La référence à la règle de droit dans la commission d’indemnisation

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🏫 Université de Ngaoundéré - Faculté des sciences juridiques et politiques - département de droit privé
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - Recherche - 2014 - 2015
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BAMBE DJORBELE
BAMBE DJORBELE

La référence à la règle de droit est essentielle pour la commission d’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires, car elle conditionne la validité de ses constatations et conclusions. Cet article démontre que cette commission opère comme une juridiction civile spécialisée, soumise à des critères juridiques précis.


La référence obligatoire à la règle de droit par la commission

  1. Le processus de constatation de faits effectué par un organe juridictionnel ne peut être complet que si cette constatation est faite en référence obligatoire à la règle de droit1. C’est justement ce que la commission est appelée à faire car elle ne peut constater et conclure à l’existence d’un litige que si elle se réfère aux règles de droit dont elle est appelée à sanctionner les violations2. Ainsi, elle doit se référer soit aux

CARRE DE MALBERG (R.), Contribution à la théorie générale de l’État, op. cit., p. 696

Cette notion est entendue ici largement et englobe ainsi aussi bien le procureur de la république, le juge que les officiers de police judiciaire.

KELSEN (H.), Théorie pure du droit, op. cit., p. 326

L’objet du litige devant la commission c’est-à-dire « l’avantage auquel prétend une partie et que conteste l’autre, ce qu’une partie demande et à quoi s’oppose son adversaire ; la chose demandée et contestée, donc litigieuse », est alors constitué par les prétentions respectives de la victime et de l’État. V. CORNU (G.) (S/D), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 193.

règles de droit relatives à la privation abusive de liberté (1) soit aux règles de droit relatives aux condamnations erronées (2). Ce serait alors une juridiction parce qu’elle ne saurait prendre des libertés avec ces règles de droit.3

Les règles de droit relatives à la privation de liberté

  1. Lorsque la commission est saisie pour constater une garde à vue ou une détention provisoire abusive, elle le fera en se référant obligatoirement aux règles de droit relatives à ces mesures privatives de liberté. Il s’agit d’abord des règles permettant d’apprécier le caractère abusif desdites mesures dont l’alinéa 2 de l’article 236 du code de procédure pénale en donne une énumération exhaustive. Aux termes de ce texte, « constitue une garde à vue ou une détention provisoire abusive au sens de l’alinéa 1er ci-dessus : a) la violation par l’officier de police judiciaire des dispositions des articles 119 à 126 du présent code ; b) la violation par le procureur de la république ou le juge d’instruction, des dispositions des articles 218 à 235, 258 et 262 du présent code ».
  1. Les règles de droit permettant à la commission de constater la violation des droits dépendent donc de la qualité de l’auteur ayant pris la mesure privative de liberté.

Lorsque c’est un officier de police judiciaire qui a privé la victime de sa liberté (notamment par une mesure de garde à vue), la commission fondera ses constatations sur les règles posées par les articles 119 à 126 du code de procédure pénale. Il s’agira d’abord du respect des délais4 de la garde à vue qui ne peuvent dans tous les cas excéder six (6) jours, hormis les délais de distance5 et un cas exceptionnel prévu par l’article 1256 du code de procédure pénale. Il peut ensuite s’agir du respect des formalités obligatoires : obligation de motiver chaque prorogation7, mention de chaque prorogation dans le procès-verbal d’arrestation8, mention du temps de repos raisonnable dans le procès-verbal9, l’information du suspect des faits qui lui sont reprochés10, l’information du suspect de la faculté qu’il a de procéder à un examen médical à la fin de la garde à vue11, etc.

Il peut s’agir enfin des interdictions faites à l’officier de police judiciaire : l’interdiction de justifier une prorogation de délai par la simple audition d’un témoin12, l’interdiction d’ordonner la mesure de garde à vue les samedis, dimanches ou jours fériés en cas de délit ou de crime non flagrant13, l’interdiction de soumettre le suspect à des mesures contraignantes visant à extorquer un aveu14, etc. C’est seulement à partir de ces dispositions du code de procédure pénale que la commission pourra procéder à la constatation des violations des droits des victimes par l’officier de police judiciaire.

  1. Lorsqu’il est question en revanche pour la commission de constater des violations des droits des victimes par le procureur de la république ou le juge d’instruction, la base des constatations de celles-ci se trouvent aux articles 218 à 235, 258 et 262 du code de procédure pénale. Elle se basera notamment sur la durée15 de la détention provisoire qui ne peut excéder, prolongement compris, douze (12) mois en cas de délit et dix-huit (18) mois en cas de crime et la régularité de l’acte de détention (le mandat)16. Par ailleurs, la commission pourra se baser, lorsqu’elle est sollicitée, sur l’article 258 du même code qui prévoit la mise en liberté immédiate en cas de non-lieu17. Enfin, la commission se référera à l’article 262 du code pour constater si le juge d’instruction a par exemple mis fin à la détention provisoire s’il a rendu une ordonnance de renvoi pour une contravention.
  1. Au total, la commission ne peut procéder à la constatation des faits qu’au regard des règles de droits bien établies lorsqu’elle est appelée à se prononcer sur les demandes des victimes des mesures provisoires privatives de liberté. Cette référence obligatoire aux règles de droit se poursuit d’ailleurs lorsqu’elle est saisie plutôt par les victimes des condamnations erronées.

Les règles de droit relatives aux condamnations erronées

  1. La commission peut également être saisie pour constater une erreur judiciaire au sens strict du terme c’est-à-dire une condamnation erronée18. Dans ce cas, elle ne pourra procéder à la constatation de l’effectivité de la violation des droits des victimes qu’en se référant aux règles de droit permettant de caractériser l’existence de l’erreur. Il s’agit de l’erreur constatée par une décision de relaxe ou d’acquittement conformément aux articles 535 à 544 du code de procédure pénale. De même, la commission devra également se référer aux multiples règles fixant les conditions de fond et de forme relatives à sa saisine. À vrai dire, la commission doit agir à la façon juridictionnelle en « produisant des syllogismes fondés sur des textes législatifs préexistants »19.
  1. En clair, il existe un véritable contentieux20 devant la commission. Or, Louis JOUSSERANDOT a soutenu depuis fort longtemps avec une part de vérité que « du moment où l’élément contentieux entre en scène, le pouvoir législatif lui-même ne peut pas se soustraire à sa puissance. Que la contestation s’élève à propos d’un intérêt privé, d’une mesure administrative ou d’une loi, ce n’est ni le particulier, ni le magistrat, ni le législateur qui peut en décider, c’est le juge après débat contradictoire »21. La commission pourrait alors être une juridiction pour cette raison que devant elle se déroule un contentieux. À dire vrai, cet argument risque de perdre sa pertinence si l’on se réfère aux diverses thèses actuelles qui soutiennent que le contentieux n’est plus seulement l’affaire des juridictions, mais également des différents organes administratifs. Mais, au regard du cheminement par lequel la commission doit prendre ses décisions, cet argument peut encore être fortement soutenu.

________________________

1 GARAPON (A.), « La question du juge », Pouvoirs, n° 74, p. 19.

2 Il s’agit essentiellement des sanctions de nature purement civile et non pénale.

3 RIVIER (M.-C.), « Juridiction » in CADIET (L.) (S/D), Dictionnaire de la justice, op. cit., p. 703 ; sur les rapports complexes qui existent entre le juge et la loi, V. HAUSER (J.), « Le juge et la loi », Pouvoirs, n° 114, 2005, pp. 138 et s.

4 Article 119 C.P.P.C. : « (2) a) Le délai de la garde à vue ne peut excéder quarante-huit (48) heures renouvelables une fois. b) Sur autorisation du Procureur de la République, ce délai peut, à titre exceptionnel, être renouvelé deux fois. »

5 Art. 120 C.P.P.C. : « (1) Nonobstant les dispositions de l’article 119 alinéa (2), le délai de la garde à vue est prorogé, le cas échéant, en fonction de la distance qui sépare le lieu d’arrestation du local de police ou de gendarmerie où elle doit être exécutée. (2) La prorogation est de vingt-quatre (24) heures par cinquante (50) kilomètres. »

6 Aux termes de l’alinéa 3 para. 2 de cette disposition, « toutefois, en cas de crime ou délit flagrant, ou le suspect n’a pas de résidence connu ou ne peut fournir une des garanties prévues à l’article 246 (g), l’officier de police peut, nonobstant les dispositions des articles 119 et 120, proroger la garde à vue pour une durée maximum de huit (8) jours. »

7 Cf. Art. 119 (2) c) du C.P.P.C.

8 Cf. Art. 120 (3) du C.P.P.C.

9 Cf. Art. 122 (1) c) du C.P.P.C.

10 Cf. Art. 122 (1) a) du C.P.P.C.

11 Cf. Art. 123 (3) du C.P.P.C.

12 Cf. Art. 119 (3) du C.P.P.C.

13 Cf. Art. 119 (4) du C.P.P.C.

14 Selon l’article 122 alinéa 2 du CPPC, « le suspect ne sera point soumis à la contrainte physique ou mentale, à la torture, à la violence, à la menace ou à tout autre moyen de pression, à la tromperie, à des manœuvres insidieuses, à des suggestions fallacieuses, à des interrogatoires prolongés, à l’hypnose, à l’administrations des drogues ou à tout autre procédé de nature à compromettre ou à réduire sa liberté d’action ou de décision, à altérer sa mémoire ou son discernement. »

15 Aux termes de l’article 221 (1) du code de procédure pénale, « la durée de la détention provisoire est fixée par le juge d’instruction dans le mandat. Elle ne peut excéder six (6) mois. Toutefois, elle peut être prorogée par ordonnance motivée, au plus pour douze (12) mois en cas de crime et six (6) mois en cas de délit. »

16 Pour une étude plus complète de cette exigence, lire utilement NGNINTEDEM (J.-C.), « La détention provisoire dans le nouveau code de procédure pénale camerounais », op. cit., p. 116

17 Cet article dispose en son alinéa 1er que « l’ordonnance de non-lieu entraîne la mise en liberté immédiate de l’inculpé, s’il n’est détenu pour autre cause, ainsi que la cessation des mesures de surveillance prises contre lui ».

18 V. CORNU (G.) (S/D), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 193.

19 GARAPON (A.), « La question du juge », Pouvoirs, n° 74, p. 19.

20 CORNU (G.) (S/D), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 193.

21 JOUSSERANDOT (L.), cité par GARAPON (A.), « La question du juge », Pouvoirs, n° 74, p. 19.

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