Le taux d’utilisation de phonogrammes du commerce en France

Le taux d’utilisation de phonogrammes du commerce en France
§ 2. Le taux d’utilisation

La prise en compte d’un taux d’utilisation dans la formule de calcul de la rémunération équitable. Nous savons que, vu l’importance des sommes prises en compte dans l’assiette de calcul, l’application d’un taux même minime grèvera lourdement le budget des chaînes.

Ainsi, si on prend en compte une assiette brute de 1 100 millions d’euros2 l’application d’un taux d’utilisation de 1 % engrange une redevance 220 000 euros. Or le taux retenu par la SPRE est nous allons le voir, nettement supérieur (A) et ne semble pas correspondre à la ‘‘consommation’’ réelle des chaînes de télévision (B).

A. Le taux fixé par la SPRE

Proportionnalité. Toutes les chaînes de télévision s’acquittent de la rémunération légale au prorata de leur ‘‘consommation’’ de phonogrammes du commerce, la faculté prévue par l’article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle d’un paiement forfaitaire sans corrélation avec le chiffre d’affaire de l’utilisateur n’étant pas utilisée dans le domaine des médias3.

Ce taux prend en compte la durée de programmes sonorisés par des phonogrammes du commerce par rapport à la durée totale de programmation de la chaîne (24h/24 pour la plupart d’entre elles). Ce taux pourra donc être très différent pour chaque chaîne, selon la programmation de celle-ci.

1 Les principaux groupes de sociétés dans le domaine télévisuel en France sont TF1, M6, France Télévisions, TPS, Multithématiques, Canal+/Vivendi, AB Group, Pathé, Lagardère, Suez, GEIE ARTE…

2 Estimation réalisée à partir de la moyenne des recettes d’exploitation des chaînes nationales hertziennes.

3 Lorsque l’évaluation du montant à payer au titre de la rémunération équitable est malaisée, un paiement forfaitaire peut être déterminé. En réalité, cette modalité de paiement n’est mise en œuvre que pour certaines discothèques.

Pour ces utilisateurs dont les recettes annuelles sont inférieures à 153 000 euros HT et ceux qui sont dans leur premier exercice fiscal, le forfait s’applique en prenant en compte le nombre de jours d’ouverture par an et la capacité d’accueil de l’établissement.

Néanmoins, le montant forfaitairement payé au titre de la rémunération équitable ne peut être inférieur ou supérieur à 10 % du montant qui serait dû en cas d’application du barème proportionnel. Ainsi, pour tous les utilisateurs de phonogrammes, le montant payé est toujours plus ou moins fonction de leur consommation réelle.

Fixation du taux d’utilisation. Ce taux est en principe fixé par la SPRE en fonction des relevés et des décomptes de phonogrammes utilisés envoyés par les chaînes. La SPRE propose ce taux à la chaîne. Jusqu’alors, les chaînes ne discutaient pas le taux qui leur était appliqué.

Les taux d’utilisation sont considérés comme des éléments concurrentiels, ils sont confidentiels, ni les chaînes de télévision ni la SPRE ne souhaitant révéler le taux qui leur est appliqué et a fortiori le montant de rémunération équitable dont elles s’acquittent.

Deux grandes chaînes nationales hertziennes se voyaient appliquer pour l’année 2002 un taux de 7 %.

B. Le taux évalué par les chaînes

Contre-évaluation du taux d’utilisation. Suite aux contentieux concernant la licence légale, et bien que la SPRE n’y soit pas partie, les deux chaînes mentionnées ci-dessus se sont interrogées quant à leur consommation réelle de phonogrammes du commerce et la justification du taux que la société de gestion des droits voisins leur appliquait. Elles ont alors procédé à des recherches afin de connaître le ratio de phonogrammes utilisés et le taux effectif qui devait être appliqué.

Méthode d’évaluation. Les chaînes ont toutes deux procédé en fin d’année 2001, à une auto-évaluation de leur ‘‘consommation’’ de phonogrammes publiés à des fins commerciales pour sonoriser leurs programmes.

La méthode employée est similaire pour les deux sociétés de programme : pour deux semaines types de l’année écoulée (une semaine d’été et une semaine d’hiver), les chaînes ont fait procédé au même travail de décompte des utilisations que celui effectué par la SPRE. L’ensemble des relevés et des conducteurs des programmes des journées considérées ont été examinés afin d’établir un décompte, pour chaque semaine, du nombre de phonogrammes du commerce utilisés.

Ont été pris en compte :

– tous les programmes diffusés par la chaîne, à l’exclusion des messages publicitaires et des billboards de parrainage, « utilisations qui relèvent traditionnellement d’un régime d’autorisation au cas par cas directement négociées par les producteurs de ces programmes »1. Les bandes annonces ne sont pas davantage prises en considération, l’une des chaînes soulignant par ailleurs que, suite à la jurisprudence EMI , « des instructions précises avaient été communiquées aux services pour que ne soient réutilisés que les phonogrammes du commerce ayant préalablement servi à sonoriser les films annoncés » ;

– tous les phonogrammes utilisés. De cet ensemble furent soustrait les phonogrammes de ‘‘musique au-mètre’’ et les phonogrammes de musique originale. « Pour effectuer ce tri, nous nous sommes fiés aux marques ou labels communiqués par le bureau des illustrateurs sonores en ce qui concerne la musique au-mètre, et plus d’une vingtaine de labels ont pu ainsi être identifié ; lorsqu’un doute subsistait quant à la nature du phonogramme, celui-ci a été décompté comme un phonogramme du commerce ».

L’identification des phonogrammes du commerce a été réalisée à partir des indications mentionnées sur les relevés de droit d’auteur transmis à la SACEM. « Ces relevés, établis par les services de production interne ou externe aux chaînes sont de qualité inégale et parfois incomplets en ce qui concerne les mentions du producteur de phonogrammes ou du support (CD) utilisé, d’où un risque d’erreur que l’on peut évaluer à 5 % du total ».

Résultat du décompte des phonogrammes utilisés. Les premiers résultats font apparaître une nette différence entre le volume de phonogrammes utilisés en hiver et en été (près du double pendant les semaines de janvier par rapport aux semaines d’août). Cette différence s’explique par le fait du changement de programmation entre ces périodes2.

1 Les citations reproduites dans le présent paragraphe proviennent de notes confidentielles des Directions juridiques des chaînes concernées.

2 Il s’agit de changements de grilles de programmes. L’année civile est ponctuée de trois ‘‘rentrées’’ audiovisuelles à l’occasion desquelles la physionomie des programmes de la chaîne connaît une évolution importante : en septembre (concomitamment à la rentrée scolaire), en décembre-janvier (lors des fêtes de fin d’année, les chaînes modifient leur programmation pour tenir compte du calendrier ; par ailleurs, un ‘’recentrage’’ de la programmation établie en septembre est opéré – éviction des émissions dont l’audience est jugée insatisfaisante, mise à l’antenne de nouvelles émissions ou aménagement de grilles – ) et en juin/juillet ( pendant la période estivale : allégement de la programmation des émissions de flux, programmation spécifique – jeux de l’été, téléfilms inédits, rediffusion de best of des émissions de l’année écoulée, compétition sportives…).

Soulignons que pour la période d’été, n’est pas retenue dans le décompte l’éventuelle programmation d’un clip de l’été1.

Au vu des résultats, il est clair que la différence de ligne éditoriale entre les chaînes joue sur le volume de phonogrammes du commerce utilisés : la chaîne radiodiffusant près de deux fois plus de phonogrammes que la chaîne , toute période confondue.

CHAÎNE

CHAÎNE

CHAÎNE
Décompte janvier 2001

(en secondes)

Décompte août 2001

(en secondes)

Décompte janvier 2001

(en secondes)

Décompte août 2001 (en secondes)
lundi1648350424247
mardi19304349191200
mercredi63250069628
jeudi19421622728695
vendredi120037253945
samedi329116851385633
dimanche1845119635927
TOTAUX12488615950502875

sources : confidentielles

Pour la période d’été : la chaîne a utilisé 176 phonogrammes du commerce, la chaîne en a utilisé 34, soit respectivement 1 h 42’39’’ et 47’55’’.

Pour la période d’hiver : la chaîne a utilisé 275 phonogrammes du commerce, la chaîne en a utilisé 99 ; soit respectivement 3h28’8’’ et 1h24’10’’.

Résultat du calcul du taux d’utilisation. Les deux chaînes considérées émettent 24h/24 tous les jours de la semaine2. Le volume horaire de programmes diffusés est donc de 86 400 secondes par jour, soit 604 800 secondes par semaine.

Pour la chaîne , le taux d’utilisation hebdomadaire est de 2,065 % pour la semaine d’hiver et de 1,018 % pour la semaine d’été. Soit un taux annuel moyen de 1,13 %.

Pour la chaîne , le taux d’utilisation hebdomadaire est de 0,835 % pour la semaine d’hiver et de 0,475 % pour la semaine d’été. Soit un taux annuel moyen de 0,93 %.

1 Depuis les années 1980, les chaînes promeuvent chaque été une vidéomusique de musique latino-pop. Dans cette compétition féroce, TF1 se taille généralement la part du lion. Après La Lambada, Alane, Indian Sacred Spirit… la chaîne co-produit en 2002 Whenever Wherever, la version américaine de Suerte, une chanson de Shakira dont plus de 750 000 exemplaires seront vendus en un été (single de diamant).

2 Cela signifie que la programmation n’est pas interrompue en fin de nuit (apparition de la mire à l’antenne). Les programmes de la journée sont ainsi rediffusés jusqu’au 5 h ou 6 h du matin (heure de début de la tranche horaire matinale de programmation). (source : régies finales des chaînes)

Conclusions des recherches. Les travaux effectués par les chaînes aboutissent à un résultat stupéfiant : le taux d’utilisation évalué par les chaînes – même en tenant compte d’une marge d’erreur – se révèle nettement inférieur à celui fixé par la SPRE. La société de gestion appliquait jusqu’alors un taux de 7 % au deux chaînes concernées. Or le taux d’utilisation effectif est de seulement 1,13 % pour la première et de 0,93 % pour la seconde.

Etonnants, ces résultats prennent un sens particulier à l’heure où, à l’initiative des producteurs, le système de licence légale est remis en question. Ce taux s’appliquant à une assiette d’un montant considérable, le montant des sommes indûment perçues par la SPRE pendant plusieurs années est astronomique ! Nous ne pouvons que nous étonner que les chaînes aient ainsi tardé à vérifier l’exactitude des sommes qu’elles payaient.

Plus étonnant encore : à la lecture de ces résultats des enquêtes ont eu lieu en interne. Et il s’est révélé que les services comptables des chaînes en question n’ont jamais payé le montant demandé par la SPRE en application du taux de 7 % qu’elle avait fixé ! Suspectant – à raison – ce taux d’être erroné, les services comptables des chaînes s’acquittaient du paiement de la rémunération équitable en recalculant le montant de la créance par application d’un taux de 4,5 % pour la chaîne et de 3 % pour la chaîne. Autrement dit, n’était payée – sans que la SPRE n’y trouve à redire – qu’une partie de la créance.

Jamais les services comptables n’avaient fait part de leur soupçon aux services juridiques des chaînes, et de ce fait, les sommes versées (moindres que celles réclamées) n’avaient jusqu’alors fait l’objet d’aucune vérification.

Ces considérations pécuniaires, bien qu’entraînant des conséquences économiques et financières considérables, n’apportent aucun éclairage – d’un point de vue du droit de la propriété littéraire et artistique – à la question qui nous occupe, celle de la délimitation du champ d’application de la licence légale. Toutefois, ces considérations sont d’une importance telle, qu’elles interfèreront forcément dans la réponse apportée à cette question, notamment en cas d’une résolution négociée du contentieux.

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