Difficultés liées aux dysfonctionnements du système pénal

Chapitre 2 : les difficultés liées aux dysfonctionnements du système pénal
Toute construction humaine est perfectible, tant la perfection échappe à l’humain. De cette affirmation, il est plausible de comprendre que le système pénal camerounais, en tant qu’issu d’une œuvre humaine, ne déroge pas à cette réalité.
En effet, un « système juridique » se définit comme un ensemble de règles, considéré sous le rapport de ce qui en fait la cohérence53, celle-ci pouvant tenir, s’il s’agit du droit d’un pays, aux caractéristiques nationales de ce dernier, ou, s’il s’agit au sein d’un ordre juridique, d’un faisceau de règles54. Dès lors, parler des difficultés liées aux dysfonctionnements du système pénal en l’occurrence celui camerounais, revient à évoquer ou à présenter les vicissitudes ou les failles qui plombent le fonctionnement harmonieux du faisceau de règles qui régissent le domaine pénal en droit positif camerounais en particulier. Loin de nous l’idée de présenter toute la panoplie des faiblesses observées dans notre système judiciaire en général, l’on se limitera strictement sur celles qui participent à l’ineffectivité de la libération conditionnelle en droit positif camerounais.
Dès lors, il ne sera pas superfétatoire pour nous de nous questionner sur la teneur des dysfonctionnements du système pénal camerounais qui plombent à leur niveau à l’effectivité de la libération conditionnelle en droit positif camerounais.
Pour y parvenir, il sera opportun pour nous d’évoquer ou d’analyser tour à tour les difficultés liées aux facteurs historiques et culturels (Section 1) et celles spécifiques liées à la vision globale du système pénitencier et à la prédominance de l’exécutif (Section 2).

Section 1 : Les difficultés liées aux facteurs historiques et culturels

La compréhension des constructions juridiques d’un Etat aujourd’hui est subordonnée à la maitrise des facteurs historiques et culturels de cet Etat. Le Cameroun, en ce qui le concerne n’échappe pas à cette réalité. C’est en abondant dans le même sens que J. LE GOFF affirme : « L’ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent, elle compromet, dans le présent, l’action même. »55.
Désormais, nous le pensons fort aisément, que des questions sur la corrélation entre l’ineffectivité de la libération conditionnelle et les dysfonctionnements du système pénitencier qui transparaissent aux travers des facteurs historiques et culturels sont totalement dissipées. Dès lors, il sera judicieux pour nous d’analyser les difficultés inhérentes à notre héritage colonial (Paragraphe 1) d’une part, et, celles qui lui sont consubstantielles (Paragraphe 2), d’autre part.

Paragraphe 1 : Les difficultés inhérentes à notre héritage colonial

L’histoire de la politique d’un pays permet de mettre en lumière, la logique qui a précédé à l’instauration, l’organisation et l’évolution de ses institutions. Ces dernières ne pourront alors être mieux comprises que si on a maitrisé au préalable la logique qui les avait produit56. Dès lors, notre analyse portera d’une part sur l’héritage colonial (A) et d’autre part ses implications sur l’ineffectivité de la libération conditionnelle (B).

A- Le contenu de l’héritage colonial

Il est nécessaire de remarquer d’entrée de jeu, que les éléments structurels qui configurent les institutions pénitentiaires du Cameroun ont été construits à partir d’une logique coloniale européenne. Ainsi, il devient donc impossible de comprendre ces institutions qui sont soit chargées de punir, soit chargées de resocialiser le coupable à l’instar de la libération conditionnelle, en faisant fi de la logique coloniale de répression. Car chaque répression, même coloniale ne naît pas ex nihilo. C’est d’ailleurs dans ce sens que le professeur Louis NGANGO avait affirmé dans l’un de ses ouvrages : « Une institution n’est pas une météorite : elle naît quelque part, à un moment donné, pour un objectif »57.
Après les conquêtes, pour asseoir son autorité, le colon, va mettre sur pied une organisation politico-administrative et judiciaire qui sera sous-tendue par une domination et exploitation du colonisé à outrance. Personne n’a besoin de décrire l’atmosphère que génère une pareille circonstance. N’importe quel être humain peut imaginer, dans une telle situation, les réactions diverses et controversées : des mécontentements, des révoltes et des subversions d’un côté, et de l’autre, l’utilisation de méthodes fortes à la hauteur de l’objectif poursuivi58. Lors du congrès international de sociologie coloniale, Albert BILLIARD rappelait avec fermeté, à l’assemblée de toutes les colonies, les intérêts qui doivent conduire toute politique coloniale: « Ce qu’elles (les nations civilisées) recherchent avant tout, ce sont évidemment des débouchés pour la surabondance de leurs produits, des placements rémunérateurs pour les capitaux sans emploi, de nouveaux champs d’action pour leurs énergies inoccupées. Elles ne sauraient admettre dans leurs colonies des institutions politiques susceptibles de faire obstacle directement ou indirectement, […].»59
Dès lors, une politique de répression s’impose désormais ; Celle-ci sera déclinée sous deux axes : l’influence de la politique de conquête sur le régime de la répression pendant la période coloniale et la transformation progressive des régimes et des méthodes de répression en institut carcéral au Cameroun.
Ainsi : « Les fonctions principales des dispositions répressives du code de l’indigénat sont de «frapper» et de «réprimer» pour maintenir notre domination» et «assurer la sécurité des colons»»60. Ce code d’indigénat, considéré comme un « Monstre Juridique» par Olivier LE COUR GRANDMAISON, devient l’instrument de domination le plus précieux entre les mains des « Empereurs sans sceptre »61 des colonies Françaises et donc hériteront les dirigeants africains enclin à la dictature et au maintien au pouvoir coûte que coûte en général, et, ceux camerounais en particulier.
A bien y regarder, le système pénal camerounais n’a pas réussi à se débarrasser dans son entièreté des pratiques et usages qui avaient vu le jour jadis dans le code de l’indigénat. Cette situation a forcément des implications tantôt positives, tantôt néfastes sur le système pénal camerounais.

B- Les implications dans le système pénal camerounais

Comme sus évoqué, le système pénal camerounais a pour sous bassement les reliques de la colonisation dont les implications tant positives que négatives se font ressentir jusqu’à date dans notre ordonnancement juridique en général, et dans le système carcéral en particulier. Loin pour nous de faire une étude exhaustive en la matière, il sera question pour nous, dans le cadre de cette recherche, de focaliser toute notre attention sur lesdites implications néfastes sur notre système carcéral en général et sur l’institution de la libération conditionnelle en particulier.
Bien plus, si tant est vrai que les textes juridiques élaborés de nos jours et qui sont en vigueur dans notre système juridique, sont fortement inspirés et influencés par ceux hérités de la colonisation ; quand ils n’ont pas simplement été conservés en l’état tel le Code Civil Camerounais62, en général, ceux régissant le système pénitencier camerounais ne le sont pas moins. Ils sont l’émanation même du code de l’indigénat et, sont restés aussi fidèles que possible, un instrument de conquête et de confiscation du pouvoir au service de son maître d’aujourd’hui, comme celui d’hier, et qui, d’ailleurs n’a qu’une seule aspiration : anéantir ses adversaires politiques et régner ad vitam aeternam.
Ainsi, les mesures qui viennent rompre avec cette réalité ne sont pas toujours les bienvenues ; et la libération conditionnelle est de celles-là. Car, elle est une mesure qui vient encadrer l’exécution de la peine, lorsqu’on sait tous les abus dont les détenus ont souvent fait l’objet dans cet univers carcéral. Bien plus, elle vient accorder la liberté de manière anticipée, lâchant un temps soit peu la laisse du pouvoir central, tout en exigeant que la liberté soit un principe et la prison une exception.
Vue sous cet angle, nous pouvons déjà s’accorder tous qu’une telle mesure ne saurait être vue d’un « bon œil ». D’où leur traitement avec mépris, désinvolture et parsemé d’incongruités.

Paragraphe 2 : Les difficultés consubstantielles à la libération conditionnelle

L’on peut entendre par « difficultés consubstantielles », toutes les tares, toutes les limites inhérentes à la mesure ou à l’institution elle-même. Parler donc des difficultés consubstantielles à la libération conditionnelle revient à évoquer « les germes de sa propre destruction » qui lui sont inséparables en l’état actuel de son libellé, qui recèle par ailleurs des incongruités, vecteurs elles aussi, de l’inefficacité de la mesure. Il s’agit du non-respect du principe de la hiérarchisation des normes juridiques dont on précisera le contenu (A) avant de voir les conséquences sur l’effectivité de la libération conditionnelle (B).

A- Le contenu du principe de la hiérarchisation des normes juridiques

La notion de hiérarchie des normes a d’abord été formulée par le théoricien du droit Hans Kelsen 63, qui tentait de fonder le droit sans faire appel à la morale et au jus naturalisme, ceci afin d’élaborer une science véritable du droit (donc axiologiquement neutre, c’est-à-dire indépendante des présupposés subjectifs et des préjugés moraux de chacun)64.
Selon Kelsen, toute norme juridique reçoit sa validité de sa conformité à une norme supérieure, formant ainsi un ordre hiérarchisé. Plus elles sont importantes, moins les normes sont nombreuses: la superposition des normes (circulaires, règlements, lois, Constitution) acquiert ainsi une forme pyramidale, ce qui explique pourquoi cette théorie est appelée « pyramide des normes »65. La norme placée au sommet de la pyramide étant, dans de nombreux systèmes juridiques, la Constitution66.
Puisque, la Constitution elle-même ne pouvait recevoir son caractère obligatoire que d’une norme supérieure, et qu’une telle norme n’existait pas, Kelsen faisait intervenir le concept de « norme fondamentale »67, qui consiste principalement en un présupposé méthodologique nécessaire afin de donner un caractère cohérent à la théorie du droit.
Cette théorie de la hiérarchie des normes ne peut s’appliquer que pour les Constitutions dites « rigides ». Dans un État à Constitution « souple », la Constitution est généralement élaborée, votée, et révisable par l’organe législatif habituel, de la même façon qu’une loi ordinaire. De ce fait, ces deux normes ont une valeur juridique identique et la loi n’est donc pas inférieure à la Constitution. À l’inverse, dans un État à constitution « rigide », la Constitution est élaborée et/ou votée par un organe spécialisé (gouvernement, groupe de travail), voire adoptée par référendum. Sa procédure de révision fait également intervenir un organe spécial et/ou le peuple, qui dispose du pouvoir constituant dérivé. C’est pourquoi, elle a une force juridique particulière, supérieure aux autres normes, qui devront dès lors la respecter.
Plusieurs théoriciens de la hiérarchie des normes placent un bloc supplémentaire au- dessus du bloc de constitutionnalité : pour les athées et les laïques ce bloc est dénommé « Droit naturel », tandis que pour les croyants ou les religieux il s’agit du « Droit Divin ».
De ce qui précède, l’on peut retenir en somme du principe de la hiérarchisation des normes juridiques que, des règles de droit écrites, qu’elles soient communautaires, internationales ou nationales s’ordonnent selon une hiérarchie. Le principe étant qu’un texte de catégorie inférieure est toujours subordonné au texte de catégorie supérieure et ne peut donc y déroger. Dès lors, se pose alors la question de savoir qu’elles sont les conséquences du non-respect de ce principe dans la mise en œuvre de la mesure de la libération conditionnelle ?

B- Les conséquences sur l’effectivité de la libération conditionnelle

Du non-respect du principe de la hiérarchisation des normes juridiques dans le faisceau de normes qui régissent pour l’essentiel la mesure de la libération conditionnelle découle des conséquences fâcheuses pour ladite institution : son ineffectivité ou son inefficacité à opérer dans le système carcéral camerounais.
Comment comprendre l’incongruité existante entre l’article 61 al.2 du code pénal qui stipule que : « Un Décret fixe les conditions générales et les modalités de l’octroi et de la révocation de la libération conditionnelle »68 et l’article 61 al.169 du même texte qui, dans sa deuxième phrase, s’agissant de l’octroi et de la révocation de la libération conditionnelle, stipule que : « Elle est accordée et révoquée par décret»70.
De ce qui précède, l’on se pose alors la question de savoir comment une norme juridique, qui se situe au niveau « X » dans la pyramide Kelsienne peut régir une autre de même nature se situant elle aussi au même niveau « X » que la précédente ? Dans notre cas il est dit que le décret connaitra des conditions générales de l’application de la libération conditionnelle, des modalités de son octroi et celles de sa révocation.
Et plus loin, s’agissant de la mise en œuvre effective de cette mesure, il ressort que son octroi ou sa révocation seront constatés par décret. Un décret qui fixe le cadre d’expression d’un autre décret ? Ce n’est ni plus, ni moins qu’une volonté manifeste de mettre un frein à l’effectivité de la libération conditionnelle. L’on comprend donc aisément qu’elle soit demeurée, plus d’une cinquantaine d’années plus tard, une coquille vide, un « trompe œil » pour plaire et satisfaire la communauté internationale dans ses exigences du respect des Droits de l’Homme. Fort de ce qui précède, nous pouvons affirmer que la libération conditionnelle a encore des pages sombres à traverser devant elle, en vue de son efficacité.
En somme, nous venons une fois de plus, de tenter de présenter les difficultés liées aux facteurs historiques et culturels et celles consubstantielles à la libération conditionnelle et qui entament considérablement son effectivité ou son efficacité inhérentes à sa mise en œuvre, mieux à son déploiement en droit positif camerounais. Il nous reste donc à ressasser encore toutes les autres difficultés spécifiques pouvant émailler de cette effectivité de la libération conditionnelle.
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  • 53 -Voir dictionnaire de français petit Larousse, 2000. Op cit.
  • 54 -(G.) CORNU, Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique op cit. P1012
  • 55 -(J.) LE GOFF, In Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien de BLOCH Marc, Paris, Armand Colin, 1997, p20.
  • 56 – Thèse (R.) NGONO BOUNOUNGOU, La réforme du système pénitentiaire camerounais : entre héritage colonial et traditions culturelles, Droit. Université de Grenoble, 2012, P101.
  • 57 -(L.) NGONGO, Histoire des institutions et faits sociaux du Cameroun, Tome 1, Nancy, Berger-Levrault, 1987, P9.
  • 58- Thèse (R.) NGONO BOUNOUNGOU op cit P108.
  • 59 A. BILLIARD, « Etude sur la condition politique et juridique à assigner aux indigènes des Colonies », in Congrès international de la sociologie coloniale, août 1900, T.2, Mémoires soumis au Congrès, Paris, Arthur Rousseau, 1901, p. 14.
  • 60 – (J.) HARMAND, «Domination et colonisation» Paris, Flammarion, 1910, p.170, in De l’indigénat d’Olivier LE COUR GRANDMAISON p.80
  • 61 – (W. B.) COHEN, Empereurs sans sceptre, Histoire des administrateurs de la France d’Outre-mer et de l’école coloniale, Paris, Berger-Levrault, 1973
  • 62 -Le code civil en vigueur jusqu’à ce jour au camerounais est un héritage de la colonisation. C’est en fait le code
  • civil de Napoléon Bonaparte de 1804, et que l’on retrouve pratiquement dans l’essentiel des pays africains colonisés par la France.
  • 63 -(H.) KELSEN, Théorie pure du droit, traduction française, 2e édition traduc. Par Charles EISENMANN, Dalloz Paris, 1962.
  • 64 -(H.) KELSEN, Théorie pure du Droit, op cit.
  • 65 -Ibid.
  • 66 -C’est le cas en France, au Tchad, au Sénégal etc…
  • 67 -(H.) KELSEN, Théorie pure du droit op cit.
  • 68 -Article 61 al.2 du code pénal op cit.
  • 69 -Ibid.
  • 70 -Artile 61 al. 1 du code pénal op cit.

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