Les marchés du travail et le cours de l’action individuelle
1.2.4.2. Les marchés comme formes sociales d’échange modelant le cours de l’action individuelle (Baron et Hannan)
Dans leur article de 1994, Baron et Hannan proposent, à partir d’une revue large de travaux, une recension des apports réciproques de l’économie et de la sociologie. Ils abordent, parmi de nombreux autres points, la question du rôle des réseaux sociaux et la façon dont le contexte social modèle l’échange économique.
Ces points, centrés explicitement sur l’étude des échanges et du fonctionnement des marchés, et plus largement des institutions économiques, sont considérés par les auteurs comme émergents et situés à l’intersection de l’économie et de la sociologie.
Ces approches sont essentiellement basées sur l’étude des phénomènes économiques à travers les réseaux sociaux. La définition du réseau social retenue pour l’instant est celle de Nohria et Gulati18 (1994, cf. plus loin) : « a set of nodes (e.g., persons, organizations) linked by a set of social relationships (e.g., friendships, transfer of funds, overlapping membership) of a specified type ».
Dans ce cadre, pour les auteurs, les théories économiques sont reformulées en remplaçant les notions atomisées d’information et d’action par des structures concrètes de réseaux de relations sociales.
L’information n’est alors plus considérée comme un bien accumulable par obtention sur un marché ou par investissement, mais bien au contraire, sa disponibilité, sa nature et sa valeur sont considérées comme des produits des relations sociales, le plus souvent de façon inintentionnelle.
18 Et qu’ils empruntent à d’autres auteurs : Lauman E. O., Galaskiewicz J. et Marsden P. V., 1978, Community Structure as Interorganizational Linkages, Annual Review of Sociology, p. 458.
Pour Baron et Hannan (1994, p. 1133), « Dans cette optique, il n’est pas possible de découpler l’information de sa base structuro- sociale ; l’information ne pourrait être à la disposition des acteurs, quel que soit le niveau de leur investissement ou de leur recherche, s’il n’y a pas les connexions sociales qui fournissent l’accès en premier à l’information » (traduit par nos soins). Selon cette approche :
- les unités clés d’analyse ne sont pas les acteurs individuels atomisés ou les transactions isolées entre partenaires d’échange interchangeables ; ce sont des relations sociales impliquant des séries continues d’opportunités, d’initiations, et de transactions entre acteurs ;
- les relations durables ont des propriétés émergentes, comme la définition de l’échange et des règles particulières qui y sont adoptées ;
- l’analyse de l’échange est élargie au-delà du seul échange de biens (pouvoir, statut, approbation…) ;
- et enfin, les ressources engagées par l’acteur dans un échange social incluent les liens actuels et potentiels, directs et indirects, et pas seulement les caractéristiques de la relation dyadique stricte.
L’analyse réticulaire du fonctionnement des marchés montre ainsi que ceux-ci sont des formes sociales d’échange dans lesquelles il s’agit d’identifier les forces sociales qui organisent ces relations d’échange, et de ce fait rendent possibles l’existence de ces marchés, c’est à dire leur apparition et leur reproduction (p. 1134-1136).
Baron et Hannan prennent l’exemple d’un marché à terme de denrées, étudié par Baker (« commodity trading markets », cité par Baron et Hannan p. 1135).
Selon les auteurs, l’étude de la structure sociale de ce marché montre que les opérateurs limitent en fait leurs interactions commerciales à un petit nombre de traders (une clique, Degenne et Forsé 1994) avec lesquels ils entretiennent des relations suivies.
Cela facilite une circulation aisée et fluide des informations et réduit la volatilité des prix, à l’encontre du principe économique considérant qu’il faut au contraire un grand nombre de participants sur le marché pour en assurer la stabilité.
Baron et Hannan terminent en indiquant qu’on peut élargir la perspective d’observation de l’échange économique à l’ensemble des forces contextuelles et structurelles qui modèlent l’action individuelle (p. 1137), attirant ainsi l’attention sur ce qui, en fait, « circonscrit » les options de l’acteur dans la poursuite de ses objectifs économiques.
C’est le courant de l’embeddedness initié par Mark Granovetter (1985), centré sur la façon dont les forces sociales influencent les orientations et les options disponibles pour des acteurs rationnels engagés dans des échanges.