La célébration centrale (al-markazi) et Julia Boutros

C- Spécificité de la célébration centrale (al ihtifal al-markazi)

Les préparations de cette célébration commencent souvent une semaine avant la date déclarée, par une invitation officielle du Hezbollah au grand public à travers les outils médiatiques du parti : la chaîne Al-Manar, la radio Al-Nour, et les autres outils annexes.
Cette invitation se diffuse durant toute la semaine sur ces médias pour que le grand public soit capable de participer à ce festival, tout en indiquant le lieu et la date de cette cérémonie, durant laquelle les hommes et les femmes seront séparés pour respecter les normes islamiques du Hezbollah.
D’autres invitations à caractères personnels seront envoyées aux politologues pro-Hezbollah, aux présidents des trois pouvoirs officiels libanais notamment durant le jour de la libération, aux clercs sunnites, druzes, chiites et chrétiens (sauf si la célébration est purement islamique), aux grands officiers publics de l’Etat libanais comme l’armée et la sureté générale, et à plusieurs journalistes, écrivains et intellectuels de toutes les confessions.
Il faut noter la présence arabe dans certaines célébrations (syriens, iraquiens, bahreïniens, yéménites et bien sûr iraniens), et des ambassadeurs des pays qui supportent le parti ou qui ne sont pas en contradiction avec ses politiques.
Ces invitations officielles et personnelles indiquent toujours si le secrétaire général du Hezbollah va apparaître sur l’écran pour lancer un discours ou non, et tout le monde reste incertain si Nassrallah va apparaitre physiquement et personnellement ou non à la place de commémoration, mais ce cas reste très rare.
La participation des partisans du Hezbollah à la célébration centrale, durant le jour des dirigeants martyrs
Figure 5 La participation des partisans du Hezbollah à la célébration centrale, durant le jour des dirigeants martyrs – Source: Reuters92

En effet, La majorité des célébrations suit la même procédure : avant le discours du secrétaire général ou l’une des personnalités du Hezbollah, l’équipe musicale présente un petit concert musical relatif au sujet de la célébration, accompagné d’une vidéo qui sera projetée sur un gigantesque écran, sur lequel se diffusent les scènes des batailles du parti contre Israël, et « les héros » de la résistance avec leurs fusils.
Les membres de cette équipe montent sur la piste principale du festival, vêtus de l’uniforme militaire pour se familiariser avec les thèmes de leurs chansons, toujours barbus, ils conservent leur particularité islamique en interdisant toute participation de sexe féminin à ce concert, et même certains appareils musicaux sont interdits selon le fatwa du guide spirituel du parti Ali Khamenei.
La production de ces chants a été limitée à quelques groupes musicaux sans que le parti adopte un groupe officiel, mais deux d’entre eux, qui sont Firqat al Israa et Firqat al Fajer sont les plus célèbres dans la société du Hezbollah 93.
La guerre est un sujet principal dans toutes ces productions, lesquelles invitent les gens à résister contre Israël par la stimulation au jihad et à la révolution contre la souffrance. Tous ces sujets ont été intégrés dans les chansons, sans que la patrie aie une place importante.
Talal Atrissi indique que « les chants se concentraient auparavant sur les sujets religieux et l’éloge funèbre des martyrs, ils ont changé pour exprimer de nouvelles valeurs, peu familières à la littérature du Hezbollah, ou à son discours idéologique ou mobilisateur ».
Ils ont commencé à évoquer l’attachement au Liban, et la mort pour la patrie […] Il ajoute qu’ils sont écrits « en une langue familière et simple, adaptée au peuple, et aux dizaines de milliers de libanais sympathisants du Hezbollah qui les écoutent chez eux ou dans leur voiture »94
Après le morceau musical, le présentateur annonce le début du discours principal, le spectacle répète les expressions d’amour et d’allégeance envers le parti et son secrétaire général, et celles hostiles aux Etats-Unis d’Amérique et Israël, « les démons de la planète », tout en montrant les icônes de Nassrallah et des personnages du parti avec des milliers de drapeaux jaunes, mais aussi des drapeaux libanais et des drapeaux d’autres partis pro-Hezbollah.
Le jour de la célébration, une équipe de Hezbollah sera chargée de visiter les tombeaux des dirigeants martyrs du Hezbollah : Ragheb Harb à Jebchit au Sud, Abbas al Moussawi à Nabi-shit au Bekaa et celui d’Imad Moghnieh à la banlieue de Beyrouth.
Un représentant du parti aura la mission de représenter le Hezbollah pour mettre des festons sur leurs tombeaux, une dizaine des membres du Hezbollah, jeunes, portant l’uniforme militaire effectuent une salutation à leurs âmes, puis ils se dirigent avec le représentant vers la maison des dirigeants pour faire une visite personnelle et montrer l’affection et la solidarité avec leur famille.
Cependant le discours de Nsasrallah durant la célébration centrale occupe une place importante dans l’affectation des activités commémoratives comme un instrument de guerre.
En effet, l’influence qu’il fait sur cette société par l’utilisation des termes et des expressions portant sur les deux thèmes , guerre et résistance, et le rôle de ces mots répétés ont été étudiés par l’auteure Bassima Issa95, qui a analysé douze discours de Nassrallah durant la guerre de Juillet 2006, en montrant le rôle de ces discours dans la guerre psychologique, politique et communicationnelle sur la scène libanaise, arabe et internationale.
D’un côté, ils servent comme un support moral et persuasif pour la population libanaise, et d’un autre côté, ils sèment la déception et la peur chez les israéliens en recourant à des termes spécifiques et en montrant des vérités et des nombres contre les considérations de l’ennemi.
En plus, l’éloquence de Nassrallah joua aussi un rôle important sur les réactions des peuples libanais et israéliens, et sur les politologues libanais et internationaux.
L’étude montre une valeur de (34.2%) des discours Nassrallah durant lesquels il a mentionné et a parlé « des personnes efficaces » durant la guerre (négativement ou positivement) : les personnes israéliens ont eu (9.2%), les libanais (8.9 %) et les américains (6.9 %).
L’analyse des discours montre que le groupe le plus mentionné est « la résistance islamique au Liban » (20.8%), puis le « peuple libanais » (17.3%), et « l’occupation israélienne » a eu 16.7 de pourcentage.
En ce qui concerne la fonction du discours, la catégorie de « dénonciation des crimes de guerre au Liban » occupe (33.5 %), et (14,4%) ont servi à mobiliser le peuple libanais politiquement.
Enfin (10.9%) des discours, a été utilisé pour mentionner les martyrs de l’offensive israélienne, et les blessés des deux côtés (4.1%), contre (2.2%) pour les morts israéliens.

D- Le paradigme de Julia Boutros : La chanteuse de la société de résistance

La chanteuse Boutros est issue d’une famille chrétienne qui soutient politiquement le parti syrien socialiste96, et bien que cette chanteuse déclare qu’elle n’est pas adhérée à ce parti de gauche97, dont la majorité de ses membres sont laïques, et de toutes les régions, qui a vécu une histoire avec la résistance contre l’occupant israélien avant la naissance du Hezbollah, Boutros affirme à plusieurs reprises son appartenance à la société de la résistance.
Elle représente l’une des femmes appartenant à cette société laïque dont son environnement diffère de la société islamique que représente le Hezbollah.
En effet sa carrière et sa vie montrent cette vérité et valident ses affirmations puisque, dès l’âge de quatorze ans, elle a produit sa première chanson « c’est la vie », puis elle a fait sa première chanson qui a adopté la cause du Sud-Liban occupé par Israël, dans laquelle elle a raconté la souffrance et la douleur des habitants de cette région.
Elle dit qu’elle ne peut rien faire durant cette tragédie que de chanter pour transmettre le message des libanais au monde entier, ce qui a été réalisé à travers cette première chanson.
Ensuite elle a produit plusieurs travaux musicaux qui visent le même but : « parler aux noms des personnes torturées par les forces israéliennes ».
Ses chansons étaient très célèbres au Liban et même aux pays du monde arabe. Sa chanson la plus célèbre « wein el malayiin » (où sont les millions ?) qui porte sur « la trahison » des présidents arabes, sur leur silence envers ce qui s’est passé en Palestine et au Liban, et notamment sur le massacre célèbre de Qana en avril 1996.
Cette chanson a uni le monde arabe, et a été comme un fondement de la mémoire du conflit israélo-arabe.
Boutros a essayé à travers ses chansons d’exprimer les sentiments de solidarité, de résistance, et d’enthousiasme dans ce conflit incompétent avec l’ennemi qui ne respecte pas les droits de l’homme et les valeurs humaines.
Le nom de Julia Boutros a été gravé dans la mémoire des libanais sans aucune distinction, elle est à l’instar de Marcel Khalife, le chanteur et le musicien qui a utilisé sa voix et sa guitare pour chanter aux enfants du sud et de la Palestine, lui-même, chrétien de gauche, a été forcément attaché au monde de la résistance au Liban et dans le monde arabe.
En revanche, aucune des chansons de Julia Boutros n’a été diffusée sur la chaîne officielle du Hezbollah Al-Manar, ni sur la station de radio Al-Nour, bien que la majorité des partisans de ce parti ont retenu par cœur chaque mot de ces chansons, mais la politique de cette chaîne est stricte : il n’y a aucune possibilité de diffuser une vidéo clip d’une chanson dans laquelle des instruments musicaux non conformes à la sharia islamique sont utilisés, et surtout dans les cas où une femme chante, car la voix de la femme en chantant est strictement interdite selon les doctrines religieuses du parti.
Cependant ces médias ont diffusé plusieurs travaux de Marcel Khalife, qui utilise seulement la guitare et sa voix dans les chansons.
En 2006, lors de la guerre de juillet entre le Hezbollah et l’armée israélienne, et après le massacre qui a eu au village de Qana, durant lequel des dizaines de personnes ont été tuées, dont plusieurs enfants et femmes, Julia Boutros a fait un discours à la place de l’Escwa à Beyrouth pour soutenir Nassrallah et tous les membres de la résistance.
En plus, et après la fin de la guerre, elle a utilisé les mots d’une lettre publique que Nassrallah a envoyé aux membres du parti durant la guerre, pour former sa nouvelle chanson ahebbaei (mes bien-aimés), laquelle a été filmée sur les collines du sud.
Elle a ensuite décidé de faire une donation des revenus de cette chanson aux familles des martyrs libanais tués lors de cette guerre, tout en invitant les libanais et les arabes à soutenir ces familles et à récompenser et vanter les sacrifices de leurs martyrs.
Cependant, bien que la chanson a été produite pour supporter la résistance, et bien qu’elle a chanté les mots énoncés par Nassrallah,, et malgré le discours direct qu’elle a fait durant lequel elle a déclaré son allégeance envers le parti et son secrétaire général, tous les médias du Hezbollah ont ignoré complètement l’existence de cette chanson.
Mais, d’une autre part, les travaux de Boutros et son support de la résistance ont été récompensés en lui organisant un tour dans la région du sud, accompagnée du responsable de département médiatique du parti.
Elle a été accueillie chaleureusement à Bint-jbeil par le responsable de la première sous-région du sud du Hezbollah et par les familles des martyrs, dont l’une lui a offert le pistolet de son mari martyr, comme un signe d’amour et de respect.
A son tour, Boutros a déclaré sa gaieté d’avoir reçu cet honneur d’une femme d’un martyr, en affirmant que ce pistolet représente pour elle un indice concret montrant « la victoire de la résistance » au Liban.
Puis elle a continué son tour dans les villages où les conflits les plus agressifs ont eu lieu en juillet 2006, en déclarant à chaque station, son soutien éternel de la résistance et en affirmant que la victoire qui a eu lieu était « une victoire divine pour tous les libanais »98.
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92 Photo publiée le 29 mars 2013 sur le site Fox news, disponible sur ce lien : <http://www.foxnews.com/world/2013/03/29/most-europe-reluctant-to-crack-down-on-hezbollah- despite-growing-threat/> [consulté le 26/01/2015]
93 Ils ont commencé, depuis les années quatre-vingt à produire des chansons révolutionnaires, liées étroitement aux dogmes chiites, à la bataille de Karbala et à la révolution iranienne qui a soutenu les combattants du parti durant l’occupation israélienne du sud Liban.
94 ATRISSI (T), Chants de la résistance et de la libanisation du Hezbollah, parue dans : Le Hezbollah, état des lieux, par MERVIN (S). P.247-249
95 ISSA (B), La guerre communicationnelle de Nassrallah, du Sud au Nord, ouvrage en arabe, Editions Dar el-mahajja el-bayda’a, 2012, P414-418
96 Ce parti appartient au front national de la résistance qui était une coalition qui regroupe plusieurs partis laïques. L’interaction des buts et des intérêts, notamment la lutte contre Israël et l’adoption de la cause palestinienne a fait naître une relation « d’amitié » entre le Hezbollah et ces partis
97 Entretien avec le site du CPL Tayyar.org, parue le 18/08/2008, disponible sur ce lien : http://www.sawtakonline.com/forum/showthread.php?48552-حزب-ألي-أنتمي-ال-للبنان-ورؤيتها-بطرس-جوليا [Consulté le 02/01/2015]
98 Article en arabe publié sur le site web Ya Sour, disponible sur ce lien : http://www.yasour.org/archive/sub_jul07_148.html [consulté le 21/01/2015]

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