Les perspectives d’intégration horizontal, l’actualité en ligne

3.3.2 Perspectives d’intégration horizontale
L’intensification et la fragmentation de la concurrence sur le marché de l’actualité en ligne peut également pousser à une concentration du secteur dans le but de mettre en relation les ressources stratégiques de la presse en ligne avec celles d’autres médias complémentaires.
Lors de l’intervention américaine en Irak, CNN et le New York Times ont ainsi créé un partenariat entre leurs sites internet, donnant à chacun la possibilité d’utiliser les contenus de l’autre et d’insérer des liens vers son site. Pour Eason Jordan, directeur éditorial de CNN à l’époque, ce partenariat créait « une sorte de dream team dans la mesure où deux institutions largement respectées et reconnues dans le monde entier [fournissaient] une couverture inégalable de ce conflit » (Cyberjournalist, 2003 http://www.cyberjournalist.net/news/000078.php). Cette déclaration montre la volonté de ces organisations d’associer leurs marques et leurs ressources stratégiques – les journalistes pour que la somme des deux dépasse la concurrence sur l’actualité en Irak. MSNBC avait des accords similaires avec le Washington Post, le Wall Street Journal et Newsweek.
En France, de tels partenariats, ciblés et de courte durée, ont également été établis. LCI et l’Express ont ainsi créé ensemble un mini-site à l’occasion de l’élection présidentielle, permettant de mettre en commun des contenus spécifiques originaires des deux organisations. Bien qu’il soit encore trop tôt pour en connaître tous les résultats, comme l’a souligné Corinne Denis, responsable des éditions électroniques du groupe Express-Expansion, ce genre d’expérience n’a pas de portée stratégique et n’est pas appelé à durer. Ce partenariat était d’ailleurs issu d’une collaboration hors-ligne entre journalistes de l’Express et de LCI autour d’une seule émission, à laquelle s’associait d’ailleurs Le Figaro, montrant ainsi qu’il s’agit plus d’une rencontre ponctuelle entre quelques journalistes de différents horizons plutôt que d’une concentration réelle des moyens de production.
Au-delà de ces collaborations ponctuelles, dont on voit bien qu’elles ne répondent pas à des stratégies durables de concentration, quelques organisations ont effectivement réalisé une concentration horizontale durable. La première a été Media General en Floride, qui, en 2000, a réuni en une seule organisation les équipes du journal local, le Tampa Tribune, celles de la télévision WFLA-TV et celles du site internet TBO.com. Bien que cette concentration n’ait pas été achevée, dans la mesure où les trois marques coexistent toujours, pour la plus grande confusion du consommateur, sur un site web de qualité insuffisante pour le marché visé et où la maison-mère conserve une organisation divisée par supports, elle a montré la viabilité d’une telle entreprise et les économies d’échelles qu’elle permettait de mettre en œuvre. Les équipes rédactionnelles, tout comme le management et les équipes commerciales, ont en effet réussi à travailler ensemble et à réaliser quelques synergies, même si ces dernières ne sont estimées qu’à un demi-point de chiffre d’affaire (Glaser, 2004b http://www.ojr.org/ojr/business/1084948706.php).
Dans une optique différente, le groupe AOL Time Warner recherche également à faire jouer des synergies entre ses marques, tout en conservant, hors-ligne, un modèle traditionnel. Le groupe a ainsi commencé, en janvier 2006, par rassembler ses sites d’actualités financières sous la seule bannière de CNN Money http://money.cnn.com/, fermant les sites des magazines Fortune, Fortune Small Businesses, Money Magazine et Business 2.0. Début 2007, un mouvement similaire a été esquissé sur les sites d’actualité du groupe, puisque la rénovation du site de Time Magazine http://www.time.com/ s’est accompagné d’un partenariat avec CNN, les deux sigles apparaissant désormais sur le site. Cette stratégie visant à regrouper les marques traditionnelles en une seule entité en ligne permet de toute évidence des économies dans le secteur du marketing et de la communication. Le groupe semble pourtant s’être arrêté en chemin dans la rationalisation de ses activités en ligne, puisque son principal atout sur le web, le portail AOL, continue à opérer indépendamment des sites évoqués plus haut. Dans le domaine de la finance notamment, AOL money & finance http://money.aol.com/ a établi des partenariats avec CNN Money d’une part, mais aussi avec une multitude d’autres sites appartenant à des groupes différents. Par ailleurs, une intégration sur le web sans intégration des salles de rédactions pourrait créer des tensions au sein du groupe, provoquant par exemple un mécontentement des titres qui ont vu leurs sites fermés par la direction.
Les exemples de concentration les plus poussés n’ont toujours pas abouti aujourd’hui à des organisations unifiées capables de produire des contenus pour tous les supports disponibles, sous une ou plusieurs marques. L’évolution des discours de certains dirigeants de groupes de presse montre cependant une prise de conscience des bouleversements en cours. Fabrice Boé, président de Prisma Presse, a ainsi déclaré que son groupe « n’[était] plus une entreprise de presse papier, mais une entreprise qui produit du contenu journalistique » (Santi & Girard, 2007). Par cette déclaration, Fabrice Boé dissocie clairement le contenu du support, ce qui ouvre la voie à des stratégies de rationalisation entre supports.
Notons enfin que la désacralisation du papier se poursuit au sein des groupes de presse, grâce notamment à la fabrication automatisée de journaux imprimables et personnalisables. L’espagnol El Pais a été le premier à proposer le service à ses visiteurs, sous le nom de 24 Horas http://www.elpais.com/24horas, suivi en cela par le Guardian de Londres (sous le nom G24 http://www.guardian.co.uk/g24) et par Le Figaro, qui devrait lancer le produit sous peu. En retirant aux rédactions papier le monopole de la production de contenus papier, ce détail technologique, malgré un succès modéré auprès des consommateurs, participe, lui aussi, de la dissociation complète des entreprises de production d’information d’avec leurs supports, étape préalable à une concentration.
Conclusion  :
Les développements des trois parties précédentes ont mis en évidence le manque de stratégie au départ des investissements en ligne et les difficultés qu’ont eu les groupes de presse pour les justifier et les faire fructifier. L’avènement du Web 2.0 a entrainé le triomphe des pure-players, désormais seuls leaders des services en ligne, dictant aux industries traditionnelles les règles de leur activité sur internet, si bien que tous les médias développés hors-ligne font désormais face aux mêmes défis. Dans ce nouvel environnement, la presse a du mal à trouver les solutions qui lui permettront de transformer ses forces en leviers de croissance.
L’hypothèse de départ n’a pas été vérifiée. La presse quotidienne d’actualité ne subit pas de désavantage concurrentiel par rapport aux autres médias traditionnels. Loin d’être des freins à leur développement en ligne, les spécificités des journaux les placent en position de force par rapport aux autres médias traditionnels. La notoriété de leurs marques, leur influence et leur taille relativement petite devrait les avantager, d’autant plus que leur situation financière globale ne peut être considérée comme un frein au vu de la petitesse relative des investissements requis par un site. Par ailleurs, le conservatisme du personnel n’est pas plus important au sein des groupes de presse que chez ses concurrents traditionnels.
Le handicap majeur de la presse réside dans la stratégie chaotique menée par la quasi-totalité des groupes de presse, pour ceux qui en avaient élaboré une. Le manque de vision de long-terme a empêché les journaux de bénéficier des effets d’expérience qu’ils auraient du acquérir au cours des dix années de présence en ligne. L’absence de veille technologique et concurrentielle les a lourdement pénalisés et a poussé une grande partie des titres à s’enfoncer dans leurs erreurs.
Limites et pistes de recherche
La validité de ces conclusions est cependant à relativiser par rapport à l’inexactitude des moyens utilisés, qui se sont le plus souvent limités à des entretiens, des échanges d’e-mails ou l’étude des blogs des professionnels des médias ou des observateurs. Par ailleurs, la majeure partie des raisonnements s’est appuyé sur l’hypothèse d’une forte ressemblance entre les marchés américains, où sont effectuées la majorité des études académiques, et français, pour lequel il existe moins de données.
La faiblesse des moyens à ma disposition ne m’a pas permis d’accéder à des mesures d’audience fiables, du fait du prix élevé facturé par Médiamétrie//NetRatings, forçant ainsi les raisonnements de ce mémoire à se fonder sur les données fournies par Alexa, dont la marge d’erreur en France est estimée à 30%, et sur des données américaines.
Parmi les autres faits considérés comme établis par les professionnels rencontrés mais n’ayant pas encore fait l’objet d’études rigoureuses, citons l’implication des salariés et de la direction des journaux dans les nouvelles technologies. Bien que la tendance générale aille, dans tous les médias, vers une adoption d’internet, aucune étude n’a évalué les savoirs réels des sondés, préférant se fonder sur leurs perceptions des nouveaux médias. Une étude centrée sur les savoirs-faires permettrait de déterminer les motivations des journalistes travaillant dans les rédactions internet. Parmi eux, la différence entre mise au placard et mutation volontaire pourrait être déterminée par les taux d’utilisation des courriels ou par la maîtrise des connaissances de base des technologies internet, par exemple. Il serait alors possible de mesurer les écarts séparant les différentes rédactions.
Par ailleurs, la notoriété des marques de presse a été largement considérée comme allant de soi. Si les études d’audience montrent la bonne santé des marques de presse auprès des consommateurs, une étude dans les écoles de journalisme auprès des étudiants permettrait de déterminer l’attractivité des marques de presse en termes de ressources humaines, et, partant, de la qualité potentielle des contenus produits.
Enfin, la certitude de la part des médias établis de pratiquer un journalisme d’une qualité inatteignable par les pure-players et les amateurs a été considérée comme une prétention inutile sur la base d’une série d’exemples montrant leur faillibilité. Une étude comparant le nombre d’erreurs factuelles commises par différents médias et pure-players permettrait de déterminer si le comportement des acteurs anciens est justifiable ou s’il relève d’un complexe de supériorité.
Lire le mémoire complet ==> (Quelle place pour la presse en ligne à l’heure du Web 2.0 ?)
Mémoire de fin d’études
Institut d’études politiques de Lille, section Economie et Finance

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top