La nouvelle économie de la relation Auteur Consommateur

Le cadre de la confrontation entre le consommateur et le droit d’auteur – Chapitre 1 :
Ce premier chapitre nous permettra de mettre l’accent sur l’évolution de la relation entre le droit d’auteur et le consommateur, depuis la création de l’imprimerie et la constitution des premiers monopoles, en passant par l’arrivée de nouveaux supports et l’émancipation des intermédiaires de la création qui contribuent aujourd’hui à en ériger de nouveaux. (Section 1). Nous verrons alors que l’univers numérique, plutôt que d’opposer l’auteur et le consommateur, peut constituer un « territoire virtuel » favorable à la conciliation de leurs différents intérêts (Section 2).
Section 1 : La nouvelle économie de la relation Auteur/Consommateur
Les derniers siècles ont vu l’auteur acquérir des droits sur son œuvre, qui constitue alors pour lui un nouveau genre de propriété, mais une propriété tournée vers les intérêts de la communauté au sein de laquelle l’auteur est né et où se cache le consommateur (§1). Mais alors que celui-ci n’était jusqu’à présent qu’un simple spectateur, le numérique et l’avènement des produits et services lui permettent de devenir un acteur au sein de ce nouvel environnement (§2).
§ 1 : l’évolution de la philosophie du droit d’auteur : des Lumières à la société post-industrielle.
Alors que l’auteur connaîtra certaines difficultés à revendiquer un droit sur son œuvre fac aux monopoles acquis par les éditeurs (A), la société post-révolutionnaire permettra de révéler la véritable finalité du droit d’auteur (B).
A) le conflit entre auteurs et éditeurs.
Les droits de propriété intellectuelle puisent véritablement leurs fondements dans l’avènement de la société industrielle. En effet, l’invention de l’imprimerie et des moyens de reproduction mécanique a permis une large diffusion au public. Parallèlement, les œuvres de l’esprit acquièrent une valeur économique non négligeable, puisque leur diffusion ou représentation n’est plus isolée mais bien appelée à être transmise au plus grand nombre. Cette activité nouvelle d’édition demande des moyens financiers importants et risquait d’entraîner une forte concurrence entre les différents imprimeurs. Ainsi, il devenait nécessaire de se protéger contre tout risque de contrefaçon et de diffusion non contrôlée de la culture et des connaissances. Le privilège d’édition était né.
En France, le premier d’entre eux semble être celui qui fut accordé à l’imprimeur Jean de Spire en 1469. Ces faveurs royales seront progressivement étendues aux arts plastiques1 et musicaux2.
Il est toutefois important de noter que l’auteur restait en marge de ces préoccupations économiques ; ces privilèges ne lui étant pas destiné à proprement parler, ne concernant en réalité que l’imprimeur-libraire. De plus, l’essentiel des éditions de l’époque portait sur des ouvrages anciens, profanes ou religieux dont les auteurs étaient pour la plupart morts ou difficilement identifiables. Les textes plus récents portaient sur des écrits juridiques ou administratifs, fonctionnels et sans grande « originalité ».
Les autres auteurs, créateurs d’œuvres plus récentes ou plus audacieuses, même s’ils avaient toujours cherché à vivre du fruit de leur travail, étaient peut-être loin de réaliser l’importance de cette technique balbutiante, tant au niveau de l’enrichissement culturel auquel ils participaient, que des rétributions qu’ils pouvaient en retirer. Leurs revendications étaient rares, et une fois le monopole d’impression accordé au libraire, celui-ci imposait ses conditions aux auteurs en vue de sa rémunération.
Mais parallèlement aux privilèges des imprimeurs, la pratique a par la suite permis de voir se développer des privilèges accordés progressivement aux auteurs.
Enfin, ils protestèrent pour revendiquer une protection exclusive à laquelle ils estimaient avoir droit, et lutter contre les monopoles des imprimeurs. Luther, en 1525, avait ainsi pu écrire : « J’ai écrit les Postillae depuis le jour des rois jusqu’à Pâques, et voilà que le compositeur qui s’engraisse de mes sueurs vole mon manuscrit avant que j’aie fini et va le faire imprimer ailleurs pour ruiner ma dépense et mon travail. » L’idée de droit de propriété de l’auteur sur son œuvre transparaît alors. Il la revendique et tend à empêcher une quelconque appropriation de sa création par l’imprimeur.
Mais le droit d’auteur à proprement parler fut véritablement reconnu au XVIII° siècle, sous l’influence des Lumières. Le 30 août 1777, un arrêt réglementaire consacre à la fois les droits des libraires et ceux des auteurs tout en les dissociant. A la finalité strictement économique de l’exclusivité accordée au libraire s’oppose une « propriété de droit » octroyée à l’auteur. Enfin, ce n’est qu’après l’abolition des privilèges que les lois des 13 et 19 janvier 1791 et des 19 et 24 juillet 1793 vont consacrer « le droit de représentation des auteurs d’œuvres dramatiques et le droit de reproduction des auteurs « d’écrits en tout genre », des compositeurs de musique, peintres et dessinateurs »3.
L’auteur, en tant que propriétaire de son œuvre était né.
Cette propriété accordée à l’auteur permettait alors de mettre fin aux monopoles individualistes des éditeurs. Mais le fait de conférer un droit de propriété à l’auteur ne consistait il pas à en créer de nouveaux ? La réponse semble être, dans un premier temps en tout cas, négative, puisque loin d’être frappés d’un « égoïsme étroit »4, les droits de propriété intellectuelle se devaient de concilier droits des créateurs et intérêts de la communauté.
C’est alors qu’intervient cette notion essentielle de « public », dans laquelle se cache, peut-être, le consommateur.
B) Un délicat équilibre entre les intérêts du public et de ce nouvel « auteur- propriétaire ».
Alors que l’auteur est sacralisé, le destinataire de l’œuvre se fond dans une masse, le « public ». Ces deux parties doivent néanmoins cohabiter et exercer concomitamment leurs prérogatives sur ce concept hybride que représente cette nouvelle « propriété », intellectuelle. Naît alors la conception romantique du droit d’auteur (1°), difficilement conciliable avec un univers purement consumériste (2°), où les propriétés, du créateur de l’œuvre et de son destinataire, sont finalement parvenues à entrer en conflit (3°).
1°) l’Auteur, ce « citoyen le plus respectable5 » au service de la Communauté qui l’a fait naître.
Malgré ces moyens de reproductions naissants, l’accès à l’œuvre était assez limité. En effet, à cette époque, « le public se déplaçait sur le lieu de la représentation6 » et le coût encore élevé des supports sur lesquels était reproduite l’œuvre (tableaux, livres…) n’incitait pas à l’achat.
La diffusion de l’information et des œuvres sur lesquelles on entendait appliquer ces droits de propriété intellectuelle nouveaux était réalisée par représentations, expositions en public, le plus souvent à titre gratuit. En ce qui concerne l’auteur, la dimension économique de ce nouveau droit était peu marquée à l’époque, et la reconnaissance d’un droit de propriété semblait l’emporter sur des justifications plus lucratives.
En effet, au XVIIIème siècle, le droit d’auteur avait pour objectif de protéger l’auteur, « menacé de spoliation7 » face aux intérêts monopolistiques des éditeurs. Toutefois, si l’œuvre appartient à l’auteur il n’en demeure pas moins qu’elle est née au sein de la Collectivité et fait alors partie du patrimoine culturel, de la Nation.
S’appuyant sur une doctrine allemande, Henry Desbois avait d’ailleurs pu écrire que « l’auteur travaille dans le peuple et avec le peuple, […] il domine la foule mais son œuvre puise sa sève dans le sol commun ». A un égoïsme éventuel de l’auteur, voulant protéger sa propriété, doit être opposé l’intérêt de la communauté.
L’auteur est certes propriétaire de son œuvre, mais n’en est pas moins redevable envers la société, qui a contribué à la création. « L’auteur travaille dans le peuple et avec le peuple8 ». La communication de son œuvre au public devient alors évidente et nécessaire : Evidente car la société a donné à l’auteur la matière indispensable à sa création, ce dernier n’ayant plus qu’à y imprimer sa personnalité propre. Nécessaire car l’œuvre de l’esprit, dans laquelle la société toute entière est impliquée de manière implicite, est alors perçue comme un instrument d’éveil, d’éducation du public et de diffusion du savoir. Le droit afférant à cette œuvre devient alors un moyen de récompense de l’auteur principal, par l’acquisition d’une propriété lui permettant d’exercer des prérogatives pécuniaires et morales. Toutefois, loin d’être un retour sur investissement, les droits de l’auteur sur son œuvre doivent être exercés en conformité avec la réalité sociale de l’époque. C’est pourquoi, « l’Etat, gardien des intérêts et mandataire de la collectivité9 » doit contrôler le respect d’un certain équilibre : Assurer au créateur une exploitation légitime de son œuvre, l’incitant à créer de nouveau, et éviter de rendre trop onéreuse la communication au public, qui a « participé » à la création.
En tout état de cause, nous sommes forcés de constater qu’il est simplement fait référence au public. Cette notion de « public » est difficilement conciliable avec celle d’appropriation personnelle. D’une part, les acquéreurs d’ouvrages parus au XVIII° siècle étaient assez peu nombreux pour inquiéter les auteurs ; d’autre part, la philosophie des Lumières s’accordait très mal avec la réservation des savoirs.
La doctrine française, considérant le droit d’auteur comme un droit naturel et ayant tendance à idéaliser cette matière juridique, l’a longtemps placé au-dessus des conflits d’intérêt, et des intérêts matériels en particulier. La référence à la propriété est certes significatif ici mais c’est surtout pour montrer son détachement avec les privilèges. Toutefois, il convient de ne pas négliger le fait que le droit de l’auteur est avant tout un droit de propriété.
Ces deux concepts, de propriété d’une part, et de « droit du public » d’autre part vont alors entrer en conflit au siècle suivant, conduisant alors le législateur à prononcer quelques précisions et aménagements quant aux prérogatives de chacun.
Lire le mémoire complet ==> (Le droit d’auteur et le consommateur dans l’univers numérique)
Entre solidarisme de la consommation et individualisme de la propriété.
Mémoire de fin d’études – DEA De Droit Des Créations Immatérielles – Droit Nouvelles Technologies
Université De MONTPELLIER I – Faculté De Droit
 

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