Le binge-drinking : entre passage à l’acte et acte de passage

Le binge-drinking : entre passage à l’acte et acte de passage

4- La « poly-consommation »

Le terme de « poly-consommation » revêt ici deux dimensions très importantes à préciser. D’abord, nous l’avons déjà montré, les binge-drinkers on tendance à boire plusieurs types de boissons alcoolisées, plusieurs types de mélanges, ils ont aussi plusieurs façons de boire.

Toutefois, il n’est pas rare d’en trouver certains qui, au-delà des seuls mélanges alcoolisés, facilitent et/ou accélèrent la défonce par la consommation d’autres produits comme par exemple des drogues ou des médicaments. Cependant, l’usage de ces différentes substances reste résiduel et relégué au second plan chez les binge-drinkers.

La principale raison pour laquelle certains étudiants prennent des drogues ou des médicaments avant de se rendre dans les soirées peut se résumer ainsi : « c’est parce que les soirées c’est fait pour se lâcher. Moi, j’imagine mal quelqu’un qui va dans une soirée comme ça tranquille sans prendre un petit remontant.

Sinon tu peux pas t’amuser autant que les autres, ça te permet de t’extérioriser. Maintenant quand c’est passé, tu peux commencer à penser à aller vers le bar. Tout le monde fait comme ça… ». Ou bien, s’ils n’ont pas assez de ressources pour se payer la quantité d’alcool nécessaire pour se défoncer, certains complètent ce déficit par des drogues (le cannabis, l’ecstasy, la cocaïne dont la consommation se serait banalisée à cause de la baisse considérable de son prix, etc.).

La référence qui revient le plus souvent est l’ecstasy. En effet, certains étudiants font usage de cette drogue avant même de quitter chez eux pour se rendre à une soirée. Comme nous l’avons déjà montré plus haut, ils se rassemblent bien avant les débuts de soirée soit « chez un pote » au campus ou dans un appartement, soit dans les locaux d’une association ou d’un club. L’usage de l’ecstasy s’y fait en groupe ou individuellement.

Ici, il ne s’agit en aucun cas de se défoncer excessivement en peu de temps, mais juste d’ « en prendre un peu, histoire de se mettre dans le bain, de se doper pour faire la fête sans retenue » (Marc, étudiant binge-drinker).

Cette façon de se préparer pour arriver « chaud » à la soirée peut être prise en compte dans ce que nous appelons la « préchauffe » parce que d’autres étudiants préfèrent l’ecstasy aux bières avant le début des soirées.

La plupart des binge-drinkers qui consomment de l’ecstasy avant ou pendant une soirée recherchent surtout cet effet dopant qui leur permettrait de « jouer le jeu » et de supporter surtout « physiquement » les coûts des fêtes qui sont de plus en plus longues, intenses, fréquentes et dont ils font un mode de vie.

Il y a d’autres aussi, comme André (binge-drinker, étudiant dans une école de commerce), qui disent préférer l’effet de la vitamine C. Mais, chez lui, c’est pour une autre raison parce que la consommation d’une grande quantité d’alcool lui donne immédiatement sommeil. C’est pourquoi il lui arrive de consommer une boîte entière de vitamine C en une nuit de fête.

L’avantage, « c’est que voilà… on peut en sucer pendant toute la soirée, comme ça on tient le coup jusqu’à la fin même si on est bourré. Et puis ça fait plus discret que de fumer des pétards ou de tirer des rails1».

L’usage des produits psychoactifs reste quand même faible et ne concerne presque pas les drogues dures comme la cocaïne, l’héroïne, etc.

5- Le binge-drinking : entre « passage à l’acte » et « acte de passage »

Si nous nous en tenions là, le binge-drinking ne serait qu’une façon de boire seulement pendant les week-ends pour « déconner », se « créer des liens », se différencier ou bien pour supporter le stress quotidien des études. Or, il ne s’agit pas seulement d’un « passage à l’acte » mais aussi d’un « acte de passage » marquant la ritualisation de certains évènements plus ou moins importants dans la vie en général et dans la carrière d’un étudiant en particulier.

En effet, parmi les contextes d’expression de la défonce rapide et collective, nous pouvons citer les anniversaires, l’entrée dans une nouvelle école, dans un club ou une association, la validation d’un semestre, la fin ou le début d’une année (scolaire ou universitaire), le passage d’un niveau d’étude à un autre, l’obtention d’un diplôme, etc.

Voici ce qu’on peut voir par exemple sur le blog de cet étudiant binge-drinker de 19 ans : Présentation :

  • – « Pierre.T alias Pescolini [Tipibabyshark], 19 ans Quimper, Etudiant (prépa infirmier) »
  • – «* B_I_N_G_E D_R_I_N_K_I_N_G *»
  • – « Sur ce blog, toutes les photos des soirées passées ces dernières années!!!! »

1 Le terme « rail » désigne le fait d’amasser la dose de cocaïne en une ligne droite (sur un support) avant de la sniffer.

– « FRIENDS, GIRLS, MUSIC, ALCOOL »

Ce blogueur, comme tant d’autres, a mis en ligne les photos des différentes soirées (binge-drinking) auxquelles il a participé tout en précisant que : « j’essaye de mettre le maximum de photos mais par contre je ne peux pas mettre toutes les vidéos en ligne en raison de l’avis des personnes qui y figurent (normal !!) ».

Par « normal » on comprend qu’il veut tout simplement dire que quelques uns des ses amis binge-drinkers n’ont pas voulu qu’il mette sur son blog les vidéos de défonce dans lesquelles ils apparaissent. Il faut savoir que la plupart des blogs comme celui-ci constituent des espaces publics virtuels, donc accessibles à tous les internautes. Ce qui, comme nous allons le voir, va à l’encontre de la volonté de certains binge- drinkers de veiller à ce que le « secret » de leur pratique ne sorte pas des contextes dans lesquels s’exprime la défonce.

Le fait le plus marquant dans les différentes parties de binge-drinking mises en scène sur ces photos est qu’elles se passent toutes soit chez Pescolini soit chez un de ses amis. De plus, la plupart d’entre elles se déroulent lors de célébrations d’anniversaires, du nouvel an et même de l’admission au Bac :

  •  « Elodie’s Birthday [17 years] (21 Février 2006) »
  •  « Nicolas’s Birthday [18 years] (Mai 2006) »
  •  « Soirée chez William [After Bac] (22 Juin 2006) »
  •  « Soirée chez Yann [After Bac] (24 Juin 2006) »
  •  « Audrey & Marie’s Birthdays @ Letty Beach (Juin 2006) »
  •  « Happy New Year 2007 [@ Carole’s house] (31 Decembre 2006) »
  •  « Julia’s Birthday [18 years] (22 Janvier 2007)
  •  « Pescolini’s Birthday [19 years @ Caroline’s house] (26 Mai 2007) »
  •  « William’s Birthday [19 years @ Nicolas’s house] (23 Septembre 2007) »

Des commentaires et des présentations de ce type, nous pouvons en trouver plusieurs dans les blogs des binge-drinkers. Et, ils nous renseignent sur les différents contextes d’expression du phénomène en question. Ici, le binge-drinking n’est plus seulement un acte gratuit.

Il revêt une dimension assez symbolique dans la mesure où elle marque un rite de passage d’un statut à un autre (du statut de lycéen à celui d’étudiant), d’une année à une autre (fête du nouvel an), d’un âge à un autre (anniversaire).

Le binge-drinking y constitue donc le turning point entre deux niveaux en symbolisant mais aussi en permettant en quelque sorte le passage de l’un à l’autre. C’est ce même principe de « consécration » que nous retrouvons lors des week-ends d’intégration, des soirées de fin d’année ou des séances de bizutage dans les « grandes écoles ». L’ « intégration » dans l’école, l’ « entrée » dans un club, la « fin » ou le « début » d’un cycle, y sont symbolisés par des cuites massives.

Toujours dans le blog de Pescolini, nous n’avons observé dans les différentes fêtes (anniversaires, fin d’année, soirées après le Bac, etc.) auxquelles il a participé, aucune présence des parents ou même d’un adulte quelconque.

Sur toutes les photos mises en ligne ne figurent que ses « GIRLS » et « FRIENDS ». Or, ces évènements en question, notamment les anniversaires et le nouvel an sont plutôt « sacrés » et sont commémorés d’habitude dans le cadre familial, en présence des parents. Ce qui, une fois de plus, témoigne du processus de passage de la « culture des pères » à la « culture des pairs » qui intervient surtout à partir de la période de la « post-adolescence »1.

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