Binge-drinking, expérience sociale: Sociabilité en milieu étudiant

Binge-drinking, expérience sociale: Sociabilité en milieu étudiant

II/ Le binge-drinking, une « expérience sociale » : la sociabilité en milieu étudiant

Pour analyser sociologiquement le phénomène de la biture express, nous avons choisi comme cadre théorique les différentes logiques de l’ « expérience sociale » retenues par François Dubet. Selon lui, l’expérience sociale est « la cristallisation plus ou moins stable, chez les individus et les groupes, de logiques d’actions différentes, parfois opposées, que les acteurs sont tenus de mobiliser et de hiérarchiser afin de se constituer comme des sujets »1.

Il distingue trois logiques d’actions : la logique d’intégration, la logique stratégique et la logique de subjectivation. C’est trois logiques nous permettent de saisir les différentes significations que le binge-drinker peut donner à son action.

Elles nous permettent aussi de décrypter les différentes dimensions, les multiples enjeux liés au binge-drinking et enfin, d’aller au-delà des analyses d’ordre psychologique ainsi que des analyses en termes de déviance qui ont toujours prévalu sur ce sujet.

a) La « logique d’intégration » : boire « avec » les autres, « comme » les autres

On a remarqué dans nos observations et entretiens que c’est seulement en groupe que les étudiants se défoncent à l’alcool et il s’agit, dans la plupart des cas, du même groupe. Au-delà de cette tendance mimétique, il faut voir l’alcool défonce comme un facteur intégrateur.

En effet, il permet à l’étudiant de se procurer une « place » dans un groupe ou bien de marquer son appartenance à un groupe.

  • – « C’est plus une habitude du weekend, et mes relations qui ne savent s’amuser qu’en buvant, donc je fais comme eux […]. Si le terme d’alcoolique du week end te choque j’en suis désolé. Je bois parce que mes amis boivent pour s’amuser!!! ben oui ça te choque? Tu n’as aucune mauvaise habitude toi? Tu ne fais jamais comme les autres pour te sentir intégré et en harmonie avec ton entourage? » (J. M. étudiant rencontré sur le forum « Alcool, tabac, drogues et dépendances » de www.doctissimo.fr).
  • – « Donc voilà, on y vient, à la suite de mon problème. Vous n’allez peut être pas pouvoir m’aider mais c’est pas grave je tente quand même. Justement, la ou je suis bloqué, c’est que chez moi c’est presque une religion de boire le Samedi donc je ne sais pas trop quoi dire à mes potes pour arrêter de faire le mouton comme vous dites. C’est pas si facile que ça, c’est facile à dire oui, mais à faire c’est beaucoup moins facile.
  • Donc je ne sais pas leur réaction, si je leur dit tout simplement j’arrête de boire ça ne m’intéresse plus, ils vont trouver ça bizarre. Bref je suis sûr que certains pourront comprendre, l’influence des potes ça joue beaucoup, surtout quand ça fait pas mal de temps qu’on est soudé. » (entretien avec un étudiant en L3 de droit).
  • – « Beh c’est un peut le même contexte avec mes amis, c’est… on boit en groupe, c’est toujours les mêmes personnes. Quand on va dans les bars c’est pareil… (David, 18 ans, Des jeunes en quête d’ivresse ?, France 5, le 01/12/2008).
  • – « Forcément dans le sens où quand t’es avec les potes, c’est plus rassurant, le fait de boire devient comme euh un jeu. On boit pour rire, pour faire la fête, s’amuser, voilà. Alors que quand je bois seul même des bières, ça ça me fait peur, je me pose des questions du genre est-ce que je risque pas de finir alcoolo ? »

1 François Dubet, L’expérience sociologique, La Découverte, 2007, p. 98.

La dimension intégratrice du binge-drinking passe souvent par des jeux, des défis et des rites bien codifiés que nous aborderons dans une autre partie de cette analyse.

Comme l’attestent ces différents extraits, le binge-drinker est très soucieux de son appartenance à un groupe de pairs. En effet, il est même parfois animé par une certaine panique devant l’idée d’être exclu de ce groupe.

Par exemple, cet étudiant en L3 de droit reconnait qu’il a un problème (il se définit comme un alcoolique du week end) et qu’il veut vraiment s’en sortir, sauf qu’il est face à un dilemme parce que pour lui, le fait d’arrêter de se défoncer le week end impliquerait son exclusion du groupe de ses « potes ». Il a donc choisi l’option suivante : continuer à se défoncer et garder ses « potes ».

Ceci nous montre comment le binge-drinking est un moyen pour le « moi » de l’individu de se dissoudre dans le « nous » du groupe de pairs. Cette dimension se rapproche de la définition que D. Reisman a faite de l’ « individu conformiste »1.

En effet, celui-ci, soucieux de ressembler aux autres, s’inspire du comportement de ses groupes de pairs et/ou copie les modèles transmis par les médias. On peut ici donner l’exemple de l’étudiant en école de commerce qui organise des parties de binge-drinking en s’inspirant de la série télévisée GREEK (cf. I-a/ Téléphones portables, Internet et télévision : des facteurs accélérateurs ).

Il faut aussi reconnaitre que le binge-drinking reste assez valorisé dans certaines soirées étudiantes où il faut impérativement se défoncer à l’alcool pour avoir la cool attitude. En effet, celui qui boit toujours plus que les autres et qui peut être parfois même victime de coma éthylique est souvent considéré comme le héros de la soirée.

Par exemple, sur le site internet du bureau des étudiants de l’ISEP (Institut Supérieur d’Electronique de Paris), on peut voir des extraits de vidéo de la soirée de rentrée 2008 où, les vainqueurs des compétitions de défonce sont portés en triomphe.

Dans ce cas le binge-drinker peut être considéré comme une fashion victim, quelqu’un qui subit « la tyrannie de la majorité ». Il justifie son comportement face à l’alcool par son envie de ressembler aux autres car «la réponse est simple, dans les fêtes étudiantes si tu bois pas au taquet t’es exclu, si tu as la moindre idée de dire ton opposition à tout ça, tu es grillé à vie » (Berliner, membre du forum de Doctissimo).

1 David Riesman, La foule solitaire, Paris, Arthaud, 1964.

Tout ceci témoigne du caractère intégrateur du binge-drinking qui est devenu une norme implicite dans certains milieux étudiants où il est parfois « normal » de se défoncer et celui qui ne le fait pas ou bien qui s’y oppose est considéré comme « déviant », « ringard »; les « sanctions » risquées étant le rejet ou l’exclusion du groupe comme l’attestent ces propos d’une étudiante qui critique souvent ses amis qui, selon elle, « boivent trop » :

– « Ben…, on m’écoute pas. Je suis ringarde, je ne sais pas m’amuser, voilà. Moi, je suis là pour les conduire, c’est tout. »

Ces « sanctions » sont d’autant plus angoissantes que l’appartenance à un groupe est primordiale dans les milieux étudiants, surtout dans les écoles de commerce et d’ingénieurs, comme nous allons le montrer plus tard.

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