L’extension du champ d’application de la copie privée

2°) L’extension du champ d’application de la copie privée : un risque de « double taxe » pour le consommateur.
En étendant la rémunération pour copie privée, aux supports numériques, la commission BUISSON, le 4 janvier 2001, a ouvert la brèche vers une extension exponentielle de cette rémunération à tout support numérique novateur, dès l’instant où celui-ci permettra la copie de phonogramme ou vidéogramme.
Toutefois, et dans cette optique, il semblerait que les supports visés par la commission sont certes destinés à des fins de copies, mais pas nécessairement à des fins de copies privées au sens de la loi.
Lors de la dernière extension, la commission avait inclus dans le champ d’application de la redevance les baladeurs enregistreurs MP3. Ces appareils sont en effet dotés d’un disque dur qui leur permet de stocker principalement de la musique téléchargée sur Internet ou copiée à partir d’un CD audio. Ces supports amovibles sont cependant destinés uniquement au stockage d’information, alors que la plupart des supports visés par la commission Brun Buisson et qui risque d’intégrer la liste des supports soumis à rémunération ne le sont pas.
En effet, alors que la commission a voté dans ce sens le 4 juillet 2002, le débat porte principalement sur la question de savoir si l’on doit soumettre ou non les disques durs d’ordinateur à la rémunération pour copie privée. Plusieurs thèses vont à l’encontre de ce projet.
Si le disque dur d’un ordinateur sert de support de transition et de conservation à titre temporaire en vue de la réalisation d’une copie privée, il ne peut être soumis à la redevance pour copie privée.
En effet, les consommateurs qui, après s’être acquittés du montant de la « taxe » sur les disques durs (lors de son achat), se verraient imposer le versement d’une rémunération au titre de la copie privée perçue sur le prix des CR-R, sur lesquels sont actuellement réalisées les copies des phonogrammes téléchargés sur Internet, ne manqueraient pas de « plaider l’existence d’un double paiement ».
De plus, sous la rémunération qui risque d’être appliquée sur les disques durs d’ordinateur transparaît l’idée d’une véritable taxe.
En effet, comment déterminer précisément les sommes à prélever ? Une distinction sera-t-elle faite entre les disques durs exclusivement dédiés à la sauvegarde de données personnelles et ceux qui réaliseront « certainement » des copies privées ? Concernant les disques qui ne sont pas exclusivement dédiés à la copie d’enregistrements audio ou vidéo, doit on appliquer un système de proportionnalité ? Pareille solution serait impraticable !
Dès lors, la commission devrait de se tourner vers l’adoption d’un prix moyen, en tenant compte toutefois que les disques durs d’ordinateur servent aussi à stocker des informations qui ne relèvent pas des droits de propriété intellectuelle.
Cette rémunération toucherait quoiqu’il en soit tous ces supports, ce qui renforce l’idée d’une taxe. De plus, celle-ci pénaliserait les entreprises qui se servent des disques durs pour sauvegarder leurs données et non pour faire de la copie privée. En outre, les familles françaises étant déjà faiblement équipées par rapport à la moyenne européenne, une taxe supplémentaire n’inciterait certainement pas le passage à l’acte d’achat. Enfin, cela pourrait inciter les détenteurs de matériels informatiques à recourir à la copie pirate sur le principe « je paye, donc je copie », la distinction entre rémunération pour copie privée et copie pirates étant assez floue au regard de l’opinion publique en général…et du consommateur en particulier.
Conclusion :
L’auteur et le consommateur ne s’ignorent pas, et le consommateur est finalement bien présent au sein du droit d’auteur.
L’univers numérique permet quant à lui de nouvelles utilisations et transmission des œuvres de l’esprit. Pour autant, la société de l’information n’est pas une autoroute libre de droits, et dans laquelle les droits de propriété intellectuelle sont inopérants. Au contraire, il s’agit de reconnaître la conformité des textes relatifs au droit d’auteur dans ce nouvel environnement numérique. A défaut de révolution, il s’agit de parler de simple évolution.
Toutefois, il est évident que l’univers numérique restreint le contrôle sur l’utilisation qui est faite des œuvres.
Néanmoins, il convient de juger ce qui est véritablement nécessaire à la protection des prérogatives patrimoniales de l’auteur.
Nous pouvons en effet légitimement douter des pratiques tendant à la restriction de l’accès aux œuvres. Alors que ces mesures sont le plus souvent issues de la volonté de ces industriels qui tirent le plus profit des droits d’auteurs et conduisent à une marchandisation extrême de la propriété intellectuelle, il est évident qu’elles sont préjudiciables à l’image l’auteur puisque l’opinion publique lui attribut la prise de décision de ces mesures, mais aussi aux consommateur qui voient son accès à l’œuvre fortement limité, et ce, quand bien même cet accès serait licite !
Notre souhait serait alors de voir ces mesures de protection supprimées puisque leur finalité semble dérisoire. En effet, ces mesures de protections ne sont pas préjudiciables aux contrefacteurs, qui trouveront toujours un moyen de les détourner, mais à l’honnête consommateur qui, en pensant acquérir l’œuvre de manière licite, peut estimer avoir le droit de l’utiliser sur tout matériel qu’il a à sa disposition ; tel n’est pas le cas en pratique, nous l’avons vu.
Enfin, profitons de la transposition de la directive du 22 mai 2001 sur « le droit d’auteur dans la société de l’informations » afin de conserver la notion de copie privée et en préciser la définition, puisque sa portée est source d’ambiguïté dans notre droit national.
Nous ne pouvons ignorer ce que certains, dont Henry Desbois, considéraient comme le fondement du droit d’auteur : un juste équilibre entre usage et incitation à la création. Une trop forte marchandisation de la propriété intellectuelle et une prise en main des prérogatives de l’auteur par les intermédiaires de la création risquent de définitivement nous en détourner.
Table des abréviations :
Al. : Alinéa.
ARP : Société civile des Auteurs Réalisateurs Producteurs.
CA : Cour d’appel.
Cass. : Cour de Cassation.
CD-R : Compact disque enregistrable.
CD-RW : Compact disque réenregistrable
Ch. : Chambre.
Coll°: Collection.
CPI : Code de la Propriété intellectuelle CSA : Conseil Supérieur de l’Audiovisuel. D.: Dalloz.
DVD : Digital versatil disc.
Ed°: Edition.
ERCIM : Equipe de recherche Créations Immatérielles et droit.
Jsp : jurisprudence
OMPI : Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Genève).
P. : page.
P2P : « peer to peer » ou « de pair à pair ». S’entend de la diffusion et de la transmission via Internet de fichiers musicaux ou vidéos, d’un disque dur à un autre.
Rec. CJCE : Recueil des arrêts de la Cour de Justice des communautés européennes.
SACEM : la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique.
SCCP : Société civile pour l’exercice des droits de producteurs phonographiques.
SNEP : Syndicat National de l’Edition Phonographique.
SNE : Syndicat National de l’Edition.
SNSE : Syndicat National des Supports d’Enregistrement.
SPEDIDAM : Société de perception et de distribution des droits des artistes interprètes de la musique et de la danse.
SPPF : Société civile des producteurs de phonogrammes en France.
SPRD : Société de perception et de répartition des droits (SACEM, SDRM, SESAM, ADAMI, SPEDIDAM, SCPP, SPPF, etc.)
SPRE : Société civile pour la perception de la rémunération équitable de la communication au public des phonogrammes du commerce.
TGI : Tribunal de grande instance.
TVA : Taxe sur la valeur ajoutée.
Lire le mémoire complet ==> (Le droit d’auteur et le consommateur dans l’univers numérique)
Entre solidarisme de la consommation et individualisme de la propriété.
Mémoire de fin d’études – DEA De Droit Des Créations Immatérielles – Droit Nouvelles Technologies
Université De MONTPELLIER I – Faculté De Droit
Table des matières :
Introduction générale
CHAPITRE 1 : Le cadre de la confrontation entre le consommateur et le droit d’auteur
Section 1 : La nouvelle économie de la relation Auteur/Consommateur
§ 1 : L’évolution de la philosophie du droit d’auteur : des Lumières à la société post- industrielle
A) Le conflit entre auteurs et éditeurs
B) Un délicat équilibre entre les intérêts du public et de ce nouvel « auteur-propriétaire »
1° l’Auteur, ce « citoyen le plus respectable72 » au service de la Communauté qui l’a fait naître
2° Une propriété aménagée, tournée vers les intérêts du public…de consommateur
3° Entre un auteur propriétaire de l’œuvre et un consommateur propriétaire du support
§ 2 : L’entrée dans l’univers numérique : d’un consommateur spectateur à un consommateur acteur
A) L’univers numérique révèle la finalité d’application du droit d’auteur au consommateur : l’autonomie du droit d’utilisation
B) L’avènement des produits et services
Section 2 : Vers une désintermédiation de la relation auteur / consommateur
§ 1 : Le numérique permet de mettre fin au monopoles des intermédiaires
A) A l’heure de l’immatériel, le monopole des « intermédiaires propriétaires » ne se justifie plus
B) Le consommateur, acteur à part entière dans le téléchargement d’œuvre
1° L’arrivée d’Internet affaiblit le rôle des intermédiaires
2° L’autoproduction fonctionne en pratique et rapproche les auteurs des consommateurs de leurs œuvres
3° La riposte des distributeurs
+ Appareils et formats divers.
+ Création de monopoles…parfois nécessaires.
+ Atteintes manifestes aux intérêts des consommateurs.
§ 2 : Perspectives d’avenir : Plaidoyer en faveur d’un encadrement juridique des transactions adapté aux nouveaux modes de consommation
A) Des droits nationaux peu enclin à couvrir le marché des inforoutes internationales de l’information
1° Des clauses de cession de droits qui doivent être précises
2° L’engouement de certains pour la licence légale
3° Imprécision des droits du consommateur dans le téléchargement de fichiers sur
Internet
B) Vers une internationalisation du droit de la consommation ?
CHAPITRE 2 : L’objet de la confrontation, entre le droit d’auteur et les « droits » du consommateur
Section 1 : Les protections techniques empêchent l’accès libre et paisible du consommateur à l’œuvre
§ 1 : Mesures techniques de protection et dispositifs anti-copie
A) Cryptage et traçage : le contrôle les œuvres téléchargées sur Internet
+ L’encryptage du contenu.
+ Le tatouage (ou watermaking).
B) Falsification des données et parasite audio : le contrôle de l’utilisation des œuvres sur support
§2 : Des atteintes manifestes aux différents « droits d’accès
A) La question de l’accès à la vie privée du consommateur
B) La question de l’accès du consommateur à l’œuvre qu’il a acheté : quand « vouloir du live » devient une Foly
1°) Liane Foly et Alain Souchon restent sans voix
2°) Des décisions floues et aux intérêts limités
+ Alain Souchon et la tromperie
+ Liane Foly et les vices cachés
3°) La légitimation implicite des mesures techniques de protection
Section 2 : Menaces sur la copie privée : une atteinte directe contre les « droits » du consommateur
A) L’analyse du caractère « strictement privé » de la copie mise en danger par les mesures techniques
B) Dénaturation de la rémunération pour copie privée
1°) La copie privée est indifférente au préjudice occasionné par Internet+ Le recours à l’acte de copie privée n’est pas plus fréquent dans l’univers numérique.
+ L’évaluation de la compensation pour copie privée englobe l’atteinte liée à la « piraterie ».
2°) L’extension du champ d’application de la copie privée : un risque de « double taxe » pour le consommateur
Conclusion

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