La prison de Khyam, pendant l’occupation israélienne

Camp de détention de Khyam : Les traces effacées de la guerre – Chapitre II :

« Il n’y a de véritables morts dans la mémoire des hommes que par l’oubli 54 ».
AIDARA (M)

A- La prison pendant l’occupation israélienne : Un quart de siècle de torture organisée

L’histoire de la prison de Khyam revient à l’époque des français qui sont venus au Liban comme une autorité mandataire 55, lesquels ont construit une caserne militaire en 1933, qui est utilisée comme une base militaire au Sud-Liban.
Les français ont choisi ce lieu stratégique pour des raisons géopolitiques qui ont suivi leurs disputes avec les britanniques sur la démarcation des frontières libano-palestiniennes.
La caserne a eu une importance géostratégique qui leur permet de superviser et de contrôler la région de Galilée en Palestine et celle du Golan en Syrie.
Cependant, après le départ de ces troupes du Liban en 1943, la caserne a été vidée, puis contrôlée par l’armée libanaise. Ce Statu quo a continué jusqu’à la fin du mois de mars 1978, lorsque les troupes israéliennes ont occupé la grande majorité du Sud.
Le village de Khyam qui a compté trente mille habitants, est détruit presque complètement, puis a été transformé en zone militaire par l’armée israélienne, qui l’a fait contrôlée par l’ALS 56.
La période qui a suivi la deuxième invasion du Liban en 1982 a marqué le retour des habitants du village à leurs maisons, la caserne est transformée ensuite en un centre d’inspection en parallèle avec la prison d’Ansar qui était connue comme le camp de détention principal du Tsahal jusqu’au 4 avril 1985, quand elle est vidée suite aux opérations militaires de la résistance libanaise contre la présence israélienne à Beyrouth, au Mont Liban, à Saida et à Tyr.
La fermeture du camp d’Ansar était la raison principale pour laquelle les israéliens ont décidé de transformer la caserne de Khyam en un centre de détention, qui a été restauré en 1985 57.
Souleiman Ramadan originaire de Baalbek, était la première personne qui fut emprisonnée dans cette prison lors de son inauguration en 1983, il est nommé « le doyen des prisonniers », en plus il était le dernier prisonnier libéré en 2000.
La prison avait la capacité de supporter deux-cents quarante personnes, mais malgré cette réalité, cinq-milles personnes libanaises et arabes y ont été emprisonnées, dont cinq cents femmes, enfants à l’âge de moins de douze ans et des vieillards. Le résultat de la torture à la prison a fait vingt-deux morts 58.
La prison de khyam a été formée de plusieurs sections 59 :

  • – Une section privée aux gardiens et aux responsables de la prison, séparée des autres sections.
  • – Des chambres d’inspections et des cachots (au nombre de cinq) :
  • – Le cachot numéro 1, consacré spécialement aux nouveaux collaborateurs qui seront des prisonniers collaborant avec le Mossad.
  • – Le cachot numéro 2, isolé et privé de lumière.
  • – Les cachots numéros 3 et 4 qui sont mieux conditionnés par rapport aux autres.
  • – Le cachot numéro 5 qui concerne seulement l’emprisonnement des femmes, lesquelles n’étaient pas exclues de la torture quotidienne.
  • – Les petites salles, avec une largeur d’un mètre et demi et une longueur de huit mètres, qui ont supporté plus de quinze prisonniers, lesquels ont été parfois mis dans des cachots isolés avec une superficie d’un mètre carré au cas de désobéissance ou au cas de problèmes avec les autorités de la prison.

Khyam, la prison pendant l’occupation israélienne - Dessin qui montre la prison de Khyam selon le témoignage d'un ancien prisonnier
Figure 3 Dessin qui montre la prison de Khyam selon le témoignage d’un ancien prisonnier – source Anonyme
La prison a été fameuse pour les moyens de torture pratiqués par les gardiens qui y ont surveillé, cela a été déclaré par les organisations humanitaires internationales et par les prisonniers après leur libération en 2000 : la torture par les chocs électriques, la faim et la soif, l’isolement, et les coups graves sur leur corps… Mais la torture la plus douloureuse était la pression morale et le chantage quotidien exercés sur eux.
En revanche, L’histoire de ce camp de détention a été marquée par une importante évolution des droits des prisonniers.
Les autorités israéliennes avaient ajouté plusieurs bâtiments à la prison, qui est ensuite devenue formée de soixante- sept cachots collectifs et vingt-et-un individuels, de petites chambres pour l’inspection, des cuisines, des toilettes et des chambres pour les gardiens 60.
Cependant, les forces israéliennes ont su comment se débarrasser des accusations de torture invoquées par l’Onu et par la société internationale : elles ont octroyé le contrôle du camp aux responsables de nationalités libanaises, qui sont membres de l’ALS, et qui ont surveillé ensuite le camp, en accomplissant les missions principales de torture et d’inspection, ce qui a permis aux israéliens d’apparaître comme respectant de droit international et des conventions de Genève qui traitent les statuts des prisonniers de guerre.
Entre 1983 et 2000, le camp a vu l’apparition de plusieurs révolutions des prisonniers, suite à leurs souffrances, et en vue de l’obtention des moindres droits octroyés par la déclaration universelle des droits de l’homme et par les déclarations et les conventions internationales.
Ces mouvements de contestation ont été accompagnés par les efforts de leurs parents, de la croix rouge internationale et des autres organisations humanitaires.
L’histoire de ces mouvements contre la torture pratiquée par les israéliens avait commencé lors de la construction du camp de détention d’Ansar qui a regroupé plus de quinze milles prisonniers libanais, palestiniens et arabes en 14 juillet 1982. Ce jour est devenu « le jour du prisonnier libanais ».
Ensuite, le 4 mars 1983, un comité de prisonniers du camp d’Ansar est formé pour soutenir la cause des prisonniers libanais et arabes dans ce camp et dans les prisons israéliennes.
La même année avait marqué la grande évasion des prisonniers de la prison puis le début de l’intifada de la fête d’Adha au camp.
En 1984, une autre tentative d’évasion est accomplie durant laquelle le prisonnier libanais Ahmad Ramadan est tué, et à la fin de cette année, les israéliens et leurs collaborateurs ont commencé à utiliser la caserne de Khyam comme un centre d’inspection.
Cependant, il a fallu attendre jusqu’à 3 avril 1985, pour que le camp d’Ansar soit fermé.
Les troupes israéliennes ont fait leur retraite jusqu’à la zone de sécurité au sud du fleuve du Litani, et le camp de Khyam est devenu officiellement à ce moment, la prison alternative du camp d’Ansar.
En 1986, une révolution de faim s’est éclatée au camp, lorsqu’un prisonnier a mangé une éponge à cause de la faim. L’année suivante, les prisonniers ont fait deux fois la grève à cause des mauvaises conditions de nourriture. Ensuite, le comité des prisonniers d’Ansar a fait de cette date « le jour du prisonnier instructeur 61 ».
En 1989, deux libanais ont été tués lors d’une révolution des prisonniers, puis, en 1991 les prisonniers ont fait une grève à cause de la dissuasion des maladies et des bactéries dans le camp.
En 1992 une tentative d’évasion s’est accomplie par trois personnes, dont une a été tuée.
Le 24 septembre de la même année était une date marquante dans l’histoire du camp : une première réunion nationale s’est établie pour soutenir les prisonniers de Khyam, et un comité de soutenance de leurs causes s’est formé, lequel a été suivi par la délivrance du premier document portant sur la situation de la prison du Khyam et des prisonniers.
En 1993, le comité de poursuite des prisonniers du Khyam a eu une légitimité libanaise et internationale : le 13 mai, une conférence du comité a eu lieu au ministère de l’information pour expliquer à la presse la situation des prisonniers du camp, et le 13 juin la cause des prisonniers est exposée lors de la conférence internationale sur les droits de l’homme à Vienne 62.
Ensuite, la campagne internationale pour la fermeture de la prison du khyam et le comité de poursuite ont fait un autre succès en 1995, qui s’est traduit par la permission aux parents de trois cents prisonniers de les visiter.
Deux ans plus tard, les parents des prisonniers, le comité de poursuite et les membres de la section canadienne de l’organisation Human Rights Watch ainsi que des juristes ont fait une tentative de conquérir la prison.
Le comité de poursuite a continué à défendre la cause des prisonniers en réalisant chaque jeudi une manifestation faite par les mères des prisonniers devant les sièges des organisations humanitaires internationales au Liban depuis le 9 octobre 1997, pour libérer leurs fils et pour déterminer les statuts des perdus et des martyrs.
La dernière année avant la fermeture de la prison était marquée par un travail communicatif du comité de poursuite qui a inauguré son premier site électronique portant sur la situation des prisonniers, et le 28 octobre de la même année, le comité a déclaré cette date comme « le jour international de la fermeture du camp de khyam ».
En effet, l’histoire de la souffrance à la prison est finie le matin du 23 mai 2000, avec la retraite des troupes israéliennes du Sud-Liban, les parents et les habitants de khyam s’étaient dirigés directement vers la prison, en cassant les cachots et les portails pour libérer les 144 libanais avec leur doyen, le prisonnier Soliman Ramadan 63.

B- Témoignages des anciens prisonniers : la souffrance gravée dans la mémoire

Les prisonniers qui sont libérés du camp de khyam, soit avant sa fermeture grâce aux accords d’échanges entre le Hezbollah et Israël, soit après la libération en 2000, ont exprimé leurs témoignages aux médias, et leurs récits étaient très touchants et choquants.
Les israéliens, à travers leurs collaborateurs, ont utilisé les moyens de torture les plus sauvages pour prendre des informations des prisonniers, dans le but de presser sur les parents des membres du Hezbollah et pour affaiblir les décisions du parti.
En effet, les moyens de torture physique et morale étaient fort variés, sans respecter les moindres mesures des droits humanitaires internationales, sans distinguer entre hommes, femmes, enfants, et vieillards.
Farida Reslan, une femme du village de Markaba au Sud-Liban, a été emprisonnée en 1988, après une opération de suicide volontaire d’un combattant du Hezbollah devant le portail de kfarkela sur la frontière israélo-libanaise, elle a été libérée en 1994.
Elle raconte au quotidien libanais Al-Nahar ses souffrances durant l’emprisonnement : « ils ont mis des rubans électriques sur mes doigts, puis ont circulé l’électricité.
Mon corps s’est tremblé fortement, j’ai crié à cause de la douleur, et ils ont continué à me torturer sans aucune miséricorde ».
Le lendemain, « le gardien de la prison est revenu pour utiliser le fouet sur mon corps, en me frappant et claquant sur mon visage, il m’a mis à genoux, les mains en haut, je n’ai rien vu, mais j’ai senti la présence de six à sept personnes à côté de moi, qui m’ont torturé durant deux heures, puis je suis revenue à mon cachot, le corps noirci à cause des coups, et je suis restée dans cet état durant deux mois ».
Farida continue à raconter son histoire: « ils m’ont jetée à l’extérieur sous la pluie pendant plusieurs heures durant trois jours, ils m’ont menacée de me déshabiller et de me violer. En plus, ils ont mis des goupilles dans mes mains durant les inspections, je n’ai rien vu, mais j’ai senti la douleur ».
La torture lui a causé de graves conséquences sur la santé : Les chocs électriques ont endommagé son système nerveux.
Les coups, l’humidité, l’exposition au froid et à la pluie, le manque d’eau douce lui ont causé de graves maladies, sans qu’elle soit examinée par un médecin. La nourriture était très mauvaise, les haricots étaient moisis, les autres grains n’étaient pas convenables pour la consommation.
Elle finit par dire qu’à côté de la soif, elle a mangé du pain seulement, s’il y en a eu.
Un autre témoin, Hania Ramadan, née en 1964, a été capturée avec son frère Moustafa dans son village Beit Yahoun en juin 1989, puis libérée en juillet 1996 grâce à un accord d’échange entre le Hezbollah et Israël par un intermédiaire allemand, durant lequel quarante-cinq prisonniers ont été libérés, avec les cadavres de cent-vingt-cinq martyrs.
En contrepartie, deux cadavres israéliens et seize prisonniers libanais collaborateurs ont été libérés pour le compte d’Israël. Hania a eu vingt-quatre ans lors de son emprisonnement, elle a été torturée physiquement et moralement par les collaborateurs libanais.
Elle raconte les événements de son emprisonnement avec amertume : « ils m’ont choquée électriquement devant mon frère, puis ils ont exercé le chantage sur nous, en menaçant mon frère de me lever les vêtements et de me violer. En plus, ils ont torturé sauvagement mon frère devant moi ».
Elle ajoute que les inspecteurs étaient des hommes, mais les cachots des femmes étaient surveillés par des femmes seulement, « lesquelles étaient plus sauvages que les premiers ».
La souffrance était physique et morale tout au long de l’emprisonnement, elle affirme qu’elles ont eu une très mauvaise nourriture, de très petites quantités, et qui sont souvent expirées.
Les sorties étaient presque interdites, mais dix à quinze minutes était la durée maximale de la sortie quotidienne pour s’exposer au soleil.
Hania ajoute qu’elle n’a pas eu d’assistance médicale, le seul traitement de leurs maladies après de longues négociations, était de leur offrir des pilules analgésiques. Le médecin est venu une seule fois après une maladie très grave de l’une des prisonnières, qui a crié toute la nuit à cause de sa souffrance.
Hania n’a pas vu aucun de ses parents pendant six ans, elle a été comme tous les prisonniers, privée de tout moyen de communication : ni radio, ni télé et ni même de journal.
Toutefois, elles ont connu les infos à travers les nouvelles prisonnières. Cependant, c’est jusqu’à 1995, l’année qui a précédé sa libération, que le délégué du comité international de la croix rouge a pu visiter la prison.
Celui-ci lui a transféré une seule lettre de ses parents, à côté des livres spirituels, des papiers, des peintures, et des matériaux utilisés dans les travaux d’artisanat… Elle finit par dire que son expérience dans cette prison lui a enseigné « la patience, la force et le rigorisme face aux problèmes de la vie »64.

C- Soha Bechara : Le parcours d’une militante communiste emprisonnée à Khyam

Le nom de Soha Bechara est lié directement au camp de Khyam, elle symbolise l’engagement militaire des femmes libanaises lors de la guerre contre l’occupant israélien, mais aussi elle est le symbole du front communiste qui a participé à la résistance au Liban sud avant la création du Hezbollah.
Elle est née à Beyrouth en juin 1967, la même année de « la défaite arabe » contre Israël, c’était l’une des raisons principales qui a formé sa personnalité militante.
Sa famille chrétienne est originaire du village de Deir Mimas dans le Casa de Marjeyoun au Sud-Liban, l’occupation de ce village par les israéliens était sa seconde motivation.
L’influence de son père communiste était aussi si importante, elle est aussi la cousine de Lolla Abboud, la femme qui a fait un attentat suicidaire contre les israéliens. Toutes ces raisons ont créé « le phénomène » de Soha Béchara : la militante communiste qui a fait une tentative d’assassinat contre Antoine Lahad, le chef de l’armée collaboratrice avec Israël.
Après ses études de génie civil à l’Université Libanaise, elle est intégrée au parti communiste, puis soumise à des examens, elle a eu la confiance des responsables du parti, elle a commencé ensuite à préparer l’opération d’assassinat d’Antoine Lahad, « pour casser le projet Israélien » selon elle.
Le FRNL qui regroupe plusieurs partis libanais de gauche, dont le parti communiste auquel elle a été engagée, était bien organisé selon elle. Leurs objectifs étaient l’assassinat du chef de l’ALS Antoine Lahad et l’attaque des patrouilles israéliennes présentes dans la région.
Elle affirme que les membres du parti voulaient faire intervenir quelqu’un d’autre à sa place mais elle a refusé, en décidant de continuer à préparer cette opération65.
Après des longs allers-retours chez l’épouse de Lahad en se présentant comme une praticienne de sport, elle a pu maintenir une relation d’amitié avec les gardiens de la maison.
Mais c’est jusqu’au 7 novembre 1988, qu’elle est entrée dans la maison de Lahad, en tirant deux balles sur son cœur : la première balle selon elle, a représenté un message au peuple libanais par lequel elle déclare que le seul ennemi qu’il faut combattre est l’ennemi israélien, et la deuxième a symbolisé une récompense et un support à l’Intifada palestinienne.
Tout de suite l’équipe responsable de la sécurité de Lahad l’a emmenée à la colonie de Moutolleh en Israël.
Elle déclare qu’ils l’ont torturée, frappée, et humiliée, et que la souffrance a commencé dès ce moment, puisqu’elle a été transférée au camp de khyam, où ils ont enlevé ses vêtements complètement, puis l’ont exposée aux chocs électriques.
Cela a été accompagné par un embargo sur son village, et par l’emprisonnement de sa famille et de ses amis. Elle ajoute qu’elle ne peut jamais décrire la torture qui a été exercée sur elle.
Cependant, Bechara a été libérée en 1998 après une opération du Hezbollah durant laquelle il a voulu emprisonné des soldats israéliens, cela a été accompagné par des efforts faits par une association française qui a eu pour but de libérer Bechara, et qui a visité les présidents Mitterrand et Chirac pour méditer avec Israël.
Le 7 septembre 1998, Bechara a quitté la prison, puis elle a été accueilli par le premier ministre Libanais Rafik Hariri au Grand sérail de Beyrouth.
De son côté, le général Lahad, qui a survécu la tentative de meurtre, et après trois mois de traitement à l’hôpital, raconte dans son livre, qu’il a décidé personnellement de libérer Bechara, en contactant l’ambassadeur français à Beyrouth.
Il critique le grand festival qui a été organisé pour célébrer la libération de Bechara lors de son arrivée au sérail, alors qu’elle mérite d’être traitée comme « une terroriste », selon lui 66.
En revanche, et après sa libération, Bechara a continué ses études en France, puis en Suisse où elle s’est mariée et a décidé de continuer sa vie en Europe pour défendre la cause palestinienne et les droits de l’homme négligés par Israël.
Soha Bechara qui est considérée comme la Jeanne-d’arc libanaise, affirme qu’elle ne regrette jamais son passé. En s’adressant aux étrangers elle justifie son histoire :
« Quand j’ai rejoint la résistance armée, c’était réfléchi, je n’accepte pas qu’on me fasse des reproches, qu’on me juge, sans avoir vécu dans mon pays »67.
Elle a publié deux livres : « une résistante », et « la fenêtre », qui décrivent les petits détails de son emprisonnement, de la souffrance, de la torture, de ses relations avec ses collègues dans la prison, des voix, et des couleurs…Pour elle « celui qui n’a pas d’histoire, n’a pas de futur », c’est pour cela qu’elle a publié ces deux livres en disant : « j’écris l’histoire, et je n’attends personne à l’écrire »68.

D- Fermeture de la prison et sa transformation en musée de guerre

Le 23 mai 2000, les troupes israéliennes ont commencé à retirer leurs forces du Sud-Liban après des attaques agressives du Hezbollah sur leurs bases militaires, les collaborateurs libanais ont quitté la prison de Khyam puis se sont enfuis vers Israël, en y laissant tous les prisonniers.
Tout de suite les parents des prisonniers et les habitants du village de khyam et des villages voisins se sont dirigés spontanément vers la prison pour libérer leurs proches.
Les caméras et les médias ont filmé ces moments historiques, la gaieté des 143 prisonniers était très touchante en voyant leurs parents cassant les serrures de leurs cachots. Les équipes de la croix rouge libanaise ont ensuite envoyé deux ambulances à la prison pour emmener des prisonniers aux hôpitaux à cause de leur mauvaise santé.
Les autres ont été ensuite regroupés dans la mosquée du village pour savoir si tous les 144 prisonniers ont été libérés 69.
Le camp de détention de khyam a été ensuite transformé en musée, en mémorial de guerre, symbole de la souffrance et de la torture pour une grande partie des libanais.
Le 25 mai de chaque année est devenu un congé et une fête nationale, durant laquelle les libanais se dirigent vers les villages du sud pour observer de près la partie qui a été détachée pour une longue période du territoire libanais.
En effet, et dès la première année de libération, la prison était un lieu principal utilisé par le Hezbollah pour commémorer sa victoire historique contre Israël. Les étudiants d’écoles et d’universités, les associations et toutes les catégories de la société ont visité le site.
Les drapeaux libanais étaient partout, les cachots ont été laissés dans le même état avant le départ des israéliens, avec l’odeur des chambres, les écritures sur les murs, les dessins des prisonniers, les expressions hébreux, les barrières, le char israélien au milieu du camp, les chambres d’inspections… tout est resté sans aucune modification, et cela était le but des responsables du Hezbollah, afin de mieux transmettre les détails de souffrance aux visiteurs, et pour protéger la mémoire collective.
Les anciens prisonniers sont devenus les guides touristiques du site, ils y sont venus spontanément chaque jour pour accueillir les visiteurs venus de loin, et pour leur raconter les récits de souffrance et les moments vécus dans cet enfer.
Cependant, et bien que le camp de khyam est devenu un symbole d’unité nationale, aucune initiative de la part de l’Etat libanais n’a été faite.
Le site est resté négligé par le ministère de tourisme et de la culture, ce qui a justifié les arguments de Hezbollah de l’approprier et le transformer en un site du parti.
La prison de khyam a représenté une page noire aux israéliens, car elle était un moyen très efficace pour montrer aux visiteurs la torture pratiquée par les soldats israéliens et par leurs collaborateurs libanais contre les femmes, les enfants les vieux et même contre les membres de la résistance qui ont dû être traités comme des prisonniers de guerre suivant le droit humanitaire international.
Plusieurs ONG internationales ont visité le site, les spécialistes des droits de l’homme ont vu de près le degré du non-respect israélien du droit international.
Au contraire, le site a représenté un point fort pour le Hezbollah, car il a établi la création d’une mémoire collective pour tous les libanais et les arabes, ces derniers ont visité le site par groupe, et ont exprimé leurs sentiments de solidarité et de respect au Hezbollah.
Les israéliens ne sont pas attardés à effacer les traces de leurs crimes, puisque, six ans après la libération, et durant la guerre de juillet éclatée contre le Hezbollah, les avions F-16 ont bombardé complétement la prison de khyam, le 20 juillet 2006.
Cependant, le site était vacant des gens durant la guerre, personnes ne s’y trouvait, aucune présence militaire, aucune balle n’a été tirée de cette place, mais c’était claire que les israéliens ont voulu détruire ce mémorial de guerre, dans une tentative d’effacer cette période de la mémoire libanaise.
Le char israélien qui a été au milieu du camp n’a pas été bombardé, voici un autre message envoyé par les israéliens, par lequel ils ont déclaré qu’ils sont restés là, qu’ils sont encore l’armée la plus forte dans la région.
Durant cette destruction, un atelier des artistes internationaux a été aussi détruit, cet atelier a été établi après la retraite des israéliens, par des artistes venus de l’Italie, des Pays-Bas, de la Norvège, de la Syrie, de l’Émirat, de la Lybie, du Koweït, du Qatar, du Yémen, du Soudan, de l’Iraq et de l’Arabie Saoudite.
Tous ces artistes qui ont transformé le site en un atelier artistique, ont fait des peintures inspirées de la torture exercée contre les prisonniers, ils ont fait une pétition de protestation chez l’organisation de l’Unesco, pour dénoncer la destruction du site commémoratif de Khyam, qui symbolise « la souffrance humaine, et la volonté de la vie malgré les souffrances, et une détermination des artistes de faire un équilibre dans la conscience humaine »70.
Un autre travail artistique qui a documenté la souffrance au camp de khyam, a été fait par les deux realisateurs libanais Joanna Hajji Touma et Khalil Jreij, qui ont réalisé leur premier film documentaire « khyam » en 2000, puis ont intégré des nouvelles scènes à leur production après la destruction de la prison en 2006, pour créer un nouveau film intitulé « khyam 2000-2007 », et qui a été diffusé durant le festival de Rotterdam en 2009.
Le but des deux producteurs était de transmettre la réalité de la prison, en se référant aux témoignages de six anciens prisonniers, lesquels ont raconté leurs histoires et leurs souffrances durant les années d’emprisonnement.
Ces prisonniers représentent les différentes appartenances politiques et communautaires libanaises, qui se trouvent unies dans la prison.
Selon l’une des personnalités du film, cette expérience appartenait à tous les libanais, non pas seulement au Hezbollah : « tous ont montré des sacrifices, et le Hezbollah n’a pas le droit de s’approprier notre histoire suivant son point de vue 71».
Cependant, et dès la fermeture de cette prison en mai 2000, les libanais ont tourné la page noire d’une période de souffrance qui a uni des milliers de leurs proches, amis ou voisins, de toutes les confessions et les régions sous le toit d’une même prison, dans laquelle ils ont vécu les plus douloureux moments de leurs vies.
Cette prison, et bien qu’elle a été affectée pour sanctionner les partisans du Hezbollah et les fondateurs de la résistance islamique, qui était en genèse lors de l’occupation et après le départ des groupes palestiniens du Liban, elle a représenté un lieu d’unité nationale, puisque les prisonniers étaient de plusieurs confessions, mais aussi les gardiens de la prison qui sont les membres de l’ALS appartenaient à des confessions et de religions différentes, et plusieurs membres d’entre eux étaient de l’environnement du Hezbollah.
Cette réalité peut se démontrer à travers l’exemple de Soha Bechara, la fille chrétienne, qui y a été emprisonnée pour dix ans, suite à sa tentative d’assassinat du chef de l’ALS qui était un chrétien aussi et dont il a eu plusieurs assistants de la communauté chiite qui est la même du Hezbollah…On voit donc comment cette prison représente la mémoire collective d’une nation, et d’une population qui a souffert de l’occupation israélienne et de la complicité de ses concitoyens libanais, ce qui constitue une nécessité que l’Etat adopte le projet de sa restauration.
Bien sûr, une telle tentative par l’Etat aura pour bénéfice l’enracinement de l’entente entre les libanais à travers la conservation de la mémoire de souffrance des prisonniers, et par la récompense des travaux du Hezbollah qui a ont eu le grand rôle dans la libération de cette prison, puisque sans ces attaques qui ont commencé d’une vingtaine d’années, les prisonniers n’auront jamais eu la possibilité de voir leurs parents cassant les serrures de leurs cachots.

E- La reconstruction de la prison : Un projet dans l’attente du parrainage

Depuis le bombardement de la prison de khyam, cette dernière a perdu son rôle comme mémorial de guerre, symbole de la souffrance des prisonniers.
Les visiteurs ne peuvent rien voir que des bâtiments détruits. C’était le but d’Israël.
Mais malgré ça, le Hezbollah a continué à faire des efforts pour lui donner sa place dans la mémoire de la résistance, à travers les visites organisées pour les groupes, et les initiatives « timides » d’organisations des ateliers artistiques… Huit années successives après les bombardements ne justifient pas l’absence complète de l’Etat de ses obligations envers l’histoire des libanais et la protection de leur mémoire, puisqu’aucune initiative libanaise d’adopter le site n’a été faite, ce qui donne des arguments au Hezbollah de mettre sa main pour exploiter le site selon son propre compte.
Sur ce point, le Cheikh Ali Daher72, responsable des activités médiatiques, affirme dans un entretien personnel avec lui, que la prison de Khyam représente « un des nombreux sites qui commémorent l’histoire de la résistance, elle a obtenu sa grande importance après sa libération par les habitants des villages voisins qui ont accompagné l’offensive de la résistance contre les cibles de l’ennemi et de ses collaborateurs ».
Ensuite, il est devenu le seul site qui représente les souffrances des milliers de prisonniers. Ces derniers ont commencé à faire des tours explicatifs aux visiteurs de la prison depuis sa libération.
Mais durant la guerre de juillet 2006, Israël l’a attaquée par des dizaines de raids, ce qui montre « l’intention d’Israël à effacer le site de la mémoire nationale et internationale après une dizaine d’années de violation des droits de cinq-mille prisonniers, tout en ignorant les traités et les lois du droit international ainsi que toutes les conventions internationales qui gèrent les statuts des prisonniers des guerres ».
Daher ajoute : « Après la guerre, nous avons planifié sérieusement la construction de ce site, en préparant des études et des cartes de la prison pour qu’elle soit bâtie de nouveau, selon les mêmes caractéristiques de l’ancienne prison sans ajouter aucun édifice moderne qui pourra changer les traits réels des cachots, des couloirs, des poteaux, et des bureaux des responsables de la prison, de la chambre de distraction, des lits, des mauvaises odeurs des cachots, etc.
Cela se fait grâce aux instructions et aux témoignages des prisonniers qui ont retenu par cœur chaque coin de la prison et qui ont orienté l’équipe d’ingénieurs qui travaille pour réaliser ce projet.
Daher affirme ensuite qu’ils font un grand effort pour que la prison ne perde pas ses caractéristiques afin que les visiteurs connaissent et sentent la souffrance de chaque prisonnier et l’amertume de sa vie.
Il ajoute que la préparation des cartes et des études ont fini, mais ce qui manque c’est le financement des institutions locales, lesquelles nous attendons à les investir dans ce site important, nous n’attendons pas que l’Etat Libanais accomplisse cette étape ».
Dans ce site on trouve des milliers de récits et d’histoires pour chaque prisonnier, qui ont besoin de dizaines d’années pour qu’ils soient archivés.
En revanche, et selon Daher, on ne peut pas faire un site pour commémorer chaque récit, c’est pour cela qu’ils vont choisir les histoires les plus émotionnelles et importantes pour les implanter dans la mémoire nationale, soit par les publier dans les ouvrages et les livres, soit par la production des films qui racontent les évènements de ces récits ou bien par la création des monuments et des sites dans les villages, qui pourront regrouper les récits de plusieurs résistants.
Enfin Daher affirme que « la reconstruction de la mémoire est notre but principal, lequel consiste à commémorer l’histoire de tous ces résistants et ces prisonniers. Nous sommes fidèles à leurs sacrifices. ».
 

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