Fonction de ce capital social : lien entre la formation et l’emploi
2.2.7. La fonction de ce capital social est d’assurer un lien entre la formation et l’emploi
Au niveau individuel, ce capital social est une ressource dans une perspective de mobilité sociale, il permet d’apprécier le milieu auquel les individus peuvent accéder à travers leurs ressources relationnelles (Lin 1995, 2001).
Il a donc pour fonction, dans la lignée des travaux de Granovetter, Burt ou Lin, de favoriser la mobilité des élèves sur le marché du travail, leur permettant d’accéder le plus directement possible à un milieu auquel ils n’avaient pas (ou peu) accès auparavant.
Il s’agit de la première étape de leur parcours professionnel, étape particulière puisqu’elle concerne le passage de l’école à l’emploi.
Ainsi, à un niveau plus méso, ce capital social fonctionne comme un lien, de nature collective certes, entre l’appareil éducatif et le système d’emploi, ou dit autrement, comme une relation entre la formation et l’emploi, c’est à dire comme un ensemble de relations effectives entre formateurs et employeurs, autres que celles établies de façon symbolique au plan institutionnel, et permettant des interactions directes entre candidats et employeurs.
2.2.8. Ce capital social est aussi un vecteur de socialisation
Enfin, une dernière facette du capital social doit être maintenant décrite. Comme Coleman le suggère (1990), le rôle de ce capital social ne se réduit pas aux seules relations du dispositif de formation, il peut aussi assurer une fonction de socialisation.
Il s’agit ici d’une certaine façon de ce que Merton appelle la socialisation anticipée, lorsque des individus font l’apprentissage des règles d’un groupe de référence auquel ils se destinent mais n’appartiennent pas encore (1957, pp. 198-232).
Comme le résume Claire Bidart (1997), « L’ensemble des liens qu’entretient une personne avec d’autres personnes la rattache à des groupes, à des cercles sociaux, à des collectivités, à des institutions. Son réseau de relations constitue la zone de contact avec la société, il réalise sa socialisation » (p. 184).
Du point de vue des élèves, cette période pendant laquelle la plupart d’entre eux se trouvent un pied dans un monde (l’expérimentation formative), un pied dans l’autre (l’exercice professionnel) correspond à une transition identitaire forte.
C’est une période privilégiée, dans laquelle prend place entre la nouvelle et l’ancienne « peau » pourrait-on dire la possibilité d’expérimenter ou de s’essayer sans trop de risques à de nouveaux rôles, d’endosser des identités « pour autrui » transitoires, à l’abri desquelles peut s’élaborer et se fortifier une identité « pour soi » qui se met en place en tâtonnant avant de pouvoir être affichée au grand jour et de la faire accepter par le nouvel environnement50.
Lorsque l’articulation à un milieu professionnel est réalisée, il s’agit bien là d’un rôle de socialisation professionnelle que joue ce capital social à travers les interactions dont les réseaux sociaux qui le composent sont les supports.
50 Si l’on considère l’engagement d’un élève dans un dispositif de formation comme révélateur d’un projet prenant place à un moment donné de sa trajectoire, la mise en contact réussie avec le milieu professionnel correspond à l’équilibrage, au moins temporaire, de ces deux transactions identitaires, biographique et relationnelle, comme l’a proposé Dubar (1991).
Ce capital social assure ainsi la circulation de codes, de normes, de valeurs et de règles de fonctionnement qui caractérisent un milieu de travail donné : celles-ci nécessitent contacts, interactions, frictions, échanges, c’est-à-dire un collectif relationnel qui leur permet d’exister, de fonctionner, d’être produites, mobilisées, éprouvées, entretenues, reproduites, mais aussi transmises, découvertes, adoptées, etc.
L’épreuve de l’interaction candidat/employeur n’est donc pas qu’un moment dans la circulation d’une information ou l’apparition d’une relation nouvelle s’intégrant dans le capital social collectif, elle est aussi l’amorce d’un jugement sur le type de comportement social du candidat (ou de l’employeur d’ailleurs, dans la mesure où le candidat méconnaît a priori les conditions de travail qui l’attendent) dans lequel est recherché « (…) une certaine conformité des salariés aux types de relations interpersonnelles et de relations d’autorité dans le travail propre à l’entreprise » (Merle et Fournier 1987, p. 6).
Du point de vue des employeurs, recruter est aussi sélectionner des individus les plus aptes à entrer dans le processus de socialisation propre à toute situation de travail, et spécifique à chaque entreprise ou secteur d’activité.
Dans un travail portant sur la sélection des qualités dans l’embauche, A- C. Dubernet (1996) étaye l’idée que ce qui se joue dans le recrutement est autant la capacité à exécuter les tâches demandées que la capacité à s’entendre ensuite, à partager les mêmes valeurs.
S’appuyant sur l’importance croissante des contrats de travail de courte durée comme périodes d’essai « déguisées », elle montre que l’avantage principal pour l’employeur ne serait pas nécessairement dans la mise en place d’une certaine flexibilité dans son mode de gestion des salariés, mais dans l’appréciation de la capacité d’intégration du jeune candidat.
Certes l’auteur retient essentiellement dans son travail les contrats à durée déterminée et les missions d’intérim comme statuts de ces périodes de pré-recrutement.
Mais le parallèle avec les périodes de stage des dispositifs de formation est assez évident, et la même analyse peut s’appliquer à toutes les séquences de rencontres candidat/employeur associées au dispositif de formation, dès lors qu’il y a récurrence.
Ainsi, dans le cadre du fonctionnement du marché de l’emploi, ce capital social assure d’un coté la transmission d’informations pertinentes dans le processus de rencontre entre offre et demande d’emploi, et véhicule dans le même temps des normes, des comportements, des valeurs à travers lesquels se joue le versant relationnel du processus de socialisation professionnelle, la construction de son identité professionnelle pour autrui (Dubar 1991 ; cf. § 1.3.).