L’euthanasie : la qualification pénale dans le droit français

Le refus de l’euthanasie – Chapitre II.
» Je veux mourir de ma mort, non de celle des médecins «.
RILKE Rainer-Maria
Nous rappellerons ici que le terme euthanasie, qui provient du grec, signifie étymologiquement bonne mort247. La mort douce, paisible, sans souffrance248. Le langage courant lui prête plus volontiers le sens de geste ou omission qui provoque délibérément la mort d’un malade soufrant d’un mal incurable249. L’euthanasie met en conflit deux perspectives, la vie du mourant et sa volonté. Comme pour le suicide, ce type de mort volontaire ne fait pas l’objet d’un droit. Le droit positif français est pour le moment hostile à l’euthanasie (section 1) mais face aux évolutions législatives des pays étrangers, une décriminalisation pourrait peut être voir le jour (section 2).
Section 1. Le droit positif français
Le droit positif condamne l’euthanasie. Notons que le code de déontologie médicale la condamne de manière spécifique. Il prévoit que « le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ces derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort ». L’acte d’euthanasie pouvant revêtir différentes formes. Pour des raisons de clarté de l’exposé nous envisagerons la question sous deux angles, celui de l’homicide (§1), et celui du suicide euthanasique (§2). Cette division est nécessaire d’un point de vue formel même si en pratique les situations sont ambiguës et difficiles à classer.

247 Le mot grec euthanatos signifiant euthanasie, est formé de eu signifiant bonne et de thanatos signifiant mort.
248 BAUDOUIN (J.-L.), BLONDEAU (D.), Ethique de la mort et droit à la mort, pp. 98-99.
249 Dictionnaire permanent de bioéthique et de biotechnologies, pp. 861-880 A , n°2.

§1. L’homicide euthanasique
Quand l’euthanasie résulte de l’aide donnée par un tiers à la mort d’une personne désirant mettre fin à ses jours, il est possible de parler d’homicide euthanasique. Le fait de tuer quelqu’un même à sa demande est un homicide. Le droit français réprime alors l’euthanasie pénalement (A) sans que le consentement de la victime influe sur cette qualification (B).
A. La qualification pénale
L’euthanasie pouvant revêtir plusieurs formes, elle peut tomber sous le coup de plusieurs qualifications pénales. Tout d’abord, en droit pénal le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre250. Le meurtre est un homicide volontaire. L’euthanasie étant la mise à mort d’un malade à sa demande, c’est donc bien un meurtre. En l’absence de loi spécifique légalisant l’euthanasie, le droit français ne peut y voir autre chose qu’un meurtre. Le meurtre est puni de trente ans de réclusion criminelle251. Toutefois, certaines circonstances sont de nature à aggraver la peine prévue pour meurtre. La peine sera la réclusion criminelle à perpétuité dans trois cas :
* le meurtre d’un mineur de quinze ans,
* le meurtre commis sur un ascendant légitime, naturel, ou père et mère adoptifs,
* le meurtre commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur252.
Nous évacuerons l’état de grossesse qui est sans rapport direct avec l’hypothèse de l’euthanasie253. La personne qui demande l’euthanasie doit être incurable. Elle répondre aux différents critères énoncés dans la liste ci dessus. Elle peut être infirme, déficiente, ceci à cause de la maladie. La pratique de l’euthanasie présuppose que la personne soit malade. Cette personne peut, même si cela doit être peu fréquent, être âgée de moins de quinze ans. Pour l’euthanasie, ce qui compte c’est que la personne soit atteinte d’une maladie incurable. Pour ce qui est des personnes qui ont commis l’acte, même si le plus souvent c’est le corps médical qui est visé, il n’est pas impossible de penser que l’entourage de la personne malade soit l’auteur de l’acte d’euthanasie. Concrètement, le cas qui se retrouve le plus, c’est celui de la personne âgée gravement malade et ne pouvant être guérie, il n’est alors pas improbable que ses enfants se livrent à un tel acte, ce qui remplirait la seconde éventualité de la liste.

250 Art. 221-1 C. Pén.
251 Ibid.
252 Art. 221-4 C. pén.
253 Même si dans l’absolu, il est possible d’être enceinte et malade, nous n’envisageons pas cette solution. Dans ce cas particulier la maladie suffirait à caractériser la vulnérabilité. L’état de grossesse seul n’entre pas dans le cadre de l’étude.

Si l’euthanasie est un meurtre, certaines circonstances peuvent changer la qualification pénale de l’acte incriminé. Souvent, l’acte d’euthanasie n’est pas réalisé sur un coup de tête, de façon inattendue, il est le résultat d’une discussion qui s’est engagée sur la question à la demande du patient.
Ce qui nous amène à une seconde qualification pénale, le meurtre commis avec préméditation, qui est un assassinat254. Ce n’est pas une simple différence terminologique. La qualification d’assassinat a pour conséquence une peine de réclusion criminelle à perpétuité255.
Une troisième qualification nous paraît se rapprocher de l’hypothèse de l’euthanasie, c’est l’empoisonnement. Le fait d’attenter à la vie d’autrui par l’emploi ou l’administration de substances de nature à entraîner la mort constitue un empoisonnement256. La qualification change mais pas la peine qui reste de trente ans de réclusion criminelle. L’empoisonnement est une infraction formelle. L’infraction est constituée dés lors qu’il y a eu emploi de substances dont on savait qu’elles pouvaient entraîner la mort et ce quel que soit le résultat. L’infraction existerait quand bien même la victime ne serait pas morte et même si son auteur manifestait son repentir en administrant un antidote257. Toutefois cette infraction supposant la volonté de son auteur de donner la mort, elle implique la connaissance du caractère mortifère des substances employées. La remise de substance pouvant entraîner la mort à la victime est constitutive d’une tentative d’empoisonnement punissable.
Il apparaît donc que l’euthanasie peut tomber sous plusieurs qualifications pénales. En l’absence d’une quelconque législation en la matière les actes d’euthanasie sont condamnables par le droit pénal, et ce malgré le consentement de la victime.
« L’acte par lequel on abrège une vie humaine est un meurtre ou un assassinat quelque soit le mobile qui a animé l’agent et en dépit d’une autorisation réelle ou présumée de la victime »258.
B. La non incidence du consentement de la victime/du malade
Avant d’expliquer pourquoi en droit le consentement de la victime n’efface pas l’infraction, il nous faut préciser quelles sont les conditions de validité du consentement.
Le consentement valide est celui qui est donné exempt d’erreur, de dol, et de violence. La personne qui donne son consentement doit savoir à quoi elle s’engage, elle doit être en pleine possession de ses facultés mentales et intellectuelles. Dans le cadre de l’euthanasie, la demande vient de la personne qui souhaite l’euthanasie. Le consentement de la victime ne doit pas être vicié sous peine de ne pas être valable. Dans notre hypothèse, un consentement non valide pourrait révéler une incitation au suicide, incitation réprimée par la loi pénale259 et que nous étudierons plus en détail dans le second paragraphe de cette section. Mais si le consentement est valable, il pourrait peut- être effacer l’infraction. « Si la victime consent à l’infraction, pourquoi punir son auteur ? »260. En droit romain la maxime volenti non fit injuria 261 trouvait à s’appliquer, mais en droit positif, c’est le contraire de cette maxime qui s’applique262. Ainsi, le consentement de la victime, même valide ne va pas effacer l’infraction.
Pour expliquer que le consentement ne valide pas l’infraction, M. Fahmy Abdou énonce que « le droit à la vie constitue un bien à la conservation duquel l’Etat a un intérêt direct et immédiat, et par conséquent, ce droit n’est pas à la disposition de son titulaire, en ce sens que le consentement ne rend pas l’acte licite »263. En droit pénal général il est des cas où l’infraction n’existe plus de part le consentement de la victime, c’est le cas par exemple du vol et du viol. Ces cas ne sont pourtant pas des exceptions au principe. Le consentement de la victime fait partie des éléments constitutifs de l’infraction. Les infractions de vol et de viol n’existent que si la victime n’est pas consentante, et pas l’inverse. Si une personne consent à un vol, c’est un don ou un prêt mais pas un vol. Ceci parce que « le texte incriminateur supposait une absence de consentement »264. Le principe est donc bien que le consentement de la victime à une infraction ne l’efface pas. Si ces développements sont plus particulièrement consacrés à l’euthanasie, nous ne pouvons dans le cadre de cette étude passer à côté du problème spécifique posé par le suicide. Il est clair que dans le suicide, il n’y a pas d’infraction.
Ce pourrait être une exception et on pourrait croire que ce n’est pas une infraction car la victime a consenti. Mais en fait non. Dans ce cas précis, la victime qui consent à l’infraction en est également l’auteur. Ce n’est pas parce que le suicidé consent à sa mort mais parce qu’il se la donne qu’il n’y a pas infraction. C’est pour cela que l’incitation au suicide est réprimée et l’incrimination de non assistance à personne en danger pèse sur le témoin ou le complice du suicide265. La victime ne peut pas consentir à ce qu’on ne lui porte pas secours. L’éventuel consentement de la victime ne permet pas à une personne qui assiste au péril de ne pas lui porter secours.

258 FAHMY ABDOU, op. cit., p. 323, note 107, TROUSSE (P.), «L’orthothanasie par omission de porter secours», Revue belge de droit pénal, 1950-1951, p. 1102.
259 Art. 223-13 C. pén.
260 DESPORTES (F.), LE GUNEHEC (F.), Le nouveau droit pénal, p. 577.
261 On ne fait tort à qui consent.
262 En droit pénal on applique la maxime voluntas non excusat injuriam. ROLAND (H.), Adages du droit français.

Dans les faits, rares sont les décisions qui ont eu à juger de l’incidence du consentement de la victime sur l’infraction. Mais la demande de la victime n’a jamais été considérée comme une cause d’exonération266.
Le fait de ne pas pouvoir consentir à ce qu’autrui vous donne la mort s’explique par le fait que « le droit à la vie est un bien indisponible »267 et que « la faculté de disposer d’une existence est retirée à tout le monde »268 et même en cas de châtiment depuis que la peine de mort n’existe plus. Le fait que le suicide ne soit pas réprimé n’est pas contradictoire, c’est juste qu’il est impossible d’empêcher quelqu’un de mettre un terme à ses jours, quand il est seul. Le droit réprime donc l’euthanasie quand elle se manifeste par la «mise à mort» d’un malade. L’homicide euthanasique n’est envisagé juridiquement que sous son aspect homicide. L’euthanasie peut aussi prendre la forme d’un suicide euthanasique, le droit sera t-il plus favorable, en sachant que le suicide n’est pas réprimé, en tant que tel, en droit.

263 FAHMY-ABDOU (A.), op. cit., p. 292.
264 SOYER (J.-C.), Droit pénal et procédure pénale, p. 125.
265 Attention ici à ne pas comprendre le terme complice au sens pénal du terme. Le complice du suicide n’existe pas en droit pénal, puisqu’on ne peut être complice que d’un acte répréhensible pénalement, ce qui n’est pas le cas du suicide.
266 Cass. Crim., 2 juillet 1835, S. 1835, 1, 861 ; Cass. Crim., 1er juillet 1937, S. 1938, 1, 193. DESPORTES (F.), LE GUNEHEC (F.), Le nouveau droit pénal, p. 578.
267 FAHMY-ABDOU (A.), op. cit., p. 292

Lire le mémoire complet ==> (Le droit face à la mort volontaire)
Mémoire pour le DEA de droit social, mention droit de la santé
Université De Lille Ii-Droit Et Sante – Faculté des sciences juridiques politiques et sociales

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
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Le droit face à la mort volontaire
Université 🏫: Université De Lille Ii-Droit Et Sante - Mémoire pour le DEA de droit social, mention droit de la santé
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Aude Mullier
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