La régression du droit français du travail ?

§ 2. La régression du droit français ?
Par sa qualité d’Etat membre, la France a l’obligation de transposer au sein de son droit national toutes normes communautaires ayant un effet contraignant. Ainsi, on peut considérer que parfois, en intégrant le droit communautaire au sein de son ordre juridique, le droit du travail français régresse.
A – Le travail de nuit des femmes
Jusqu’à peu, le travail des nuits des femmes était interdit (art. L.213-1 du Code du travail). Quant aux dispositions de la directive du 9 février 1976 relative à l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes, elles le permettaient.
Récemment la France a permis le travail de nuit des femmes, ceci sous contrainte communautaire au nom du principe d’égalité entre hommes et femmes. Selon, la CJCE ne point permettre à la femme d’accéder au travail de nuit, la prive d’une opportunité de travail, opportunité existant pour les hommes. La législation française portait atteinte à la liberté de travail des femmes sur le marché de l’emploi147. Cette liberté qu’évoque la CJCE existe-t- elle ? Le choix de l’emploi de nuit est-il libre ou ne répond il pas à une contrainte économique ?
Alain Supiot affirme que la CJCE mène une action au niveau de l’égalité formelle entre hommes et femmes et non à une égalité concrète148. La Communauté s’inscrit ainsi en promoteur des valeurs essentielles du droit social communautaire c’est-à-dire par la mise en place d’un modèle normatif auquel les droits nationaux doivent converger, afin de permettre l’harmonisation.

147 MARTIN (P.), « Le droit social communautaire : droit commun des Etats membres de la Communauté européenne en matière sociale ? » RTD.eur. 1994, p. 629.
148 SUPIOT (A.), « Principe d’égalité et limites du droit du travail (en marge de l’arrêt Stoeckel) », Dr.soc. 1992, p.382.

En effet, La France ne permettait pas aux femmes de travailler de nuit sans que cela ne relève d’un motif exclusivement biologique. Est-ce une protection notoire apportée aux femmes de leur permettre de travailler de nuit ? Au nom du principe d’égalité entre les sexes, n’aurait-il pas mieux fallu interdire aux hommes et aux femmes le travail de nuit ? Le progrès social aurait été conséquent.
B – La santé et la sécurité des travailleurs
La directive 89/391 du Traité CE concernant l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, a été transposée par la loi n°91-1414 du 31 décembre 1991. Cette directive rappelle les obligations inhérentes au chef d’entreprise en matière d’hygiène et de sécurité prévues par le droit français. Cependant, elle introduit au sein de notre droit français, une obligation de prévention à la charge des travailleurs. Dans un but de « garantir un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs149 », cette directive impose au salarié de « signaler à son employeur toute situation de travail présentant selon lui un danger grave et imminent ainsi que toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection ». Il y a bien introduction d’une obligation supplémentaire à la charge du salarié puisque le droit interne français lui, donnait au salarié un droit de retrait en cas de danger grave et imminent150. Ainsi, même en l’absence d’un contexte de danger grave et imminent, le salarié se voit responsable des risques professionnels. L’article L.231-8 du Code du travail a subi cette transcription de la directive C.E.E 89-391.
Comme le rappellent Messieurs Meyer et Kessler, ces dispositions ne s’inscrivent point au sein de la logique française dont l’objectif n’est pas d’associer le salarié aux risques professionnels de l’entreprise mais de faire peser ces risques sur l’employeur151.
Par transposition d’une directive communautaire, l’article L.230-3 du Code du travail, dans sa nouvelle rédaction, met en place une obligation pesant sur chaque travailleur celle de « prendre soin de sa santé ».

149 Art. 118 A du traité C.E.E.
150 Art. L.231-8 du Code du travail
151 MEYER (F.) ET KESSLER (F.), « Les mesures d’hygiène et de sécurité à l’épreuve du droit communautaire », op. cit.p.166.

Il est indéniable de considérer une certaine régression du droit français quand, sous prétexte de protéger la santé et la sécurité du salarié, on met à sa charge des obligations. La responsabilité du salarié est alors engagée. Le salarié apparaît alors beaucoup moins protégé qu’auparavant. Un glissement de responsabilité est alors opéré. Pèse alors sur le salarié une obligation de sécurité dont il n’avait pas la charge auparavant. Par là même, l’employeur voit sa responsabilité atténuée puisqu’il peut arguer celle du salarié pour manquement à son obligation de sécurité. En effet, il est possible à l’employeur d’invoquer la négligence du salarié pour sa défense.
Une partie de la doctrine accompagnée des syndicats français ont relevé le caractère régressif de la transposition de cette directive dans l’ordre interne. L’extension des obligations de prévention des salariés a des conséquences néfastes au niveau de la protection des salariés. L’obligation de vigilance du salarié fait participer le salarié à la sécurité dans l’entreprise, or notre tradition française repose sur une obligation de sécurité à la charge exclusive de l’employeur sans participation active des salariés. Ne peut-on pas considérer que par l’introduction de cette mesure au sein de notre ordre interne, nous assistons à une véritable régression de notre droit ? La protection des salariés dans l’entreprise serait moindre152.
Au nom de la sécurité au travail, en particulier par la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, peut-on considérer ces nouvelles obligations à la charge du salarié comme une amélioration de sa protection ?
Nous ne le pensons pas. Il est mieux de considérer qu’en matière de prévention de la sécurité au travail, le rôle de l’employeur doit être essentiel et exclusif. Faire peser une responsabilité de sécurité sur le salarié, permet, en effet de responsabiliser le salarié comme acteur de la prévention en prenant soin de sa santé, mais le salarié ne doit pas être l’acteur sur lequel doit peser cette obligation de sécurité. En aucun cas, il ne devrait subir les conséquences des mauvaises conditions de travail, ceci étant de la responsabilité exclusive de l’employeur.

152 MOIZARD (N.), thèse, « Droit du travail communautaire et protection nationale renforcée : l’exemple du droit du travail français », tome 2, p.445, Presse Universitaire d’Aix-Marseille, Faculté de droit et de science politique, 2000.

C – Le licenciement économique
En matière de licenciement économique, la directive 75/129 fut introduite dans l’ordre juridique français. Quelles en sont les conséquences ?
La législation française en la matière apparaissait particulièrement protectrice des intérêts des salariés. La directive du 17 février 1975 a pour effet la déréglementation du droit français. Cette transposition supprime l’autorisation administrative en cas de licenciements collectifs pour motif économique. La loi du 3 juillet 1986 met un terme à cette autorisation, la législation du travail française étant considérée comme trop contraignante. Ainsi le droit communautaire a modifié notre droit du travail français alors plus favorable que la directive transposée153. On peut ici considérer une certaine régression du droit français en matière de protection des travailleurs du fait de la disparition de l’autorisation administrative.
Lire le mémoire complet ==> (L’influence du droit communautaire en droit du travail français)
Mémoire de DEA de droit social – Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales
Université LILLE 2- Droit et santé

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