Le rejet initial de la subrogation en matière d’assurance

Le rejet initial de la subrogation en matière d’assurance

TITRE 2 :

LA FIN DU PROCESSUS DE L’ASSURANCE-CREDIT

582. Le rôle d’une compagnie d’assurance-crédit, est de répartir le risque dans le temps et dans l’espace. Une bonne répartition lui permettra d’obtenir une réassurance adéquate ; ainsi elle ne conservera pour elle-même que les risques qu’elle peut assumer sur la base de ses fonds propres et des provisions qu’elle a constituées à cet effet.

Nous avons examiné dans la première partie l’exclusion de l’assurance-crédit du champ d’application du Code des assurances ; il serait utile de déterminer les conséquences de cette exclusion au droit du recours de l’assureur contre le débiteur.

Pour autant, en raison de la spécificité du contrat d’assurance, qui l’exclut du jeu juridique ordinaire, l’incompatibilité entre subrogation et assurance, qui fut jadis reconnue en doctrine, mérite d’être réaffirmée, mais en des termes différents ; il serait intéressant d’étudier dans ce titre la fin de l’opération qui se caractérise par le recours de l’assureur contre le débiteur (Premier chapitre).

Au terme de cette étude qui a permis d’envisager dans son ensemble l’institution de l’assurance-crédit, le moment est venu d’examiner la fin du contrat d’assurance-crédit (Deuxième chapitre).

PREMIER CHAPITRE :

LA FIN DE L’OPERATION: RECOURS DE L’ASSUREUR CONTRE LE DEBITEUR

583. La question du recours de l’assureur-crédit contre le débiteur est capitale car, si en assurance de droit commun aucune responsabilité n’est parfois établie ou si l’auteur du dommage demeure inconnu, en assurance-crédit, il existe toujours un tiers « responsable » : le débiteur.

Il importe à cette occasion d’examiner le fondement juridique de la subrogation (Section 1) et de mettre en lumière le régime de la subrogation (Section 2), pour clarifier les conditions dans lesquelles la subrogation est appliquée.

SECTION 1 :

LE FONDEMENT JURIDIQUE DE LA SUBROGATION

584. Ce n’est pas le moindre paradoxe de l’institution que d’avoir été, dans un premier temps, refusée à l’assureur, qui était considéré par les tribunaux comme ne se trouvant pas dans la situation du subrogé au sens de l’article 1251-3 du Code civil.

Responsabilité et assurance étant indissociables, il a été imaginé alors de fonder le recours sur le principe général énoncé à l’article

1382 du Code civil. Mais, après que cette disposition eut été jugée tout aussi inapplicable à l’assurance, il fallait donc se résigner : la subrogation était bien incompatible avec l’assurance, d’où la nécessité d’examiner le rejet initial de la subrogation en matière d’assurance (Sous section 1).

Rangée au nombre des questions posées, la subrogation a finalement été rétablie par le législateur, d’où la nécessité d’examiner l’adaptation de la subrogation en matière d’assurance-crédit (Sous section 2).

SOUS SECTION 1 :

LE REJET INITIAL DE LA SUBROGATION EN MATIERE D’ASSURANCE

585. Selon la doctrine classique : « Le Code civil a défini les différents cas de subrogation légale. Il n’y en a aucun qui s’applique à l’assurance. On invoque en vain le paragraphe qui établit la subrogation au profit de celui qui, étant tenu avec d’autres ou pour d’autres au paiement de la dette, avait intérêt à l’acquitter.

L’assureur n’étant pas tenu avec le responsable, il n’y a point de lien entre eux ; ils doivent chacun le dédommagement, mais en vertu de clauses entièrement différentes. Ils sont tellement indépendants l’un de l’autre que si un tiers poursuit le responsable, celui-ci ne sera nullement admis à profiter de l’assurance.

L’assureur n’est pas non plus tenu pour les personnes responsables : l’assurance n’a en rien la nature secondaire d’un cautionnement. Elle forme par elle-même une obligation principale et à part. L’assureur ne paie pas comme garant d’un tiers mais en vertu de sa propre convention. »887

A cet égard, deux points seront successivement examiner les supports juridiques initiaux de la subrogation (Paragraphe 1) et la mise à l’écart de la subrogation (Paragraphe 2).

PARAGRAPHE 1 :

LES SUPPORTS JURIDIQUES INITIAUX DE LA SUBROGATION

586. Même si elle a donné lieu à une controverse doctrinale et jurisprudentielle, la question du support juridique ne s’est pas posée, en pratique, avec une réelle acuité. En matière d’assurance, comme dans d’autres domaines, on pratiquait la subrogation sans le secours d’une loi.

Il est utile de développer notre étude du support juridique de la subrogation en examinant le premier motif de l’application de la subrogation à l’assurance : la cession naturelle de créance (Sous paragraphe 1) et le deuxième motif : le caractère fonctionnel (Sous paragraphe 2).

SOUS PARAGRAPHE 1:

LE PREMIER MOTIF DE L’APPLICATION DE LA SUBROGATION A L’ASSURANCE : UNE CESSION NATURELLE DE CREANCE

587. Du fait de son caractère incertain, le terme même de subrogation pouvait désigner une cession de créance888 . Ainsi, lorsque la subrogation a été refusée aux assureurs, dans le courant du

XIXème siècle, ces derniers n’en ont pas moins continué à recourir, par la voie de la cession conventionnelle d’actions. Et c’est cette ambivalence889 qui vient aussitôt à l’esprit lorsque l’on s’interroge sur les origines de l’application de la subrogation à l’assurance.

Lorsque Pothier890 évoque pour la première fois le recours de l’assureur, il dit que l’assuré doit « céder » à l’assureur ses actions.

C’est en raison des incertitudes qui l’entourent, tenant à sa parenté avec la cession de créance, qui ne lui ont pas permis d’accéder à la valeur d’un concept juridique bien défini, que la subrogation demeure une notion difficile à appréhender. De fait, la subrogation contenait, en elle-même, les germes qui allaient en faire une question éminemment délicate.

887 Rep. Dalloz Assur. Terr. 1846.
888 Gaudemet, Théorie générale des obligations, Sirey, réimpression de l’édition de 1937, p 65 : « Pourquoi admette la subrogation à coté de la cession de créance comme une opération distincte ? La subrogation paraît s’être imposée dans l’ancien droit par la pratique notariale. Les cessions de créance portaient que le solvens était subrogé aux droits du créancier. Le mot fit illusion : on fit de ce cas de cession conventionnelle un cas de subrogation ».

SOUS PARAGRAPHE 2:

LE DEUXIEME MOTIF DE L’APPLICATION DE LA SUBROGATION A L’ASSURANCE : SON CARACTERE FONCTIONNEL

588. Le deuxième motif du succès de l’institution se rattache à coup sûr à son caractère fonctionnel.

La subrogation se définit seulement par la fonction qui lui est assignée : celle de permettre à un tiers, qui a payé la dette d’autrui, d’être mis au lieu et place du créancier originaire en vue d’en obtenir le remboursement.

Selon E. Pasanisi 891 « L’attitude la plus convaincante est celle qui voit dans la subrogation d’assurance, sinon un schéma classique de subrogation, du moins l’action de déférer un droit à l’assureur dans un but de récupération, ce qui est la fin propre de toute subrogation 892 ».

Pour reprendre les propos de M. Aubert, commentant une des rares 889 F Leplat, La transmission conventionnelle des créances, thèse Paris X, septembre 2001, n°46 et s.

« L’ambivalence du terme décisions rendues en matière de droit international893 : « Ce qui tient à cœur de l’assureur, tout simplement, c’est de ne pas subir lui-même le préjudice du fait dommageable, et d’en déplacer le fardeau sur l’assuré ». Et M Aubert de s’interroger : « Mais n’est-ce pas là, justement, la fonction du recours894 ? »

subrogation, qui désigne à la fois une cession forcée de créance et toute substitution de personne dans un lien d’obligation, explique en partie l’apparition de la subrogation conventionnelle. Les notaires semblent utiliser les premiers le terme de subrogation pour désigner une cession de créance librement consentie, vraisemblablement par souci de renforcer la protection d e leurs clients en multipliant les dénominations, mais également en raison de la tarification de leurs actes en fonction du nombre de lignes. Les auteurs attirent l’attention sur la variété des sens du terme. Finalement, à la veille de la codification, rien ne permet de distinguer la subrogation consentie par le créancier de la cession de créance. A l’instar du droit romain dont s’inspire l’ancien droit français, la subrogation désigne toujours une cession de créance imposée au créancier ».
890 E Bérard, La subrogation en matière d’assurance, Droit Maritime Français (DMF) 1956, 3.
891 Considérations sur une question discutée : la subrogation en matière d’assurance, Mélanges en l’honneur d’A. Besson, p 277.
892 F Laurent, Principes de droit civil, les obligations, tome 18, n°11, p 23 : « Vainement dit-on que le tiers qui se fait subroger a encore un autre but que celui de succéder aux droits du créancier ; nous répondrons que ce n’est pas là le but, c’est un moyen… la subrogation n’est pas pour le subrogé une spéculation, il ne va pas acquérir la créance, il veut s’assurer son remboursement. »
893 C’est en matière de droit international, que les analyses des auteurs, qui se sont efforcés de rechercher la nature de l’institution, pour déterminer la loi qui lui était applicable, sont riches d’enseignements.

PARAGRAPHE 2 :

LA MISE A L’ECART DE LA SUBROGATION

589. C’est en cela aussi que la fiction réalise une fiction juridique dès lors que la créance payée par un tiers est réputée subsister avec tous ses accessoires au profit de ce tiers.

Ainsi, si son analogie, notamment terminologique avec la cession de créance, son caractère incertain, sa fonctionnalité ont guidé le choix des praticiens, c’est véritablement le caractère de fiction juridique qu’il importe, au premier chef, de considérer.

Parce qu’il commande une interprétation restrictive de l’institution et empêche son adaptation aux faits, ce caractère de fiction juridique est éludé, voir démenti par la doctrine moderne895.

Ainsi, M. Mestre896 a démontré que la qualification tirée de la contravention à l’effet logique du paiement qui est d’éteindre l’obligation, procédait d’une appréhension inexacte de la subrogation personnelle, car le paiement avec subrogation relève en réalité du droit de la transmission des obligations, et non de celui de leur extinction.

Nous allons dès lors justifier la nature de fiction juridique de la subrogation (Sous paragraphe 1) d’une part, et d’autre part mettre en lumière la responsabilité délictuelle de l’article 1382 (Sous paragraphe 2).

894 JF Aubert, note sous Trib. Féd. Suisse 22 septembre 1959, Clunet 1959, 348. L’auteur insiste sur la double nature de la subrogation : « D’une part, c’est une opération qui fait subsister une créance, lors même qu’elle est payée ; Il s’ensuit notamment, que les garanties accessoires (gages, cautionnements), ne s’éteignent pas malgré l’exécution. D’autre part, c’est une façon d’établir l’ordre des responsabilités entre plusieurs codébiteurs, en ce qu’elle élève d’un degré dans la hiérarchie celui qui est subrogé. Vue sous cet angle, la subrogation équivaut à un droit de recours, sauf qu’elle n’en a pas la nouveauté ».
895 Notamment, J Mestre, op.cit. n°639. , A Vitu, op.cit. p 244 et s. Egalement, F Leplat, op.cit.n°4 et s. « La doctrine moderne s’accorde pour ne plus analyser la subrogation comme une fiction juridique dérogeant à l’effet extinctif du paiement, tout en refusant de l’assimiler sans réserves à une cession de créance. A propos de la subrogation, M Mestre a fermement établi que ce procédé ne repose pas sur une fiction permettant exceptionnellement la survie de la créance éteinte par le paiement du subrogé : la subrogation, comme la cession, réalise une transmission de la créance ». Pour le maintien à l’heure actuelle de l’analyse traditionnelle : JM Fernandez, « La subrogation : nature et régime d’une fiction juridique », Petites Affiches du 16 juillet 1997, n°85,4.
896 J Mestre, op.cit, n°5, 20 et 36.

SOUS PARAGRAPHE 1 :

LA JUSTIFICATION DE L’ADMISSION DE LA SUBROGATION : SA NATURE DE FICTION JURIDIQUE

590. Qu’on le veuille ou non, la subrogation demeure une fiction juridique 897 , « procédé d’élaboration du droit quelque peu anormal, en ce qu’il altère profondément, la réalité juridique et tire de cette altération même des conséquences de droit »898.

C’est pourquoi, le recours à la subrogation, même s’il s’explique par des nécessités d’adaptation, est critiquable. A ce propos, M Gény899 a écrit : « la fiction juridique traduit l’infirmité de notre esprit impuissant à créer sans cesse des concepts parfaitement adéquats aux réalités900.».

Or, dans le courant du XIXème siècle, au moment où la subrogation légale de l’article 1251-3 du Code civil était invoquée au soutien du recours de l’assureur, l’inadéquation était telle qu’elle fut purement et simplement déclarée inapplicable à l’assureur901.

Le rejet initial de la subrogation en matière d’assurance

Mais le pragmatisme l’emportant, face à l’interprétation de certaines clauses générées par le refus des tribunaux d’accorder aux assureurs le bénéfice de la subrogation légale, les auteurs songèrent à d’autres fondements et qualifications et l’imagination juridique s’est donnée libre cours.

591. En fonction du dommage causé à l’assureur par la faute du tiers, on s’ingénia à fonder le recours du tiers sur l’article 1382 du code civil902. Mais là encore, quel fondement juridique donner à cette action ? Des auteurs firent appel à l’équité « dont les magistrats doivent faire application

dans tous les cas qu’ils sont obligés de juger dans le silence de la loi ?903 ». C’est bien le fait du tiers, au sens de l’article 1382 du Code civil, c’est le sinistre dont il est l’auteur, qui oblige l’assureur à payer l’indemnité stipulée dans la police.

897 Cette fiction a même paru tellement exorbitante à certains auteurs, qu’ils ont prétendu que ce n’était pas la créance qui était transmise, « cette créance n’existant plus à la suite du paiement ».Rep. Dalloz. Obligations, 1860, T 6, ch.1, section 2.
898 A Vitu, op.cit, p 240 : « De ce caractère exceptionnel résulte qu’il ne faut employer la fiction que dans les cas précis où le législateur l’a prévue et en faire un emploi restreint ».
899 Toujours selon cet auteur, la fiction se réduirait à un expédient qui fait entrer de force telle situation dans un concept inadéquat.
900 Gény, Méthodes d’interprétation et sources du droit privé positif, ré éd.1954, T2, p 378.
901 Conformément à la thèse de l’école exégétique. Cf. note 22 et pour une illustration, Req.2 mars 1829, D 1829, 1, 163 :
« Attendu qu’en indemnisant la dame Gourdain, du dommage causé par l’incendie de sa ferme, cette compagnie a acquitté une dette résultant de la police d’assurance qu’elle avait souscrite et par conséquent, une dette qui était personnelle à ladite compagnie et n’avait rien de commun avec le bail consenti au fermier du domaine incendié. Qu’ainsi, en jugeant que la compagnie ne se trouvait dans aucun des cas prévu par l’article 1251-3 du Code civil, l’arrêt dénoncé a fait une juste application dudit article ».
902 La Cour de cassation consacra ce recours exclusif à l’article 1382 du Code civil. Notamment, Civ.22 décembre 1852, DP
1853.1.93 : Dans cette affaire, la compagnie d’assurance, s’étant vue déboutée par les premiers juges de son action fondée sur l’existence d’une subrogation légale de l’article 1251 du Code civil, avait opportunément invoqué, à l’appui de son pourvoi, qu’aucune subrogation ne fût nécessaire, « l’action étant suffisamment justifiée par la seule disposition de l’article 1383 du Code nap. ». Selon la cour, « l’action ainsi formulée était entièrement indépendante de l’action qui aurait pu résulter des règles sur la subrogation ; et qu’une telle action compète personnellement et en l’absence même de toute subrogation, à tous ceux qui ont souffert un préjudice par le fait d’autrui ». Comme le rappelle l’annotateur, c’est en ce sens que s’était prononcé un arrêt de la chambre civile du 2 mars 1829 qui, tout en refusant à l’assureur le bénéfice de la subrogation légale dans les droits de l’assuré contre l’auteur du sinistre, réserve cependant l’application de l’article 1382 du même code.
903 Pardessus, Cours de droit commercial, 5 éd., T II, n°595-5°.

SOUS PARAGRAPHE 2 :

LE PALLIATIF IMAGINE A L’EVICTION DE LA SUBROGATION : LA RESPONSABILITE DELICTUELLE DE L’ARTICLE 1382

592. En vérité, la construction juridique fondée sur l’article 1382 du Code civil, pour séduisante qu’elle soit, se heurtait à divers obstacles.

Tout d’abord, il n’est pas certain que l’assureur soit réellement victime des agissements du responsable du sinistre904, dès lors notamment qu’il a reçu sous formes de primes la contrepartie de son engagement.

Ensuite, ce recours, assujetti aux règles de droit commun, ne présentait pas pour l’assureur les mêmes avantages que la subrogation.

En particulier, l’assureur n’était pas admissible à se prévaloir des prérogatives qui pouvaient être attachées à l’action de l’assuré, telle la présomption de faute établie contre le locataire par l’article 1733 du Code civil.

Enfin et surtout, selon que l’on considère les deux formes de l’assurance, on s’aperçut combien étaient fragiles les considérations d’équité qui avaient fait adopter cette solution.

593. En revanche, si le recours exercé par l’assureur de dommages était toujours limité au montant de ce dommage, il n’en était pas de même en matière d’assurance de personnes, la somme versée étant laissée à la libre appréciation des parties contractantes.

904 A Vitu, op.cit, p 232 : « Mais qui est ici la victime ? La détermination en est rendue incertaine par la présence d’un assureur aux cotés de celui dont le patrimoine ou la personne même a souffert du tiers. Est-ce l’assureur ? Il ne le semble pas à première vue, si l’on suppose que la compagnie a indemnisé son client de tout le dommage par lui subi : n’est-ce pas en effet par la faute du tiers que l’assureur a été mis dans l’obligation de verser une indemnité et ne peut-il, dans cette mesure, et sur le fondement de l’article 1382 C.civ., demander réparation du préjudice ? Mais on peut répondre que l’assureur, ayant reçu des primes fixées conformément à des calculs statistiques, ne subit en réalité aucun préjudice lorsqu’il verse la contrepartie sous forme d’indemnités aux assurés sinistrés. La réalisation du risque garanti, quelle que pût en être l’origine, ne troublerait en rien les prévisions de la police, et l’assureur ne serait pas la vraie victime de ce tiers. N’est-ce pas l’assuré lui-même qui est la vraie victime ? Cela est évident dans toute la mesure où l’assurance ne couvre pas l’intégralité du dommage. Mais l’assuré peut-il en outre faire abstraction de la somme reçue de l’assureur et demander au tiers réparation de l’intégralité du préjudice ? En d’autres termes, peut-il cumuler l’indemnité d’assurance et les dommages et intérêts versés par le tiers, sans heurter le principe d’équité qui s’oppose à ce que l’on puisse monnayer un préjudice et s’en enrichir ? ».

Cette considération reposait sur une question, qui donne toujours lieu à contentieux 905 ,celle mettant en jeu la classification juridique fondamentale entre assurances de dommages et assurances de personnes : alors que les premières sont fondées sur le principe indemnitaire, selon lequel le bénéficiaire d’une assurance ne doit en aucun cas s’enrichir en recevant des indemnités supérieures à son préjudice, les secondes sont à caractère forfaitaire, le montant des prestations étant déterminé dans la police sans aucune évaluation du préjudice subi906.

Après avoir exclu l’action fondée sur l’article 1382 du domaine des assurances de personnes,907 la jurisprudence en fit de même pour les assurances de dommages908, et décida d’accorder à l’assuré le droit de cumuler le bénéfice de l’indemnité d’assurance et les dommages et intérêts accordés aux tiers.

594. L’admission de cette solution dite du cumul, qui marquait la fin d’une longue controverse jurisprudentielle et doctrinale, concernait essentiellement les assurances de personnes, les assurances de dommage contenant généralement une clause par laquelle les assurés cédaient leurs droits de recours909.

Même si la subrogation n’en continua pas moins à être pratiquée par l’insertion dans les polices de clauses variées, qualifiées diversement en jurisprudence et non sans quelques acrobaties juridiques910,en clauses de cession de droits éventuels911 ou promesses de subrogation, il semblait définitivement acquis que l’assureur ne pouvait se prévaloir d’aucune subrogation légale : « De la subrogation, il n’était plus question en matière d’assurance912 ».

905 Cass. ass. plén.19 décembre 2003, arrêt n°506, pourvoi 01.10.670, Compagnie la Mondiale/ Axa Corporate Solutions assurances.
906 Sur l’ensemble de la question. Cf. Avis de M Benmakhlouf, à propos de Cass. civ. 19 décembre 2003, précité.
907 Notamment, Cass. Civ., 6 janvier 1914, DP 1918, I, 57, note Dupuich : dans cette affaire, une compagnie d’assurance avait dû payer aux ayants-droits d’une personne décédée dans un accident le capital assuré au titre d’un contrat d’assurance vie. la Cour de cassation rejette le pourvoi de la compagnie à l’encontre d’un arrêt l’ayant débouté de sa demande de dommages et intérêts contre le responsable, la compagnie du Midi :« attendu qu’il est établi que la compagnie Le Phénix n’a souffert aucun préjudice du fait de la Compagnie du Midi et de ses préposés et que, si le capital assuré est devenu immédiatement exigible, à raison de l’accident du 15 septembre 1901, il n’y a là que le jeu normal d’un risque prévu, évalué et accepté par les contractants à la police d’assurance sur la vie ».
908 Suivant un argumentaire sans failles, M Capitant, démontra, dans l’article précité, que le recours fondé sur l’article 1382 n’était applicable, ni dans l’assurance de dommage, ni dans celle de personne.
909 Cf. également, Trib. Com. de Lyon, 19 juin 1969, JCP G 1970, 16170, note de Juglart et du Pontavice : « Attendu, d’autre part, que la jurisprudence admet la subrogation de l’assureur pour l’exercice des recours contre le tiers responsable, même sans stipulation expresse, en vertu d’un usage constant ». Egalement, Trib. Com. de Marseille, 20 janvier 1951, DMF 1951, 602 :
« Attendu d’ailleurs qu’il résulte des usages constants en matière d’assurance maritime que l’assuré est censé subroger son assureur au moment où il reçoit son indemnité, même s’il n’y a pas subrogation expresse ».
910 Cf. dans un cas « où la clause litigieuse prêtait merveilleusement, par ses termes généraux, à l’idée d’une subrogation, du moins d’une cession de tous recours au profit de la compagnie ». Rep. Dalloz. Assur. terr. 1846, n°254, à propos de Cass. Civ. 2 décembre 1854 : la clause d’une police d’assurance par laquelle l’assuré subroge l’assureur dans tous ses droits, recours et actions, a pu être regardée comme ne renfermant pas la cession de l’indemnité parce que les droits de l’assuré n’avaient pas été cédés.
911 Notamment, Cass. Civ. 5 août 1885, DP 1885, I, p.173 : refusant de voir dans ces clauses une subrogation conventionnelle qui serait nulle, faute de remboursement de la créance par le subrogé au moment même de la convention, « mais une cession de droits éventuels et aléatoires soumis à la seule condition de l’évènement de l’incendie des immeubles assurés ».
912 A Vitu, op.cit. p 235.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L'assurance-crédit interne
Université 🏫: Université Montpellier I - Faculté de droit et de science politique - Discipline : Droit privé et sciences criminelle
Auteur·trice·s 🎓:
Jessica Chahoud

Jessica Chahoud
Année de soutenance 📅: Thèses pour obtenir le grade de Docteur De L'Université Montpellier I - 6 novembre 2045
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