La communication sur les risques sanitaires: des tensions \u00e0 l\u2019\u0153uvre entre les divers acteurs – Partie 1
\nLa question des risques sanitaires li\u00e9s aux champs \u00e9lectromagn\u00e9tiques suscite des d\u00e9saccords entre diff\u00e9rents acteurs qui vont n\u2019avoir de cesse \u00e0 travailler \u00e0 la publicisation40 de cette question. Cependant, leurs communications manifestent des divergences dans leur mani\u00e8re d\u2019appr\u00e9cier les risques. Ainsi pour Bernard Veyret, scientifique responsable du programme Comobio41, les antennes-relais et le Wifi ne pr\u00e9sentent aucun risque pour la sant\u00e942, tandis que pour Etienne Cendrier, porte-parole de Robin des Toits, l\u2019existence d\u2019un risque sanitaire ne fait aucun doute43. Nous sommes donc en pr\u00e9sence de deux personnes \u00e9mettant des avis compl\u00e8tement oppos\u00e9s. Comment expliquer ces divergences ? De quelles mani\u00e8res s\u2019expriment-elles dans la sph\u00e8re publique ? Quels sont les enjeux qui les sous- tendent ? Ce sont \u00e0 ces questions que nous tenterons de r\u00e9pondre dans cette partie. Dans un premier temps, nous analyserons les \u00e9l\u00e9ments pris en consid\u00e9ration en mati\u00e8re de gestion des risques. Ensuite, nous identifierons les divers acteurs concern\u00e9s par les risques li\u00e9s \u00e0 l\u2019exposition aux champs \u00e9lectromagn\u00e9tiques; nous \u00e9tudierons comment et pourquoi ils mobilisent cette notion de risque. Enfin, nous tenterons de cerner les enjeux sous-tendus par leur communication.<\/p>\n
40 Nous entendons par publicisation le processus de mise en visibilit\u00e9 d\u2019un sujet, mais aussi sa mise en d\u00e9bat.
\n41 Le programme Comobio (Communication mobile et biologie) a \u00e9t\u00e9 lanc\u00e9 en janvier 1999 pour \u00e9valuer les effets sanitaires potentiels des t\u00e9l\u00e9phones mobiles.
\n42 Barthe Yannick, \u00ab Sympt\u00f4mes inqui\u00e9tants parmi les experts \u00bb, in Mediapart, 7\/05\/2008, article en ligne, http:\/\/blogs.mediapart.fr\/edition\/sciences-et-democratie\/article\/070508\/symptomes-inquietants-parmi-les-experts-1, [consult\u00e9 le 18\/03\/2011].
\n43 Cendrier Etienne, Et si la t\u00e9l\u00e9phonie mobile devenait un scandale sanitaire ?, Editions du Rocher, Paris, 2008, p.19.<\/p><\/blockquote>\nChapitre 1 \u2013 La gestion des risques sanitaires
\nLa gestion des risques est une activit\u00e9 qui consiste principalement \u00e0 identifier les risques potentiels, \u00e0 les \u00e9valuer, \u00e0 les r\u00e9duire \u00e0 des niveaux acceptables, et \u00e0 augmenter la confiance de la population face aux d\u00e9cisions44. Pour aborder ce th\u00e8me, il nous para\u00eet donc important de consid\u00e9rer trois \u00e9l\u00e9ments: l\u2019\u00e9valuation des risques, leur perception et leur repr\u00e9sentation45.
\nL\u2019\u00e9valuation des risques sanitaires <\/em><\/strong>
\nLa notion de risque est utilis\u00e9e dans de nombreux domaines d\u2019activit\u00e9 (finance, m\u00e9decine, assurance, ing\u00e9nierie, politique, etc.) o\u00f9 elle recouvre des significations diff\u00e9rentes. En s\u00e9curit\u00e9 civile46, la notion de risque implique la pr\u00e9sence de deux \u00e9l\u00e9ments fondamentaux, l\u2019al\u00e9a et la vuln\u00e9rabilit\u00e9. L\u2019al\u00e9a d\u00e9signe la probabilit\u00e9 que surviennent un \u00e9v\u00e8nement ou un ph\u00e9nom\u00e8ne pouvant engendrer des dommages (s\u00e9cheresse, accident industriel, etc.); la vuln\u00e9rabilit\u00e9 repr\u00e9sente la pr\u00e9disposition \u00e0 subir des pr\u00e9judices ou dommages engendr\u00e9s par un \u00e9v\u00e8nement al\u00e9atoire. Le risque r\u00e9sulte donc de l\u2019interaction entre un al\u00e9a et la vuln\u00e9rabilit\u00e9 du milieu expos\u00e9 (personnes, habitations, activit\u00e9s \u00e9conomiques, etc.) et implique la potentialit\u00e9 de dommages ou de pr\u00e9judices. Appr\u00e9hend\u00e9 sous cet angle, le risque appara\u00eet comme un danger probable, un \u00ab al\u00e9a anticipable \u00bb47, qui peut donner lieu \u00e0 des mesures et \u00e0 des calculs probabilistes. Cette approche positiviste, promue par les ing\u00e9nieurs, a \u00e9t\u00e9 longtemps dominante dans l\u2019analyse des risques48. Ainsi, depuis la fin du 19e si\u00e8cle, les dangers susceptibles d\u2019affecter les collectivit\u00e9s humaines sont-ils \u00ab mis en risque \u00bb49. La \u00ab mise en risque \u00bb est l\u2019op\u00e9ration par laquelle un danger est transform\u00e9 en risque: les causes peuvent \u00eatre identifi\u00e9es, la probabilit\u00e9 qu\u2019un risque survienne peut \u00eatre calcul\u00e9e et des dommages \u00e9ventuels peuvent \u00eatre \u00e9valu\u00e9s. La gestion des risques repose ainsi sur l\u2019articulation entre expertise et d\u00e9cision50. Le r\u00f4le de la communication des pouvoirs publics vise notamment \u00e0 \u00e9duquer, \u00e0 sensibiliser les populations et \u00e0 accompagner les actions pr\u00e9ventives. Mais avec l\u2019\u00e9mergence de nouveaux dangers, cette mani\u00e8re traditionnelle de g\u00e9rer les risques a \u00e9t\u00e9 bouscul\u00e9e. Claude Gilbert d\u00e9crit trois phases de ruptures en mati\u00e8re de gestion des risques51:
\n1. A la fin des ann\u00e9es 70, une premi\u00e8re rupture s\u2019op\u00e8re avec l\u2019introduction de la notion de \u00ab risques majeurs52 \u00bb dans le domaine des risques industriels. Cette notion a pour but de r\u00e9pondre \u00e0 l\u2019\u00e9mergence de nouveaux dangers collectifs, lesquels pr\u00e9sentent des caract\u00e9ristiques qui ne peuvent \u00eatre comparables \u00e0 celles des risques \u00ab classiques \u00bb. Ces risques majeurs sont par exemple illustr\u00e9s dans le secteur du nucl\u00e9aire ou de la chimie par les catastrophes ou accidents comme ceux de Three Mile Island, Tchernobyl, Bhopal ou Fukushima, et dans le domaine du transport par les naufrages de l\u2019Amoco Cadiz, de l\u2019Exxon Valdez ou de l\u2019Erika;
\n2. Au cours des ann\u00e9es 80\/90, aux risques industriels se sont superpos\u00e9s des risques li\u00e9s \u00e0 la gestion des probl\u00e8mes de sant\u00e9 publique. A cet \u00e9gard, l\u2019\u00e9pid\u00e9mie du sida s\u2019est pr\u00e9sent\u00e9e comme l\u2019\u00e9quivalent des \u00ab risques majeurs \u00bb dans le domaine de la sant\u00e9. En mettant en exergue les vuln\u00e9rabilit\u00e9s propres au syst\u00e8me de sant\u00e9 fran\u00e7ais, cette \u00e9pid\u00e9mie a \u00e9t\u00e9 \u00e0 l\u2019origine de ruptures dans l\u2019approche de la gestion des risques. Aussi les associations de victimes ont-elles contribu\u00e9, par leurs actions en justice, \u00e0 remettre en cause \u00ab le fonctionnement du syst\u00e8me de sant\u00e9, la comp\u00e9tence du corps m\u00e9dical, des experts scientifiques et, au-del\u00e0, la capacit\u00e9 de l\u2019administration et des autorit\u00e9s politiques \u00e0 assumer leurs fonctions et responsabilit\u00e9s53 \u00bb;
\n3. Fin des ann\u00e9es 90, des ruptures encore plus nettes apparaissent avec l\u2019\u00e9mergence de dangers marqu\u00e9s par de fortes incertitudes. Ainsi, des dangers comme ceux li\u00e9s aux OGM, \u00e0 l\u2019ESB54, \u00e0 la t\u00e9l\u00e9phonie mobile, aux pollutions environnementales, etc. rendent-ils impossible l\u2019op\u00e9ration de \u00ab mise en risque \u00bb. Ces nouveaux dangers, que C. Gilbert pr\u00e9f\u00e8re nommer menaces, suscitent des situations de crises, les acteurs \u00e9conomiques, les politiques, les professionnels de l\u2019expertise se trouvant en difficult\u00e9 pour les appr\u00e9hender. Pour l\u2019auteur, on quitte \u00ab la soci\u00e9t\u00e9 du risque \u00bb pour entrer dans \u00ab la soci\u00e9t\u00e9 des menaces \u00bb.<\/p>\n44 Debia Maximilien, Zayed Joseph, \u00ab Les enjeux relatifs \u00e0 la perception et \u00e0 la communication dans le cadre de la gestion des risques sur la sant\u00e9 publique \u00bb, in Vertigo, La revue \u00e9lectronique en sciences de l’environnement, Vol. 4, n\u00b0 1, mai 2003, en ligne, http:\/\/vertigo.revues.org\/4700, [consult\u00e9 le 14\/02\/2011].
\n45 Nous entendons par repr\u00e9sentation l\u2019image mentale qu\u2019un individu se fait d\u2019une situation.
\n46 L’article 1 de la loi n\u00b02004-811 du 13 ao\u00fbt 2004 de modernisation de la s\u00e9curit\u00e9 civile d\u00e9finit que \u00ab la s\u00e9curit\u00e9 civile a pour objet la pr\u00e9vention des risques de toute nature, l’information et l’alerte des populations ainsi que la protection des personnes, des biens et de l’environnement contre les accidents, les sinistres et les catastrophes par la pr\u00e9paration et la mise en \u0153uvre de mesures et de moyens appropri\u00e9s relevant de l’Etat, des collectivit\u00e9s territoriales et des autres personnes publiques ou priv\u00e9es. \u00bb
\n47 Pierre Lascoumes, \u00ab Construction sociale des risques et contr\u00f4le du vivant \u00bb, in Pr\u00e9venir, n\u00b0 24, 1993, pp. 23-36.
\n48 Lemieux Cyril, Barthe Yannick, \u00ab Les risques collectifs sous le regard des sciences du politique. Nouveaux chantiers, vieilles questions \u00bb, in Politix, Politiques du risque, vol. 11, n\u00b0 44, 4e trimestre 1998, p. 8.
\n49 Expression introduite par Fran\u00e7ois Ewald, L\u2019\u00c9tat providence, Grasset, Paris, 1986, cit\u00e9 par Gilbert Claude, \u00ab La fabrique des risques \u00bb, in Cahiers internationaux de sociologie, n\u00b0 114, 2003\/1, p. 57.
\n50 Gilbert Claude, \u00ab La fabrique des risques \u00bb, in Cahiers internationaux de sociologie, n\u00b0 114, 2003\/1, p. 57.
\n51 Gilbert Claude, \u00ab La fin des risques ? \u00bb, in Quaderni, n\u00b0 48, 2002, pp. 111-120.
\n52 Notion introduite par Patrick Lagadec.
\n53 Gilbert Claude, \u00ab La fin des risques ? \u00bb, op. cit., p. 116.
\n54 L\u2019enc\u00e9phalopathie spongiforme bovine, \u00e9galement appel\u00e9e \u00ab maladie de la vache folle \u00bb.<\/p><\/blockquote>\nNous pouvons \u00e9galement envisager une autre rupture, en lien avec la notion de \u00ab risque symbolique \u00bb propos\u00e9e par Dominique Bourg. Ce risque d\u00e9signe pour lui un risque qui affecterait la repr\u00e9sentation que nous avons de la r\u00e9alit\u00e9. Ce risque r\u00e9sulte de l\u2019effet potentiel de certaines techniques, en l\u2019occurrence les nanotechnologies et le g\u00e9nie g\u00e9n\u00e9tique. Ces technologies, qui rendent possible les manipulations g\u00e9n\u00e9tiques, voire l\u2019am\u00e9lioration de l\u2019\u00eatre humain55, pourraient bouleverser notre conception de l\u2019identit\u00e9 humaine56.
\nAussi, certains auteurs ont-ils fait du risque un \u00e9l\u00e9ment constitutif de nos soci\u00e9t\u00e9s contemporaines. Par exemple, pour Antony Giddens, la modernit\u00e9 am\u00e8ne ce qu\u2019il appelle un nouveau profil de risque. Les menaces \u00e9cologiques, qui font partie de ce nouveau profil, sont la cons\u00e9quence de la vie sociale moderne. Cet auteur souligne que les soci\u00e9t\u00e9s contemporaines sont confront\u00e9es \u00e0 des risques cr\u00e9\u00e9s par l\u2019homme, lesquels ont largement supplant\u00e9 les risques naturels (inondations, tremblements de terre\u2026)57. Ulrich Beck pense quant \u00e0 lui que les sciences sont confront\u00e9es aux probl\u00e8mes qu\u2019elles causent: \u00ab la science devient cause (partielle), m\u00e9dium de d\u00e9finition, et source de solution des risques58. \u00bb
\nNous voyons combien le processus de \u00ab mise en risque \u00bb est devenu inop\u00e9rant avec l\u2019\u00e9mergence de nouveaux dangers (OGM, nanotechnologies, champs \u00e9lectromagn\u00e9tiques, etc.). Par ailleurs, les risques collectifs li\u00e9s \u00e0 la sant\u00e9 environnementale sont devenus pr\u00e9gnants et le r\u00f4le des pouvoirs publics est de plus en plus questionn\u00e9. Les conflits ou les crises autour des nouveaux risques donnent place \u00e0 des pol\u00e9miques ou \u00e0 des controverses s\u2019accompagnant souvent de l\u2019interpellation ou de la mise en cause des experts et des autorit\u00e9s publiques59. Aussi est-il devenu relativement habituel pour des individus ou des groupes issus de diff\u00e9rents milieux (scientifique, professionnel, associatif\u2026) de se mobiliser pour \u00ab convaincre les autorit\u00e9s de prendre en compte des probl\u00e8mes nouveaux ou insuffisamment instruits, et, ce faisant, d\u2019assumer leurs responsabilit\u00e9s et obligations en la mati\u00e8re60. \u00bb Il en est ainsi de la gestion des risques li\u00e9s \u00e0 l\u2019exposition aux champs \u00e9lectromagn\u00e9tiques. De multiples actions communicationnelles donnent \u00e0 lire cette interpellation adress\u00e9e aux autorit\u00e9s. On peut citer par exemple \u00ab L\u2019appel des vingt contre le portable \u00bb, \u00e9mis par vingt scientifiques dans le but de sensibiliser sur les risques li\u00e9s \u00e0 l\u2019utilisation du t\u00e9l\u00e9phone portable sur le cerveau61. De m\u00eame, le collectif Une terre pour les EHS vise \u00e0 alerter les pouvoirs publics sur le probl\u00e8me de l\u2019hypersensibilit\u00e9 \u00e9lectromagn\u00e9tique. Pour ce faire, il a coordonn\u00e9 en 2010 l\u2019occupation de la for\u00eat de Sao\u00fb, dans la Dr\u00f4me, dans l\u2019objectif d\u2019obtenir un droit, celui de disposer de lieux d\u00e9pourvus de champs \u00e9lectromagn\u00e9tiques62. Mais les \u00e9lectrosensibles sont-ils pris au s\u00e9rieux ? Comment leurs souffrances sont-elles interpr\u00e9t\u00e9es par leur entourage ? Leurs revendications sont- elles prises en consid\u00e9ration par les autorit\u00e9s sanitaires ? Ce sont \u00e0 ces questions que nous tenterons de r\u00e9pondre \u00e0 pr\u00e9sent.<\/p>\n55 C\u2019est l\u2019objectif du transhumanisme, courant de pens\u00e9e et de recherche essentiellement actif aux Etats-Unis dont la volont\u00e9 est de produire un homme aux capacit\u00e9s sensorimotrices, mentales, voire morales nouvelles.
\n56 Bourg Dominique, \u00ab Le risque symbolique majeur \u00bb, in Risques technologiques et d\u00e9bat d\u00e9mocratique, Probl\u00e8mes politiques et sociaux, n\u00b0 941, La documentation fran\u00e7aise, Paris, Octobre 2007, pp. 90-92.
\n57 Giddens Anthony, \u00ab Une nouvelle gamme de risques sp\u00e9cifiques de la modernit\u00e9 \u00bb, in Risques technologiques et d\u00e9bat d\u00e9mocratique, Probl\u00e8mes politiques et sociaux, n\u00b0 941, La documentation fran\u00e7aise, Paris, Octobre 2007, p. 15.
\n58 Beck Ulrich, La soci\u00e9t\u00e9 du risque. Sur la voie d\u2019une autre modernit\u00e9, Aubier, Paris, 2001, p. 341.
\n59 Gilbert Claude, Henry Emmanuel, \u00ab Lire l\u2019action publique au prisme des processus de d\u00e9finition des probl\u00e8mes \u00bb, in Gilbert Claude et Henry Emmanuel (dir.), Comment se construisent les probl\u00e8mes de sant\u00e9 publique ?, La D\u00e9couverte, Paris, 2009, p. 10.<\/p><\/blockquote>\nLa perception des risques <\/em><\/strong>
\nDe nombreux travaux ont cherch\u00e9 \u00e0 expliquer les diff\u00e9rences observ\u00e9es dans le comportement des individus. La question de la perception des risques est un \u00e9l\u00e9ment qui int\u00e9resse particuli\u00e8rement les pouvoirs publics pour la mise en \u0153uvre de leurs politiques. Les d\u00e9cideurs ont en effet besoin de comprendre la r\u00e9action des individus face \u00e0 un risque, afin de g\u00e9rer au mieux les situations de crise, mener des actions de pr\u00e9vention, anticiper les r\u00e9sistances \u00e0 un projet sensible63 ou appr\u00e9cier les conditions d\u2019acceptabilit\u00e9 des risques64. Les \u00e9tudes portant sur l\u2019analyse des comportements adopt\u00e9s en situation de risque reposaient au d\u00e9part sur l\u2019id\u00e9e qu\u2019une action rationnelle d\u00e9pendait du niveau d\u2019information disponible. Le comportement s\u2019envisageait alors en termes de risques\/b\u00e9n\u00e9fices et la r\u00e9duction des risques per\u00e7us r\u00e9sidait dans la transmission d\u2019information. On pensait alors que l\u2019\u00e9ducation et\/ou l\u2019exp\u00e9rience permettait de rectifier des erreurs de mani\u00e8re \u00e0 faire converger les \u00e9valuations de \u00ab l\u2019homme ordinaire \u00bb et de l\u2019expert65. Il existait donc un \u00ab risque objectif \u00bb, d\u00e9fini par les experts, et un \u00ab risque per\u00e7u \u00bb par la population. Mais cette d\u00e9marche a \u00e9t\u00e9 critiqu\u00e9e \u00e0 la fin des ann\u00e9es 60: avec la mont\u00e9e de la contestation contre les risques industriels et le nucl\u00e9aire, il y avait un d\u00e9calage important entre la perception des risques par le grand public et les \u00e9valuations rassurantes des experts66. Les \u00e9tudes sur la perception des risques se sont alors tourn\u00e9es vers les sciences sociales, lesquelles ont remis en cause le r\u00f4le central accord\u00e9 \u00e0 l\u2019information.<\/p>\n60 Gilbert Claude, Henry Emmanuel, \u00ab Lire l\u2019action publique au prisme des processus de d\u00e9finition des probl\u00e8mes \u00bb, op. cit., p. 10.
\n61 Philippin Yann et Quemener Soazig, \u00ab L\u2019appel des vingt contre le portable \u00bb, in Le Journal du Dimanche, 15\/06\/2008.
\n62 Marie Y. et Hyvon S., \u00ab Campement sauvage en for\u00eat de Sao\u00fb \u00bb, in 12\/13 Rh\u00f4ne-Alpes, France 3, 17\/08\/2010, reportage en ligne, http:\/\/rhone-alpes.france3.fr\/info\/campement-sauvage-en-foret-de-saou-64442810.html, [consult\u00e9 le 21\/03\/2011].
\n63 R\u00e9my Elisabeth, Mallard Alexandre, \u00ab Perception du public et analyse des controverses: quels enjeux pour la gestion des risques \u00bb, in Annales des Mines, n\u00b066, G\u00e9rer et comprendre, 2001, p. 15.
\n64 Gilbert Claude, \u00ab La fabrique des risques \u00bb, op. cit., p. 60.<\/p><\/blockquote>\nDans cette perspective, des psychosociologues ont mis en \u00e9vidence que l\u2019on accepte mieux les risques \u00ab choisis \u00bb que les risques \u00ab impos\u00e9s \u00bb67. Ainsi, des personnes peuvent- elles utiliser sans inqui\u00e9tude et r\u00e9guli\u00e8rement un t\u00e9l\u00e9phone portable et, dans le m\u00eame temps, se mobiliser pour s\u2019opposer \u00e0 l\u2019installation d\u2019une antenne-relais \u00e0 proximit\u00e9 de leur domicile. Les psychosociologues montrent \u00e9galement que la fa\u00e7on de percevoir les risques diff\u00e8re d\u2019un individu \u00e0 l\u2019autre, et que l\u2019attitude vis-\u00e0-vis de risques analogues n\u2019est pas homog\u00e8ne68. Il en est ainsi par exemple d\u2019un op\u00e9rateur d\u00e9clarant que les \u00ab antennes-relais install\u00e9es en France sont aussi inoffensives que de vulgaires bouts de bois point\u00e9s vers le ciel69 \u00bb, alors m\u00eame que Sabine Rinckel, une habitante de Strasbourg, attaquent cet op\u00e9rateur en justice pour trouble anormal de voisinage et risque sur la sant\u00e970.
\nPaul Slovic s\u2019est aussi int\u00e9ress\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9cart entre le risque per\u00e7u et le risque d\u00e9sir\u00e9. Ses travaux reposent sur l\u2019\u00e9tude psychom\u00e9trique des risques per\u00e7us et visent \u00e0 mettre en \u00e9vidence les pr\u00e9f\u00e9rences en mati\u00e8re de risque. Le psychosociologue part du pr\u00e9suppos\u00e9 que le risque est par essence subjectif, que c\u2019est un concept cr\u00e9\u00e9 pour comprendre et g\u00e9rer les dangers auxquels nous sommes confront\u00e9s. Aussi le \u00ab risque r\u00e9el \u00bb ou \u00ab risque objectif \u00bb, selon lui, n\u2019existent-ils pas: l\u2019estimation d\u2019un risque est fond\u00e9e sur des mod\u00e8les th\u00e9oriques et des pr\u00e9suppos\u00e9s bas\u00e9s sur la subjectivit\u00e9. C\u2019est le cas par exemple de l\u2019estimation faite par l\u2019ing\u00e9nieur pour \u00e9valuer un accident de r\u00e9acteur nucl\u00e9aire. P. Slovic explique que \u00ab les profanes \u00bb ont recours \u00e0 leurs propres mod\u00e8les et pr\u00e9suppos\u00e9s d\u2019\u00e9valuation des risques, qui peuvent \u00eatre radicalement diff\u00e9rents de la m\u00e9thode scientifique71. Ainsi, dans le cas des champs \u00e9lectromagn\u00e9tiques, un expert comme Bernard Veyret72 va \u00e9valuer les risques sanitaires \u00e0 partir de calculs, de mesures, de normes abstraites scientifiques, tandis que l\u2019estimation faite par Etienne Cendrier73 sera bas\u00e9e sur des mesures r\u00e9alis\u00e9es sur le terrain, sur une exp\u00e9rience perceptuelle et sur des intuitions \u00e9labor\u00e9es \u00e0 partir d\u2019\u00e9l\u00e9ments pr\u00e9sents dans le monde sensible74. Plusieurs facteurs (la familiarit\u00e9, l\u2019\u00e9quit\u00e9, le contr\u00f4le, le potentiel catastrophique et le niveau de connaissances) semblent donc peser dans l\u2019appr\u00e9hension des risques et sur la relation entre risque per\u00e7u, avantages per\u00e7us et acceptation du risque75. A cet \u00e9gard, les diff\u00e9rentes crises autour des OGM, des nanotechnologies ou de la t\u00e9l\u00e9phonie mobile par exemple, mettent en \u00e9vidence l\u2019\u00e9cart entre le niveau souhait\u00e9 par les populations et les moyens mis en \u0153uvre en ce sens par les autorit\u00e9s publiques. Certains acteurs tendent d\u2019ailleurs, dans leur communication, \u00e0 relativiser ces \u00e9carts entre risques per\u00e7us et risques acceptables. Ainsi, Ren\u00e9 Russo, D\u00e9l\u00e9gu\u00e9 g\u00e9n\u00e9ral de l\u2019Association fran\u00e7aise des op\u00e9rateurs de t\u00e9l\u00e9phonie mobile, dans un article paru dans Le Figaro, compare les fr\u00e9quences \u00e9mises par un t\u00e9l\u00e9phone portable avec celles de la lumi\u00e8re: \u00ab la lumi\u00e8re, qui est \u00e9galement une onde, si pr\u00e9cieuse \u00e0 la vie, est dans le spectre visible, 100 000 fois plus \u00e9lev\u00e9e \u00bb que celle du t\u00e9l\u00e9phone portable76. Aussi est-ce courant, pour relativiser les risques de certains \u00e9l\u00e9ments, d\u2019\u00e9voquer leur pr\u00e9sence \u00e0 l\u2019\u00e9tat naturel; il en est ainsi par exemple de l\u2019amiante, des nanoparticules, des rayonnements \u00e9lectromagn\u00e9tiques ou nucl\u00e9aires.<\/p>\n65 R\u00e9my Elisabeth, Mallard Alexandre, \u00ab Perception du public et analyse des controverses: quels enjeux pour la gestion des risques \u00bb, op. cit., p. 16.
\n66 Ibid.
\n67 Boy Daniel, \u00ab Perception et acceptation sociale des risques: une relation paradoxale \u00bb, in Risques technologiques et d\u00e9bat d\u00e9mocratique, Probl\u00e8mes politiques et sociaux, n\u00b0 941, La documentation fran\u00e7aise, Paris, Octobre 2007, p. 23.
\n68 R\u00e9my Elisabeth, Mallard Alexandre, \u00ab Perception du public et analyse des controverses: quels enjeux pour la gestion des risques \u00bb, op. cit., p. 17.
\n69 Negroni Ang\u00e9lique, \u00ab Nuisances des antennes-relais: une plaignante d\u00e9bout\u00e9e en appel \u00bb, in Le Figaro, 16\/12\/2008.
\n70 Ibid.<\/p><\/blockquote>\nIl existe donc des \u00e9carts de perception entre risques \u00ab choisis \u00bb et risques \u00ab impos\u00e9s \u00bb, entre niveau de risque per\u00e7u et niveau de risque d\u00e9sir\u00e9. Pour r\u00e9duire ces \u00e9carts d\u2019appr\u00e9ciation des risques, les instances publiques d\u00e9veloppent des actions de communication. A cet \u00e9gard, l\u2019OMS d\u00e9clare que \u00ab le public interpr\u00e8te couramment les incertitudes de la connaissance scientifique concernant les effets des CEM sur la sant\u00e9 comme une d\u00e9claration confirmant l\u2019existence de risques r\u00e9els77. \u00bb Aussi a-t-elle r\u00e9alis\u00e9 une action \u00e9ducative de communication, dans laquelle elle explique comment traiter avec la perception du public78, dans le but de r\u00e9duire le risque per\u00e7u par les populations. L\u2019organisation mondiale invite par ailleurs les gouvernements \u00e0 communiquer \u00e0 destination des individus se plaignant d\u2019hypersensibilit\u00e9 \u00e9lectromagn\u00e9tique, \u00e0 destination des professionnels de la sant\u00e9 et des employeurs; elle leur demande d\u2019indiquer de mani\u00e8re claire qu\u2019il n\u2019existe aucune base scientifique permettant d\u2019\u00e9tablir une relation entre hypersensibilit\u00e9 \u00e9lectromagn\u00e9tique et exposition aux champs \u00e9lectromagn\u00e9tiques79. Notons que l\u2019OMS cherche ainsi \u00e0 cadrer la notion de risque vis-\u00e0-vis des personnes susceptibles de s\u2019int\u00e9resser \u00e0 l\u2019hypersensibilit\u00e9 \u00e9lectromagn\u00e9tique. A pr\u00e9sent, nous proposons d\u2019aborder la question de la repr\u00e9sentation des risques.<\/p>\n
71 Boy Daniel, \u00ab Perception et acceptation sociale des risques: une relation paradoxale \u00bb, op. cit., pp. 23-26.
\n72 Nous rappelons que B. Veyret est un scientifique responsable du programme Comobio.
\n73 Pour rappel, Etienne Cendrier est porte-parole de Robin des Toits.
\n74 C\u2019est ce que soulignent Francis Chateauraynaud et Didier Torny dans leur analyse de l\u2019alerte \u00e0 la radioactivit\u00e9, Cf. Chateauraynaud Francis, Torny Didier, Les sombres pr\u00e9curseurs. Une sociologie pragmatique de l\u2019alerte et du risque, Editions de l\u2019Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, 1999, p. 266.
\n75 Boy Daniel, \u00ab Perception et acceptation sociale des risques: une relation paradoxale \u00bb, op. cit., pp. 23-26.
\n76 Russo Ren\u00e9, \u00ab Non, le portable n\u2019est pas dangereux \u00bb, in Le Figaro, 24\/04\/2004.
\n77 OMS, Instauration d\u2019un dialogue sur les risques dus aux champs \u00e9lectromagn\u00e9tiques, op. cit., p. 36.<\/p><\/blockquote>\n