III. Les motifs de l’intégration verticale dans l’industrie pétrolière L’intégration verticale est la caractéristique la plus apparente dans l’organisation de l’industrie pétrolière et implique qu’une Major est présente tout le long de la filière. Ainsi, selon MacLean et Haigh [1954] l’intégration verticale correspond à une volonté de maîtrise des processus techniques de production, de diversification des risques et de stabilisation des profits, de monopolisation de rente, et enfin de recherche d’économie de type managérial.
*** Les nécessités techniques
L’un des motifs principaux identifiés pour expliquer l’intégration verticale est l’interdépendance technique entre les différentes activités productives. L’étude de la filière a montré l’existence d’une telle interdépendance entre les stades de production, de transformation et de distribution. Il s’agit d’assurer des réserves (les approvisionnements) et des débouchés. En effet, du fait de l’indivisibilité technique de la production pétrolière, les capacités d’offre ne peuvent pas s’ajuster de façon instantanée, et l’intégration verticale peut permettre d’assurer des débouchés. De manière parallèle, se pose le problème de l’approvisionnement qu’une firme indépendante amont peut vouloir régler en s’assurant contre un avantage concurrentiel d’un fournisseur. D’autre part, les investissements étant colossaux, la firme devra être suffisamment solide et puissante pour pouvoir les réaliser mais elle devra aussi être en mesure d’attendre suffisamment longtemps que le retour sur investissement se fasse; cela peut en effet prendre plusieurs années durant lesquelles l’investissement est stérile. Les nouveaux investissements ne deviendront rentables que très lentement. L’intégration va répondre partiellement à ce troisième problème. Le risque existe à trois niveaux : politique, technique et financier. L’intégration va résoudre en partie ces 3 problèmes en permettant une diversification. En effet, plutôt que « mettre tous ses œufs dans le même panier », une firme va rechercher une diversification de son portefeuille d’activité. Ainsi tout comme une banque qui a besoin de distribuer beaucoup de crédit pour compenser les mauvais payeurs par les bons payeurs, les firmes vont rechercher à compenser ces risques par la loi des grands nombres. Un des moyens d’y arriver compte tenu des économies d’échelle indispensables est d’avoir une taille suffisamment grande et donc de se concentrer. Ainsi plus il y a de risques, plus le marché est potentiellement instable et donc plus les firmes vont se concentrer verticalement pour pouvoir atteindre une taille suffisante pour avoir des implantations dans de nombreux secteurs d’activités différents, et ainsi répartir le risque. Cela va permettre à la firme de lisser son profit de période en période en réalisant un rendement moyen sur les investissements effectués. Le risque joue un rôle essentiel, car comme tout risque on essaye de le minimiser. Chaque anticipation va être formulée avec une prise en compte de conjecture sur les facteurs susceptibles d’influencer la rentabilité de l’investissement. Les options discutées vont dépendre de ces conjectures. L’entrepreneur va traiter l’information disponible pour une probabillisation des risques et il va essayer de rationaliser les incertitudes en jouant pour cela sur l’organisation de la firme et de l’industrie. Il s’agit ainsi de partager les risques dans l’espace et dans les différents stades de production. Cela n’est possible qu’en augmentant la taille de la firme, et en s’intégrant notamment. En réduisant les risques, les firmes stabilisent le marché. Toutefois, l’incertitude n’est pas éliminée; la firme va jouer sur les effets de cette incertitude en en réduisant le coût, par une meilleure gestion du risque.
*** L’appropriation monopolistique
Il peut être admis que les firmes recherchent, à travers l’intégration, à la fois une efficience économique pour produire mieux au meilleur coût, et à la fois une rente de situation (rent seeking) pour essayer d’acquérir un pouvoir sur le marché et influencer de manière significative les prix. L’intégration verticale intéresse ainsi directement les autorités de régulation de la concurrence. Il s’agit d’étudier des motifs moins respectables que la simple efficience économique. La théorie néoclassique ne voyait en l’intégration verticale que les bénéfices de baisse de prix (ou au pire d’un maintien), mais il faut aussi considérer l’influence plus large que cela peut avoir selon les structures des marchés impliquées. Davies [1998, pp.90-91] étudie de façon précise cette question et arrive à 2 conclusions : la première est que l’intégration verticale entre un monopoleur amont et une industrie aval en concurrence n’a aucun effet sur les profits et le niveau des prix; la seconde conclusion est que l’intégration verticale entre 2 stades en monopole conduit à une baisse des prix et à une augmentation des profits, sans refléter une extension de pouvoir de marché; cela montre une interdépendance entre les monopoleurs en place. Dans ces 2 cas, l’intégration verticale serait sans danger pour la concurrence. Cette opinion n’est toutefois pas partagée par tout le monde. Vernon et Graham [1971] montrent que dans le cas d’une intégration aval par un monopoleur il y a hausse de prix et il y a réduction du surplus général car la hausse du profit ne permet pas de compenser la baisse du surplus du consommateur suite à la hausse de prix. Il existerait donc dans ce cas un motif d’intégration verticale de recherche de rente de monopole. Comme le fait remarquer M. Glais [1995] la différence entre ces 2 travaux tient dans la fonction de production qui sera ou non considérée comme homogène. Pour Davies une firme d’une industrie ne pourra pas modifier la manière de combiner les facteurs de production alors que pour Graham et Vernon elle le peut. D’autre part, il existe un motif très controversé qui est celui de barrières à l’entrée que l’intégration verticale créerait. Selon Comanor [1967] c’est effectivement le cas, car le financement par le marché financier de lourds investissements est problématique dans le sens où les fonds ne vont pas spontanément vers les secteurs où il existe des barrières à l’entrée qui augmentent le prix de l’entrée et qui rendent ainsi la rentabilité de l’investissement beaucoup plus incertaine. Ici tout dépend en fait de la spécificité des actifs qui constitue un élément essentiel dans la qualité des barrières à l’entrée. Il existe des restrictions verticales plus ou moins douloureuses pour la concurrence selon les stades de la filière que cela concerne et selon le type d’accords utilisé. Il semblerait que pour des stades intermédiaires l’impact soit moins négatif que pour les stades finaux de distribution. De plus, les accords les plus gênants vont venir des accords d’exclusivités qui exclu tous les autres acteurs de façon définitive. La conséquence la plus négative viendra des concurrents qui sont poussés à agir de la même façon et produiront ainsi un effet cumulatif. Les autorités de régulation surveillent donc de près toute fusion horizontale, et verticale. L’évaluation des effets de l’intégration verticale est essentielle pour déterminer les conséquences sur les marchés. Il s’agit d’une évaluation au cas par cas où il y a la prise en compte de l’efficience économique. Il ne faut pas que cette intégration conduise à une extension de pouvoir de marché, et à l’éviction de concurrent en place ou potentiellement près à entrer. Il faut que cela réponde à un vrai besoin de coordination de la production et donc de gain pour la société en général et pour le consommateur en particulier. L’industrie pétrolière est soumise régulièrement à des excès d’offre. La raffinage de brute peut être supérieure à la demande et fait chuter les prix. La Commission Européenne est ainsi très sensible à ces arguments économiques. La position stratégique du pétrole dans les économies ne fait qu’accentuer ces précautions.
*** Les déficiences des marchés
Le problème d’efficience des marchés est certainement l’approche la plus récente pour expliquer la nécessité de s’intégrer verticalement. Il s’agit d’une approche développée par Coase et Williamson, qui insistent sur les raisons du choix entre le marché et la firme comme mode de coordination des transactions.