L’interprétation de la règle de droit par la commission d’indemnisation

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🏫 Université de Ngaoundéré - Faculté des sciences juridiques et politiques - département de droit privé
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - Recherche - 2014 - 2015
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BAMBE DJORBELE
BAMBE DJORBELE

L’interprétation de la règle de droit par la commission

  1. Selon Hans KELSEN1, si un organe juridique doit appliquer le droit, il faut nécessairement qu’il établisse le sens des normes qu’il a mission d’appliquer.

Tout juge dispose donc d’un pouvoir d’interprétation de la loi2, ce pouvoir qui a été analysé par Claudia GHICA-LEMARCHAND, comme une continuation de son devoir d’appliquer la règle de droit3. Or, on a déjà démontré que la commission a l’obligation d’appliquer le droit4.

Il va sans dire que lorsque le sens de la règle de droit n’est pas évidente pour être appliquée directement, la commission est appelée à l’interpréter et ce sera alors la manifestation de la deuxième figure d’un juge5. Dans sa mission d’application du droit, la commission dispose naturellement de pouvoirs d’aménagement6, de modération7 et de modulation8 du droit.

Un auteur a même pu conclure à l’impossibilité de l’application d’une règle de droit sans interprétation. Il s’interroge : « comment continuer à croire encore à l’idée d’une application quasi mécanique de la loi par le juge, dès lors que celui-ci prend des décisions ? ». Il s’agit de FOULQUIER (N.), « Revue Jurisdoctoria : présentation du septième numéro consacré à la décision », Jurisdoctoria, n° 7, 2011, p. 13. Pour la même logique, V. COLSON (R.), La fonction de juger. Étude historique et positive, op. cit., p. 170. Il y aurait d’ailleurs aujourd’hui « une mutation du rapport du juge à la loi ». V. dans ce sens LAMANDA (V.), Discours prononcé lors de l’audience solennelle de début d’année judiciaire, le 9 janvier 2014 in Cour de Cassation, Rapport annuel 2013, p. 12.

RIALS (S.), « L’office du juge », op. cit., p. 10 ; V. aussi dans ce sens CALLET (L.), « La fonction juridictionnelle à l’épreuve de la question préjudicielle », Jurisdoctoria, n° 6, 2011, p. 20 ; DIEZ-PICAZO (L. M.), « La fonction juridictionnelle », op. cit., p. 17 ; BOUCOBZA (I.), « Un concept erroné, celui de l’existence d’un pouvoir judiciaire », op. cit., p. 85 ; DELMAS-GOYON, « Le juge du 21ème siècle » : un citoyen acteur, une équipe de justice, op. cit., p. 92 ; FOYER (J.), « La justice : histoire d’un pouvoir refusé », Pouvoirs, n° 16, p. 26 ; DUTHEILLET DE LAMOTHE (O.), « Les juges face au silence du droit », R.D.P., n° 4, 2012, pp. 1055-1065.

La commission est donc investie d’un pouvoir d’interprétation dont elle doit le mettre en œuvre en cas de nécessité. C’est avec ce pouvoir que la commission pourra parvenir à « fixer le droit »9 relatif à l’indemnisation des victimes de détentions abusives ou de condamnations erronées. Elle pourra par exemple déterminer le sens exact de l’expression « préjudice actuel d’une gravité particulière ». Elle sera donc amenée à conforter l’esprit de la loi ou à en rechercher l’esprit à l’aide des méthodes ou techniques d’interprétation.

En effet, interpréter la loi, ce n’est pas seulement dégager le sens immédiat de la règle qu’elle a formulée, c’est encore déterminer quelle est l’étendue d’application de cette règle, quelles sont les situations qu’elle régit, quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent10. L’obligation pour la commission d’appliquer le droit peut donc « signifier pour lui l’obligation de l’interpréter »11 car, comme en a déduit un auteur12, « le juge qui ne dit que la règle de droit n’est pas, a priori, un véritable juge ». Il en est ainsi finalement « puisqu’il ne peut donc pas y avoir de jurisprudence sans une interprétation de la loi »13.

  1. Dire le droit pour la commission, c’est en fin de compte attribuer un sens au texte par un travail d’interprétation14 des mots dont la logique est de se mettre d’une part, en face de plusieurs situations (significations) possibles, d’autre part, dans l’obligation professionnelle d’en choisir une15.

Dans tous les cas, on peut dire que la commission est dotée de la puissance juridictionnelle puisqu’elle est appelée à exercer son activité toutes les fois qu’il y a lieu de fixer le sens et la portée d’application des règles de droit relatives à l’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires, ou de vérifier si elles sont applicables à une espèce déterminée et de quelle façon elles doivent y être appliquées.

L’obligation d’interprétation des règles de droit incombant à la commission découlent alors de l’obligation qui lui est faite de motiver ses décisions car « c’est par voie de motivation, c’est-à-dire d’analyse et de raisonnement, qu’elle prodigue son interprétation »16. C’est là également la matière propre de toute juridiction.

  1. Enfin, L’interprétation des lois étant « une des œuvres les plus difficiles de l’intelligence, œuvre complexe qui doit appeler à son aide la science et l’expérience, le raisonnement et l’analogie, l’examen attentif et réfléchi des textes, la tradition historique, l’étude approfondie de la doctrine et de la jurisprudence »17, elle implique une double exigence de la part de la commission. Cette dernière doit non seulement connaître lesdites lois, mais aussi prendre connaissance des faits de la cause18.
  1. On comprend, en substance, que la commission est obligée d’appliquer la règle de droit dans la fonction dont elle a été investie. Elle ne doit pas s’exprimer par des décisions de cœur, mais, par des décisions de droit19.

Ses décisions peuvent d’ailleurs être sanctionnées si elle manquait à cette obligation. La chambre judiciaire de la cour suprême pourrait par exemple réformer ses décisions ayant manqué de base légale. Dans tous les cas, les sanctions de la violation de cette obligation sont plus douces pour les membres de la commission parce qu’elles ne les affectent pas directement. Tel n’est pas le cas si c’est l’obligation de juger qui aurait été inobservée.

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1 KELSEN (H.), Théorie pure du droit, op. cit., p. 457. Cet auteur a notamment relevé que « toutes les normes juridiques appellent une interprétation en tant qu’elles doivent être appliquées », p. 454 ; V. également dans ce sens SUDRE (F.), « L’interprétation dynamique de la cour européenne des droits de l’homme » in L’office du juge, op. cit., p. 224 ; CALLET (L.), « La fonction juridictionnelle à l’épreuve de la question préjudicielle », Jurisdoctoria, n° 6, 2011, p. 23.

2 Pour Roger MERLE et André VITU, « toute loi doit être interprétée, et pas seulement celle qui est imprécise ou obscure, puisqu’il est nécessaire d’assurer le passage de la règle abstraite à l’espèce pratique ». V. MERLE (R.) et VITU (A.), Traité de droit criminel, T. 1, Paris, Cujas, 1981, p. 234.

3 V. dans ce sens GHICA-LEMARCHAND (C.), « L’interprétation de la loi pénale par le juge » in L’office du juge, op.cit., p. 170.

4 V. supra s 159-160.

5 DELMAS-MARTY (M.), Pour un droit commun, op. cit., p. 143.

6 TERRÉ (F.), Introduction générale au droit, op. cit., p. 597.

7 LAFAY (F.), La modulation du droit par le juge, Étude de droit privé et sciences criminelles, T. I, PUAM, 2006.

8 FISCHER (J.), Le pouvoir modérateur du juge en droit civil français, PUAM, 2004. Source : http://www.gbv.de/dms/spk/sbb/toc/479611955.pdf ; date de la dernière consultation : le 10 septembre 2016 à 19h 20mn.

9 WIEDERKEHR (G.), « Qu’est-ce qu’un juge ? », op. cit., p. 582; AKAM AKAM (A.), « Le juge entre la loi et sa conscience », op. cit., p.20, n° 16.

10 CARRÉ DE MALBERG (R.), Contribution à la théorie générale de l’État, op. cit., p. 702.

11 ANCEL (J.-P.), « La rédaction de la décision de justice en France », op. cit., p. 843 ; V. aussi DELMAS-MARTY (M.), Pour un droit commun, op. cit., p. 79 ; CALLET (L.), « La fonction juridictionnelle à l’épreuve de la question préjudicielle », op. cit., p. 24.

12 ZÉNATI (F.), « La nature de la cour de cassation », op. cit., p. 11.

13 MERLE (R.) et VITU (A.), Traité de droit criminel, op. cit., p. 234 ; V. également AHARON BARAK, « L’exercice de la fonction juridictionnelle vu par un juge : le rôle de la Cour suprême dans une démocratie », R.F.D.C., n° 66, 2006, p. 236 disponible sur http://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2006-2-page-227.htm ; date de la dernière consultation : le 10 septembre 2016 à 19h 40mn.

14 BOURETZ (P.), « Entre la puissance de la loi et l’art de l’interprétation : l’énigmatique légitimité du juge », Pouvoirs, n° 74, 1995, p. 79.

15 ROUSSEAU (D.), Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., p. 80 ; HABA (E. P.), « Compte-rendu de Josef ESSER, Pré-compréhension et rationalité dans le travail du juge », Archives de philosophie du droit, T. 20, Sirey, 1975, p. 385.

16 ANCEL (J.-P.), « La rédaction de la décision de justice en France », op. cit., p. 843.

17 PORTALIS (J.-É.), Discours préliminaire du premier projet de Code civil, 1801.

18 V. supra n° 160.

19 V. supra n° 161.

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