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Les 2 crises de l’OUA : le Cameroun en première ligne

Découvrez comment le Cameroun a navigué à travers les crises de l’OUA, notamment celles du Sahara Occidental et du Tchad, révélant ses positions diplomatiques clés.
Tchad : enjeux de la crise et rôle du Cameroun: Découvrez comment la crise tchadienne a révélé les tensions entre États africains et le rôle clé du Cameroun dans la recherche de solutions au sein de l’OUA.

Le Cameroun et la crise de l’OUA

En 1982, deux (2) crises majeures secouèrent l’organisation continentale et la menacèrent d’éclatement. Il s’agit des crises du Sahara Occidental et Tchadiennes.

La crise du Sahara Occidental

A l’origine s’est posé le problème de la décolonisation du Sahara Occidental, alors colonie espagnole. Devant les réticences du gouvernement de Madrid, dès 1966, l’OUA et le groupe africain des Nations-Unies investissent trois (3) Etats limitrophes, à savoir l’Algérie, le Maroc et la Mauritanie. Face aux divergences idéologiques qui subsistent toujours après la naissance de l’OUA entre les partisans d’une unité africaine étapiste d’une part, et supranationale d’autre part. Ces mêmes contradictions apparurent entre les Etats africains dès les années 1975 sur la question du Sahara Occidental et menacent l’organisation d’éclatement.

Dès les débuts de cette crise, le Cameroun prit position en faveur du Maroc. A ce sujet, dès décembre 1975, le Journal ‘’Africa’’ affirma dans une de ses livraisons que le Cameroun était contre le Front Polisario. Il relève que : ‘’L’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes unis, l’Ouganda et le Cameroun étaient les premiers qui apportèrent leur soutien aux ambitions territoriales du roi Hassan II’’.

Ce soutien de Yaoundé au gouvernement de Rabat est entériné au sein l’OUA. Ceci s’explique par le fait que dès les années 1980, la problématique au sujet de l’admission de la RASD au sein de l’organisation se pose avec acuité. Après le sommet de l’OUA à Freetown en juillet 1980, le président Ahmadou Ahidjo, s’agissant d’une éventuelle admission de la RASD à l’OUA, marqua sa totale désapprobation devant une telle éventualité. Il se prononça à ce sujet en ces termes : ‘’Admettre la RASD, c’est admettre la sécession… au nom de la raison, évitez ce précédent fâcheux’’.

Pour finir, la RASD est finalement reconnue par 26 Etats africains sur 50. Ces désaccords entre les Etats membre de l’OUA entraînent une crise profonde qui eut un coup au niveau du fonctionnement de l’organisation. A titre indicatif, lors de la 38ème session du conseil des ministres en février 1982, la RASD fut invitée à y prendre part à ce conseil par le secrétaire général administratif de l’OUA Edem Kodjo, et sous la pression de certains Etats progressistes tels-que l’Algérie, le Zimbabwe, le Mozambique, les Seychelles, le Congo et le Bénin.

Le Cameroun et la crise de l’OUA

Cette admission eut des conséquences catastrophiques sur les relations interafricaines. C’est ainsi que la session du conseil des ministres de février fut annulée faute de quorum. En effet, dix-neuf (19) Etats quittèrent les lieux en laissant l’OUA sans budget. Le Cameroun suspendit tout aussi sa participation à ce sommet au même titre que le Maroc. L’absence de résolution du conflit saharien se solda par l’anéantissement momentané de l’organisation régionale africaine, de ses activités et de ses progrès en matière de résolution des conflits.

Après la mutation qui survient à la tête de l’Etat du Cameroun le 6 novembre 1982, le président Paul Biya réaffirma ‘’La fidélité de son gouvernement aux orientations antérieures’’. Cela se manifeste par le boycottage des rencontres de Tripoli I et II, qui laisse par la suite l’OUA sans secrétaire général ni nouveau président. Toutefois, l’absence du Cameroun aux sommets de Tripoli s’explique moins par une défiance à l’égard de l’état institutionnel de l’OUA en crise, que par des considérations d’ordre relationnel : relations privilégiées entre le président Ahidjo et le roi Hassan II, opposition aux prétentions expansionnistes et hégémoniques de la Libye sur le Tchad, refus d’accorder une prime diplomatique au colonel Kadhafi en lui permettant d’accéder à la présidence en exercice de l’organisation.

Au fil de l’évolution de cette crise, la posture du nouveau président évolua peu à peu dans le sens de la recherche d’un compromis. A ce sujet, face aux journalistes du ‘’Club de la presse du Tiers-Monde’’ de Radio France Internationale (RFI), Biya martela de ce fait : ‘’… Ce que je peux dire, c’est que le Cameroun souhaite que le Maroc reconsidère sa décision parce que nous estimons que le Maroc est un Etat important, un Etat sérieux qui a apporté une contribution utile, positive à cette organisation…‘’.

Au regard de ces déclarations, le chef de l’Etat camerounais joue un tout petit peu aux cartes de l’apaisement des tensions marocaines, et demande de ce pas au royaume chérifien de revoir sa posture de départ. Son homologue marocain Hassan II souligne dans une interview accordée à l’hebdomadaire Jeune-Afrique en 1985 : ‘’…le drame du Maroc, c’est de n’avoir pas eu affaire à un seul colonisateur, mais à deux : les espagnols et les français…’’

Cette déclaration d’Hassan II laisse entrevoir un terrain d’entente avec son homologue algérien Houari Boumedienne pour une sortie de crise.

La crise du Sahara Occidental n’est pas le seul conflit qui hypothèque l’avenir de l’OUA. La crise tchadienne conduit également l’organisation au bord du gouffre. Le Cameroun mena tout aussi une diplomatie de médiation en corrélation avec les objectifs de l’instance.

La crise tchadienne

Juste après son accession à l’autonomie internationale en 1960, le Tchad connait une succession de crises qui s’enlisent en guerre civile. Celle-ci tire ses origines des clivages entre la partie septentrionale et méridionale du pays. De ce fait, au moment de son accession à l’indépendance, deux (2) formations politiques se partagent la scène politique tchadienne. Il y’a d’un côté l’Union Démocratique Tchadienne (UDT), dont la plupart de ses militants sont du septentrion du pays, les Djellabahs, essentiellement de confession musulmane. De l’autre côté, le Parti Progressiste Tchadien (PPT), dont les adhérents sont de la partie méridionale du pays avec une population Sara en majorité animiste et chrétienne. L’élément déclencheur de cette crise est le fait que la France favorise l’arrivée au pouvoir de François Tombalbaye, chef de file du PPT. Dès cet instant s’ouvre une crise profonde entre les deux entités régionales. Sensible à cette situation du fait de sa proximité géographique avec le Tchad, mène une fois de plus au sein de l’OUA une diplomatie de médiation pour sortir de cette crise.

Face à cette crise tchadienne, les Etats africains se trouvent une fois de plus en désaccord. Ainsi, lors du conseil des ministres de l’OUA tenu le 15 novembre 1982 à Tripoli, le chef de l’Etat hôte dans son discours, critiqua violemment la conférence franco-africaine de Kinshasa, qui tenue au mois d’octobre, et ayant reconnu Hissène Habré comme l’unique représentant de l’Etat tchadien. C’est de cette manière que se pose à Tripoli la problématique de la reconnaissance du Tchad au sein de l’OUA. Ceci conduit à nouveau aux clivages entre les Etats africains, car le Tchad a deux délégations dans la capitale libyenne, le GUNT soutenu par la Libye, et le gouvernement Habré représenté par le ministre des Affaires étrangères Idriss Miskine.

Face à cette nouvelle paralysie, les efforts de l’OUA visant à concilier les factions politiques et militaires du Tchad, ne donnent pas des résultats escomptés. Suite à cette situation, les autorités politiques camerounaises optent pour la formule des sommets itinérants, comme par le passé pour résorber cette crise. A titre indicatif, sur les 19 sessions ordinaires de l’OUA organisé depuis 1963, le Tchad fut invité par 14 Etats différents où il tient 15 sessions. Pour les autorités politiques de Yaoundé, les sommets tournants représentaient au contraire une occasion de promouvoir l’unité continentale.

En plus de cette idée évoquée ci-dessus par le gouvernement de Yaoundé pour solutionner cette crise, que ce soit sous la magistrature d’Ahmadou Ahidjo et Paul Biya, les deux chefs d’Etat encouragent et souhaitent la réconciliation fraternelle entre tchadiens, et avec les libyens par la suite. Quel que soit le gouvernement en place au Tchad, les deux chefs d’Etat camerounais accordent des facilités d’acheminement vers le Tchad des vivres, des médicaments, armes et munitions et autres biens, en plus du fait que lors de cette crise le Cameroun accueillit sur son sol de nombreux réfugiés tchadiens. A plusieurs reprises, les autorités tchadiennes se replièrent au Cameroun. C’est le cas en 1980 lorsque le président tchadien se rend à Yaoundé auprès de son homologue camerounais pour l’informer qu’il ne signe pas l’accord de cessez-le-feu entre ses troupes et l’ennemi tant que les libyens n’auront pas évacué le Tchad. Le point de désaccord entre Habré et Gougouni porte effectivement sur le refus et l’acceptation de la présence des libyens au Tchad.

Tous les leaders tchadiens à l’exception d’Idriss Déby Itno avaient effectué le déplacement dans la capitale camerounaise. Une preuve que le Cameroun joue un rôle important au sein de l’OUA dans la recherche des alternatives à cette crise. Ceci est perceptible à travers ces propos du président Paul Biya face à la télévision nationale repris par Cameroon-Tribune :

Le problème tchadien est une grande préoccupation pour le Cameroun, comme pour la plupart des pays africains. La position du Cameroun en ce qui concerne ce problème est celui-ci : le Tchad est un pays souverain. Sa souveraineté, son intégrité territoriale doivent donc être préservées. Voilà pour le premier point. Secundo, nous pensons que l’unité nationale du Tchad qui était mise en danger par des querelles, par des groupes politico-militaires, la réconciliation nationale du Tchad est aujourd’hui quasiment achevée autour du gouvernement de N’Djamena présidé par Hissène Habré.

Ce gouvernement légitime est reconnu par l’ONU, par l’OUA et par la communauté internationale. Le troisième point, ce que je veux souligner, c’est que la situation de conflit qui prévaut actuellement dans ce pays, étant donné que la réconciliation nationale est devenue effective, la situation conflictuelle qui prévaut aujourd’hui est la résultante des ingérences étrangères.

Le Cameroun demande donc que cessent ces ingérences (…) Enfin, le quatrième point est que le Cameroun qui joue déjà un rôle humanitaire que vous connaissez, en abritant, avec le Haut-Commissariat des Nations-Unies (HCR), des réfugiés tchadiens, le Cameroun est prêt à continuer à contribuer à la recherche d’une solution pacifique à ce conflit. Nous pensons en particulier au comité ad-hoc crée en 1977 par l’OUA et qui est présidé par le Gabon et auquel le Cameroun participe…

Ces propos du chef de l’Etat camerounais montrent à suffisance l’implication de la diplomatie camerounaise dans la recherche des alternatives relatives aux conflits et crises menaçant la dynamique fonctionnelle de l’OUA. Ces efforts du Cameroun visent tout simplement à instaurer un climat de paix et une plus grande solidarité en Afrique. C’est aussi pourquoi lors de la crise de la région des Grands Lacs, un Camerounais au nom de Jacques Roger Booh Booh commis par l’ONU intervient de ce côté dans la recherche de la paix. Aussi, le chef de l’Etat a eu à faire office de médiateur dans certains conflits qui hypothèquent l’avenir du continent notamment entre le Mali et le Sénégal, Gabon-Congo, et Gabon-côte d’Ivoire.

Quoiqu’il en soit, le crise du Sahara occidental et tchadienne qui conduit à l’éclatement momentané de l’OUA est une des manifestations des limites du multilatéralisme du fait que celui-ci rend les systèmes de négociations et de décision plus complexe, aboutissant à des situations de blocage.

C’est en grande partie sous le règne d’Ahmadou Ahidjo que la diplomatie camerounaise à l’OUA a connu une très grande épopée malgré une certaine suffisance de sa part observée dans les années 1970 à 1980. Celle-ci se matérialise entre autre par le retrait du Cameroun de la compagnie multinationale Air-Afrique et de l’OCAM. Pour ce dernier, le 02 juillet 1973, se réclamant de son bilinguisme, Yaoundé s’est retiré de cet organisme considéré comme rétrograde. Un an auparavant, le 23 janvier 1971, il a quitté Air-Afrique ‘’pour relever un défi et manifester son souverainisme’’, déclare Ahidjo à Douala en 1972. Durant la même période, il décline l’idée d’adhérer à la Francophonie et au Commonwealth.

Cette attitude part du fait que le président Ahidjo était fidèle à la politique du non-alignement qui constitue en effet la ‘’pierre angulaire’’ de sa diplomatie.

Au Caire, en octobre 1964, il la définit comme un ‘’état de vigilance permanente en face de toutes les puissances, organisées, présentes ou à venir, sans parti pris contre aucune a priori, mais tout en demeurant la main tendue pour une coopération loyale tant qu’il n’y a à sacrifier aucun des intérêts vitaux’’. Main tendue à l’égard des pays industrialisés, et en premier lieu en direction de l’Europe. ‘’Sans que, déclare le chef de l’Etat, cela puisse, en quelque manière que ce soit, aliéner son indépendance’’.

On pouvait aussi voir de part cette attitude d’Ahidjo un certain orgueil, mais aussi une volonté du chef de l’Etat camerounais d’éviter d’être pris en otage par qui que ce soit, tenter de maintenir un difficile équilibre entre l’Est et l’Ouest.

Contrairement aux années 1982 à 1998, le déploiement diplomatique du Cameroun au sein des instances africaines est certes continu mais ne parvient pas à suivre la même dynamique des années 1963 à 1981. Ceci s’explique par la mutation survenue à la tête de l’Etat le 6 novembre 1982, qui voit l’accession à la magistrature suprême du président Paul Biya. Ce dernier déclarait pourtant lors de la cérémonie de son investiture : ‘’C’est la fidélité du Cameroun aux principes de l’OUA qui guide ses relations avec les autres Etats africains’’

Cette déclaration qui est reprise par ce dernier lors du 4ème congrès de l’UNC à Bamenda en mars 1985, est en contraction flagrante avec les faits sur le terrain.

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