L’apaisement de l’État en commission est analysé à travers les enjeux juridico-politiques et juridico-économiques liés à l’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires. Cette étude démontre que la commission constitue une juridiction civile spécialisée, essentielle pour garantir l’accès à la justice.
§2. Les enjeux de l’apaisement pour l’État, partie défenderesse
- La finalité d’apaisement liée à l’activité de la commission au profit de l’État
peut être décelée sur deux plans : sur le plan juridico-politique (A) et sur le plan
juridico-économique (B).
A. Les enjeux juridico-politiques de l’apaisement au profit de l’État
- L’accès à la justice est l’un des fondements de la démocratie. Tous les
contentieux requièrent du juge des connaissances approfondies et sans cesse
actualisées en raison des multiples modifications législatives ou réglementaires qui
s’efforcent de régler les situations en jeu1. La commission a été spécialement
instituée pour répondre aux demandes des victimes des détentions abusives ou des
condamnations erronées. Son rôle consiste à dire si les règles relatives mesures
privatives des libertés ont été scrupuleusement respectées par les autorités qui en sont chargées.
- La création de cette institution intervient dans un contexte particulier où l’État est confronté à deux défis majeurs. Le premier est celui de la crise de la justice de l’État. Cette crise a été tellement forte que les populations se seraient retournées vers
d’autres modes de règlement de leur litige. Il a fallu donc que l’État crée une
institution particulière pour garantir les droits de ses citoyens et apaiser leur colère
envers les autorités judiciaires du moment. Le second défi est celui de la promotion de l’État de droit. L’accès au juge étant un élément important de celui-ci, l’État a entendu tourner la page des abus de ses agents qui sont en chargent de poursuivre et de juger les infractions pénales. En plus donc de l’encadrement strict des mesures privatives
des libertés, il fallait une institution spécialisée chargée d’indemniser les victimes
éventuelles des mesures abusives. La recherche d’efficacité conduit alors à espérer des effets bénéfiques de la spécialisation de la commission.
- Il s’agit donc pour l’État, à travers la création de cette institution, de pouvoir
atteindre des objectifs bien précis : d’abord montrer aux justiciables qu’ils peuvent
encore obtenir une bonne justice et ensuite, montrer au monde que les autorités
politiques du Cameroun sont engagées dans l’amélioration des garanties des droits
fondamentaux2. La commission, dans son rôle de juge, se trouve ainsi investie d’un
pouvoir de « régulateur social »3. La résolution des litiges relatifs aux mesures
privatives des libertés permettra alors de donner une autre image de la société dans laquelle les juges apportent des réponses aux questions qui leur sont soumises malgré les faibles ressources des règles de droit4. Ainsi, comme on l’a vu, l’article 4 du code
civil fait de la commission agissant comme juge « un arbitre de l’État, ayant un
pouvoir indéfini d’apaiser les litiges et possédant à cet effet la faculté, non seulement de dire le droit légale par application pure et simple ou par interprétation de la loi,
mais encore de dire du droit judiciaire toutes les fois qu’il est indispensable de
suppléer au silence des lois »5. Les enjeux de l’apaisement peuvent également être vérifiables sur le plan juridico-économique.
B. Les enjeux juridico-économiques de l’apaisement au profit de l’État
- Les enjeux juridico-économiques qui entourent la garantie de paix sociale par la commission sont de deux ordres : le budget de fonctionnement de cette institution et le budget servant à garantir le paiement des indemnités accordables par celle-ci. Sur le
premier point, il faut rappeler que la commission est une institution étatique. C’est
pourquoi son fonctionnement est automatiquement adossé sur le budget de l’État. Il
s’agit d’un enjeu non négligeable non seulement au regard de la complexité de la
procédure qui est applicable devant la commission, mais aussi compte tenu du nombre important de ses membres qui devront bénéficier de certaines indemnités de logement et de transport. Sur le second point, c’est encore l’État qui garantit l’indemnité que pourrait accorder la commission aux victimes gagnantes. Ce qui va encore nécessiter de la part de l’État un effort financier en fonction du nombre des victimes ayant fait recours à la commission. Faut-il le rappeler, à titre de droit comparé, le premier budget
de la commission française d’indemnisation s’élevait à deux cent cinquante mille
(250.000) francs français c’est-à-dire environ vingt-quatre millions cinq cent mille
(24.500.0006) francs CFA. On peut donc constater le poids important du budget de la commission qui a été ainsi créée.
- Théoriquement instituée pour répondre aux demandes d’indemnisation des
victimes d’erreurs judiciaires, la mission de la commission semble donc être plus
profonde. Elle doit également garantir une paix économique à l’État en procédant
d’abord à une sélection des victimes à partir des conditions de sa saisine7, et ensuite,
procéder à une évaluation stricte des préjudices subis. Limitée théoriquement aux
parties au procès, les décisions de la commission en tant juge peuvent en fait générer
de lourdes conséquences économiques8. L’obligation de juger incombant à la
commission, sur le plan économique, consiste alors à « sauver l’individu sans sacrifier l’État, et assurer la vie collective sans briser le citoyen »9. Le constat est donc clair : les décisions de la commission ne seront pas « en état d’apesanteur »10, elles auront
un coût. C’est là même une manifestation contemporaine des décisions
juridictionnelles11.
Conclusion du chapitre 2
- L’étude de la mission de la commission a permis de constater une double réalité. La première réside dans le fait que cet organe est investi du pouvoir de trancher les litiges pouvant naître entre l’État et les victimes d’erreurs judiciaires à propos des violations par les autorités judiciaires des règles relatives à la privation des libertés. La seconde concerne le rôle pacificateur dont cette institution est investie et qui se révèle inhérente à la première réalité. Au total, la commission est investie de deux missions
complémentaires qui sont celles assignées à tout organe juridictionnel : trancher les
litiges conformément au droit et apaiser des situations pouvant remettre en cause
l’harmonie sociale. Telles sont les finalités de l’activité de la commission, tels sont
également les éléments qui peuvent permettre de dire que cette institution est une juridiction.
Conclusion de la deuxième partie
- L’étude des éléments matériels de la fonction de la commission permet de tirer un certain nombre de conclusions. D’abord, cet organe agit comme une juridiction parce qu’il procède, dans son activité, à la technique juridictionnelle de constatation et
est soumis à des obligations à l’allure juridictionnelle. En plus, les effets qui sont
attachés à ses décisions sont ceux de toute décision juridictionnelle. Enfin, la mission double de trancher les litiges et d’apaiser des situations conflictuelles liée à l’activité de la commission rappelle celle d’une juridiction. Les critères matériels de définition de la juridiction sont donc aussi remplis par la commission. On est par conséquent en présence d’un organe juridictionnel sur le plan purement matériel. L’étude des critères matériels a permis de préciser que la commission est une juridiction civile au regard de
l’objet des demandes sur lesquelles elle est appelée à statuer : la réparation des
préjudices subis du fait des erreurs judiciaires.
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1 S. ROZES, « Un profil nouveau pour les juges », op. cit., p. 440. ↑
2 NNA (M.), « La judiciarisation de la vie politique camerounaise », op. cit., p. 333. Pour cet auteur, la judiciarisation de la vie politique facilite aujourd’hui l’intervention des juges dans le contrôle de la régularité des actes de certaines autorités. Par cette même occasion, les juges se posent alors comme les protecteurs des droits fondamentaux de plus en plus menacés et contribuent ainsi à la pacification et à la transparence de la vie politique. ↑
3 CHAPUIS (L.), Argumentation dans le discours judiciaire : analyse linguistique des arrêts de la cour de cassation, op. cit., p. 195. ↑
4 GARAPON (A.) et PAPADOPOULOS (I.), Juger en Amérique et en France, op. cit., p. [page manquante]. ↑
5 CARRE de MALBERG (R.), Contribution à la théorie générale de l’État, op. cit., p. 735. ↑
6 1 FF=98,05870 FCFA et donc, 250.000 FF=24.514.674 FCFA. ↑
7 Sur l’aspect financier des indemnités sur le budget de l’État, le Professeur François ANOUKAHA, en appréciant les conditions rigoureuses d’évaluations du préjudice réparable par la commission en a conclu en ces termes : « le législateur camerounais a certainement pris peur de l’impact financier des indemnisations qui pourraient éventuellement rendre la justice pénale camerounaise plus déficitaire que par le passé. ». V. dans ce sens ANOUKAHA (F.), « La liberté d’aller et venir au Cameroun depuis le nouveau code de procédure pénale », op. cit., p. 20. ↑
8 ROZES (S.), « Un profil nouveau pour les juges », op. cit., p. 436. ↑
9 ROZES (S.), ibid., p. 437. ↑
10 I.H.E.J., La prudence et l’autorité : l’office du juge au 21e siècle, op. cit., p. 28. ↑
11 I.H.E.J., ibid. ↑