Les sites de la presse et le marché de la publicité en France

2.3.4 Rester l’intermédiaire des affaires
En plus de faire face à une concurrence plus intense et plus diverse, qui met en péril les missions qui étaient les siennes, la presse doit faire face aujourd’hui à un quatrième défi, puisque le second pilier de son financement, la publicité et les petites annonces, tend également à se disperser chez ses concurrents, mettant ainsi en péril l’édifice qu’elle avait construit sur internet. De la même manière que les équipes rédactionnelles et managériales, qui, on l’a vu, ont mis plusieurs années à s’adapter aux nouveaux médias, les régies publicitaires et les annonceurs n’ont pas tous su saisir les opportunités qu’offraient ces nouveaux supports.
Profiter des dépenses Internet des annonceurs
Au moment de la création des sites de la presse en France, le marché de la publicité fonctionnait avec des campagnes payées au coût par mille (CPM) à un prix suffisamment élevé pour provoquer la ruée que l’on a constaté dans la première partie. Aujourd’hui, plusieurs évolutions ont remis en cause ce système de publicité, poussant les éditeurs de sites à trouver des solutions innovantes. Le marché de la publicité a tout d’abord été fortement perturbé entre 2000 et 2002. L’arrivée de Google ensuite et le développement des campagnes au coût par clic (CPC), voire au coût par action (CPA) depuis 2007, a encore fragilisé la position des sites d’actualités sur le marché de la publicité. En effet, les campagnes au CPC et au CPA prennent la forme de liens sponsorisés générés en fonction du contexte, pour lesquels les sites perçoivent un revenu en fonction du nombre de clics ou d’actions réalisées. Ces campagnes, convenant particulièrement au marketing direct du fait de la finesse du ciblage, permettent aux annonceurs de gérer plus efficacement leurs budgets de communication et de mieux évaluer la rentabilité des investissements publicitaires consentis, ce qui explique leur forte croissance puisque le CPC est passé de 1% de part de marché en 2001 à 42% en 2006, comme le montre la figure 15 ci-contre.
Evolution du marché de la publicité en ligne en France (Mds €)
Figure 15. Evolution du marché de la publicité en ligne en France (Mds €). Sources: IAB France, Emarketer.
Or, ce type de publicité pénalise particulièrement les sites d’actualité. En effet, ces campagnes se fondent sur le contenu des pages visitées, si bien que, sur un site d’actualité, les générateurs de liens sponsorisés utilisent le contenu des articles pour choisir la campagne à afficher, augmentant du coup la possibilité de faire un contre-sens. Yann Battard donnait ainsi l’exemple d’un article sur un accident d’avion qui, du fait de la prédominance du champ lexical de l’aviation, aurait généré des liens vers des agences de voyages, détruisant au passage la marque de l’annonceur. Le marché de l’actualité ne permet donc pas d’avoir recours aux budgets du marketing ciblé, qui représente pourtant la moitié des dépenses publicitaires en ligne.
Par ailleurs, la publicité de display, qui prend le plus souvent la forme d’images animées ou de clips Flash, doit, elle, faire face à l’augmentation du nombre de programmes permettant de bloquer les adresses des régies publicitaires, permettant aux internautes de consommer des contenus sans avoir à subir la publicité. Aujourd’hui, 53% des utilisateurs utiliseraient un logiciel bloquant ce type de publicités (Newman, 2007).
Le défi des éditeurs de sites réside donc la rentabilisation du trafic. Les professionnels rencontrés dans le cadre de ce mémoire ont fréquemment mis l’accent sur les campagnes de branding, qui seraient, selon eux, les seules adaptées à un site d’actualité. Leur stratégie vise ainsi à vendre aux annonceurs des pages vues par des profils correspondant à leurs attentes en se fondant principalement sur les critères psychographiques des consommateurs établis par les études des instituts de sondage. La mise en place de systèmes d’enregistrement gratuits donnant accès à des contenus premium permet également de collecter des informations personnelles permettant un plus grand ciblage. Ces outils restent très similaires à ceux développés sur papier et ne prennent pas en compte les spécificités du web, qui permettent un ciblage infiniment plus fin et moins coûteux.
Internet permet, par exemple, de connaître l’origine géographique des internautes, visible dans l’adresse IP, avec une précision située entre 60% et 95% (Muir & Oorschot, 2006). De même, l’analyse de l’historique de navigation des internautes permet de dresser un profil sans avoir besoin de faire remplir aucune sorte de questionnaire. Google utilise par exemple l’historique des recherches des internautes mais également, pour ceux ayant installé la barre d’outils Google, l’historique de l’intégralité des pages visitées afin de pouvoir leur présenter des publicités mieux ciblées. Ces techniques ne sont pourtant pas utilisées par les sites d’actualité des médias traditionnels, qui se justifient le plus souvent en arguant du retard des annonceurs, qui ne seraient pas prêts à acheter des campagnes plus ciblées. Les annonceurs ne comprendraient ainsi pas tout le potentiel d’internet, ce qui ralentirait d’autant la croissance du marché publicitaire en ligne (Rothenberg, 2007).
Pourtant, comme le souligne Julien Jacob, la responsabilité de ce retard provient aussi des régies publicitaires des médias traditionnels, où l’adaptation au web a été aussi lente que chez leurs clients. D’autres entretiens ont également fait ressortir le grand scepticisme des responsables web à propos de l’affinage du ciblage, malgré les avancées notables des régies issues des pure-players dans la course à la valorisation des internautes.
La spécificité de la presse dans ce domaine provient toutefois de sa capacité à vendre des campagnes à la fois sur papier et sur le web, offrant aux annonceurs les avantages des deux supports. Si les régies de Google et de Yahoo! offrent déjà ce service aux Etats-Unis, elles n’ont toujours pas franchi le pas en France. De plus, la crédibilité des marques de presse leur donne un avantage sur les pure-players, notamment les sites participatifs, auxquels les annonceurs ne font pas toujours confiance, par peur de voir l’efficacité de leur campagne anéantie par un contenu inadéquat.
Petites annonces
Avant l’arrivée d’internet, la presse quotidienne disposait d’un quasi-monopole sur le marché des petites annonces, ce qui participait d’ailleurs à de son rôle d’animateur de communauté de lecteurs. Le glissement du marché des petites annonces menace donc plus que les revenus générés par ce seul service, il prive les journaux de l’un de leurs principaux rôles et les oblige à trouver des stratégies de récupération de ce marché sur le web.
Le parcours du Figaro est à ce titre exemplaire. Le journal a vu ses recettes en provenance des petites annonces fondre de plus de 80% avec l’arrivée du web. En 2000, le Figaro lance Explorimmo, un site qui regroupe toutes les annonces du quotidien tout en ayant l’objectif d’élargir sa cible afin de devenir une référence pour tous les internautes indépendamment de la marque de leur quotidien. Le journal a adopté la même stratégie avec Cadremploi, société créée en 1990 qui a pris en charge les annonces du Figaro sur internet, avant de racheter Keljob. Face à leur succès, Le Monde, Libération et Les Echos ont accepté de partager leurs annonces avec ces sites.
Regroupés dans la société Adenclassified, ces sites sont aujourd’hui leaders ou en passe de le devenir sur leurs marchés respectifs, permettant de concurrencer des pure-players internationaux comme Monster et redonnant au Figaro la source de revenus qui était la sienne hors-ligne. En associant les compétences et les ressources qui faisaient sa force sur le papier et en profitant de la force financière de sa régie publicitaire, Le Figaro a connu un succès certain dans la transmission sur le web de l’un des moteurs de son modèle économique. La mise en place de ce centre de profit qui vient soutenir les activités de production de contenus n’a été possible que grâce à l’expérience et l’expertise acquise sur le papier.
Le groupe Hersant a suivi la même stratégie en transposant sur internet les annonces de son gratuit, Paru Vendu. Le large stock d’annonces dont disposait le groupe sur papier lui a permis, une fois sur internet, de détenir une taille suffisante pour s’imposer.
Le succès du Figaro ou du groupe Hersant sur certains secteurs du marché des petites annonces ne cache cependant pas leur incapacité à profiter des possibilités offertes par internet, privant ainsi les groupes de production d’actualités d’une source de revenus traditionnelle. Aucun acteur de la presse traditionnelle n’a en effet pressenti le succès des sites de rencontres, laissant Meetic s’emparer de ce marché très lucratif, ou celui des enchères en ligne, telles celles d’Ebay, alors que leurs marques et leurs réseaux leur auraient donné un avantage significatif sur ces pure-players.
Cette sous-partie a permis de montrer que la presse a perdu sur internet plusieurs éléments fondateurs de son modèle économique et que cette déstabilisation s’accentue avec les évolutions du réseau. La presse en ligne se trouve aujourd’hui en concurrence avec de nombreuses autres marques, et elle n’est plus forcément la plus à même de remplir les missions qui étaient les siennes sur le papier. En se plaçant dans le modèle des cinq forces de Porter (1985), on constate que le marché de l’actualité en ligne a été fortement modifié. La figure ci-dessous synthétise ces modifications. Hormis la crédibilité dont elle peut se targuer vis-à-vis de la télévision, la presse ne dispose, on l’a vu, d’aucun avantage sérieux dans cette nouvelle configuration.
Le modèle des cinq forces de Porter appliqué au marché de l'actualité en ligne
Figure 16. Le modèle des cinq forces de Porter appliqué au marché de l’actualité en ligne.
Les journaux sont les plus touchés par ces évolutions. Ils doivent faire face à de nouveaux concurrents sur des terrains où ils pensaient détenir une légitimité inattaquable (hiérarchisation, crédibilité). Le bouleversement est d’autant plus fort que le modèle économique qu’impose internet diffère fortement de celui du papier, ce qui gêne considérablement les journaux lorsqu’ils essayent d’étendre sur le web leurs missions traditionnelles. La presse doit donc trouver des moyens d’exploiter ses ressources spécifiques si elle veut résister à la concurrence sur internet.
Lire le mémoire complet ==> (Quelle place pour la presse en ligne à l’heure du Web 2.0 ?)
Mémoire de fin d’études
Institut d’études politiques de Lille, section Economie et Finance

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