La famille, une valeur sûre pour les étudiants Erasmus

La famille, une valeur sûre pour les étudiants Erasmus

4.3.2 La famille : une valeur sûre

D’une manière générale d’abord, la solidarité au sein de la famille dans les sociétés post- industrielles occidentales semble remplacer la concurrence qui se déplace ailleurs. Mais on sait finalement peu de choses sur les négociations internes et sur les phénomènes de solidarité à double sens des parents vers les enfants et des enfants vers les parents. Les enjeux de ces rapports varient avec les générations, selon les pays, et de nouvelles zones de négociations où de conflits peuvent apparaître.

Ainsi, dans une période de diversification et d’inflation scolaires, la famille est de plus en plus sollicitée par les étudiants. De ce point de vue les tendances en cours peuvent déboucher autant sur le renforcement des solidarités que sur leur éclatement.

De la question des solidarités intergénérationnelles découle celle plus large de la redistribution du revenu social où chaque génération est tour à tour débitrice et créancière. Se pose alors le problème de la redéfinition des solidarités à partir de la question politique des transferts sociaux entre inactifs jeunes, inactifs retraités et actifs.

96 Il convient de préciser que ce constat porte sur les relations internationales qui sont surreprésentées, c’est- à-dire, celles qui sont plus fréquentes que la distribution aléatoire. Car il existe des liens d’amitié entre quasiment toutes les nationalités.

Les liens intergénérationnels n’ont jamais connu une si grande amplitude dans l’Histoire97. De plus, les parents d’aujourd’hui soutiennent plus longtemps leurs enfants que ceux d’hier. Il existe pourtant des différences importantes entre les pays de l’Union98, en matière de soutien résidentiel ou d’aide financière mobilisés par les parents et grands-parents pour leurs enfants. Les transferts privés entre générations circulent en sens inverse des transferts publics. Des divergences existent aussi en ce qui concerne les services matériels.

En Italie, comme dans la plupart des pays méditerranéens de religion catholique, on peut relever le maintien de liens « forts », qui conditionnent profondément la vie individuelle des jeunes et au-delà, l’organisation sociale et collective entière du pays. Comme le notent notamment Marzio Barbagli et Chiara Saraceno99, malgré la révolution économique et les changements ayant affecté les mœurs durant les cinquante dernières années, certaines habitudes familiales ont peu changé, notamment la proximité des lieux résidentiels entre parents et enfants.

L’allongement de la cohabitation, le retard aux études, au mariage, à la procréation, sont des phénomènes qui se développent partout en Europe, mais d’une manière plus forte et accentuée dans les pays du sud. C’est pourquoi les comparaisons internationales placent l’Italie parmi les nations dont les étapes intermédiaires de passage à l’âge adulte ont peu de poids, contrairement à des pays comme le Royaume-Uni, où existent des étapes bien définies et une précocité de l’autonomisation des jeunes.

L’importance de l’âge dans la détermination de la position sociale et de nouvelles phases du cycle de vie varient ainsi, à l’intérieur de l’Europe, dans le temps et dans l’espace. En Italie, il semblerait que pouvoir, richesse et accès aux ressources soient encore fortement liés à l’appartenance à un groupe d’âge (« age-set societies »). Le principe de la gérontocratie y est encore fort.

Pour de jeunes Erasmus, en quête de repères rassurants dans un univers mobile et incertain, la famille reste donc une valeur sûre. Elle fait figure de refuge. Du point de vue des liens affectifs qui unissent, les analyses concluent en Occident à une quasi-disparition des conflits intergénérationnels et à une généralisation d’une démocratie familiale plus ou moins négociée. Comme le souligne Olivier Galland100, la famille est devenue ce qu’il y a de plus précieux pour les jeunes et les étudiants Erasmus ne font pas exception.

De surcroît, ils sont dans une situation privilégiée, car l’investissement dans l’école, les études supérieures, constituent une valeur qui a traversé les familles de tous les milieux sociaux. Ainsi, répondant à cette demande d’éducation et de mobilité qui rassure et valorise socialement les parents, les étudiants ont donc a priori d’autant plus de chances d’entretenir d’excellentes relations avec eux.

97 BLÖSS (T), Les liens de famille, sociologie des rapports entre générations, PUF, le sociologue, 1997

98 Op. Cit Cavalli (A), Galland (O)

99 SARACENO (C), Mutamenti della famiglia e politiche sociali della famiglia, Bologna, Il Mulino, 2003

BARBAGLI (M), CASTIGLIONI (M), DALLA ZUANNA (G), Fare famiglia in Italia, un secolo di cambiamenti, Il mulino, 2003

L’observation que nous avons menée et les discussions que nous avons pu avoir avec des étudiants Erasmus des trois universités au sujet de leur famille, montrent que le départ en Erasmus va en général de pair avec des contacts fréquents, observables par les appels téléphoniques, les courriers électroniques qu’ils s’échangent. Se rendre et observer ce qui se passe dans les salles informatiques des universités, permet de noter la forte présence des étrangers, pour qui ce lieu est à la fois source de rencontres entre étudiants et d’échanges avec les proches restés au pays. Les étudiants Erasmus utilisent beaucoup internet pour communiquer avec leur famille et amis d’enfance.

Les parents sont fréquemment et régulièrement en relation avec leurs enfants et répondent à leurs inquiétudes lorsqu’ils éprouvent des difficultés d’ordre social, administratif ou financier. Pourtant ces liens forts n’apparaissent pas toujours dans les discours.

Des différences se font ainsi sentir entre pays d’origine, avec des étudiants italiens plus loquaces à ce sujet et des anglais extrêmement discrets. On pourrait alors se demander quelle est la part de ce qui tient à un non-dit légitimé socialement et de ce qui tient à des rapports affectifs réellement plus ou moins entretenus ou distendus entre les jeunes et leurs proches dans ces pays. Nous nous en tiendrons ici à quelques remarques, car ceci est un autre sujet et mériterait un travail de recherche approfondi, que nous n’avons pu mener :

Premièrement, les étudiants britanniques semblent moins privilégier la quantité et la régularité des rapports familiaux que les étudiants italiens. Ce qui ne signifie pas un plus grand détachement émotionnel, mais une volonté d’émancipation, de liberté dans la quotidienneté.

Deuxièmement, en France, la variété des origines migratoires et religieuses (ou l’absence de religion) notamment, donne une image diversifiée de ces relations. Enfin, qu’elle soit critiquée ou louée, « la famille » apparaît continuellement dans les discours des étudiants Erasmus italiens. C’est bien dans ces entretiens que nous retrouvons la plus grande quantité d’occurrences leur étant associées. Les deux extraits suivants, Luca et Ana de l’université de Turin soulignent les liens forts qui les unissent à leurs parents :

« Dans ma famille, ils ont très peur du fait que j’aille vivre à l’étranger, ma mère est très… elle est italienne, donc… le fait que je puisse habiter à plus d’un kilomètre de chez elle… mais elle s’est résignée ! Parce que moi, je bouge beaucoup, ça me plait de voyager, je partirais toutes les vacances si j’avais de l’argent. »

Luca, 23 ans101

100 GALLAND (O), ibid.

« J’avais énormément envie de revoir mes parents, parce que j’ai une famille adorable, j’y suis bien, donc je ne suis pas partie pour leur échapper, […] je n’ai pas souffert plus que ça, et puis bon mes parents sont très compréhensifs par rapport à ça »

Ana, 23 ans102

Pourtant la dichotomie entre famille et amis, très visible chez la plupart des étudiants français et italiens, nous l’avons vu, n’existe plus à l’étranger. Pour les sédentaires, cette opposition reflète également une dissociation entre les activités des étudiants : la semaine est plutôt consacrée aux études, tandis que le week-end l’est à la famille et aux loisirs, alors que pour les étudiants Erasmus, on assiste plutôt à une indifférenciation.

L’énergie et le temps libéré de la tutelle familiale permet-il pour autant aux étudiants de s’engager dans des rapports sociaux plus rationnels, moins affectifs? Nous avons constaté que les étudiants Erasmus à l’étranger disent plutôt se concentrer sur la « création d’une nouvelle famille », que sur la création « d’entreprises » collectives, éventuellement politiques dépourvues d’affect. Là-encore les étudiants Erasmus ne sont guère innovants, leurs comportements reflètent l’état de la vie associative et syndicale des étudiants dans leurs pays d’origine respectifs.

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