Les technologies innovantes au Tchad révèlent comment l’appropriation des aménagements maraîchers, soutenus par le PAM, renforce la résilience face aux défis climatiques. Découvrez les facteurs clés qui transforment les pratiques agricoles et améliorent la durabilité dans le département du Guéra.
CHAPITRE 6 : APPROPRIATION D’AMÉNAGEMENTS
Ce chapitre présente l’apport de l’approche participative, la pérennisation des activités d’exploitation et l’impact des aménagements comme étant des facteurs et des indicateurs de l’appropriation par les bénéficiaires.
1. FACTEURS FAVORABLES À L’APPROPRIATION D’AMÉNAGEMENTS
Plusieurs facteurs matériels et immatériels ont contribué au renforcement des capacités locales. Ce sont l’implication des bénéficiaires dans les différentes phases du projet ; l’amélioration de la qualité et de la capacité des ouvrages de gestion des eaux ; la mise en place d’organes de gestion et de groupements de producteurs ; l’accompagnement des producteurs et l’appui pour le fonctionnement des activités.
Les exploitants (91%, tableau n°8, p.80) ont affirmé que la perception des avantages du maraîchage, la qualité des ouvrages qui a amélioré les conditions de travail et le rendement ont été des motifs qui ont poussés chaque communauté à solliciter l’appui des ONGs pour la réalisation d’aménagements maraîchers. Les producteurs ont été de parties prenantes de chaque Participation Communautaire Participative (PCP). La PCP étant l’assemblée de préparation de projet d’aménagement communautaire, réunissant tous les acteurs. Les bénéficiaires ont participé activement aux travaux de mise en œuvre (97,5% des exploitants étaient présents aux travaux de creusage de bassins de rétention, tableau n°9, p.81.)
On retiendra que, les acteurs locaux ont été impliqués dans tous le processus des projets qui ont abouti à la réalisation des aménagements. Conjointement avec les partenaires d’appui, les bénéficiaires ont trouvé de modalités de travail, dont le partage de fonctions de gestion, de charges de travail, et la création des groupements de producteurs. L’apprentissage permis aux participants d’engranger de savoir-faire qu’ils reproduisent pendant la phase d’exploitation.
Ainsi, l’implication et l’accompagnement ont insufflé de l’énergie aux populations locales et sont le gage de leur engagement pour poursuivre les activités d’aménagements maraîchers. C’est l’avantage immédiat qu’a engendré cette approche participative conduite par le PAM et ses partenaires. Les exploitants sont motivés par le fait que les dispositifs mis en place leurs ont accordés de la place pour s’exprimer et ont renforcé leur engagement à mettre en œuvre d’actions de lutte contre la pauvreté. Ils attestent qu’ils sont porteurs des projets d’aménagements et que les ouvrages sont la propriété de la communauté qui veillera à son bon fonctionnement. On remarque que l’approche développée par les partenaires d’appui dont le PAM en premier lieu, n’est pas une conception de la participation « où la co-élaboration et la codécision sont tenues par les acteurs dominants » dont a mentionné GRAIZON (2017)22. Si les acteurs extérieurs avaient donné moins d’importance aux bénéficiaires et à leurs aspirations, ces derniers se verraient délégitimer par rapport aux réalisations. Ils auraient d’appréhension défavorable et ne participeraient pas sincèrement et activement durant les différentes phases du projet. Au contraire, ils se sentent responsables et propriétaires de périmètres maraîchers qu’ils entendent exploiter continuellement. L’appropriation se remarque dès lors que, par leur volonté, les producteurs ont décidés d’ordonner leur activité, s’organisant en groupement et créant de cadres de gestion.
D’autres facteurs inhérents à l’emplacement des aménagements maraîchers et à l’activité de maraîchage lui-même ont favorisé l’appropriation par les bénéficiaires. Pour plus de 70% de producteurs (tableau n°10, p.83), les aménagements maraîchers cadrent avec la situation socio-économique locale. Ainsi, la pertinence de l’activité de maraîchage reste le motif principal d’appropriation des aménagements réalisés.
Pratiquée en contre-saison, elle leur permet d’avoir directement de la nourriture, mais aussi de vendre les produits et d’en utiliser l’argent pour subvenir aux besoins. Le rendement du maraîchage, la proximité des périmètres maraîchers avec les villages et la qualité d’ouvrages les motivent et les facilitent le travail. Les exploitants trouvent que le maraîchage n’exige ni de grands travaux physiques, ni assez du temps, d’autant plus que les périmètres maraîchers sont implantés non loin des villages facilitant ainsi les déplacements des exploitants.
Le maraîchage offre ainsi de possibilités de constituer une économie d’appoint dont les exploitants, notamment des femmes sont les principales bénéficiaires (principale main d’œuvre). Une proportion de 12% des producteurs (tableau n°10, p.83) a déclaré que grâce aux activités du maraîchage, elle se réserve des activités de ramassage de bois, et aussi de l’exode rural.
L’eau étant le facteur limitant les activités de production, la réalisation de bassins de rétention et de puits busés a relevé le niveau de disponibilité de la ressource. L’eau disponible permet de travailler la terre en dehors de la saison pluvieuse. Les ménages accédant volontiers aux parcelles qu’ils exploitent. Ces différents facteurs ont accru le pouvoir d’action des bénéficiaires.
Cela revient à s’accorder avec REOUNODJI23 qui a affirmé qu’un projet est viable quand il est au pouvoir des destinataires et répond à leurs aspirations socialement, économiquement et spatialement. Il rapporte que : « la désappropriation ou la résistance des paysans, […] ne peut se justifier par un manque de maturité de leur part, comme prétendent certains ; l’innovation est intégrée lorsqu’elle correspond à un besoin ressenti et est spatialement, économiquement, techniquement et socialement acceptable et maîtrisable ; et les paysans ont vécu certaines interventions extérieures comme injustifiées ou inadaptées, désorganisant leurs propres pratiques de gestion et leur propre organisation de l’espace, leurs calendriers agricoles […].
» Exploiter en contre-saison, en période où les travaux champêtres sont moins importants ou quasi-inexistants, le maraîchage permet aux exploitants d’obtenir de produits alimentaires. Il est largement accessible aux femmes qui sont des principales bénéficiaires. Les activités d’aménagements maraîchers dans le Guéra nous font partager l’avis de BARRETEAU24 qui a affirmé que : « la viabilité du système irrigué est liée à l’insertion de son mode de gestion dans son environnement socio-économique qui garantit l’accès à ces différentes sources de revenu, c’est-à-dire à la cohérence de celui-ci avec les différentes activités des paysans. » Le motif que le maraîchage convient au besoin socio-économique et à l’environnement physique local est un facteur qui incite à l’aménagement de terroirs locaux.
2. INDICATEURS D’APPROPRIATION D’AMÉNAGEMENTS
En plus de facteurs ayant facilité ou suscité la motivation pour les aménagements maraîchers, l’appropriation se rapporte également à la capacité et à la manière d’entreprendre par les acteurs locaux eux-mêmes. L’appropriation s’exprime à travers l’autonomie de gestion et l’autosuffisance des acteurs-bénéficiaires à pied-œuvre pour l’exploitation des périmètres aménagés. Comme l’a souligné BOUSSOU (2017)25, les projets de renforcement de la résilience, doivent préparer les populations « à perpétuer les bonnes pratiques déployées au cours et au terme desdits projets.
» Ainsi les actions appuyées par le PAM et ses partenaires ont reçu l’engagement local à travers la mobilisation des exploitants, qui par leurs propres organisations et pratiques continuent l’exploitation. Sur chaque périmètre maraîcher, les exploitants expriment leur disposition à travailler en apportant de matériels, en constituant de fonds pour le fonctionnement, en réalisant d’ouvrages accessoires, et mettant sur pied d’organisations pour la gestion.
Après les travaux d’aménagements et le don de matériels apporté par les partenaires d’appui pour le démarrage, les exploitants complètent le système d’exploitation par de puits, de canalisations et acquièrent d’autres matériels de travail de leur propre initiative. Bien que de type artisanal, l’apport des bénéficiaires complètent les chaînons manquants et leur permet de travailler. Ils traduisent également la volonté des producteurs de disposer de cadre et de conditions de travail de mieux en mieux équilibré. 60% (tableau n°13, p.84) de producteurs ont affirmé qu’ils ne bénéficient d’aucun appui extérieur pour les travaux d’exploitation. Par leur auto-organisation et cotisations, les exploitants arrivent à assurer la gestion de leur exploitation et constituer de finance nécessaire à la maintenance et l’alimentation de leur motopompe. Les comités de gestion sont chargés d’attribuer les parcelles, et veillent sur l’utilisation rationnelle des espaces et des eaux.
Comme effet cumulatif, ils s’y émergent au sein des exploitants d’initiatives d’autopromotion. Sont nés des groupements d’exploitants qui sont à l’origine d’initiatives d’épargne et de stockage. L’Union des Caisses d’Épargne et de Crédit du Guéra (UCEC-G), qui œuvre dans la micro finance, entreprend de coopérer avec les producteurs maraîchers à travers la domiciliation de leurs recettes dans sa banque et en retour elle se propose de leur octroyer de microcrédit pour leurs activités d’exploitation.
Les producteurs ont également constitué de stocks de sécurité appelés banques de céréales ; c’est une pratique qui consiste à stocker de céréale avec les recettes issues de produits maraîchers, elle conduit également à la construction de banque de céréales (magasin, grenier). Le stock de céréale est redistribué entre les membres en cas de besoin, surtout pendant la période de soudure.
Bien que les exploitants s’activent pour l’exploitation, on ne peut dire qu’ils sont autosuffisants. Sur tous les sites, les exploitants ont affirmé qu’ils sont limités. Tous (tableau n°12, p.84) ont exprimé le besoin d’assistance pour l’augmentation de la capacité leurs ouvrages (24%) ; tels que les puits et les micro-bassins ; pour les matériels de travail (20%) tels que les arrosoirs, les puisettes, les seaux, la motopompe, le magasin ; pour la clôture (14%) ; pour les semences (8,75%) ; pour les vivres (17,5%.) Leurs apports propres ne suffisent pas pour réaliser de puits busés modernes ou de bassins de rétention de grande capacité, ou encore de s’acheter régulièrement du matériel de travail neuf. Ils font alors usage de matériels usés ou de moindre qualité pour travailler. Ils manquent de techniques adéquates pour la gestion et l’utilisation efficace de l’eau de production et d’entretien des margelles de bassin de rétention.
Ils coexistent la volonté des communautés locales qui n’ont que leur bras et l’outillage rudimentaire pour travailler et l’insuffisance d’ouvrages appropriés pour la maîtrise de l’activité de maraîchage. La pauvreté, l’analphabétisme et le fort taux de fécondité (plus de 6 enfants par femmes) avec son corollaire de ménages pléthoriques (entre 3 à 5 personnes pour les moins nombreux et de plus de 5 pour les plus nombreux), constituent d’handicaps pour l’investissement. À cette situation, s’ajoute la sous-valorisation des produits agricoles et maraîchers qui se traduit par le manque de techniques de transformation et le système de commercialisation qui ne profite pas aux producteurs ruraux. De ce fait, les populations villageoises ne peuvent dégager de revenus suffisants, et ne pourront faire d’investissement durable et rentable. Comme il leur manque de matériels adéquats, le risque est qu’ils stagnent dans la précarité et l’insécurité alimentaire.
BARRETEAU26 voyait la viabilité des projets d’aménagements communautaires à travers un niveau de dépendance des paysans à leur environnement physique et socioéconomique, ce qui lui a permis d’expliquer les échecs des aménagements par l’augmentation du niveau de dépendance qu’ils induisent : à la dépendance ou insuffisance antérieure pas toujours résolue s’ajoute dans certains cas une dépendance à une technique ou à des intrants.
Ce qui ne permet pas d’atteindre par des actions ciblées les résultats escomptés. Dans le cas du Guéra, nombre d’aménagements réalisés servent pour plusieurs besoins à la fois : abreuvement, travaux domestiques, boisson, etc. Ce qui n’est pas favorable pour leur durabilité.
Dans un milieu pauvre comme le Sahel et où les aléas de dérèglement climatique sont récurrents, les facteurs de production, comme les aménagements, nécessitent un apport technique régulier de la part des structures étatiques pour appuyer les producteurs. L’Etat a sa part de responsabilité pour la réussite de l’appropriation par les bénéficiaires. Dans le cadre des activités maraîchères qui se font dans le département du Guéra, les structures de l’Etat qui devaient perpétuer l’assistance technique sont quasi-absentes aux côtés des exploitants.
L’appropriation et la durabilité des projets d’aménagements dépendent aussi de leur gestion. D’une part, certains exploitants fustigent les membres d’organes de gestion de malversations financières ; d’autres parts, les ouvrages réalisés par les partenaires de mises en œuvre laissent entrevoir qu’il manque d’éthique, de réalisme et de technicité par rapport à leurs missions.
Le fait que de nombreux sites soient couverts d’équipements (puits, clôture, canalisations, et même de bassins de rétention) de réalisations inachevées, trahit la détermination et le rôle que se sont assignés ces partenaires. Les résultats des interventions et la qualité des ouvrages livrés par les partenaires d’exécution sont eux-mêmes compromettant pour la durabilité des aménagements s’ils ne sont pas bien construits.
Ce qui a fait dire PROULX et BRIÈRE27 que «l’échec des projets sont dû au manque de capacité interne […]. Les projets seraient ainsi confrontés à des problèmes structurels et contractuels occasionnés notamment par la corruption, le manque de soutien politique, les coûts récurrents, l’absence de capacité, … »
En dépit de la qualité des résultats des interventions et des insuffisances, les bénéficiaires perpétuent les activités de production, parce que motivés par les résultats socio-économiques.
22 Aurélien GRAIZON, ibid. p.29
23 Frédéric RÉOUNODJI, ibid. p.30
24 Olivier BARRETEAU, ibid. p.30
25 Louis BOSSOU, ibid. p.31
26 Olivier BARRETEAU, ibid. p.31
27 Denis PROULX et Sophie BRIÈRE, p. 31