Les stratégies des alcooliers et les alcools pour jeunes

Les stratégies des alcooliers et les alcools pour jeunes

3- Les stratégies des alcooliers

Expliquer la biture express sans insister sur les alcooliers reviendrait à omettre de l’analyse le rôle d’acteurs très importants dans le développement de ce phénomène.

En effet, le binge-drinking résulte de la rencontre entre une demande (la sociabilité en milieu étudiant) et une offre (l’apparition sur le marché de nouvelles boissons alcoolisées uniquement destinées à une clientèle jeune).

Il faut savoir que le binge-drinking peut être aussi perçu comme une relation commerciale qui implique deux groupes d’acteurs : les alcooliers d’une part et les étudiants de l’autre. Les premiers cherchant, au moyen de stratégies marketing, à saisir les besoins des seconds en les transformant en produits destinés à être associés à un mode de vie particulier (celui des jeunes fêtards branchés).

a) Pré-mix et alcopops, des alcools pour jeunes

Ces dernières années, sont apparues sur le marché de nouveaux types de boissons alcoolisées. Celles-ci sont nombreuses et portent diverses appellations dont les plus connues sont les alcopops et les pré-mix. Ce faux anglicisme tiré du mot premixed (mélangé à l’avance) désigne des mixtures d’alcool fort et de soft (vodka-pomme, vodka-orange, vodka-caramel, whisky-cola, vodka-redbull, etc.) ou bien des boissons alcoolisées très sucrées. Ces mélanges sont entièrement destinés à une clientèle jeune dont une grande partie est constituée d’étudiants voire de lycéens et collègiens. En effet, on ne les retrouve quasiment que dans les soirées étudiantes voire dans les boites de nuit ou les bars essentiellement fréquentés par les étudiants :

« C’est aussi enfin les commerçants, ils prennent des bières qui ont un bon goûts pour attirer les jeunes. Je vois des personnes plus matures, j’en ai pas vues boire ces genres de boissons. C’est vraiment pour attirer les jeunes, c’est un genre de marketing. C’est comme les cigarettes; il y’en a des cigarettes à la vanille, au chocolat… » (David, 18 ans, Des jeunes en quête d’ivresse ?, France 5, le 01/12/2008).

Comme le laissent apparaitre leurs différents noms, ces mélanges d’alcool et de jus de fruits (achetés par commande ou réalisés par les consommateurs eux-mêmes) contiennent une teneur en sucre plus ou moins importante.

Ce qui en facilite donc la consommation de grandes quantités d’autant plus qu’un verre de pré-mix ou d’alcopop doit être avalé cul sec : on l’appelle un « shot » (un coup). Sans oublier d’autres supports (les sucettes à la vodka ou à la téquila) qui, cette fois-ci, sont explicitement destinés à une tranche d’âge encore plus jeune.

b) Parrainage et clientélisation

Pour attirer la clientèle étudiante, certaines marques de boissons alcoolisées utilisent des stratégies marketing plus ou moins efficaces. En dehors des spots publicitaires (rappelons que la publicité de boissons alcoolisées sur Internet est tout à fait légale), des packagings « fun et accrocheurs », ces marques de boissons alcoolisées peuvent, dans l’illégalité, parrainer des soirées étudiantes et profiter de l’occasion pour faire leur promotion dans les milieux étudiants :

– « En cas de grosses commandes, on peut avoir deux bouteilles offertes pour une dizaine payées, explique-t-il. Pour 3 000 euros d’achat, un alcoolier m’a même reversé 800 euros en contrepartie de quoi je m’engageais à n’utiliser que sa marque durant un nombre précis de soirées. (Christophe 22 ans, membre du bureau d’étudiants de son école d’ingénieurs) Poursuit-il, un autre vendeur a même accepté de lui financer un open bar – boissons à volonté – pour faire la promotion de sa marque passée de mode.

Des pratiques hors la loi puisque le parrainage des associations ou soirées étudiantes est interdit lorsqu’il a pour objet la publicité en faveur de boissons alcoolisées » 1.

Le marketing des alcooliers ne s’arrête pas au simple parrainage et au sponsoring des soirées étudiantes, ils cherchent également à fidéliser les étudiants à leur marque, notamment en leur offrant des objets et des accessoires (quotidiens et portables mais surtout en rapport avec la vie festive et la défonce) à l’effigie de ces mêmes marques.

La plupart de ces accessoires sont également déclinés en jeux de société très particuliers utilisés dans le cadre des beuveries et, participent souvent au caractère ludique du binge-drinking comme on le verra dans une autre partie :

– Si vous avez été étudiant dans une école, vous l’avez forcément vécu vous aussi. Lors des fêtes organisées par le BDE (Le Bureau Des Etudiants, où l’équivalent dans votre école), on constate de très nombreuses affiches et beaucoup beaucoup de gadgets sont généreusement offerts par les marques.

Cela va des tee-shirts au briquet en passant par des portes photos, des verres, des ceintures bref de quoi vous refaire une garde robe et vous équiper si vous ne l’étiez pas déjà. Même si je dois bien avouer que je suis ravi de récupérer tout ces objets qui me sont bien utiles (bon sauf le porte-clés Desperados, il est “juste” beau.)… (Twitter, étudiante en école de commerce).

Et voici les commentaires faits par deux de ses amis blogueurs trois jours après la publication de son article :

– « Je me révolte! Le porte-clés Desperados sert à quelque chose, il fait décapsuleur !! » (Gallaz).

– « Mais est-ce-que ça marche bien ? J’ai pas encore eu l’occasion de “shpoker” avec… » (Kinji).

1 Soûleries dans les soirées étudiantes, Le Monde, édition du 26/03/08.

Comme on le voit ici, le rôle des alcooliers n’est pas à négliger dans le développement du binge-drinking car ils sont très impliqués et très actifs dans les soirées étudiantes. En effet, « ils financent gobelets, doseurs, gadgets, échantillons-tests et surtout, offrent d’importantes remises sur les bouteilles »1. Les marques de boissons alcoolisées peuvent également, dans le cadre des plus grandes soirées étudiantes, fournir gratuitement un DJ ou même des hôtesses et des serveuses.

Celles-ci sont habillées aux couleurs de la marque, portent son logo, brandissent ostensiblement les bouteilles dont elles doivent assurer la promotion et surtout, distribuent des cadeaux aux étudiants fêtards.

Il faut noter que le parrainage des soirées étudiantes par les alcooliers est interdit et, les sanctions pénales contre une telle pratique ont été renforcées par la loi Bachelot.

Toutefois, cela n’arrête pas pour autant les multiples tentatives des marques de boissons alcoolisées. L’une de leurs principales stratégies consiste maintenant à convaincre les associations étudiantes de déplacer leurs soirées des campus vers les discothèques car ces dernières disposent des licences requises pour entreposer dans leurs locaux d’importantes quantités d’alcool. Ils (les alcooliers) n’hésitent pas aussi à accompagner les parrainages des soirées par des programmes de prévention et de sensibilisation plus ou moins déguisés.

Malgré les entraves juridiques, les stratégies des alcooliers enregistrent un certain écho chez les étudiants fêtards, dans la mesure où « inscrire un logo sur son corps ou porter sur soi les objets de la marque revient à s’incorporer le style de vie que les spots publicitaires mettent en scène »2.

Même dans les sites de vente d’alcool en ligne, le marketing s’impose pour attirer le plus de clients. Rien que les pages d’accueil y évoquent l’ambiance des soirées étudiantes : « La page d’accueil de ce site Internet est très colorée : rouge tomate, jaune citron et vert olive.

De la musique techno s’impose à l’internaute, tout semble clignoter. Apéros, cocktails ou bières, cette start-up montée par un jeune chef d’entreprise livre des bouteilles d’alcool à domicile, à Paris et dans la proche banlieue »3.

Nous observons ici comment des éléments structurels, comme un nouvel usage du corps comme expression de la subjectivité ainsi que le développement et la consommation massive des TIC chez les étudiants, combinés à la mise en œuvre de stratégies marketing par les alcooliers concourent à favoriser la consommation excessive d’alcool en milieu étudiant.

1 Trop d’alcool dans les grandes écoles, Le Figaro.

2 David Le Breton, « Le corps, la limite : signes d’identités à l’adolescence » in Un corps pour soi, C. Bomberger, P. Duret, J.C. Kaufmann, D Le Breton, F. de Singly, G. Vigarello, PUF, 2005. pp. 89-111.

3 Livraisons rapides d’alcools avec Internet, Le Monde, édition du 18/05/07.

Nous observons également surtout la façon dont l’industrie de l’alcool à travers ses stratégies de vente, a saisi le mode de vie d’une catégorie particulière (les étudiants essentiellement des « grandes écoles ») pour le transformer enfin en produits de consommation (pré-mix et alcopops).

Dans une perspective similaire, le concept marketing de « branding » (le pouvoir de la marque) trouve ici tout son sens : réussir à photographier ou à filmer une star du show business avec comme image de fond la marque d’une boisson alcoolisée. La photo ou la vidéo en question sera ensuite mise sur Internet pour inspirer et attirer la clientèle de jeunes qui, à l’image de ces stars se disent branchés parce qu’ils savent faire la fête en se défonçant.

Cette opération semble bien réussie du fait que « historiquement, l’individu de devoir tend à disparaitre et fait place à un individu conformiste, soucieux de ressembler aux autres, s’inspirant du comportement de ses groupes de pairs ou copiant les modèles transmis par les médias et la publicité. Ce narcisse/hédoniste est la cible de prédilection de l’univers marchand, qui capte les mouvements culturels pour les recycler en produits et styles de vie, une façon de soumettre l’individu moderne à d’incessantes tentations. »1

1 Monique Dagnaud, La teuf. Essai sur le désordre des générations, Seuil, Paris, 2008, p.148.

Ce que vont corroborer les analyses suivantes.

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