L’avocat dans l’histoire de France : l’ancien Régime

L’avocat dans l’histoire de France : l’ancien Régime

§ – L’ancien Régime

Aborder la place de l’avocat à toutes les époques de l’histoire de France, c’est aborder nécessairement la conception et le rôle du pouvoir et c’est par la même être amené à évoquer la place de l’institution judiciaire elle-même telle qu’elle a été conçue dans un premier temps dans la personne même du monarque puis dans le cadre de l’Etat.

Toute réflexion sur la justice et, par conséquent, sur la place de l’avocat, suppose d’aller rechercher dans leurs écrits les réflexions de LA BRUYERE, ou de VOLTAIRE, qui laissent à penser que tout a été dit et écrit une fois pour toute, sur la tentation du pouvoir et les risques qu’il peut laisser encourir à ceux qui se trouvent soumis à son arbitraire.

Lorsque MONTESQUIEU dans « l’Esprit des Lois » explique la raison d’être de la séparation des pouvoirs et par conséquent la nécessité de son existence dans un pays qui veut tendre vers la démocratie, il laisse très peu de place à la critique puisqu’il s’est toujours avéré que les différentes formes de tyrannie n’ont jamais souhaité favoriser une institution susceptible de juguler, voire même de remettre en cause tant le principe que les différents modes d’exercice de leurs pouvoirs.

C’est ainsi que MONTESQUIEU avait déjà décrit les symptômes d’un malaise susceptible d’affecter tout système politique et notamment la démocratie puisqu’il écrit :

« Mais lorsque dans un gouvernement populaire, les Lois ont cessé d’être exécutées, comme cela ne peut venir que de la corruption de la République, l’Etat est déjà perdu. »

« Le peuple tombe dans ce malheur lorsque ceux à qui il se confie, voulant cacher leur propre corruption, cherchent à le corrompre. »

« Pour qu’il ne voit par leurs ambitions, ils ne lui parlent que de sa grandeur, pour qu’ils ne perçoivent pas son avarice, ils flattent sans cesse la sienne ».

« La corruption augmentera parmi les corrupteurs et elle augmentera parmi ceux qui sont déjà corrompus ».

« Le peuple se distribuera tous les deniers publics et comme il aura joint à sa paresse la gestion des affaires, il voudra joindre à sa pauvreté les amusements de luxe mais avec sa paresse et son luxe, il n’y aura que le Trésor Public qui puisse être un objet pour lui. »

En effet, y a-t-il plus riche victime que l’Etat pour un voleur ?

La présente étude ayant pour but d’essayer de confronter l’avocat à l’entreprise ainsi qu’aux mafias, il apparaissait indispensable de rappeler qu’à toutes les époques, les vertus et les crimes ont coexisté, et que seuls ont évolué leur mode d’expression.

Tirant la leçon d’une histoire de l’humanité déjà longue, MONTESQUIEU a compris que toute institution est intimement liée à la psychologie et à l’inconscient collectif de chaque peuple.

Il écrit dans « l’Esprit des Lois » :

« Il n’y a point de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice ».

C’est pourquoi MONTESQUIEU demeure le père de cette pensée politique à laquelle les partisans du secteur public comme les partisans d’un libéralisme responsable demeurent tous profondément attachés.

Cette séparation des pouvoirs n’ayant jamais existé puisque l’institution judiciaire a été reléguée au rang d’une autorité, l’avocat se trouve lui-même tributaire de la place qu’occupe cette institution sur l’échiquier de la République.

A ce titre, fort justement, Lucien KARPIK, dans son ouvrage « Les Avocats, entre l’Etat, le public et le marché, XIIIème, XXème siècle » souligne la nécessité de ce rappel historique en posant la question :

« Et pourquoi faudrait-il remonter si loin dans le passé pour comprendre l’évolution de la profession ? »

Tout simplement parce que l’ancien Barreau, celui apparu vers le milieu du XIIIème siècle, faisait parti « d’une forme d’organisation dominée par l’Etat ».

En évoquant le roi, la justice et la défense, Lucien KARPIK décrit parfaitement cette œuvre royale la création de ces avocats d’Etat qui vont accompagner l’évolution de la procédure et notamment le remplacement de la comparution personnelle par la possibilité d’un mandat limité donné au conseil et autre fait marquant :

« Le remplacement de la violence physique par la confrontation pacifique menée au moyen de la parole et de l’écrit ».

Le passage de la structure féodale à la puissance royale est accompagné par le travail doctrinal des légistes et c’est ainsi que :

« La justice devient la fonction royale par excellence », parce qu’elle exprime directement la souveraineté royale.

Et Lucien KARPIK d’ajouter ce qui mérite d’être relevé :

« En effet, si le roi, par sa fonction de médiateur entre le ciel et la terre, peut et doit (la justice rendue par le roi est tout autant un droit qu’un devoir) maintenir la paix civile en travaillant au redressement des tords causés par l’arbitraire des forces brutales, et, par-là, rendre tangible la mission transcendante qui lui est confiée, se faisant, il manifeste non seulement sa soumission à l’autorité divine dont il est le délégué, mais il témoigne aussi d’une souveraineté qui ne se justifie que dans l’ordre gravé dans la société.

Il retient notamment cette citation empruntée à un ouvrage consacré à la justice du roi :

« L’institution royale n’a pas eu d’autre fondement… dans toutes les nations que d’établir un homme surpassant tous les autres par ses vertus, près de qui puisse trouver asile le pauvre peuple écrasé par les puissants, un homme qui garde les humbles de toute injustice et qui, ayant posé l’équité pour règle, contienne grands et petits dans les bornes d’un même droit ».

C’est l’accroissement de la charge de travail judiciaire qui va donner naissance au Parlement, émanation du roi, mettant en place une magistrature professionnelle spécialisée et une fonction de la défense représentée par les avocats au Parlement.

Ces derniers doivent :

figurer sur une liste officielle

être soumis à des exigences de compétence et de moralité, ce qui suppose le contrôle de la puissance publique

L’intérêt essentiel de ce rappel historique résulte de la simple constatation que, dès le XIIIème siècle, les avocats sont soumis à des obligations collectives particulières :

qu’il s’agisse de ne plaider que pour des causes justes

qu’il s’agisse d’assurer la communication des pièces aux parties adverses et de ne pas dépasser un salaire maximum qu’il s’agisse du refus du mensonge, etc..

Pourtant, c’est au travers de la liberté, c’est-à-dire de la nécessaire indépendance de l’avocat, qu’apparaît effectivement la première fracture entre l’avocat d’Etat, maillon indispensable au fonctionnement de la Cour souveraine et le pouvoir royal.

La libre parole des avocats, pas toujours appréciée des parlementaires, est encore moins appréciée du pouvoir royal, ce qui permet à Lucien KARPIK d’écrire :

« Au travers des multiples conflits qui se sont noués, on discerne la contradiction centrale entre la logique judiciaire et la logique étatique : la discussion critique des lois et arrêts de jurisprudence et l’absolutisme monarchique sont antinomiques ».

« Dès lors que rien n’est supérieur au roi, et qu’il peut, dans sa puissance, faire à sa convenance les lois, édits et ordonnances, toute mise en cause est toujours sur le point de verser dans le crime de lèse-majesté ».

Là encore, ce rappel historique est fondamental puisqu’il permet d’illustrer la dimension universelle de l’avocat qui transcende la fonction royale qui lui a tout d’abord conféré sa légitimité pour se mettre au service d’une fonction supérieure, celle de la justice dont il se veut l’auxiliaire.

L’avocat dans l’histoire de France : l'ancien Régime

De façon beaucoup plus prosaïque, la vénalité des charges participa également à creuser le fossé entre des carrières fondées essentiellement sur le mérite et des carrières fondées sur la fortune personnelle.

C’est-à-dire que les avocats se voient privés du chemin qui conduit « aux dignités » et s’ils continuent d’exister, c’est effectivement pour assumer la fonction de la défense consacrant ainsi d’une certaine façon le passage du pouvoir d’Etat à la corporation, sous la forme d’un ordre qui ne doit obéissance qu’aux règles qu’il s’est lui même fixés.

Il n’est pas possible d’évoquer le statut des avocats sous l’ancien régime sans se référer au remarquable ouvrage de Jacques BOEDELS, ainsi que le décrit lui-même le Bâtonnier Guy DANET.

Sous le titre « Les Robains d’Ancien régime », Jacques BOEDELS écrit :

« Il est difficile de distinguer les Avocats des Procureurs, jusqu’à la sédentarisation du Parlement en 1314.

Leurs noms mêmes ne sont pas fixés.

On appelle les premiers prolocuteurs, avant-parliers, amparliers et la Taille de 1292 cite déjà deux avocats.

Les Procureurs, qui avaient pour mission d’être les mandataires de Justice des plaideurs, étaient appelés « alloués », « attoumés, ou attomès » (les Américains disent toujours attorney), avant de trouver leur nom définitif.

Un règlement du mois de novembre 1340 mentionne pour la première fois le rôle et le tableau sur lequel les avocats devaient être inscrits dans l’ordre de leur réception, après avoir prêté le serment professionnel.

Les Procureurs au Châtelet virent leur existence officiellement constatée par un règlement de 1320 et ceux du Parlement par des lettres patentes signées par Philippe VI au mois d’avril 1342.

Les premiers règlements imposaient des obligations de conduite, de probité et de respect envers les Magistrats et les parties.

Ils indiquaient également que les Procureurs prenaient rang après les avocats, mais il n’y avait en l’espèce que des règles de conduite morale, et ce n’est qu’à l’occasion que l’auteur suggérait une tenue.

Sous le règne de Saint-Louis, Guillaume DURAND, appelé Spéculateur du nom de son principal ouvrage « speculum miroir ou tableau de la science du droit », qualifié non de jurisconsultus mais de jurisconsutisimus par ses contemporains, écrivait dans le chapitre De Advocato que les avocats devaient porter des vêtements larges descendant jusqu’aux talons « vestes talares » d’une seule couleur, à la manière des prêtres, parce qu’ils exerçaient un sacerdoce, car, selon l’auteur, « in compositio corporis qualitatum indicat mentis » (le désordre extérieur indique la disposition de l’âme) ».

Cette référence au costume de l’avocat est indispensable, puisque l’apparence extérieure, la forme comme la couleur, sont susceptibles de rattacher l’Avocat à l’une ou l’autre des catégories sociales avec, ainsi que le rappelle également Jacques BOEDELS, l’éternelle querelle « sur la noblesse de la profession ou sur la possibilité d’y arriver à l’imitation des Magistrats ».

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Avocat face à 2 mondialisations : les entreprises et les Mafias
Université 🏫: Université PANTHEON ASSAS - PARIS II
Auteur·trice·s 🎓:

Année de soutenance 📅: Mémoire pour le diplôme d’Université Analyse des Menaces Criminelles Contemporaines - 1999 – 2000
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