La politique de développement des télécommunications sénégalaises

La politique nationale
En 1985, la situation de l’infrastructure de télécommunication n’est pas particulièrement brillante. Avec 23 000 lignes téléphoniques principales, la télédensité est de 0,5 ligne pour 100 habitants, le réseau est entièrement analogique, peu efficace et souvent en dérangement et le chiffre d’affaires du secteur s’élève à 16,5 milliards de francs CFA. C’est alors que, dans le cadre de ce qui apparaît comme la première réforme des télécommunications, le gouvernement décide de donner la priorité au développement de ce secteur. Cela se traduit d’une part par l’éclatement de l’Office des Postes et Télécommunications (OPT) et la création de deux sociétés distinctes, l’Office des Postes et de la Caisse d’épargne (OPCE) et la SONATEL qui regroupe désormais les activités de télécommunications nationales et internationales avec les communications internationales jusqu’alors gérées par TéléSénégal et, d’autre part, la mise en place d’un plan d’urgence et de rattrapage du réseau national des télécommunications.73 De plus, à la fin des années 80, l’importance que les technologies de l’information et de la communication vont jouer dans le développement économique et social est prise en compte par les autorités sénégalaises. Ainsi, en 1989, les auteurs du rapport Etude prospective: Sénégal 2015 notent sous la rubrique intitulée “Les tendances qui ont joué et joueront sur le Sénégal”, que “l’avènement d’une société de la communication, fondée sur le développement des technologies de l’information, qui rendra le monde encore plus interdépendant, influera sur les modes de vies et de production”.74 Plus loin, parlant des “changements probables et possibles”, ils écrivent que “les progrès des technologies de l’information renforceront probablement la diffusion des modèles culturels et des valeurs de l’Occident, et contribueront ainsi à accélérer la dégradation des valeurs traditionnelles, principalement en milieu urbain, et auprès des jeunes (culture urbaine dominante)” et en tirant la sonnette d’alarme ils ajoutent: “Mais le risque est grand de voir ces technologies ne profiter qu’à une minorité de privilégiés (accès, maîtrise) accentuant ainsi les inégalités au sein d’une société duale, désarticulée, formée d’une minorité de privilégiés et d’une masse d’exclus de la croissance”.75 Si la lecture de ces lignes indique clairement que les risques de marginalisation des catégories sociales défavorisées sont perçus et posés par les autorités sénégalaises, il n’en reste pas moins que la réponse à cette question centrale est des plus vagues puisque les auteurs se contentent de proposer comme remède dans la partie intitulée “Esquisse des stratégies de sortie du scénario tendanciel”, un objectif stratégique consistant tout simplement à “renforcer et faciliter l’accès à l’information et promouvoir la communication sociale”.76
En 1996, dans le cadre de “la seconde réforme” du secteur des télécommunications, le gouvernement rédige une Déclaration de politique de développement des télécommunications sénégalaises (1996-2000), dans laquelle il fixe notamment les objectifs suivants pour l’an 2000:
• porter la contribution du secteur des télécommunications au PIB de 2,4% à 3,5%;
• tripler le parc téléphonique en le portant à 250 000 lignes de manière à atteindre une télédensité de 2,5 ligne téléphoniques pour 100 habitants;
• équiper plus de 50% des villages centres d’au moins une ligne téléphonique tout en faisant en sorte que chaque Sénégalais puisse se trouver à moins de cinq kilomètres d’un téléphone;
• promouvoir le développement d’une industrie locale d’équipements de télécommunications.77
En 1997, avec la publication du IXe Plan de développement économique et social (1996-2001) une stratégie est proposée visant “le renforcement et la facilitation de l’accès à l’information”. Affirmant que “les technologies de l’information et de la communication ne sont plus considérées comme un luxe au service d’une élite, mais comme une nécessité absolue pour le développement”78 et dans la perspective de faire du Sénégal un pays de services, il est notamment recommandé:
…d’assurer un flux continu d’information et de communication en appuyant les initiatives visant à améliorer les ressources y afférentes et celles qui élargissent le champ de connaissance par la création de nouveaux réseaux d’informations à haute valeur ajoutée dans les différents secteurs de la société comme l’éducation, la santé, l’emploi, la culture, l’environnement, les échanges, les finances, le tourisme, le commerce;
…de renforcer le réseau national d’information et de communication permettant de communiquer de façon fiable et à des prix raisonnables avec des utilisateurs nationaux et internationaux;
…d’obtenir une exploitation maximale de l’information en encourageant la mise en place de systèmes permettant une large diffusion aux particuliers, aux entreprises, aux ONG et au secteur public. Dans ce sens il convient de favoriser la création d’un institut de la statistique avec un statut autonome;
…d’améliorer la coordination entre entreprises et particuliers, et créer des relations satisfaisantes pour tous, en établissant des liens favorisant l’échange d’informations entre les différentes composantes de la société;
…de permettre à chaque écolier, village, service public et entreprise d’avoir accès aux ressources en information;
…de favoriser l’émergence de nouvelles générations de Sénégalais capables d’utiliser les technologies de l’information et de la communication en vue d’accélérer le développement grâce à l’amélioration des systèmes d’éducation et à la mise en valeur des ressources humaines requises pour mettre en place, maintenir et exploiter les technologies de pointe, de l’information et de la communication;
…de relier le Sénégal au reste du monde en permettant l’entrée des nouvelles techniques et l’exportation de produits et services intellectuels;
de créer un environnement propice au développement de l’information et de la communication en prenant des mesures qui incitent le secteur privé à jouer un rôle prépondérant dans la fourniture de services;
…de faciliter l’utilisation des technologies de l’information et des communications dans les services publics, et créer des bases de données nationales dans les secteurs clés de l’économie et de l’administration;
…de prendre des mesures rapides pour faciliter la création de services Internet locaux abordables et largement accessibles et d’informations locales;
…d’éliminer ou alléger les tarifs et droits d’entrée relatifs aux technologies de l’information et des communications.79
Certes, ces recommandations se proposent de renforcer et de faciliter l’accès à l’information mais il n’y a pas de propositions concrètes pour lutter contre les risques de marginalisation des plus défavorisés qui avaient pourtant été bien identifiés à la fin des années 80. Le citoyen et ses droits sont absents, remplacés qu’ils sont par le particulier…et son pouvoir d’achat. De même, la problématique de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication dans les services publics est posée, mais celle du service public et des droits et avantages qui en découlent pour les citoyens, notamment les plus pauvres, ne l’est pas.
Au-delà de cette vision prospective, le gouvernement n’a pas de véritable stratégie visant à l’introduction et à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication de manière à résoudre les problèmes de développement économique et social auxquels fait face le Sénégal. Ainsi, le document produit par le Ministère de la communication en 1997 sous le titre La stratégie du Sénégal face aux autoroutes de l’information consiste plus en un recensement des projets envisagés et des initiatives en cours qu’en un véritable document de stratégie. Cette faiblesse est d’ailleurs implicitement reconnue par le Ministère de la recherche scientifique et de la technologie qui mettait en exergue en avril 1998 en conclusion d’un document visant au renforcement des capacités nationales en matière d’utilisation des technologies de l’information et de la communication la nécessité de créer ou de renforcer les mécanismes institutionnels existants de manière à pouvoir conduire les actions nécessaires “dans le cadre d’une politique globale et cohérente préalablement définie et menée par un organe disposant de l’autorité nécessaire et des prérogatives et missions permettant une meilleure impulsion des technologies de l’information et de la communication (TIC)”.80
Le problème principal qui se pose est celui de la multiplicité et de l’instabilité des pôles de décisions. Multiplicité tout d’abord parce qu’il existe plusieurs structures qui interviennent dans le secteur des technologies de l’information et de la communication parmi lesquelles on peut citer:
• le Comité national de coordination des télécommunications dépendant de la Présidence de la République, créé en 1960;
• le Comité national à l’informatique dépendant de la Présidence de la République, créé en 1972;81
• la Délégation à l’informatique (DINFO), créée en 1987;82
• le Ministère de la communication qui assure la réglementation du secteur des télécommunications à travers la Direction des études et de la réglementation de la Poste et des Télécommunications créée en 1994;83
• le Ministère de l’énergie, des mines et de l’industrie qui abrite le Conseil supérieur de l’industrie créé en 1998 qui a notamment en charge la définition de la stratégie de la grappe Téléservices;
• le Ministère du commerce et de l’artisanat qui assure la tutelle du Trade Point Sénégal.
Instabilité ensuite, car certaines structures comme la DINFO ont moult fois changé de tutelle. Dépendant à l’origine de la Présidence de la République, la DINFO est par la suite devenue un ministère délégué, puis elle a été rattachée au Ministère de la modernisation et de la technologie et enfin depuis juillet 1998, elle est placée sous la responsabilité du Ministère de la recherche scientifique et de la technologie.84 A cela s’ajoute le fait que la politique nationale en matière d’inforoutes, qui est au cœur des politiques impliquant l’utilisation des technologies de l’information et de la communication, a tantôt été définie et coordonnée par la Délégation à l’informatique, tantôt par le Ministère de la communication, pour être finalement confiée au Conseil supérieur de l’industrie. Au-delà des décisions officielles, les différentes structures concernées se sont en permanence livré dans les coulisses à des batailles de positionnement dans lesquelles chacune faisait valoir ses prérogatives légales et réglementaires pour revendiquer la conduite de la politique gouvernementale en la matière. Le résultat direct de cette bataille de “légitimité” est sans aucun doute l’absence d’une politique nationale “globale et cohérente” mentionnée plus haut.
Ayant fait le constat de cette faiblesse, Mamadou Lamine Loum, nommé Premier Ministre en juillet 1998, a assigné à la Délégation à l’informatique la tâche de “mise en place d’un cadre cohérent de promotion des nouvelles TIC pour les deux prochaines années”.85 Dans le cadre d’une politique de développement de l’informatique et des télécommunications qui se veut “volontariste”, trois tâches ont été identifiées à savoir:
• faire reconnaître, au niveau politique, le caractère prioritaire de l’informatique et des télécommunications dans l’économie nationale du Sénégal à l’orée du XXIe siècle;
• remédier aux difficultés qui empêchent aujourd’hui les projets lancés d’avoir un véritable effet d’entraînement;
• aider les sociétés privées à se mouvoir dans un environnement économique propice au développement de leurs activités.
Si le plan d’action proposé par la Délégation à l’informatique a le mérite d’être systématique, on peut constater que ni dans ses principes généraux, ni dans le cadre d’ensemble de la politique, ni dans les instruments de mise en œuvre, il ne fait allusion au rôle de l’Etat dans la réduction du fossé qui sépare les info-riches des info-pauvres. Certes, parmi les actions à retenir, il est mentionné qu’il faut notamment:
• faire en sorte que la promotion et le développement des TIC se fassent également dans les régions;
• mener des actions particulières pour favoriser l’utilisation et l’appropriation des TIC par les femmes et les jeunes;
• accorder une place centrale à la formation initiale et continue en matière de TIC, ce qui passe notamment par la révision des programmes d’enseignement;
• mettre en œuvre des services permettant aux citoyens d’accéder aisément à l’information dont ils ont besoin, de simplifier et d’accélérer les procédures administratives.86
Cependant, nulle part ne figurent les mécanismes concrets à mettre en œuvre, ni l’évaluation du coût financier de ces mesures et encore moins des informations relatives au budget indicatif qui devrait permettre de financer ces actions.
Le 15 juillet 1999 s’est tenu un Conseil interministériel sur les téléservices destiné à préparer le pays à la société de l’information, l’objectif étant de faire du Sénégal un pays émergent dans le domaine des téléservices. Parmi les enjeux liés au développement des téléservices, le Ministre de l’énergie, des mines et de l’industrie, maître d’œuvre du conseil interministériel, a notamment cité l’amélioration des relations entre l’Etat et les citoyens, la création d’emplois nouveaux, le renforcement de la communication sociale, l’accès à la connaissance pour tous les citoyens et les opportunités offertes par le commerce électronique. A ce stade, aucune décision concrète n’a été prise puisque l’essentiel des mesures arrêtées consiste, en-dehors de l’objectif d’élaborer une stratégie nationale de formation pour l’informatique et les TIC, en la conduite d’études visant la conception d’un schéma directeur des téléservices, la mise en place d’une tarification appropriée pour promouvoir l’usage et la mise en œuvre des industries de services, la création d’un environnement favorable aux projets à haute valeur ajoutée, l’adaptation de la fiscalité de droit commun et de celle s’appliquant au commerce électronique, l’approfondissement de la réflexion sur les problèmes de certification ISO, les incubateurs de services et les motels industriels.87
Dans le dispositif imaginé par le gouvernement, il faut également mentionner le Technopôle de Dakar, créé en décembre 1996, qui est une zone économique aménagée de 194,5 hectares dont la vocation est d’accueillir des centres de recherche et d’enseignement et des entreprises développant l’innovation technologique visant à:
• alléger les charges par l’octroi de privilèges administratifs, techniques, fiscaux et financiers aux entreprises de haute technologie installées sur le site;
• éliminer les entraves à la constitution des réseaux liés à l’innovation;
• promouvoir le développement de métiers de transfert de technologie à haute valeur ajoutée.88
Premier technopôle du continent africain, le Technopôle de Dakar veut jouer le rôle d’interface entre la recherche et l’industrie. Il s’articule autour de quatre complexes technologiques, à savoir l’agro-alimentaire, la gestion et l’animation, l’informatique et les télécommunications, l’environnement, l’énergie et les plantes médicinales. Géré par une société anonyme à participation publique minoritaire, le Technopôle vise à améliorer, par le transfert de technologie, la diffusion et la vulgarisation des résultats de la recherche scientifique et la formation dans les secteurs de l’activité économique.89 La SONATEL envisage de créer un “télépôle” qui sera situé au cœur du Technopôle. Ce télépôle aura pour objectif de mettre à la disposition des opérateurs un espace d’information et de formation sur les nouvelles technologies, afin d’offrir aux entreprises basées sur le site les produits et services de télécommunication les plus évolués, pour les rendre plus compétitives.90 A ce jour, seule la société Téléservices SA, filiale de la SONATEL, a été agréée au régime du Technopôle.91
Lire le mémoire complet ==> (Les TIC et le développement social au Sénégal)
Mémoire de fin d’études – Technologie et société Document du programme no. 1
Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social

  1. TIC au Sénégal : Les initiatives de la coopération internationale

 

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