Le Château de Beaufort : Restauration et adoption par l’État Libanais – Chapitre III :

On ne savait ce que cela voulait dire. C’était une sorte de symbole de la force populaire. C’était sombre, énigmatique et immense.
C’était on ne sait quel fantôme puissant, visible et debout à côté du spectre invisible de la Bastille (…) Ce monument (…) a disparu pour laisser régner en paix l’espèce de poêle gigantesque orné de son tuyau qui a remplacé la sombre forteresse à neuf tours, à peu près comme la bourgeoisie remplace la féodalité“.
Victor Hugo, Les Misérables, 1862.
Qalaat al Chakif (الشقيف قلعة) ou château de Beaufort, est l’un des principaux sites au Liban qui sauvegarde une période de lutte contre l’occupant israélien, de la résistance qui a transcendé les frontières entre les pays arabes.
Chaque parti a eu son histoire de résistance dans ce site : les partis de gauche (le FRNL), les palestiniens (OLP), l’armée syrienne, le mouvement Amal, et enfin le Hezbollah.
L’histoire de cette citadelle est imprégnée dans la mémoire des libanais, et surtout des habitants du sud, qui ont souffert de l’occupation israélienne de ce lieu stratégique, lequel a été utilisé pendant une dizaine d’années comme une base militaire installée sur une haute colline pour bombarder les villages proches, puisqu’à chaque fois que le Hezbollah fait une opération militaire contre l’armée israélienne, cette dernière attaque directement les villages voisins, sans distinguer entre des cibles civiles ou militaires, ce qui a engendré un grand nombre de morts civils.

A- L’importance architecturale du site

Il n’existe pas de date spécifique pour la construction de ce monument, puisque les études sont variées et aucune d’entre elles n’a pas pu déterminer les détails précis de la date de construction, ni de l’évolution architecturale du site.
Le château de Beaufort a été bâti au bord d’un précipice vertigineux de 300 mètres tombant directement sur le fleuve du Litani.
Les études et les recherches indiquent, que du haut de cette crête rocheuse, « les croisés ont contrôlé la voie menant de Tyr à Damas, et la forteresse était intégrée à une puissante ligne défensive courant du nord au sud du Royaume de Jérusalem jusqu’aux châteaux de l’outre Jourdain 73 ».
La citadelle « fut fortifiée par les Arabes, et sa position fut cédée aux Francs par l’atabeg de Damas Chihab al-Din en 1139.
Peu après le désastre d’Hattin, Saladin tenta de s’en emparer mais se heurta à la farouche résistance de l’astucieux Renaud de Sagette, qu’il parvint néanmoins à briser au prix d’un an d’effort ».
Les Francs réoccupèrent Beaufort à partir de 1240 […] Après une période d’occupation mamelouke, le château fut remis en état de défense au début du XVII siècle par l’émir Fakhr al-Din lors de sa révolte contre la porte, puis démantelé par le gouverneur ottoman de Damas après un vigoureux siège 74.
Cependant, au cours de la guerre Israélo-libanaise débutée en 1975, le site, réutilisé pour sa position géostratégique, « a fait l’objet de multiples bombardements, causant de graves destructions des parties médiévales significatives du château 75 ».
Le bâtiment comporte deux sous-ensembles reliés par une rampe d’accès : une partie haute et une partie basse : La partie haute comprend un épais mur-bouclier (4 m d’épaisseur) destiné à protéger le front sud du château, une grande salle/chapelle construite par les Templiers qui, elle, est totalement ruinée 76.
La partie basse, en état meilleur, renferme deux grands corps de bâtiments assez complexes, parsemés de galeries, casemates, chambres de tir et locaux à caractère plus résidentiels 77.

B- L’histoire du site durant le conflit israélo-arabe entre 1976 et 2000

Malgré l’importance historique du site, son architecture, ses mystères et sa position géographique, le site a connu son apogée et sa célébrité durant le conflit israélo-arabe, et plus spécifiquement après son utilisation par l’OLP qui s’y est installée à la fin des années soixante-dix.
Ainsi, le site a symbolisé la cause palestinienne, le conflit israélo-arabe, la résistance des libanais de toutes leurs appartenances politiques contre l’ennemi Israélien.
Qalaat al-chakif est connu depuis, grâce aux divers évènements militaires qui y ont eu lieu : explosions, attentats, opérations militaires, retraite…La majorité des libanais considère ce site comme un lieu de résistance commun pour tous, aucun parti ne peut l’approprier.
L’histoire de lutte commençait par les palestiniens et finissait avec le Hezbollah.
En 1970, les forces palestiniennes ont quitté la Jordanie après le massacre du « septembre noire », pour s’installer dans la citadelle de « Chakif », ce qui l’a faite comme leur point de départ pour exécuter leurs opérations militaires contre les israéliens.
En contrepartie, les autorités Israéliennes ont voulu éloigner le danger palestinien au Liban, et par suite l’armée israélienne a lancé une opération qui a eu lieu le 19 août 1980 pour occuper la citadelle et chasser les palestiniens qui y sont réfugiés.
La bataille historique a commencé par des bombardements d’artillerie et des raids d’avions très concentrés, tandis que les forces arabes (palestiniens, syriens et libanais) ont résisté contre les attaques du Tsahal durant deux jours.
Le résultat était 63 morts israéliens, et 25 arabes et une destruction partielle de la citadelle à cause des bombardements.
Le Président israélien a visité personnellement le site après la défaite des forces arabes, en déclarant que « c’est une victoire importante pour Israël, et c’est le début de la fin de la résistance 78 ».
Cependant, la citadelle a continué à être une cible des avions israéliens après cette bataille, et notamment durant la grande invasion du Liban en 1982 et l’opération de « la paix de Galilée ».
En contrepartie, cette base militaire israélienne installée au fond de la forteresse de Beaufort, et à ses côtés, était un point de faiblesse pour le Hezbollah, car il n’a pas pu l’attaquer directement, bien qu’il a eu la capacité de le faire.
C’est un site historique, classé sur la liste des monuments historiques mondiaux de l’Unesco, et chaque attaque militaire de la part du Hezbollah aurait pu avoir des conséquences négatives sur sa popularité.
Cependant, les forces israéliennes ont négligé leurs engagements internationaux en exposant ce site historique au danger, lorsqu’ils ont déclaré leur intention de le détruire complétement avant leur départ, et en utilisant les murs et les ponts du monument pour des fins purement militaires 79, et en déplaçant leurs véhicules et les grands chars au sein du site et à ses côtés.
Le résultat de leurs installations était la destruction de plusieurs parties de la citadelle.
D’un autre côté, le Hezbollah a exécuté plusieurs opérations militaires contre la base installée au bord du site80, mais en utilisant des fusils de petites tailles, et un petit nombre de combattants.
En addition, plusieurs membres du parti ont été tués sur les collines de cette citadelle, puis ils ont été commémorés et honorés par le Hezbollah.
Il est nécessaire de mentionner la légende du « martyr vivant », un personnage très célèbre dans « la société de la résistance », lequel a fait une opération dans la base de Beaufort, en tuant quelques soldats israéliens, puis enfuyant vers les montagnes et les collines proches du site.
Il a pu revenir vivant à sa région sans qu’il soit capturé par le Tsahal.
Le martyr vivant a eu un grand succès, il a été salué spécialement par Hassan Nassrallah, et il a été commémoré par les ouvrages et les récits du Hezbollah.

C- Tentatives de restauration et adoption par l’Etat Libanais

La citadelle a été bombardée partiellement par le Tsahal durant les années quatre-vingt, mais aussi avant le départ des troupes israéliennes du Sud-Liban en 2000, et durant la guerre de juillet 2006.
Selon le président de la municipalité du village d’Arnoun où se situe la citadelle : « les forces israéliennes ont planifié pour détruire ce site durant toute la période de l’occupation.
Les murs et les pierres de la citadelle ont été endommagés à cause des raids et des bombardements. En plus, le tour et les murs extérieurs ont été détruits, ce qui a changé sa forme architecturale »81.
Il ajoute que les israéliens ont utilisé la tranchée bâtie par les croisées dans la construction des fortifications militaires, et qu’ils ont voulu la détruire avant leur départ mais l’Unesco a fait une médiation pour empêcher les israéliens d’exécuter leur plan de destruction de cette partie du site.
En effet, depuis le départ des troupes israéliennes de la citadelle de Chakif en mai 2000, aucune initiative n’a été faite pour restaurer ce monument historique, ni par l’Etat libanais, ni par les organisations et les associations culturelles ou artistiques.
Le mécontentement des habitants des villages du sud et des libanais en général était très claire, car selon eux l’Etat doit accomplir ses obligations et ses devoirs envers cette région.
Le monument symbolise l’histoire et la mémoire collective de la résistance, qui doivent être protégées et sauvegardées par l’autorité légale, l’Etat.
Plusieurs personnes répètent la même idée : comme l’Etat était absent, et l’armée n’existait pas au sud durant la période de l’occupation, les israéliens ont traversé les frontières pour attaquer les habitants civils, en occupant les territoires, sans aucune intervention de l’Etat, ce qui a instauré et créé le phénomène du Hezbollah.
Donc l’absence d’une armée forte a donné à ce parti la justification nécessaire pour continuer à porter l’arme à côté de l’Etat.
Le même principe peut s’appliquer sur la citadelle de Beaufort : tant que l’Etat est absent, et les ministères de la culture et de tourisme ne jouent pas leurs devoirs de mémoire, le Hezbollah s’est chargé de s’approprier le site, et de le considérer comme un monument du parti.
En revanche, c’est jusqu’à l’an 2007 que le bureau Koweitien a pris l’initiative de restaurer le site.
Le Château de Beaufort après la libération
Figure 4 Le Château de Beaufort après la libération 82
Cependant, les études portant sur la restauration ont commencé dès la libération. Selon F. Qatbai : « les historiens et les architectes français ont visité la forteresse en 2001.
Ils ont fait des études pour restaurer la citadelle ». Ces études ont duré cinq ans, avec un budget de trois millions dollars, mais « elles n’ont rien apporté pour améliorer la situation du site 83 et n’ont pas été fructueuses».
Par contre, L’architecte restaurateur Jean Yasmine, commissionné par la Direction générale des antiquités (DGA) affirme qu’il a mené une étude préalable avec d’autres chercheurs et archéologues, puis le projet a été envoyé au conseil du développement et de la reconstruction (CDR) qui l’a validé en 201084.
De son côté, « le bureau Koweitien pour le développement économique arabe » a visité le site en 2007, en décidant de verser deux millions de dollars comme un don pour la restauration.
Yasmine déclare que l’histoire de Beaufort « est une histoire de constructions et de destructions, car le château était totalement remblayé en 2000 en raison des destructions causées par la guerre »85.
Depuis, «les travaux de restauration ont porté sur trois types : « les travaux archéologiques, la restauration et la consolidation des structures archéologiques et la mise en valeur touristique et culturelle du site ».
Plusieurs sections du château ont été restaurées à l’identique selon Yasmine, qui explique que « les travaux archéologiques ont été très difficiles, et que des cadavres datant des années 80 ont étés trouvé avec des restes archéologiques dans des obus 86 ».
Le site est devenu ouvert au public dès la fin du mois de juin 2014, totalement sécurisé et capable de recevoir les touristes pour qu’ils puissent découvrir son histoire et sa valeur culturelle comme un symbole de victoire et de résistance.
Cependant, la fin de la restauration a été célébrée le 18 janvier 2015 sous le patronage de Randa Berry, l’épouse du Président du parlement libanais, en présence de plusieurs personnalités 87.
En outre, les avis des visiteurs ont été variés durant la période de l’appartenance du Château à l’Etat.
Ahmad, un jeune libanais d’un village proche du site affirme son mécontentement de l’adoption de ce site par l’Etat : « je suis heureux de voir le site vivant…mais les travaux de restauration ont effacé l’histoire de la résistance, et du Hezbollah en particulier ».
Il continue en disant « ils ont falsifié notre mémoire, ils ont eu peur de mettre les photos des martyrs qui y sont tombés, et celles des combats des palestiniens, des communistes… C’est un site de résistance et il faut raconter son histoire authentique avec fidélité et intégrité sans avoir peur de la réaction des touristes, cette citadelle ne vaut rien sans le Hezbollah », Par contre Wael, originaire du sud aussi, affirme sa gaieté de la restauration du site et de son retour à la légalité Libanaise, ce site symbolise selon lui « la résistance qui retrace l’histoire des combattants lesquels ont souffert durant les combats et la lutte contre l’occupant israélien, ».
Il affirme que ça sera mieux que l’Etat reprenne ce site, « car nous ne vivons pas dans une anarchie, c’est l’Etat Libanais qui doit gérer ces sites ».
Il finit par dire : « Je n’ai rien vu de falsifications de l’histoire, et celui qui veut connaître l’histoire du Hezbollah peut aller au site de Mlita ».
___________________________________
73 Beaufort, article publié sur le site des Forteresses d’Orient, date affichée : « avant 2004 », disponible sur le lien: < http://www.orient-latin.com/fortresses/beaufort> [consulté le 21/01/2015] 74 Ibid.
75 Ibid.
76 Château de Beaufort (Qalaat al-chaqif), article publié sur le site de l’Agenda Culturel, © 2010, disponible sur ce lien : http://www.agendaculturel.com/Patrimoine_Chateau_de_Beaufort_Qalaat_al- Chaqif [consulté le 21/01/2015]
77 Ibid.
78 Article en arabe publié sur le site « El-Badeel », le 08/12/2014, disponible sur ce lien : http://elbadil.com/2014/09/08/والحدو-للزمن-عابرة-مقاومة-الشقيف-قلعة/ [consulté le 21/01/2015]
79 Installations qui n’étaient pas compatibles avec la sensibilité de ce monument
80 Elles ont eu lieu le plus souvent à l’aube, car c’était un lieu stratégique impossible d’y accéder par les combattants du parti durant le jour.
81 Article en arabe, publié au quotidien libanais Al-Nahar, le 11 juin 2014, disponible sur ce lien : http://static.annahar.com/storage/pdfs/2014/368_file1.pdf [consulté le 21/01/2015]
82 Le château de Beaufort, photo publié le 11 septembre 2005 sur le site sudliban.travelblog.fr disponible sur ce lien : < http://sudliban.travelblog.fr/95894/Le-chateau-de-Beaufort/> [Consulté le 26/01/2015]
83 Ibid.
84 « Le Château de Beaufort ressuscité de ses ruines », Par Nour BREIDY, L’Orient le Jour, article publié le 26/01/2015, disponible sur ce lien : http://www.lorientlejour.com/article/907954/le-chateau-de- beaufort-ressuscite-de-ses-ruines.html [Consulté le 27/01/2015]
85 Ibid.
86 Ibid.
87 Ibid.

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top