Les destinations autorisées au titre de la licence légale

Les destinations autorisées au titre de la licence légale

B. Les destinations autorisées

Le Code de la propriété intellectuelle n’opère aucune distinction quant aux destinations des vidéogrammes sonorisés par un phonogramme du commerce relevant de la licence légale. Certaines décisions semblent pourtant contester la possibilité de sonoriser certains programmes en contrepartie du seul paiement de la rémunération équitable, en raison de leur finalité ou de leur destination.

Utilisation d’un phonogramme du commerce dans une bande-annonce. En matière de droit d’auteur, les contrats généraux de représentation conclus entre la SACEM et les chaînes de télévision, stipulent que l’utilisation d’un phonogramme du commerce à des fins publicitaires échappe au système de gestion collective. En matière de droits voisins, une solution identique semble devoir être retenue. L’utilisation d’un phonogramme commercial à des fins publicitaires nécessite t-elle l’autorisation préalable du producteur du phonogramme ?

Ainsi dans l’affaire Johnny Clegg, opposant le chanteur à TF1 qui avait utilisé sa chanson Asimbonanga pour sonoriser la bande-annonce d’un de ses programmes (la retransmission des matchs de la Coupe du monde de rugby organisée en Afrique du Sud), le demandeur et sa maison de disque arguaient d’un détournement de la finalité de l’œuvre dont Johnny Clegg est l’auteur et l’interprète. Le Tribunal de grande instance de Nanterre accueillit la demande, admettant la caractérisation d’une atteinte au droit moral de l’auteur-interprète, mais affirma par ailleurs que l’incorporation d’un phonogramme dans un programme à destination publicitaire ne relève pas du système de la licence légale2. Le jugement est confirmé par la Cour d’appel de Versailles qui estime que « le système de la licence dite légale autorise la radiodiffusion d’une œuvre mais nullement son utilisation dans un message publicitaire »3.

La Cour de cassation rejettera le pourvoi formé par la chaîne de télévision, mais ne se prononcera pas sur la question de la destination publicitaire du programme intégrant un phonogramme ; tout au plus reconnaît-elle le caractère publicitaire de la bande annonce incriminée1.

1 La réponse à cette question dépend essentiellement de celle apportée quant à savoir si les reproductions à caractère purement technique sont incluses dans le champ d’application de la licence légale, ce dont nous débâterons ultérieurement. Cf. infra Chap.2, sect.2

2 TGI Nanterre, 5 novembre 1997, Johnny Clegg et HR Music c/ TF1, Légipresse, mars 1998, n° 149, III, p. 26

3 Versailles, 1ère ch. sect. A, 28 septembre 2000, Légipresse, janvier-février 2001, n° 178, III, p. 1.

Les tribunaux semblent2 refuser l’application de la licence légale lorsque le programme sonorisé poursuit des fins publicitaires, ce qui est le cas des bandes-annonces. Toutefois en l’espèce, les bandes annonces incriminées s’apparentaient davantage à des parrainages puisque le nom d’un sponsor y était cité3.

La solution néanmoins, devrait pouvoir être étendue aux bandes annonces d’auto-promotion qui constituent « une forme particulière de publicité réalisée par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en vue de promouvoir ses propres produits, services programmes ou chaînes »4 ainsi qu’il en a été jugé par la Cour d’appel de Versailles5.

L’utilisation « pure et simple » : vers la reconnaissance d’un quasi droit moral au producteur ? Un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris apporte une limite supplémentaire quant à la destination de l’œuvre audiovisuelle incorporant un phonogramme du commerce. Les phonogrammes utilisés en contrepartie de paiement de la rémunération équitable doivent faire l’objet d’une utilisation « pure et simple », sans que n’y soit apporté une quelconque modification par le diffuseur.

En l’occurrence, la société Europe 2 avait diffusé la chanson Je suis venu te dire que je m’en vais sous la forme d’un duo virtuel réalisé à partir de trois phonogrammes différents, dont des enregistrements des interprétations de Serge Gainsbourg et de Jean-Louis Aubert.

Les juges d’appel ont sanctionné une telle démarche et décidé « qu’une telle diffusion du duo virtuel, qui ne correspond pas à la diffusion pure et simple des phonogrammes aux fins de commerce qui le composent et résulte de manipulations et modifications […] ne saurait relever du régime institué par l’article L. 214-1 du Code de la intellectuelle, lequel ne concerne que la diffusion telle quelle des phonogrammes aux fins de commerce »1.

1 Cass. civ. 1ère, 19 novembre 2002, Légipresse, avril 2003, n° 200, III, p. 46.

2 Nous verrons par la suite que ce n’est pas tant la vocation publicitaire du programme qui contredit le recours à la licence légale, mais plutôt l’acte reproduction préalable de celui-ci qu’implique son intégration au vidéogramme qu’il sonorise.

3 Texte incriminé : « […] sur TF1, avec le rasoir Protector de Wilkinson, prenez-vous au jeu en toute sécurité ».

4 Considérant 39 de la directive 89/552/CEE Télévision sans frontières du 3 octobre 1989, modifiée par la directive 97/36/CE du 30 juin 1997 qui continue en précisant que « les bandes-annonces consistant en des extraits de programmes devraient être traitées comme des programmes », bien que l’article 1er de ce texte ne distingue pas entre bandes-annonces et publicités.

5 Versailles, 12ème ch. sect. 1, 17 janvier 2002, TF1 c/ Universal Music et autres, Légipresse, avril 2002 concernant la sonorisation de la bande-annonce de la série Les Cordiers juge et flic par Les temps changent (MC Solaar) et celle de l’émission Célébrités par La Célébrité – La publicité (J. Moreau).

Nulle part dans le Code de la propriété intellectuelle, il est fait mention de telles modalités d’utilisation concernant le système de licence légale. La Cour d’appel fait pourtant du respect du phonogramme utilisé, une condition supplémentaire à l’application de la licence légale. Or le droit au respect de l’œuvre ou de l’interprétation est l’apanage du droit moral des auteurs et artistes-interprètes.

En disant que l’application de la licence légale est subordonnée au droit au respect du phonogramme, les juges du fond offrent aux producteurs la faculté d’agir afin de sauvegarder l’intégrité du phonogramme, reconnaissant implicitement à ces derniers, un succédané de droit moral.

On retrouve une telle solution dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris opposant le groupe de musique électronique Daft Punk à France 2. Il a été jugé que l’utilisation qui avait été faite du phonogramme du commerce (ajout d’un mix de voix d’enfants et d’extraits de dialogues d’un film) portaient atteinte aux droits des auteurs-interprètes et à ceux des producteurs2.

Puisque la Cour reconnaît que les droits patrimoniaux des producteurs n’ont pas souffert de ladite utilisation, tout en affirmant qu’il avait été porté atteinte à leurs droits, faut- il en conclure que les producteurs sont des dépositaires du droit au respect de l’œuvre leur permettant de s’opposer, au même titre que l’auteur au nom de son droit moral, à une utilisation qu’ils estiment malvenue ?3

L’utilisation dans une vidéomusique. La question de savoir si la sonorisation d’un clip ou vidéomusique entrait dans le champ de la licence légale fut posée dans le cadre d’un contentieux plus vaste, opposant les représentants des artistes-interprètes à ceux des producteurs de phonogrammes.

1 Paris, 4ème ch. sect. A, 16 janvier 2002, Europe 2 Communications c/ Universal Music, Légipresse, avril 2002, n° 191, III, p. 72, comm. ROUX (M.-A.)

2 « Mais les dispositions relatives à la rémunération équitable sont inopérantes dans le cadre du présent litige, qui porte non pas sur les conséquences financières d’une diffusion mais sur une demande de ‘‘mesure de remise en état’’ [insertion d’un communiqué d’excuses à l’antenne], suite à la diffusion d’œuvres musicales sans autorisation, notamment celles du producteur de phonogrammes, à des fins d’auto-publicité.

Ces diffusions, intervenues dans les conditions précitées, contreviennent aux droits de MM. Bangalter et De Homen Christo et aux droits voisins des sociétés Daft Music, Daft Trax et Delabel Editions tels que définis au Code de la propriété intellectuelle » Paris, 14ème ch. sect. A, 24 septembre 1997.

3 En l’espèce, le phonogramme n’a pas été diffusé ‘‘tel quel’’, mais a en outre servi à sonoriser une bande- annonce. Un doute demeure : l’atteinte sanctionnée est-elle la destination du programme sonorisé ou l’altération du phonogramme ? Dans le premier cas, on peut alors conclure que les juges n’ont fait qu’entériner la pratique voulant que la synchronisation de messages à caractère publicitaire doit être expressément autorisée (cf. supra. Utilisation d’un phonogramme du commerce dans une bande-annonce.). Dans le second cas, cela signifierait que les producteurs sont investis d’un quasi-droit moral dont la loi les prive.

Le litige est né suite à différend concernant la diffusion des vidéomusiques sur Canal + et M6. Dans le cadre de contrats passés entre les syndicats de producteurs et les chaînes, ces dernières versaient des sommes correspondant à la diffusion de phonogrammes inclus dans des vidéomusiques aux producteurs. Ces contrats prévoyaient que les chaînes « font leur affaire »1 des droits d’auteur tandis que les droits des artistes-interprètes étaient l’affaire de chaque producteur.

Les sommes versées correspondaient au paiement des droits des seuls producteurs, au terme de l’article L. 215-1 du Code de la propriété intellectuelle2, et faute d’accord entre les producteurs et les syndicats d’artistes, ces derniers n’en bénéficiaient pas3. La SPEDIDAM et le SNAM ont donc agi afin de faire juger que l’utilisation d’un

phonogramme en vue de sonoriser une vidéomusique entrait dans le champ d’application de la licence légale et ouvrait droit à leur profit au paiement d’une rémunération équitable4.

En défense, les syndicats de producteurs et les chaînes avançaient que l’artiste disposait d’après l’article L. 212-3, d’un monopole d’exploitation sur son interprétation, que ce monopole était cédé au producteur du phonogramme et de la vidéomusique, que l’exploitation de la vidéomusique obéissait aux dispositions de l’article L. 215-1 du Code, qu’ainsi le droit d’autoriser ou d’interdire la diffusion de la vidéomusique était la prérogative exclusive de son producteur.

L’argumentation des producteurs consistait à faire valoir que les chaînes ne diffusaient pas des phonogrammes mais des vidéogrammes, c’est à dire une séquence d’images éventuellement sonore.

Le raisonnement des défendeurs conduisait à dire qu’un phonogramme, en incluant la partie sonore d’une vidéomusique (et donc d’un vidéogramme), changeait de nature et ne devait pas être considéré comme un phonogramme incorporé (dont la radiodiffusion est régie par la licence légale) mais devenait l’élément d’un vidéogramme (dont la radiodiffusion est soumise au droit exclusif de leur producteur).

1 Art. 3-2 des contrats généraux d’intérêt commun conclus entre la SCPP d’une part, et la société Canal +, le 22 mai 1987 et la société Métropole Télévision (M6), le 25 juin 1987, d’autre part.

2 Art. L. 215-1 CPI. « Le producteur de vidéogrammes est la personne, physique ou morale, qui a l’initiative et la responsabilité de la première fixation d’une séquence d’images sonorisées ou non. L’autorisation du producteur de vidéogrammes est requise, avant toute reproduction, mise à disposition du public par la vente, l’échange ou le louage, ou communication au public de son vidéogramme.

Les droits reconnus au producteur d’un vidéogramme en vertu de l’alinéa précédent, les droits d’auteur et les droits des artistes-interprètes dont il disposerait sur l’œuvre fixée sur ce vidéogramme ne peuvent faire l’objet de cessions séparées. »

3 « Il est clair que si de tels accords avaient existé, le litige n’aurait même pas été soumis au juge. Le contentieux engagé par la SPEDIDAM semble donc être dicté par des considérations tactiques pour peser sur les négociations en cours entre le SNEP et les syndicats de musiciens dont l’objet est, notamment, de fixer le quantum des rémunérations dues par les producteurs à l’occasion des diffusions TV de vidéomusiques. » PLAN (F.), « Phonogrammes du commerce et licence légale en télévision », Légipresse, avril 1997, n° 140, II, p. 40.

4 En l’occurrence, les représentants des artistes-interprètes ne contestaient pas que le système de licence légale qui autorise la radiodiffusion de leur phonogramme, englobe la reproduction préalable et la diffusion de celui-ci.

Une telle argumentation était dangereuse, car l’article L. 215-1 traite des vidéogrammes, dont font bien entendu partie les vidéomusiques mais également toute œuvre audiovisuelle destinée à la télévision. La conséquence immédiate d’une telle solution aurait été de vider de son contenu l’article 214-1.

Les juges de première instance accueillirent la demande en disant que « la transposition dans un vidéogramme d’une fixation sonore préexistante n’a aucunement pour effet d’en modifier le régime juridique » et qu’une telle transposition entre dans le champ d’application de la licence légale1.

La Cour d’appel de Paris infirme le jugement et reçoit favorablement les arguments des producteurs en disant « que ne visant que les phonogrammes, l’article L. 214-1 ne saurait concerner les vidéomusiques qui sont un genre particulier parmi les vidéogramme définis à l’article L. 215-1 comme résultant de la fixation d’une séquence d’images sonorisées ou non »2.

On pourrait croire de prime abord que l’exclusion de la sonorisation des vidéomusiques du champ de la licence légale apporte une limite à son application en fonction de la destination des programmes sonorisés (pour les programmes dont la finalité ne seraient que ‘‘la mise en images’’ d’un phonogramme, comme pour les programmes à vocation publicitaire, ne pourraient être sonorisés avec des phonogrammes commerciaux en contrepartie du paiement de la rémunération équitable).

En réalité, si la Cour de cassation conteste l’application de la licence légale en matière de vidéomusique, c’est parce que leur sonorisation implique nécessairement une reproduction préalable à leur diffusion.

Pour conclure, si certaines juridictions du fond semblent exclure du champ d’application de la licence légale certaines destinations (lorsque le phonogramme est utilisé pour sonoriser une bande-annonce ou a fortiori une publicité, ou pour sonoriser une vidéomusique, ou encore lorsque le phonogramme n’est pas utilisé « tel quel »), la Cour de cassation est réticente à admettre de telles restrictions qui au demeurant, ne sont pas expressément prévues ni par le Code de la propriété intellectuelle ni par la Convention de Rome ou les directives communautaires.

Si la Cour suprême valide les décisions de première instance, c’est davantage en raison de l’existence d’une reproduction préalable à ces utilisations litigieuses. Elle a en effet de nombreuses fois décidé qu’une telle reproduction ne relève pas du régime de la licence légale, qui éviterait aux diffuseurs de solliciter l’autorisation des ayants-droit que dans l’hypothèse d’une représentation de leur phonogramme.

1 TGI Paris, 3ème ch. sect. 2, 4 octobre 1996, SPEDIDAM, SNAM c/ Canal +, Métropole Télévision et autres, Légicom, janvier 1997, n° 13, p. 97.

2 Paris, 4ème ch. sect. B, 28 juin 2002, SCPP et autres c/ SPEDIDAM et SNAM, inédit.

C’est dans cette question de savoir quels sont les actes autorisés au titre de la licence légale, et sur laquelle s’affrontent producteurs et diffuseurs, que résident tous les enjeux du système. Nous y consacrerons plus tard, de larges développements.

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