Les concepteurs de sites emploi et la situation de e-recrutement

C) Le rôle des concepteurs de sites emploi dans la situation de e-recrutement27
Contrairement aux annonces presse, qui peuvent être consultées en tournant les pages du journal, les offres diffusées sur Internet sont numérisées et rangées dans des bases de données a priori invisibles au regard. Leur consultation réclame de nouveaux apprentissages qui ne sont pas laissés au hasard mais pris en charge par les sites dédiés à l’emploi. En tant qu’intermédiaires, ceux-ci doivent s’assurer que les anticipations croisées des offreurs et des demandeurs convergent les unes vers les autres (pour assurer le matching28). Il leur faut donc intervenir sur les deux versants du marché afin de donner aux candidats les bonnes clés d’accès aux offres et d’inciter les rédacteurs des annonces à formater ces dernières. Les gestionnaires de sites développent ainsi des outils pour faciliter les « bonnes » et prévenir les « mauvaises » rencontres, ce qui suppose de choisir de bons repères d’appariement.
Concrètement, la configuration du moteur de recherche installé sur la page d’accueil des sites a une dimension stratégique pour les gestionnaires de ces sites. Que devra renseigner le candidat ? Un titre d’emploi ou un niveau de diplôme ? Un lieu de travail ou un niveau de salaire ? En effet, si le candidat définit des critères de recherche trop sélectifs, il risque de passer à côté d’annonces auxquelles il pourrait candidater et s’il définit des critères de recherche trop larges, il risque de se laisser submerger par le flot d’annonces lui parvenant.
▫ Mettre en ordre pour connecter :
Deux modes d’accès (modes d’entrée et de saisie) aux sites emploi peuvent être privilégiés par les candidats dans leur recherche d’emploi: la recherche par mots clé et les rubriques.
La recherche par mots clé laisse une grande latitude au candidat dans la définition de ses critères de recherche. Sur la plupart des sites, cette définition porte sur le contenu complet de l’annonce : le candidat rentre les mots clé dans un champ spécial et le moteur balaie la base de données pour en retenir les annonces contenant les termes de la recherche. Il peut s’agir du titre d’emploi (ou des synonymes), du secteur d’activité, d’une compétence, du nom d’une entreprise, d’un outil ou d’un langage informatique. Ce type de recherche témoigne de la faiblesse d’intervention du site sur les mises en relation : en ouvrant sur une multiplicité de formes d’équivalences, l’outil « mots clé » rend en effet inutile la construction d’une classification générale recouvrant la totalité des médiations entre offreurs et demandeurs. Et le travail de catégorisation (consistant à détacher le candidat ou le poste de sa singularité pour l’attacher à une catégorie commune permettant des mises en équivalence) est pris en charge par le chercheur d’emploi. Avec les mots clé, le calcul aboutissant aux mises en relation est distribué entre offreurs, demandeurs, intermédiaires et moteurs de recherche. Mais cette distribution peut être inégale lorsque la recherche du candidat s’effectue en aveugle, sans connaître les termes privilégiés par les annonceurs.

27 Paragraphe inspiré de BUREAU M.-C. ; MARCHAL,E. (octobre 2005). Au risque de l’évaluation. Paris, Editions du septentrion.
28 Le terme matching peut se traduire par « correspondance » ou « complémentarité » ou « appariement ». Dans le domaine de la rencontre sur Internet ou via les supports presse/ petites annonces, le matching peut englober les affinités, ressemblances ou différences qui font que deux personnes peuvent se correspondre ou pas.

Les recherches par rubriques permettent de définir les repères conventionnels d’appariement et sont adoptées par la majorité des sites emploi. Elle consiste à proposer au candidat d’effectuer une recherche « multicritères » en renseignant des rubriques intégrant des listes déroulantes. Ces rubriques mentionnent de manière quasi systématique le lieu de travail, le secteur d’activité, la fonction recherchée, ou encore le type de contrat. Mais cette liste n’est pas close et certains sites peuvent proposer au candidat de mentionner un salaire minimum, son nombre d’années d’expérience ou encore la date de parution des annonces qu’il souhaite consulter. Avec cette procédure, les intermédiaires décrivent les repères conventionnels d’appariement sur le marché sans leur donner un caractère obligatoire pour autant.
L’intervention des sites est décisive pour établir et maintenir les conventions du marché. Elle est d’autant plus efficace qu’elle se situe également au niveau de la rédaction de l’offre. L’accès aux offres est conditionné par le renseignement de rubriques qui structurent la présentation de l’annonce, et par delà, le contenu de l’information diffusée.
▫ Le « formatage » des annonces : mise en relation ou sélection ?
Le cadrage opéré sur les annonces peut rester discret (lorsque seules quelques rubriques existent, comme sur Monster.fr) ou peut être très poussé et ce sont alors de véritables « annonces formulaires » qui sont diffusées. Le rédacteur de l’annonce est influencé par le formatage de celle-ci : il n’est pas obligé de remplir les rubriques mais leur présence l’incite à penser et présenter son offre selon des catégories qui ne sont pas forcément celles qu’il adopterait spontanément. Ainsi, l’affichage de l’expérience du candidat, sa formation ou encore sa maîtrise d’une langue étrangère, critères pour lequel le pré-formatage est fréquent, devient quasi systématique dans les annonces diffusées sur internet.
Certaines rubriques requièrent d’emblée de s’inscrire sur une échelle de grandeur : il s’agit ici de renseigner un « niveau de langue », un « niveau d’informatique » ou le « montant du salaire ». La nécessité d’être concis conduit également les rédacteurs à résumer leurs attentes par une grandeur chiffrée : seront alors affichées « la durée » de l’expérience et pas seulement le fait qu’une expérience est requise. Sur toutes ces variables mesurables, on assiste à une standardisation des formes d’expression véhiculées dans les annonces : « x milliers d’€uros annuels », « bac + x années d’études », « x années d’expérience »…
Le changement par rapport à la presse n’est pas seulement d’ordre quantitatif. Ce sont certaines informations qui sont privilégiées et précisées : celles qui permettent de résumer le profil du candidat et les contours du poste autour de signaux clairs et chiffrés. Ce paramétrage incite les rédacteurs des offres à afficher des critères plus sélectifs que dans la presse et à demander par exemple d’être « bilingue français/anglais » plutôt que de «connaître l’anglais». Le « rubricage » les oblige également à être plus explicites sur le poste à pourvoir qu’ils ne le sont lorsque la formulation de l’annonce est laissée à leur seule discrétion.
Un résultat s’impose: les deux versants du marché devraient être travaillés en parallèle pour que s’opère l’appariement « poste / individu ». Les critères privilégiés actuellement sont des repères codifiés ou standardisés, qui se prêtent aisément aux calculs des moteurs de recherche pour effectuer les appariements. Le risque est de favoriser une sélection sur la base des compétences les plus «observables», tels que le diplôme, l’âge ou l’expérience, au détriment d’autres variables (tels les parcours des candidats ou leurs compétences singulières) : on risque ainsi de tendre vers une dissolution des singularités des candidats et des offres. Or, comme le soulève Neuville29 en 2001, seules les relations de proximité entre recruteurs (annonceurs) et candidats sembleraient susceptibles de les avérer.

29 NEUVILLE, J.-P.(2001), « Les bons « tuyaux » du marché de l’emploi », In Sociologie du Travail. Vol. 43, n°3, pp. 349-368.

4 – Schéma synthétique de la situation de e-recrutement
Dans une situation de e-recrutement, les candidats et les recruteurs s’approprient Internet et particulièrement les sites emploi proposés par des webmasters (concepteurs de sites), pour se rencontrer et répondre à leurs besoins : trouver le collaborateur correspondant au profil recherché pour le recruteur et rencontrer la structure professionnelle correspondant aux attentes professionnelles du chercheur d’emploi.
Schéma synthétique de la situation de e-recrutement
En conclusion, avec l’émergence du Web en 1995, les premiers acteurs du marché de l’emploi ont tenté de reproduire sur Internet le modèle classique d’intermédiation de « l’offre et de la demande », en estimant que le Web allait leur permettre de dépasser les contraintes ancestrales du recrutement : en amont, une communication limitée à quelques espaces de publication trop onéreux pour être accessibles au plus grand nombre (presse généraliste et spécialisée) ; en aval, des échanges entre recruteurs et candidats et un traitement administratif des candidatures ponctué de nombreux goulots d’étranglement (candidatures papier difficiles à stocker sous format électronique, barrages de secrétaire, délais de réponses aux candidats longs et incompressibles, etc.).
Concrètement, quelques entreprises précurseurs ont ainsi créé un site Web puis ont mis en ligne leurs plaquettes commerciales, leurs brochures métier et leurs offres d’emploi, en enjoignant les candidats de répondre à ces dernières par e-mail ou par la saisie d’un formulaire. Certains sites se sont spécialisés dans la publication d’offres d’emploi : les jobboards ont recrée à moindre coût et sans ligne éditoriale, le modèle de publication des petites annonces des journaux sur support papier et ont offert aux entreprises n’ayant pas ou peu de présence sur Internet d’y publier leurs offres d’emploi en ligne. En ce qui concerne les candidats, les jobboards leur ont offert la possibilité de consulter ces offres et d’y postuler selon la procédure prévue par les entreprises. Ainsi, avec la mobilisation d’Internet pour recruter, la concurrence à l’égard des canaux traditionnels que nous avons évoqués précédemment, s’exerce principalement dans deux cas : pour réceptionner et traiter les candidatures spontanées (qui auparavant arrivaient par courrier postal) et pour diffuser des offres d’emploi sur des sites dédiés.
Avant d’aborder les évolutions (en terme de pratiques) induites par l’apparition des technologies Web 2.0 dans cette situation de e-recrutement, il est nécessaire de définir d’un point de vue technologique ce qu’est le Web 2.0, puis de présenter (de manière non exhaustive), les différents supports 2.0 spécifiquement utilisés par les acteurs du marché du travail.
Lire le mémoire complet ==> (Dans quelle mesure les supports Web 2.0 participent-ils à la promotion de soi lors de la situation de e-recrutement ?)
Master 2 – Mémoire de recherche – Spécialité : Psychologie Sociale
Université Catholique de l’Ouest – Institut de Psychologie et de Sociologie Appliquées

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