Les avocats en droit des réfugiés français

B : Les avocats en droit des réfugiés

Nous retournons donc sur le terrain car c’est là que l’on peut « (…) recueillir sur (la société étudiée) des informations directement fournies par les intéressés eux-mêmes. » (BONTE & IZARD : 470). Nous laisserons donc, dans la mesure du possible, c’est à dire en rapport à la structure que nos avons voulue pour notre travail, la parole aux acteurs. Car c’est en reprenant leurs termes et en les analysant, on peut voir les représentations et le sens qui se cachent derrière eux.

Il nous faut donc dire un mot sur les personnes choisies pour nos entretiens dont nous avons essayé qu’ils soient menés de façon aussi libre que possible au départ, et orientés (semi- dirigés et dirigés) au fur et à mesure que nous avancions dans notre recherche. C’est d’ailleurs probablement autant elles qui nous ont choisis que nous les avons choisies.

Nous l’avons déjà dit, l’accueil réservé par les avocats de la Commission était teint, sinon de complicité, du moins d’un air de confidentialité. Nous ne reviendrons pas là-dessus (Cf. supra ; note 3 partie I).

La Commission des recours des réfugiés nous est apparue comme un microcosme dans lequel tout le monde finit par se connaître très rapidement. Ainsi, après avoir fréquenté la Commission pendant un temps, nous avons repéré les avocats qui revenaient le plus souvent. Certains noms également ont circulé avec l’émission d’avis sur leurs qualités ou défauts. Nous avons retenu ceux qui étaient considérés comme des spécialistes dans cette matière du droit des réfugiés. Tous évidemment n’ont pas montré le même intérêt pour mes recherches, d’autres encore n’ont pu me consacrer que très peu de leur temps, ce dernier leur faisant déjà cruellement défaut, occupés qu’ils étaient à préparer le dossier qui allait passer devant une section de la Commission ou alors, un autre dossier, un recours, …en attendant leur tour. D’eux-mêmes, certains avocats se sont présentés comme non-spécialistes et refusaient dès lors de s’entretenir avec nous.

Nous n’avons pas de statistiques sur le nombre d’avocats qui gravitent autour de la Commission. Notre estimons que leur nombre doit varier autour d’une cinquantaine, sans compter ceux qui, au titre de l’aide juridictionnelle, sont occasionnellement saisis d’un cas de demandeur d’asile.

Vu la centralisation des organes chargés de l’examen des demandes d’asile et des recours contre les décisions refusant le statut de réfugié, ils proviennent tous de barreaux franciliens.

« Me A : Et, contrairement à ce que ça pourrait donner un peu l’impression de l’extérieur, il n’y a pas de volonté de phagocyter les … de phagocyter le marché, entre guillemets. Simplement, c’est euh…

Souvent, à la Commission, quand on demande des renvois en disant euh… : « on est débordé de travail, on a euh… » (Son portable sonne) Non, je ne réponds pas. « On a euh… 5 dossiers aujourd’hui ». On nous dit : « Vous n’avez qu’à recruter des collaborateurs.

Sinon, vous n’avez qu’à refuser les dossiers. » Il se trouve que c’est un contentieux qui attire peu de gens. Et le fait que ça attire peu de gens, ça a pour conséquence, en pratique, que l’on trouve toujours les mêmes avocats devant cette Commission. Ça peut donner l’impression de l’extérieur qu’il y a des avocats qui ont trouvé un créneau et qui sont là en train de s’agripper…une clientèle et tout ça. Alors, il y a déjà un élément qui peut expliquer que les avocats parisiens ou de la proche banlieue soient beaucoup plus investis ici.

Et c’est un élément qui tombe sous le sens, c’est que cette Commission, elle a une compétence nationale. Donc, par voie de conséquence, les avocats qui sont proches de cette Commission, géographiquement parlant, ont beaucoup plus la possibilité, matériellement, de venir ici, qu’un avocat qui est à Nantes, qui est à Lyon et à Marseille.

Pourquoi ? Un client qui est à Marseille, qui prend un avocat de Marseille pour l’assister devant la Commission à une audience qui commence à 13 h 45, ça veut dire quoi ? ha veut dire que ce client doit payer à l’avocat, outre ses frais de prestation intellectuelle, les frais de déplacement et en plus de ça, il doit payer une quote-part du manque à gagner de la journée. Parce que pour être là à 13 h 45, quand tu viens de Marseille, ça pèse la journée de l’avocat.

Donc, ça fait que les honoraires de l’avocat, ils explosent par rapport aux honoraires qui seraient ceux d’un avocat de Paris. Donc, ça, c’est un premier point. » (Entretien du 26.04.2002)

D’après les dires des avocats eux-mêmes, il s’agit, en quelque sorte, d’une « grande famille » où tout le monde se connaît. Elle a ses patriarches, les « dinosaures » de la Commission et ses derniers arrivés qui n’ont d’autre choix que de se faire accepter par ceux qui leur prodigueront d’utiles conseils et informations s’ils voient que les jeunes montrent un certain intérêt.

Cela permettra aux plus « jeunes » de gagner de plus en plus d’affaires et de se créer ainsi une véritable clientèle qui ne soit plus seulement constituée de dossiers pour lesquels l’avocat est commis d’office au titre de l’aide juridictionnelle, cette saisine étant la porte d’entrée de la Commission. Mais écoutons-les, plutôt.

« Me A :Deuxièmement, tu ne pourras jamais faire autrement que le type qui a été défendu avec succès par tel avocat, il donne le nom de cet avocat à son cousin qui vient d’arriver de son village et qui a besoin, à son tour, d’un avocat pour le défendre, lui aussi devant la Commission de Réfugiés. ha fait que, effectivement, il y a une sorte de prime à ceux qui sont là depuis longtemps. Et puis, il y a aussi le fait qu’il y a quand même très très peu de nouveaux entrants.

Alors moi, je parle d’autant plus librement de tout ça que j’ai commencé ici en 1998 uniquement au titre de l’aide juridictionnelle. C’est à dire, c’est … là, aujourd’hui, j’avais deux dossiers, un d’aide juridictionnelle et un hors aide juridictionnelle. Donc, quand j’ai commencé ici, moi, j’avais pas de … j’étais inconnu. J’avais aucune affaire et aucune clientèle et aucune communauté sur un plateau et j’ai bossé tous mes dossiers vraiment avec acharnement, sans faire de différence aucune.

De toutes façons au départ, j’aurais pas pu en faire puisque y avait que des dossiers d’aide juridictionnelle. Et, je crois que le sérieux que j’ai montré…j’ai écouté comment ça…bon, ben je veux dire, j’ai écouté les autres, j’ai vu, tout ça, j’ai appris, j’ai bossé et finalement ça a porté ses fruits puisqu’aujourd’hui, c’est un peu l’inverse, j’ai de moins en moins d’aides juridictionnelles et de plus en plus de dossiers dits à honoraires libres.

Bon, je veux dire par là que, quand je suis venu ici, la situation était déjà bien campée, il y avait déjà des anciens qui étaient là depuis des années, qui occupaient le terrain. J’ai réussi petit à petit grâce à mon boulot et à mes résultats à me faire une place.

Donc, rien n’est jamais acquis, mais rien non plus n’est impossible. Donc euh… Me B (jeune avocat de la Commission avec qui j’ai également eu un entretien), il fait surtout des AJ, des aides juridictionnelles, lui, devant la Commission. Et s’il s’accroche, eh bien, il en aura sûrement de plus en plus à honoraires libres, c’est à dire hors aide juridictionnelle. Euh, donc euh….

Ça aussi, c’est pour montrer la non pertinence quand on vous dit… Et puis alors, il y a aussi un truc, c’est que il y en a qui ont des collaborateurs, mais le client quand il a entendu parler de toi, c’est toi qu’il veut, parce que si t’as un rejet, mais que c’est ton collaborateur que t’as envoyé plaider, c’est beaucoup plus difficile à justifier vis à vis du client qui est venu te voir…. C’est des trucs très personnels, quoi, tu vois. Voilà, donc ça … Enfin, moi, je travaille tout seul, donc, je n’ai pas ce problème-là, c’est un peu artisanal, je fais tout moi-même, donc il y a ça aussi.

L’aide juridictionnelle, il y a peut-être une réforme qui est en cours, mais rien n’est voté. Mais au jour d’aujourd’hui, l’aide juridictionnelle, c’est euh … conditionné, l’obtention de l’aide juridictionnelle, à l’entrée régulière en France, c’est à dire avec un visa. Et donc ça a cet effet pervers que l’OFPRA souvent dit : « Mais euh…si vous étiez véritablement persécuté, vous seriez parti clandestinement, vous n’auriez pas eu le temps de prendre un visa, ceci, cela, euh… tu vois.

Alors que c’est eux qui bénéficient de l’aide juridictionnelle. Euh… Donc l’aide juridictionnelle, c’est les Haïtiens souvent, quantitativement parlant et les Algériens et puis après de temps en temps, t’as un Nigérian, un Turc et tout, mais le gros lot, c’est Haïtiens, Algériens. (Ibid.)

« Me M : Bon, euh, oui, j’aurais peut-être dû commencer par là, par me présenter. Je suis avocat depuis très longtemps, je crois que j’ai prêté serment en ’75 ou en ’76, ça fait plus de 25 ans. J’ai commencé par hasard à faire du droit des réfugiés dans les années ’82, ’83, je crois, par hasard, j’étais plutôt spécialiste en droit civil et j’ai défendu, au titre de l’aide juridictionnelle, un président d’une association lambda, d’ailleurs j’ai perdu son procès.

Je ne sais pas s’il était gagnable mais enfin j’ai perdu. Et, ce type-là après m’a envoyé des dossiers et bon, ben, ça a fait boule de neige et donc je peux dire que depuis 1986, en gros, j’ai beaucoup de dossiers de réfugiés, avec des hauts et des bas, avec une forte dominante dans les années ’90, l’année dernière aussi, avec une spécialité très, très précise puisque moi, c’est les Kurdes, principalement de Turquie, mais aussi d’Irak, un peu de Syrie, très peu d’Iraniens. Donc euh voilà. Cela dit euh… bon, je traite d’autres dossiers. » (Entretien du 04.04.2002)

Les avocats se spécialisent donc par la force des choses. Si cela leur assure une clientèle, c’est parfois, aux yeux des membres de la formation de jugement des sections de la Commission, un inconvénient. Une représentante du Haut Commissariat aux Réfugiés s’exprimait en ces termes :

« Représentante HCR : Je crois que une des difficultés aussi à la Commission, même si c’est un atout sous certains aspects, c’est la spécialisation des avocats par aire culturelle aussi. Parce qu’il y a des avocats qui sont spécialisés dans des affaires sri-lankaises par exemple, qui peuvent être de bons avocats, mais malheureusement, ils ne peuvent pas inventer tous les jours de nouveaux arguments. Donc, ils se répètent beaucoup et il y a un effet d’épuisement aussi. Finalement, on finit par plus trop les écouter, ne plus noter ce qu’ils disent, …

MOI : C’est le bouche à oreille qui fonctionne. Un cas réussi pour qqn signifie que la communauté va suivre. La spécialisation fait aussi que les membres de la communauté en question auront confiance. Un avocat se crée aussi sa clientèle de cette façon.

Représentante HCR :Les avocats deviennent un peu comme le représentant officiel euh… Ben, c’est sûr qu’on repère des tendances très très fortes dans ce sens-là, hein.» (Entretien du 02.04.2002)

Poursuivant dans ce sens notre entretien et tentant de voir quelle était la perception des avocats qu’avaient les membres de la Commission, nous fûmes surpris d’apprendre que très peu d’entre eux étaient considérés comme efficaces.

« Représentante HCR : Mais, pour revenir à la question des avocats, là, je parle vraiment en mon nom propre, moi je dirais qu’il n’y a pas plus de trois, quatre avocats à la Commission qui, pour moi, sont des soutiens importants dans la défense des réfugiés, pas plus. » (Ibid.).

Certes, tous les avocats n’ont pas une parfaite maîtrise du jeu qui se joue en Commission, au moment de l’audience proprement dite et nous verrons combien le passage devant la formation de jugement est déterminant. Nous pensons néanmoins que cette appréciation sous-estime la partie immergée de l’iceberg que nous avons évoquée plus haut.

S’il se peut, en effet, que seul un petit nombre d’avocats influence, de manière suffisamment significative pour que cela soit reconnu, les opinions des membres de la formation de jugement en audience, il n’en demeure pas moins que sur dix décisions d’annulation, neuf renvoyaient à des cas où le demandeur était accompagné d’un avocat.

C’est donc que le travail fourni en amont n’est certainement pas à dédaigner. C’est sur ce travail que va porter le point suivant, sur ce « formatage », cette préparation du client.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Pour une anthropologie juridique du droit des réfugiés
Université 🏫: Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Ecole Doctorale De Droit Compare DEA - Etudes Africaines
Auteur·trice·s 🎓:
Hugues BISSOT

Hugues BISSOT
Année de soutenance 📅: Mémoire de DEA - Option : Anthropologie Juridique et Politique - 2001-2012
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