La période de transition professionnelle selon J. Rose
1.3.2. La période de « transition professionnelle » selon J. Rose
A travers l’étude de la transition professionnelle (Rose 1984 ; Méhaut, Rose & alii 1987), José Rose élabore une description et une explication de cette période intermédiaire entre école et emploi non appuyées directement sur des mécanismes de marchés concurrentiels.
Si cette notion préexiste à ses travaux, il la développe sur un plan économique et institutionnel. Son interprétation s’inscrit dans un registre structuraliste (par opposition aux travaux de Galland, par exemple) : l’individu y apparaît dominé et contraint par son environnement, par les structures sociales.
Quelles que soient les critiques qui puissent lui être opposées sur ce plan, elle possède le mérite d’attirer notre attention sur des phénomènes de domination largement ignorés dans les approches économiques standards.
Elle offre ainsi une première alternative actuelle aux interprétations basées sur les postulats de l’économie néoclassique dans l’étude du marché du travail, toujours référés à la notion de marché concurrentiel quels que soient les aménagements en terme d’imperfection, d’asymétrie informationnelle ou de coûts de transaction qui ont pu être proposés.
Cette approche part du constat du développement sans précédent depuis le milieu des années 1970 des dispositifs mis en place par les pouvoirs publics pour organiser le passage de l’école à l’emploi, dans un contexte de transformation croissante des pratiques des entreprises vers plus de flexibilité dans un univers marqué par l’incertitude et l’instabilité.
L’ensemble des dispositifs publics mis en place progressivement correspondraient alors à des mécanismes sociaux ayant pour but de gérer ce passage : stages de formation (insertion, qualification, adaptation…), contrats en alternance, mesures jeunes, etc.
Cette période serait marquée par une précarité croissante des statuts, une interpénétration des temps de travail, de formation et de non emploi, une dissociation entre activité de travail des individus et origine de leurs ressources, et par un développement parallèle des instances de régulation de type public ou parapublic.
Les travaux de Rose font apparaître clairement la structuration d’un espace intermédiaire entre la sortie de l’école et la stabilisation dans l’emploi, donnant à l’insertion la dimension d’un processus long et complexe.
Il y aurait apparition d’un moment transitoire entre la sortie de l’école et la stabilisation dans l’emploi, moment qui s’autonomiserait de plus en plus avec ses propres règles de gestion, sans référence aux situations qui l’encadrent.
Et cela correspondrait à un nouveau mode de socialisation propre à une frange de la population, caractérisé par un enchevêtrement des temps de formation, d’emploi et de chômage.
Rose définit cette transition comme : « l’ensemble des formes sociales de la mise au travail des inactifs ». Elle ne concerne donc pas que les jeunes en phase de primo insertion, mais ceux-ci en constituent la population centrale et la plus étudiée à travers ce phénomène. Par ailleurs, ce processus impliquerait des populations croissantes et de plus en plus diverses (en âge par exemple).
Le point majeur de cette approche est de considérer l’insertion en tant que processus organisé socialement par l’ensemble des pratiques d’acteurs comme l’Etat, les entreprises et les individus au sein des réseaux sociaux.
C’est une approche où les enjeux économiques sont prédominants, et elle met fortement l’accent sur le rôle organisateur de la demande économique :
- il y a transformation des conditions d’acquisition de la qualification à travers l’ensemble des dispositifs (les mesures emploi-formation) mettant en jeu tant le système de formation que les entreprises (alternance) ;
- et transformation des conditions de mobilisation de la force de travail : sélection de la main d’oeuvre, diminution des coûts de gestion et de mobilité, aide au recrutement des entreprises.
Sur ce second point, on assisterait à une accentuation de la « mobilité et la précarité des situations professionnelles en officialisant et banalisant les statuts précaires ».
Les dispositifs de « transition » mis en place par l’Etat tendraient à « assurer une gestion globale du niveau de chômage qui vise – en limitant son volume, en réduisant sa sélectivité, en assistant la population concernée – à contrôler dans des limites socialement supportables ce phénomène et ses effets ».
J. Rose distingue plusieurs dynamiques d’acteurs dans cette phase de transition :
- des « agents de transition » comme l’ANPE, les organismes de formation, etc., cherchant à organiser une certaine « division du travail » entre eux ;
- l’Etat, mettant en place une véritable politique de transition professionnelle, accompagnant et participant à la fois à l’institutionnalisation » de cette période ;
- les entreprises à travers leurs pratiques de gestion de main d’oeuvre et qui trouveraient leur intérêt en maintenant dans un sas une main d’oeuvre jeune et mobilisable rapidement en fonction de leur besoin tout en abaissant leur coût d’embauche (effet des mesures étatiques) et en sélectionnant ce qui leur convient (flexibilisation du travail).
On peut émettre ici deux critiques. Tout d’abord, du point de vue du rôle des entreprises, cette approche ne rend pas compte des phénomènes de pénurie de main d’oeuvre qui apparaissent lors des périodes de reprise économique et constatés ici et là dans certaines études (voir par exemple Merle et alii, 1990), ce qui en limite en partie la portée.
Ensuite, on peut lui reprocher le poids écrasant conféré aux entreprises et aux enjeux économiques comme seuls principes déterminants de cette phase de vie.
Sans nier l’importance de cette détermination et des rapports de domination qui y sont associés, on ne peut ignorer l’existence d’une certaine autonomie des conduites individuelles des acteurs, ni surtout sous-estimer la capacité des jeunes à êtres acteurs de leur trajectoire, ce qui sera abordé dans les points suivants.
En fait, dans ses derniers travaux, José Rose (1996) modère son point de vue d’un effet structurel quasi univoque des pratiques des entreprises organisant une régulation du chômage de ce type.
Certes, les travaux menés durant la dernière décennie ont confirmé l’autonomisation relative de ce moment de vie, son extension à un nombre croissant d’individus, principalement des jeunes, et la diversification des formes prises par la transition.
Cependant, dans le même temps, l’idée de transition professionnelle est alors interprétée « comme le résultat d’un jeu complexe d’acteurs dominés par les entreprises (…) mais relayé par les pouvoirs publics et laissant une certaine marge de manœuvre aux individus » (1996, p. 67).
Sans s’engager de manière très précise sur cette voie, il considère bien dorénavant que les jeunes peuvent déployer des stratégies propres, et que le rôle des acteurs intervenant lors de cette période transitoire (les agents de transition) peut aussi s’interpréter en terme d’intermédiation sur le marché du travail.