La fin du voyage – Louis-Ferdinand Céline

La fin du voyage – Louis-Ferdinand Céline

3. La fin du voyage

À son arrivée en France, Ferdinand Céline décide d’acheter une maison à Meudon, afin d’éviter tout contact avec les hommes. Sa colère envers eux ne s’est pas apaisée avec le temps, il est devenu misanthrope et ne cherche la compagnie que des animaux.

Son seul contact avec l’extérieur est celui avec Gaston Gallimard qui souhaite rééditer les anciens romans de Céline, hormis les pamphlets, avec 5 millions de francs d’à-valoir pour l’auteur, avant les ventes de ses livres. Cependant, l’auteur doit accepter l’interdiction de la republication de ses pamphlets et proposer avant la fin des ventes, un nouveau manuscrit à la maison d’édition.

Céline s’empresse de finir Féerie pour une autre fois 2 qu’il a entamé lors de son incarcération au Danemark. Un livre assez singulier, par rapport aux précédents écrits de l’auteur, car ce dernier ne se constitue ni d’un début, ni d’une fin et encore moins d’une intrigue.

Le lecteur suit les élucubrations de l’auteur qui déverse sa haine à tous ceux qui l’ont trahi et laisse libre cours à son style d’écriture. Bien que le livre ait connu un échec commercial pendant sa sortie, à cause de sa singularité au vu des canons littéraires de l’époque, il reste aujourd’hui un des livres de l’auteur qui fascine le plus les chercheurs par sa construction, ainsi que dans l’agencement des mots, car c’est dans « le long travail de mise en musique des mots [qu’il] trouve son couronnement littéraire 3».

L’échec de son livre l’incite à ouvrir un cabinet médical à son domicile, mais c’est sans grand succès. Seuls les pauvres viennent se soigner chez lui et il refuse de leur demander ses honoraires.

Il justifie son acte en déclarant qu’« ils n’en ont déjà pas assez pour bouffer et aller au cinéma, les malades, faut-il encore en prendre du pognon pour faire des honoraires avec 1? ». Ceci démontre que jusqu’à ses derniers jours, Céline est resté compatissant aux douleurs des hommes, et cela malgré sa colère et sa haine envers eux. Son côté humaniste a toujours pris le dessus sur sa rancœur.

En 1954, Céline publie la suite de Féerie pour une autre fois, qui s’intitule Normance. Elle subit le même destin que le premier tome, la presse évite d’en parler et les ventes ne dépassent pas les 1000 exemplaires.

En guise de réponse à ce manque de soutien de la part de la presse (à la sortie de Féerie pour une autre fois, Céline avait refusé de faire de la publicité pour son livre) il publie Entretiens avec le professeur Y, un ouvrage mettant en scène l’écrivain avec un journaliste qui lui demande de divulguer ses secrets d’écrivain.

À partir de 1955, Céline entame la rédaction de sa trilogie allemande, où il évoque sa fuite vers l’Allemagne, ainsi que son exil. Il n’est plus question de romancier, mais d’un chroniqueur de guerre qui décrit dans D’un Château l’autre, les derniers jours du gouvernement de Vichy. Une partie obscure de l’histoire française qu’il est le premier à avoir traitée.

Le livre sort en librairie le 04 juin 1957, pour augmenter ses chances de vente, Céline donne pour la première fois des interviews pour ses livres. Certains s’attendaient à des excuses ou des regrets de l’auteur pour ses propos durant la guerre, mais Céline reste fidèle à son discours et ses idéaux jusqu’à sa mort. L’effet du coup de promotion pour le livre est positif, car il génère une vente de 30 000 exemplaires.

Sans perdre de temps, Céline entame la rédaction de Nord, le deuxième volume de sa trilogie. Il sait que le temps lui est compté, car sa santé ne cesse de se dégrader, depuis son séjour en prison.

À sa publication durant la fin de 1959, le livre reçoit un très bon retour de la part de la critique et salue le travail mis en œuvre par l’auteur qui est digne du Voyage au bout de la nuit. Toutefois, les ventes restent inférieures à ceux D’un Château l’autre. Cependant, Céline est indifférent à la réception critique de son ouvrage et cherche à clore rapidement sa trilogie avant de mourir.

Il entreprend immédiatement l’écriture de Rigodon le dernier volet de sa trilogie allemande et qui paraîtra à titre posthume. Cette dernière année, il ne la consacrera qu’à l’écriture de son livre jusqu’à atteindre l’épuisement physique et psychique. Le 30 juin 1961, il envoie sa dernière lettre à Gallimard et lui annonce :

Qu’il va être temps de nous lier par un autre contrat, pour mon prochain

« Rigodon »… dans le terme du précédent sauf la somme – 1500 NF au lieu de 1000- sinon je loue, moi aussi, un tracteur et je vais défoncer la NRF, et pars saboter tous les bachots ! Qu’on se le dise ! Bien amicalement vôtre. Destouches1.

Le lendemain, Céline décède d’une hémorragie cérébrale due à un manque de repos et un travail excessif. Louis-Ferdinand Destouches, laisse derrière lui un héritage qui se résume à un style unique et neuf grands livres de la littérature française qui sont bien plus que « du pain pour un siècle de littérature ».

Une vie assez analogue à celle de Semmelweis, dans la mesure où les deux personnes ont dévoué leur vie à la recherche de l’histoire secrète de ce monde, pour finir par être méprisées des autres.

Quant à sa misanthropie, il a été souvent sous-entendu que Céline détestait tous les êtres humains, ce qui finit par le rendre antisémite. Or, Céline détestait l’ordre établi par les hommes dans la vie, un ordre injuste où les bourgeois oppressent les pauvres, depuis toujours.

Son œuvre subversive est une réponse à cet ordre tyrannique, car elle vise à chambouler ce dernier et à instaurer un ordre plus juste, animé par l’esprit égalitaire. Cela démontre aussi que Céline est un parfait nihiliste qui rejetait la réalité des choses en aspirant à quelque chose de mieux, puisque « le nihiliste n’est pas celui qui ne croit à rien, mais celui qui ne croit pas à ce qui est 2 ».

2 Louis-Ferdinand CÉLINE, Féerie pour une autre fois, Gallimard, Paris, 1952.

3 David ALLIOT, op. cit., p.131.

1 David LABREURE, Louis Ferdinand Céline, une pensée médicale, Publibook, Paris, 2009, p.111.

1 Louis-Ferdinand CÉLINE, op.cit., 2016, p.248.

2 Albert CAMUS, L’homme révolté, Gallimard, Folio essais, Espagne, 2016, p.96.

Conclusion de la première partie

Dans cette première partie, nous avons abordé la biographie de Louis- Ferdinand Céline, afin de comprendre l’écrivain, ainsi que ses prises de position sur le plan politique. Ceci nous a permis de mieux comprendre l’antisémitisme de l’auteur proféré entre 1936-1941.

Loin d’être un racisme familial transmis par l’entourage de Céline, c’est une haine réfléchie et alimentée par l’expérience de ce dernier à la S.D.N. ainsi l’hypothèse que Céline dès son enfance a été conditionné par son entourage pour devenir un antisémite est fausse.

Toutefois, son antisémitisme est assez ambigu, car il ne s’est cantonné que dans le cadre littéraire, sans jamais évoluer vers l’acte, bien qu’il ait eu la possibilité de devenir le collaborateur le plus influant en France, pendant l’occupation.

Ceci démontre que la haine de Céline n’était pas dirigée contre tous les Juifs d’Europe, étant donné qu’il n’a jamais dénoncé aucun Juif à la Gestapo et qu’il n’a pas assuré le rôle de propagandiste au compte des nazis.

Bien au contraire, l’auteur a même aidé certains Juifs, ainsi que des membres de la résistance française sous l’occupation en les soignant, sans demander des honoraires. Une contradiction qui a longtemps suscité des questionnements, car d’une part l’auteur affiche, dans le cadre littéraire, un antisémitisme virulent, mais d’autre part, dans le cadre réel, il est d’un humanisme sans précédent.

Son seul but, comme vu dans le troisième chapitre, était de dénoncer la machination de certains Juifs sectaires qui poussaient la France et toute l’Europe à entrer dans une guerre absurde. Une guerre qui a fini par se déclarer pour donner raison sur certains points au pamphlétaire.

Cependant, les propos prononcés par l’auteur dans ses pamphlets ne sont nullement dignes du génie littéraire de Céline qui nuisent profondément à son discours humanitaire.

Certes, son style depuis Voyage au but de la nuit s’est manifesté avec cette haine véhiculée par l’argot et qui fait de lui un des plus grands écrivains français de l’histoire, mais dans les pamphlets, il tombe, par moment, dans un délire exaspérant et c’est pour cette raison que les pamphlets ont toujours étaient considérés comme des déclarations de haine voire de mort à l’encontre de la race juive.

Mais au vu de ce qu’on a pu découvrir, tout au long de cette première partie de notre recherche, on peut insinuer que les pamphlets des Louis- Ferdinand Céline étaient inévitables pour l’auteur dans sa recherche de l’histoire secrète du monde, car cette quête a été entamée par le docteur Destouches, lors des études de médecine avec sa thèse de doctorat sur Semmelweis et s’est prolongée avec les pamphlets de l’entre-deux-guerres, pour finir avec ses derniers romans.

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