Résultat de dysfonctionnements de l’administration pénitentiaire

B. Le résultat de dysfonctionnement :
Evidemment, comme on l’a vu auparavant, la responsabilité de l’administration pénitentiaire peut être engagée, ainsi que celle du chef d’établissement, en cas d’imprudence ou de faute professionnelle. Il existe donc une indiscutable nécessité d’intervenir contre les violences en détention.
Néanmoins, pour certains personnels, le fait que la détention s’auto régule elle-même, est un avantage considérable. En effet, cela engendre un équilibre précaire entre les détenus. Cette violence peut donc apparaître comme « utile » au maintien de l’ordre173.
Ainsi, les détenus font leur propre loi, règlent leur problème par eux-mêmes, au détriment de quelques détenus… : « D’un côté, les caïds assurent la régulation interne entre détenus, fixent les règles et les font appliquer; de l’autre le personnel et l’administration rétribuent le caïd en rétrocédant un certain nombre d’avantages. On peut même parler de privilèges. 174» Ainsi, selon l’Observatoire Internationale des Prisons, « il n’est pas rare que des surveillants aient laissé faire, approuvant parfois les rapports de force ainsi affirmés qu’ils jugent dans l’intérêt de la paix en détention »175.
Le comité pour la prévention contre la torture a affirmé que l’administration avait la responsabilité de protéger les détenus. Pour cela, le personnel de surveillance doit être attentif à leurs comportements et doit donc avoir les moyens nécessaires pour intervenir176. La France présente deux mesures chargées de prévenir cette violence : les visites, dés l’arrivée du détenu, du chef d’établissement, du service médical et du service d’insertion et de probation, et l’importance de l’affectation de la cellule.

173 O. Géron, Les violences entre détenus en milieu carcéral, ministère de la justice, direction de l’administration pénitentiaire, bureau de l’individualisation et des régimes de détention, septembre 1997, p16.
174 D. Welzer-Lang, L. Mathieu, M. Faure, Sexualités et violences en prison, OIP, Aléas, 1996. Dans sa préface, Michelle Pérot explique clairement cette violence institutionnalisée : « La prison apparaît ici pour ce qu’elle est : un monde de violence souvent extrême, où les négociations, constantes, entre les détenus et entre ceux-ci et les gardiens, s’opèrent toujours au détriment des plus faibles. Souvent, les gardiens ferment les yeux sur des abus ou l’exploitation sexuelle d’un détenu contre le respect tacite de l’ordre quotidien. La tranquillité carcérale recouvre bien des violences tues ».

Néanmoins, la pratique varie énormément des textes. Les violences en prison sont courantes et sont difficilement contrôlées. L’affectation dans la cellule ne peut généralement être faite, en prenant en compte tous les critères.
Consciente de cette difficulté, l’administration pénitentiaire, dans une note du 19 février 1982 relative à la répartition des détenus à l’intérieur des maisons d’arrêt, indique que le choix de l’affectation de la cellule doit être fait avec clairvoyance. Cette affectation incombe aux chefs d’établissement qui lorsqu’ils la délèguent, doivent en assurer le contrôle.
Néanmoins, la pratique varie énormément par rapport à la théorie. Par exemple, comment ne pas parler du drame de Gradignan où un détenu a été égorgé dans sa cellule lors de sa dernière nuit en prison, par un codétenu psychotique et violent. L’affectation de la victime n’a pas du tout été réfléchie.
Cependant, un autre problème de plus en plus important en prison apparaît. En effet, les détenus ayant un problème psychologique sont dangereux à la fois pour les surveillants, mais aussi pour les détenus, qui vivent continuellement avec eux. Evidemment de nombreuses fautes ont été commises par le personnel pénitentiaire concernant l’affectation ainsi que la surveillance177. Mais le point majeur est de se demander ce qu’une personne avec un problème psychologique faisait dans une prison, avec un personnel pénitentiaire non compétent en la matière.
L’administration pénitentiaire souffre déjà d’un problème important en effectif, sans compter les maisons d’arrêt surencombrées. Elle ne peut donc pas gérer avec les moyens qu’on lui donne, de tels détenus. En effet, un nombre de plus en plus important de détenus souffre d’un problème psychiatrique. Une enquête, réalisé par les ministères de la santé et des affaires sociales, en juillet, a dressé un bilan désastreux : un détenu sur deux souffre de troubles psychiatriques178.

175 OIP, Prisons : un état des lieux, L’esprit frappeur, n°72, p 80.
176 Rapport au gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée par le CPT en 1996 : « l’obligation de prise en charge des détenus incombant aux autorités pénitentiaires englobe la responsabilité de les protéger contre d’autres détenus qui pourraient leur porter préjudice. »
177 Le monde, Michel Lestage, égorgé en prison, victime de « dysfonctionnements », 26 janvier 2002 : La commission nationale de déontologie de la sécurité a estimé « dans un avis rendu le 30 novembre 2001 à la chancellerie que « tout indiquait dans le dossier Guislain Yakoro qu’une procédure d’alerte de l’administration pénitentiaire aurait dû être mise en œuvre. Il n’en a rien été » . La commission a ainsi pointé une série d’insuffisances dues au « cloisonnement entre les différents intervenants, gravement nuisible au traitement des détenus par l’administration pénitentiaire ». Elle a déploré le manque d’information du personnel de la dangerosité de certains détenus ».

Cela résulte entre autres du changement d’appréciation de la part des psychiatres experts qui diagnostiquent de moins en moins les cas de manque de discernement, suite aux lois de 1992 et à la réforme du Code pénal en 1994.
Un rapport179 a revendiqué avec vigueur ce problème : « tout se passe comme si la prison était devenue le seul lieu d’accueil pour un nombre croissant de psychotiques rejetés à l’extérieur de l’institution hospitalière par les responsables médicaux ». Actuellement, « bon nombre de professionnels pénitentiaires reconnaissent, sans acrimonie ou polémique aucune, que les prisons sont devenues aujourd’hui les déversoirs des hôpitaux psychiatriques »180. C’est ce que met en avant le journal Le monde : « comment des centaines de malades mentaux et de psychotiques lourds » ont été placées en prion, « lieu qui pallie aujourd’hui l’insuffisance de structures hospitalières adaptées pour ces pathologies »181. Ainsi, il faut arrêter de « considérer l’administration pénitentiaire comme la poubelle de la justice » ( Pierre Albertini, UDF)182. D’ailleurs, les Sénateurs ont fait le constat de ce paradoxe terrible(…) : de plus en plus de malades mentaux sont aujourd’hui incarcérés. La boucle est bouclée : la prison, aujourd’hui en France, est en train de retrouver son visage antérieur au code pénal napoléonien »183. Dernièrement, les 19, 20 et 21 novembre 2001, la 13ème rencontre nationale des Services Médico-Psychologiques Régionaux (S.M.P.R.) et des Unités pour Malades Difficiles (U.M.D.) a eu lieu à Paris, sur le thème « Les Dangerosités. De la criminologie à la psychopathologie, entre justice et médecine». Une prise de conscience de ce fléau apparaît peu à peu au sein des institutions. Néanmoins, aucune solution n’a été adoptée par les autorités afin de remédier à cette cause d’insécurité qui grandit de jour en jour.

178 Le monde, le 16 août 2002, 55% des détenus souffrent de troubles psychiatriques.
179 Pradier P., La gestion de la santé dans les établissements du programme 13000, Evaluation et perspectives, 1999, 61p.
180 Citation tirée de l’article de M.Olivier Maurel, Le profilage des détenus et la gestion des crises en établissement pénitentiaire, p132 à 138, dans le livre de M.Montet, Profileurs, PUF, novembre 2001, 320p.
181Le monde, Le délire de persécution était incompatible avec l’incarcération, 26 janvier 2001.
182 Citation tirée d’un article du journal le monde du2 août 2001, Quand la droite appelait à un « grand texte de liberté », par Dominique Simmonot
183 Rapport de la commission d’enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, La prison : une humiliation pour la République, juillet 2000 : 1.A.2.c) Les malades mentaux vers la prison-asile.

Conclusion :
« La sécurité n’est pas une fin en soi, pas davantage qu’elle ne pourra jamais être assurée totalement »184. Cette citation résume clairement ce que représente la sécurité en prison. M. Juillan estime que c’est une obligation de moyen et non de résultat, comme le voudrait pourtant l’administration pénitentiaire. On ne peut pas mettre une sécurité totale dans les établissements. Tout doit être fait pour qu’aucun incident ne se produise, mais en même temps cela est impossible. Il faut essayer de favoriser la sécurité en améliorant les conditions de détention, qui sont souvent la cause de violences. Pour cela, un numerus clausus185 dans les maisons d’arrêt pourrait être obligatoire, comme cela est recommandé par le code de procédure pénale. En effet, la surpopulation, la vétusté des locaux, l’allongement de la durée des peines, le chômage, … favorisent l’insécurité. En plus, comme l’a souligné M. Duflot, l’espoir de pouvoir s’évader est nécessaire et naturel. C’est humain de vouloir s’enfuir.
Ainsi, il apparaît suite à nos entretiens et aux sentiments qu’il en résulte, que « les sécuritaires sont anti-sécuritaires » (M.Duflot). En effet, il est préférable d’avoir des évasions que des prises d’otage, en quelque sorte. M. Obligis l’a clairement exprimé : « plus on sécurise, moins on laisse de faille, donc plus on oblige le détenu à faire preuve de violence ».
L’exemple historique nous montre bien que même si la sécurité est totale, cela n’empêche pas les incidents graves, au contraire. En effet, au début des années 70, le maître mot de l’administration pénitentiaire était « sécurité ». Ainsi, des quartiers de haute sécurité étaient créés pour les détenus jugés dangereux, afin de les « contrôler » plus facilement. Pourtant, de nombreuses révoltes ont éclaté jusqu’en 1974. Les réformes appliquées tous azimuts et à tous les établissements, ont donc été inefficaces.

184 Les techniques et les méthodes en matière de sécurité pénitentiaire, M.Asset, 1988, p15.
185 Le numerus clausus rendrait impossible pour un magistrat l’incarcération d’une personne si aucune place n’est disponible dans la prison la plus proche.

De nos jours, une nouvelle vague sécuritaire, suite à la prise d’otage de Fresnes, est apparue, dénonçant les carences de l’administration pénitentiaire en terme de sécurité. Certes, le rapport Chauvet préconise dans sa deuxième partie, une sécurité plus humaine, celle « active ». Néanmoins, seule les mesures de sécurité passive ont fait parler d’elles. D’ailleurs, M. Chauvet préconisait essentiellement la notion de sécurité passive, comme notamment la ministre de la justice. Au contraire, pour M. Duflot, « la sécurité ce n’est pas que ça ». Il a donc réussi à introduire celle active.
Comme le souligne notamment Alexis Grandhaie, ancien dirigeant de la CGR- pénitentiaire, « ne cédons pas aux vieilles recettes qui ont échoué et qui consistent à revenir à des établissements sécuritaires. On a fait ça il y a vingt ans et ça n’a pas marché »186. Pourtant, malgré ces revendications, certains syndicats, comme les syndicats CGT-pénitentiaire et l’UFAP, réclament plus de sécurité. Reste à savoir si les syndicats représentent l’opinion majoritaire au sein de la profession.
De toute façon, la sécurité ne vaut que par la qualité des hommes qui sont chargés de l’appliquer. De plus, il nous semble que par rapport aux établissements pénitentiaires qui nous ont gracieusement ouverts leur « porte », l’administration n’est plus une institution non soucieuse des individus qu’elle a en charge. Ainsi, une prise de conscience a permis de considérer que la meilleure façon de gérer ces lieux de « réclusion », n’était autre que d’une façon plus humanitaire. D’ailleurs, l’avant-projet de la loi pénitentiaire prévoit que la sécurité doit être proportionnelle à la dangerosité des détenus. Cette proposition qui n’est pourtant pas nouvelle187, paraît être la solution qui permettrait de satisfaire les revendications de chacun. En effet, de cette manière les exigences sécuritaires seront remplies, tout en permettant à certains détenus de vivre une détention adaptée à leur réinsertion. M. Duflot affirme que « dans l’insertion, il y a la sécurité ». Pour cela, il faut de petites structures avec 300 places maximum, et un personnel en nombre suffisant, adapté à la population pénale actuelle et donc formé en conséquence.

186 Dedans-dehors, n°26, juillet 2001, p 6., Les syndicats font monter la pression.
187 En effet, un dossier de presse du ministère de la justice en 1990 sur la sécurité en prison, estime que « le choix du lieu d’incarcération devrait alors tenir compte du niveau de sécurité en fonction du risque potentiel que représente chaque détenu ».
188 M.Favard, La prison, 1994, p86.

Mais, cette transformation de la politique pénitentiaire doit se faire en même temps que celle de l’opinion publique, qui doit comprendre qu’une prison n’est plus un lieu d’exclusion.
Ainsi, la sécurité est un sujet large et primordial pour l’administration pénitentiaire, qui commence à concevoir que la citation de M.Favard reste toujours d’actualité : « trop de sécurité tue la sécurité, en rendant explosive l’atmosphère des prisons »188.
Glossaire :
Maison d’arrêt : Prison qui reçoit un détenu avant son jugement (« le présumé
innocent ») et le condamné définitif dont le temps restant de la peine est inférieur ou égal à un an ( en théorie seulement, car dans la pratique certains y passent jusqu’à trois ans…). Ex : Loos.
Centre de détention régionale : Etablissement pour peine qui héberge des condamnés à des peines dont la durée n’excède pas cinq ans ou dont la durée est inférieure à sept ans si la durée de peine restant à subir est inférieure à cinq ans.
Ex : Loos
Centre de détention nationale : Etablissement pour peine qui reçoit les détenus condamnés à des peines supérieures à cinq ans, mais dont le comportement ne nécessite pas un établissement sécuritaire. Ex : Bapaume.
Maison centrale : Etablissement pour peine qui reçoit des détenus condamnés à des peines supérieures à cinq ans ainsi que les détenus considérés comme dangereux. Le principal souci est la sécurité, d’où le terme communément employé de « prisons sécuritaires ». Ex : Saint-maur et Poissy ( cette dernière dispose d’un régime moins sécuritaire.)
Programme 13000 : Programme de construction de 25 établissements pénitentiaires, lancé en 1987, dont la construction et la gestion courante ont été confiées à des entreprises privées. Ex : Bapaume.
CNO : Centre national d’observation, installé à Fresnes, et chargé d’évaluer avant affectation tous condamnés à une peine supérieure à dix ans.
Lire le mémoire complet ==> (La sécurité en prison)
Mémoire de DEA droit et justice
Ecole doctorale n° 74 – Lille 2
Table des matières :
Introduction.
Première partie : La sécurité au quotidien.
Premier chapitre : la sécurité matérielle.
Première section : L’architecture.
Paragraphe 1 : La sécurité par la structure elle-même.
A. Les enceintes.
B. Les bâtiments.
Paragraphe 2 : Des postes de sécurité protégés.
A. Les miradors.
B. Les autres postes protégés.
Deuxième section : Le matériel de sécurité.
Paragraphe 1 : contrôler les objets illicites.
A. Les solutions envisagées et leur efficacité.
B. Le cas particulier des téléphones portables.
Paragraphe 2: Gérer les différents mouvements.
A. Surveiller les détenus.
B. Contrôler les intervenants.
Deuxième chapitre : L’importance des facteurs humains.
Première section : Un personnel adapte et performant.
Paragraphe 1 : La formation.
A. La formation initiale.
B. La formation continue.
Paragraphe 2 : Les pouvoirs du personnel.
A. La direction et le personnel d’encadrement
B. Les pouvoirs des surveillants.
Deuxième section : L’apprentissage dans la pratique.
Paragraphe 1 : L’observation des détenus.
A. Les différentes méthodes d’observation.
B. Des résultats avantageux mais insuffisants.
Paragraphe 2 : La gestion des détenus.
A. Une désobéissance aux règles nécessaire
B. Des transgressions involontaires.
Deuxième partie : La sécurité lors d’un incident.
Premier chapitre : L’intervention de l’administration pénitentiaire.
Première section : La gestion de la crise.
Premier paragraphe : Une réaction anticipée.
A. Les différents plans.
B. Le profilage en prison.
Deuxième paragraphe : L’état d’alerte.
A. La cellule de crise.
B. Les brigades d’intervention.
Deuxième section : Le contrôle des personnels.
Premier paragraphe : Les différents organes de contrôles.
A. Les contrôles internes.
C. Les contrôles externes.
Paragraphe 2 : les diverses responsabilités.
A. La responsabilité du personnel.
B. La responsabilité de l’Etat.
Deuxième chapitre : l’encadrement des détenus.
Première section : Le détenu en tant qu’auteur de l’incident.
Premier paragraphe : La maîtrise du détenu.
A. Les différentes armes..
B. Une utilisation étroitement contrôlée.
Deuxième paragraphe : Les différentes mesures applicables.
A. Les sanctions disciplinaires.
B. Les transferts et l’isolement.
Deuxième section : Le détenu en tant que victime de l’incident.
Premier paragraphe : Le détenu, victime de lui-même.
A. Les différentes auto-agressions.
B. La prévention réelle du suicide.
Deuxième paragraphe : Le détenu, victime de ses codétenus.
A. Les rapports de force entre détenus.
B. Le résultat de dysfonctionnement.
Conclusion.

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