Kivu, dont 8 en Territoire de Walikale et 1 en Territoire de Masisi, à savoir le P.E. 76. De ce dernier périmètre, la SAKIMA s’efforce, via des partenaires, à relancer des activités semi-industrielles notamment à kamatale. C’est ainsi qu’en 2022, elle a exporté 347,17 Tonnes d’étain d’une valeur de 4 493 837$ soit 1,43% des exportations totales.243 Ces deux sociétés sont beaucoup plus dans l’exploitation semi-industrielle.
Enfin, Alphamin Bisie Mining S.A. est une société minière de droit congolais ayant pour actionnaires: Alphamin Ressources BVI Limited (une entreprise enregistrée dans les Îles vierges britanniques et détenant directement 84,14% des parts sociales dans Alphamin Bisie Mining SA), Industrial Development Corporation (une entreprise de droit sud-africain, détenue à 100% par le gouvernement sud-africain. Elle détient 10,86% de parts sociales dans ABM SA), enfin l’État Congolais qui continu à détenir 5% des parts sociales dans ABM au lieu de10%.244 ABM est la seule société minière du Nord-Kivu qui est dans l’exploitation industrielle. Détentrice de six titres miniers parmi lesquels cinq Permis de Recherche (PR) et un Permis d’Exploitation (PE). Il s’agit des PR 5266, PR 10346, PR 4246 et PR 5267 PR 5270 et le PE 13155.245
Après avoir construit rapidement la mine et les infrastructures connexes pour le besoin d’une exploitation industrielle à Bisie depuis décembre 2018, ABM et ses sous-traitants a employé plus de 1 500 citoyens congolais, dont des centaines de personnes originaires du Territoire de Walikale.246 Elle a exportés en 2022, 22 681 tonnes des concentrés d’étain d’une valeur de 296 720 768$ soit 93% des exportations totale de la RDC.247 Rappelons que les réserves dans cette partie s’élèvent à 3,5 millions de tonnes à 4,34% Sn. Il y sera produit pendant 10,5 ans 15.000 Tonnes/an de concentrés à 60% Sn. Ceci représente 3% de la production mondiale actuelle, et cela peut doubler les exportations de la RDC,248 Sans inclure ceux issu de l’exploitation artisanale. Celle-ci fait intervenir directement les exploitants artisanaux, les négociants, les comptoirs d’achat et les coopératives minières.
L’exploitant artisanal est par définition « toute personne physique majeure de nationalité congolaise détentrice d’une carte d’exploitant artisanal en cours de validité membre d’une coopérative minière qui se livre aux travaux d’exploitation artisanale des substances minières à l’intérieur d’une zone d’exploitation artisanale ». 249 Il vend ses minerais aux négociants ou directement aux sociétés. Ils sont réunis dans des groupes structurés, notamment des coopératives minières ou des produits de carrières agréées.250
L’obtention de la carte d’exploitant artisanale ayant une durée d’un an renouvelable sans limite, est conditionnée par le versement d’un « droit fixe dont le montant est déterminé par voie réglementaire est perçu lors de la délivrance de chaque carte ». 251 La carte d’exploitant artisanale donne ainsi à son détenteur le droit de détenir ou transporter les substances minérales issues de l’exploitation artisanale.252 Il a en outre le droit de réaliser les travaux d’exploitation artisanale dans la zone d’exploitation artisanale indiquée sur la carte d’exploitant artisanal et aussi le droit d’aménager le site d’exploitation, d’utiliser les bois et s’approvisionner en eau pour les besoins de l’exploitation, selon les modalités précisées dans le code de conduite de l’exploitant artisanal.253 Il doit en outre respecter les normes en matière de sécurité, d’hygiène, d’utilisation de l’eau et de protection de l’environnement qui s’appliquent à son exploitation conformément à la réglementation en vigueur.
Il doit indemniser les exploitants agricoles pour tout dommage engendré par son activité.254 Si non sa carte lui sera retirée.255 Dans ce cas, la personne à laquelle la carte a été retirée n’est pas éligible pour obtenir une nouvelle carte d’exploitant artisanal pendant trois ans, à moins qu’il complète un stage de formation en technique d’exploitation artisanale appropriée, organisé ou agréé par l’Administration des Mines.256 Enfin, l’exploitant artisanal est tenu de contribuer au fond de réhabilitation institué en vue de financer la réalisation des mesures d’atténuation et de réhabilitation des ZEA, le taux de cette contribution est fixé à 10 % du montant fixé pour l’obtention de la carte d’exploitant artisanal.257
Les exploitants artisanaux étaient en 2017, au Nord-Kivu, au nombre de 1265 dans le secteur de l’or, 1253 du côté du Coltan, 175 exploitants de cassitérite, 90 exploitants le wolframite.258 Ils œuvrent au sein de coopérative minières, dont 12 Coopératives minières agréées ont été enregistrées au Nord-Kivu, mais la grande majorité d’entre elles ne sont pas actives.
La plus active et la plus importante étant la COOPERAMMA en territoire de Masisi avec une production de 1003,5 T de Coltan (dont 121,7 T pour le compte SAKIMA et 888,1 T pour le compte de SMB) ainsi que 301,9 T de cassitérite (dont 166,8 T pour SAKIMA et 135,1 T pour SMB).259 Ils vendent leurs productions minières aux négociants, aux comptoirs d’achat agréés ou dans les marchés boursiers.
Le négociant minier est un commerçant, une personne qui fait le négoce en gros, en demi-gros ou en détail des minerais.260 L’exercice de l’activité de négociants des minerais est conditionné par la détention d’une carte de négociants261 délivrée par le ministre provincial ayant les mines dans ses attributions à la personne majeure de nationalité congolaise qui la demande.262
Le requérant d’une carte de négociant produit, à l’appui de sa demande, son attestation de nationalité et la preuve de sa déclaration ou de son immatriculation au Registre de Commerce et de Crédit mobilier.263 Ils sont différents des acheteurs des comptoirs d’achat dont le nombre par comptoir est limité annuellement par arrêté du Ministre des mines, publié au Journal officiel de la RDC chaque année au mois de janvier. La durée de la carte de négociants est d’une année renouvelable.264 Un droit fixe dont le montant est déterminé par voie réglementaire est perçu lors de la délivrance de chaque carte.265
Les détenteurs de la carte de négociant sont autorisés à acheter l’or, le diamant ou toute autre substance minérale exploitable artisanalement auprès des personnes qui détiennent les cartes d’exploitant artisanal.266 Tout négociant a l’obligation de tenir un registre et de fournir un rapport sur lequel il consigne pour chaque transaction les éléments suivants : a) date, lieu et nom de l’acheteur ou du vendeur ; b) quantité, qualité et prix des minerais achetés ou vendus. Tout Négociant est tenu de déposer un rapport sur son activité au Gouverneur qui lui a délivré sa carte de négociant et à la Division Provinciale des Mines de la province tous les six mois à compter de la date de remise de la carte de négociant. Ce rapport doit comporter les éléments suivants : 1) nom et adresse du Négociant ; 2) nombre d’achats et des ventes réalisés mensuellement au cours des six derniers mois, avec le chiffre d’affaires ; 3) pour chaque type de minerai, la quantité de minerais achetés et la valeur payée, la quantité de minerais vendus et la valeur reçue, et la quantité en stock au dernier jour de chaque mois au risque de voir sa carte lui être retiré.267
Au cours de l’année 2017, 400 personnes, ont acheté des cartes de négociant dont 115 de Coltan, 85 de cassitérite, 10 de wolframite, 189 d’or et 1 de pierres de couleur. De ces 400 négociants, 202, dont 13 femmes, ont exercé leurs activités à Masisi et Walikale.268
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233 Code minier, article 285 sexies. ↑
234 Philippe-Alexandre Sondji Mulanza Kating, « Projet de révision du Code minier de la RDC : de l’incitation à la dissuasion », Academia press, vol.4, 2014, p.3. ↑
235 Bienfait Uwimana, Droit minier, notes de cours, faculté de Droit, UNIGOM, 2020-2021, p.6, inédit. ↑
237Société minière de Bisunzu, Société minière de Bisunzu : « about us », (juin 2019) ↑
238 Ben Tshokuta, RDC : la ministre des Mines retire le permis d’exploitation de la société minière de Mwangachuchu au Nord-Kivu, (29 juillet 2023), ↑
239 Save Act Mine, supra note 20, p.178. ↑
240 Ministère de Mines, Supra note 109, p.2-7. ↑
242 Société aurifère du Kivu et du Maniema, Rapport 2017 sur la mise en œuvre du devoir de diligence raisonnable par la SAKIMA SA, Kalima, 30 mars 2018, p. 1. ↑
243 Ministère de Mines, Ibid. ↑
244 Dynamique des Femmes des Mines, Exploitation minière industrielle à Bisie: une opportunité pour le développement durable?, Rapport d’analyse de l’impact fiscal d’Alphamin Bisie SA sur le budget de l’Etat et le développement des communautés locales, rapport, Goma, avril 2022, p. 27. ↑
246 Daniel Fahey et Bally Mutumayi, La transition : de l’exploitation artisanale à l’exploitation industrielle à Bisie en République démocratique du Congo, étude, Goma, 2019, pp.1-4. ↑
248 Save Act Mine, supra note 20, p.35. ↑
249 Code minier, article 1ér, litera 20. ↑
250 Ibid., article 111, al.1er. ↑
253 Règlement minier, article 223. ↑
254 Code minier, article 112. ↑
257 Règlement minier, article 417. ↑
258 Save Act Mine, supra note 20, pp.32-33. ↑
260 Tseki, supra note 8, p.299. ↑
261 Code minier, article 117 alinéa 2. ↑
264 Règlement minier, article 259. ↑
266 Code minier, article 117. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quels sont les principaux acteurs miniers au Nord-Kivu?
Les principaux acteurs miniers au Nord-Kivu incluent les sociétés minières, les exploitants artisanaux, les négociants, les comptoirs d’achats et les coopératives minières.
Comment les exploitants miniers doivent-ils respecter les droits des communautés locales?
Les exploitants miniers ont des responsabilités sociétales envers les communautés locales susceptibles d’être affectées par leurs activités.
Quelles sont les conditions pour obtenir un permis d’exploitation minière au Nord-Kivu?
L’exploitation minière industrielle et celle de la petite mine nécessitent l’obtention d’un permis d’exploitation délivré par le ministre de mine, tandis que l’exploitation artisanale nécessite une carte d’exploitant artisanale délivrée par la division de mines.