Le concept de vie personnelle du salarié

Le concept de vie personnelle du salarié
Université de Lille 2 – Droit et Santé

Faculté des Sciences juridiques,
politiques et sociales

D.E.A. de Droit privé

Mémoire de Droit Social

Le concept de vie personnelle du salarié

Guillaume LHEUREUX

Sous la direction de Monsieur le Professeur Bernard BOSSU

Année universitaire
1999-2000

Je tiens à remercier particulièrement M. le Professeur Bernard BOSSU pour ses précieux conseils et pour sa disponibilité tout au long de cette année universitaire.
Introduction
« Renoncer à sa liberté c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l’homme, et c’est ôter toute moralité à ses actions que d’ôter toute liberté àsa volonté. »
J.J. ROUSSEAU, Du contrat social.
La liberté et le travail s’aiment et se détestent, entretenant depuis toujours des rapports ambigus. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, comme cela a été proclamé par l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789. Ce principe assure l’équilibre de notre société, chacun mène sa vie comme il l’entend dans la limite du respect de la vie d’autrui.
Il doit en être de même lorsqu’une relation de travail se superpose à la relation de citoyenneté qui préexiste entre tous. La formation restreinte que représente la collectivité des salariés rassemblés au sein d’une même entreprise peut s’apparenter à une micro- société dans laquelle doivent régner les mêmes droits et libertés fondamentaux que dans notre société toute entière.
L’homme est libre de travailler comme il est libre d’organiser son temps et les activités étrangères à son travail. C’est la conception du travail qui libère, qui assure une indépendance financière et qui participe ainsi de l’effectivité des libertés fondamentales. Mais le travail, c’est aussi l’asservissement, l’exploitation de l’homme par l’homme1. La subordination économique du travailleur prend alors le contre-pied de la liberté du citoyen reconnue dans la société politique. Il est malheureusement utopique de croire que la vie du travailleur – et l’on pense principalement au travailleur salarié – et la vie du citoyen se confondent dans la réalité.

1 J.SAVATIER, « La liberté dans le travail », Dr. soc. 1990, p.4

Deux libertés fondamentales de l’individu s’entrechoquent sur le terrain de la relation de travail. La première est le droit au respect de la vie privée de chacun, liberté publique issue non seulement de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme mais aussi d’autres sources. Des sources internes que sont l’article 9 du Code civil et l’article 39 du Code pénal repris par les articles 226-1 et suivants du N.C.P. Des sources internationales comme à l’article 8 de la C.E.D.H. du 4 novembre 1950 et à l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966. Cette protection renforcée de la sphère d’intimité du salarié ne peut en aucun cas être remise en cause par un lien quelconque de subordination.
La seconde liberté est celle d’entreprendre, de créer une activité, ce qui justifie de la part de l’entrepreneur un droit à l’information sur la personnalité et les compétences de ses salariés. Cet autre droit fondamental justifie également l’imposition d’une discipline, d’une organisation hiérarchisée du travail, c’est à dire la nécessité d’un lien de subordination comme caractéristique essentielle du contrat de travail. L’employeur est donc amené à exercer une emprise physique, voire psychologique, sur ses subordonnés pour mener à bien l’activité qu’il a initiée. Cette emprise est particulièrement nette au temps et au lieu de travail mais elle est également ressentie à des moments qui échappent à l’autorité du chef d’entreprise, empiétant davantage sur la liberté de mener une vie personnelle.
Ce « choc des libertés »2 tel que désigné par Pascal BROCHETON sera mis en relief chaque fois que le comportement du salarié en-dehors de sa profession influera sur son appartenance à l’entreprise mais aussi réciproquement. Les rapports conflictuels entre la vie professionnelle et ce que l’on peut nommer aujourd’hui une vie personnelle du travailleur salarié n’ont pas toujours connu la même intensité. Un bref rappel historique permet de mettre en lumière des périodes de « coexistence pacifique » ou, à l’inverse, de vives répulsions entre ces deux facettes de la vie du salarié.
* Sous l’ancien régime, le système féodal d’asservissement des serfs au seigneur – forme édulcorée de l’esclavage – avait totalement occulté l’idée de l’existence de droits et de libertés dans et hors du travail. Sous l’appellation de corvée, le travail était un devoir envers la seigneurie, aussi pénible soit-il. Les familles entières s’attelaient à la tâche imposée par le seigneur et pour le seigneur.

2 P. BROCHETON, « Vie personnelle et vie professionnelle, l’art de l’équilibre », Semaine Sociale Lamy, 4 janv. 1999, n°915.

* La philosophie des Lumières qui guida l’idéologie de la Révolution française de 1789 vint mettre un terme, dans la nuit du 4 août, à une exploitation des forces de travail indigne de la condition humaine et proclama les droits et les libertés inaliénables de l’homme le 26 août. Toutefois les auteurs de la Déclaration des Droits ne se préoccupaient pas encore des rapports économiques entre les membres de la société. Ce ne sont donc pas les travailleurs en tant que tels qui sont visés mais la place de l’homme dans la société politique. C’est en 1793 que la Déclaration des Droits proclame :
« tout homme peut engager ses services, son temps, mais il ne peut se vendre lui-même. Sa personne n’est pas une propriété aliénable. »
Le code Napoléon s’appuiera sur ce principe pour prohiber les engagements perpétuels d’une personne envers une autre. L’article 1780 dispose en effet que l’« on ne peut engager ses services qu’à temps ou pour une entreprise déterminée ». Un droit de résiliation doit donc être offert à celui qui s’engage pour un temps indéterminé car, selon Jean SAVATIER, « la première liberté du travailleur c’est de pouvoir se soustraire à l’autorité de son employeur3 ».

3 J. SAVATIER, op. cit., p. 49

Ces principes généraux n’évoquent pas directement l’existence d’une vie personnelle mais ils la sous-tendent déjà et en posent les bases puisque le respect de la vie personnelle du salarié suppose l’existence et l’efficacité de ses droits et libertés. Toutefois le droit au respect de la vie privée, étape préliminaire de la notion de vie personnelle, ne sera consacré que beaucoup plus tard.
* Un droit au travail est reconnu au XIXe siècle après la crise sociale de 1848 et inscrit dans la Constitution de la deuxième République. Mais le problème d’une éventuelle interférence entre le droit au travail et le respect de la vie privée ne semble pas s’être posé à cette époque car les deux concepts demeuraient cloisonnés. Un auteur comme Pierre Gulphe a pu constater que, mis à part les gens du spectacle et du monde politique dont la vie privée est portée sur la « scène publique » de par leur profession, il n’existait pas de chevauchement du temps de l’une sur l’autre4.
Le contrat de travail se résumait au simple louage de services : l’ouvrier mettait sa force de travail à la disposition de l’employeur moyennant versement d’un salaire et pendant un temps donné. L’activité professionnelle n’était qu’une parenthèse de la vie quotidienne pour le salarié. Quant à l’employeur, il recherchait une force de travail plus qu’une personnalité.
* Or au XIXe siècle, les grands principes de liberté furent principalement mis au service de la liberté d’entreprendre au détriment de la situation personnelle du salarié. C’est le début de la floraison du commerce et de l’industrie, alimentée par la Révolution industrielle qui engendra des abus intolérables. A la fin du siècle, le travail salarié est en plein essor et la course à la productivité instrumentée par le capitalisme ne laisse que peu de considérations pour la personne du salarié, à tel point que des mouvements populaires s’insurgent contre le salariat.
La fin du XIXe siècle a marqué le tournant d’un profond changement des mentalités car le rayonnement de l’activité professionnelle est écrasant et rythme la quasi- totalité de la vie quotidienne des salariés. On abandonne la conception purement matérialiste du contrat de louage de services pour prendre en considération l’intuitus personae dans le contrat de travail moderne.
* Au début du XXe siècle, cette vision personnalisée du contrat de travail renforce le lien de subordination de l’employé envers son employeur et cristallise l’inégalité entre les contractants. Les modèles de production fordistes et tayloristes ont connu des abus et ont aggravé ce déséquilibre, accordant à l’entreprise un contrôle de fait sur la vie de ses employés tant ceux-ci étaient soumis à des cadences infernales. Les obligations professionnelles ne pouvaient se heurter au respect d’une vie personnelle puisque cette dernière était rendue impossible !

4 P. GULPHE, « De la non-interférence de la vie privée sur la vie professionnelle du salarié en droit français », J.C.P., 1990, II, 15736

Après une vaine tentative du mouvement ouvrier pour faire disparaître le salariat, symbole de l’aliénation de la personne du travailleur, notre droit du travail a opté pour une conciliation entre la subordination et le respect des libertés fondamentales. Ainsi les statuts de la CFDT en 1964 ont-ils remis la Déclaration des Droits au goût du jour en instaurant la lutte « pour les droits essentiels de l’homme, de la famille et des groupes dans le respect des devoirs qui en découlent » et en proclamant que « tout homme a droit à être traité comme une personne ».
L’opposition entre les deux libertés fondamentales que nous avions retenue comme point de départ de notre propos ne paraît plus irréductible de nos jours. Mais toute la difficulté consiste à découvrir leur point d’équilibre, notamment en redéfinissant le pouvoir de direction5. A bien y réfléchir, ce n’est pourtant que la simple application de la théorie de l’abus de droit de JOSSERANT qu’il convient de mettre en pratique. Le pouvoir de direction de l’employeur – et sa liberté d’en user – trouve sa limite dans le respect qu’il doit avoir à l’égard des droits de la personne. Quant au salarié, il peut conduire sa vie librement comme tout citoyen dès lors que son comportement ne nuit pas à son employeur ni à son entreprise.
C’est dans cette perspective que le droit du travail s’est efforcé de délimiter les contours d’une sphère de la vie du salarié qui échapperait aux contraintes de l’activité professionnelle, ce qui d’un autre point de vue revient à poser des bornes au pouvoir de direction de l’employeur.
Cette protection est nécessaire du fait de la nature même du contrat de travail. Il constitue en effet une entorse à la conception civiliste de la liberté contractuelle et se résume le plus souvent à un contrat d’adhésion dans lequel l’employeur dicte ses conditions. Le contexte de crise économique que la France a connu et les fluctuations du chômage n’ont fait que renforcer ce déséquilibre en contraignant les candidats à l’embauche à accepter des conditions qu’ils n’auraient pas consenties dans des circonstances de parfaite équité.
Une fois le contrat conclu, le salarié s’engage, moyennant une rémunération, à exécuter une certaine mission sous la subordination de son employeur. Celui-ci dispose alors d’un triple pouvoir : il donne des ordres et des directives, il en contrôle l’exécution et il prend les mesures de sanction disciplinaire contre les manquements du salarié6. Dès lors, une réduction des libertés du salarié est inévitable. C ‘est un mal nécessaire, du moins au temps et au lieu de travail. En effet l’entreprise est, entre autres, une entité à vocation économique qui suppose des règles générales de conduite fixées par un règlement intérieur, acte unilatéral émanant de l’employeur et qui a force obligatoire envers tous les salariés.

5 B. BOSSU, « Droits de l’homme et pouvoirs du chef d’entreprise : vers un nouvel équilibre », Dr. Soc., 1994, p. 747.
6 P. WAQUET, « Les libertés dans l’entreprise », R.J.S. 5/00, n°335.

La vie de l’entreprise est donc amenée à menacer l’épanouissement d’une vie personnelle du salarié. L’expression « vie personnelle », qui semble aujourd’hui tellement évidente et apte à garantir à chacun une autonomie vis-à-vis de son travail, n’a pourtant émergé que très récemment d’une décision de la Chambre sociale en 19977. La haute juridiction s’était longtemps cantonnée à veiller au respect de la vie privée du salarié au même titre qu’elle le faisait pour tout individu. Nous verrons dans nos premiers développements que ce concept était devenu trop limitatif.
Nous avons remarqué précédemment que des sources nationales et internationales protectrices des droits de l’homme et de la vie privée existaient en nombre. Quel besoin peut-on alors éprouver de faire évoluer la terminologie vers la notion de vie personnelle ? Quels en sont les enjeux ?
La dénomination  » vie personnelle  » a le mérite d’englober très largement les droits et les libertés fondamentaux que la relation de travail ne peut en aucun cas aliéner, peu importe que l’aliénation soit voulue par le titulaire de ces droits ou imposée par l’employeur. De plus elle évite la vaste confusion qui domine lorsqu’il s’agit de définir ce que sont les libertés publiques, les libertés civiles, individuelles ou collectives. Un auteur avait d’ailleurs formulé, il y a de cela 20 ans, une remarque qui semble aujourd’hui visionnaire : « [pour définir la liberté du citoyen, le juge] n’est pas obligé de se référer explicitement à la notion de liberté publique, incertaine et imprécise, il peut préférer d’autres voies pour défendre le citoyen à travers le salarié8 ». Une remarque qui a été entendue depuis que la Cour de cassation retient le vocable de la vie personnelle du salarié.

7 Cass. soc., 16 décembre 1997, Delamaere c/ Office notarial Mes Ryssen et Blondel, R.J.S., 2/98, n°141.
8 P. ARDANT, « Introduction au débat » in Les libertés du citoyen dans l’entreprise (coll.), Dr. soc. 1982, pp.428-432.

Bien plus qu’une simple évolution terminologique, ce concept témoigne des progrès accomplis par la jurisprudence pour éviter que tout individu, dès l’instant qu’il franchit les portes de l’entreprise, ne se trouve dépouillé arbitrairement des libertés dont il jouit au-dehors. Il n’existe pas de séparation étanche entre cette vie personnelle et la vie professionnelle mais plutôt une superposition des deux concepts avec des zones d’interférence. Or si l’on restitue aux choses leur vraie valeur, qu’y a-t-il de plus important que l’épanouissement de notre vie personnelle ? Elle forme une ligne continue de l’existence dont les obligations professionnelles ne sont qu’une péripétie, en aucun cas une interruption.
Le concept de vie personnelle du salarié peut être présenté comme un prolongement du droit au respect de la vie privée en ce qu’il offre un champ d’application étendu et encore largement sous-exploité. Nous ne manquerons pas de le mettre en parallèle avec la création de l’article L-120-2 du Code du travail issu de la loi du 31 décembre 1992 sur les libertés du citoyen dans l’entreprise, au terme duquel « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Sans se référer au seul cadre de l’entreprise, ce texte semble donner à la préservation de la vie personnelle les moyens de sa mise en œuvre. Il pourrait constituer le pilier de ce nouveau concept et a par ailleurs trouvé sa consécration jurisprudentielle dans le même temps que la terminologie de  » vie personnelle « .
Nous reviendrons sur les perspectives de protection des droits de la personne présentées par ce concept novateur face aux menaces que le pouvoir de direction fait peser sur les droits et libertés du salarié.
Ces menaces peuvent survenir dans l’entreprise de la discipline qu’instaure le règlement intérieur mais aussi par le biais de clauses insérées au contrat ou dans les conventions collectives.
Elles peuvent également provenir d’une attitude du salarié à l’extérieur de l’entreprise. Le conseiller à la Chambre sociale Philippe WAQUET, qui est à l’initiative de ce concept, a pu observer que le rapport de subordination s’étend parfois au-delà du temps et du lieu de travail. Le règlement intérieur prévu par les articles L.122-33 et suivants du Code du travail peut trouver son prolongement dans une forme de « culture d’entreprise » au travers de ce que l’auteur appelle les « entreprises de tendance9 ».
Certes il ne s’agit plus de cette conception paternaliste de l’employeur qui, au XIXe siècle, dictait à ses employés un véritable modèle de conduite ( choix de la tenue vestimentaire, hygiène de vie…) mais d’entreprises qui exigent de leur personnel une loyauté particulière qui rejaillit sur leur existence au quotidien. Une jurisprudence aujourd’hui condamnée allait jusqu’à imposer une communion de pensée et de foi avec l’entreprise10. Une protection de la vie personnelle peut permettre d’endiguer cette menace pour les libertés individuelles.
Outre ces menaces « traditionnelles » qui pèsent sur les salariés, des atteintes issues de l’utilisation de technologies nouvelles se sont développées, et l’on pense immédiatement à l’installation d’autocommutateurs ou de caméras de vidéo surveillance sur le lieu de travail. Le législateur a réagi en votant la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Il a créé à cette occasion la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés dont le rôle principal est d’alerter l’autorité administrative en cas de violation du droit d’expression collective des salariés ou lorsque ceux-ci ignorent la présence d’un système destiné à les surveiller. Dans son rapport pour 1995, la commission fait observer que le contrôle permanent de l’activité des salariés par l’informatique « est en train d’investir le cœur de la relation de travail constituant un encadrement imperceptible mais bien réel qui s’ajoute ou se substitue au contrôle humain ». Derrière la surveillance de la productivité des salariés se cache un contrôle plus pernicieux de la personnalité du salarié11.
Ces atteintes inédites aux droits de la personne peuvent être sanctionnées au titre du non respect de la vie personnelle sans avoir à rechercher si elles sont expressément prévues par une disposition spécifique, palliant ainsi les éventuelles lacunes de la loi de 1978.
A travers la lutte contre ces diverses menaces, c’est le droit du licenciement qui risque d’évoluer sous l’influence de la protection de la vie personnelle. Dans sa mise en œuvre, l’appréciation de la faute du salarié ne tient plus compte de faits extérieurs au travail12. Concernant ses sanctions, le licenciement prononcé sur un motif relevant de la vie personnelle devrait être déclaré nul et permettre la réintégration du salarié. La jurisprudence ne s’est pas encore clairement prononcée mais cela semble être la seule mesure à la hauteur de l’atteinte lorsque des libertés fondamentales sont bafouées.

9 P. WAQUET, « La loyauté du salarié dans le entreprises de tendance », Gaz. Pal., 1996, p. 1427.
10 Cass. Soc. 20 novembre 1986, Eglise réformée de France c/ Fischer, Bull. civ., V, p. 420, n° 555.
11 L. DARRACQ, « La protection de la vie personnelle du salarié au travail », Sem. Soc. Lamy, 28 juin 1999, n° 940

Une fois délimité et apprécié dans la richesse de ses perspectives, nous nous pencherons sur l’incidence du concept de vie personnelle du salarié sur sa vie professionnelle. A l’origine, il doit exister un cloisonnement entre la vie professionnelle et la vie extra-professionnelle du salarié de façon à ménager une sorte de domaine réservé sur lequel la vie professionnelle ne saurait avoir aucune emprise.
Toutefois le Professeur DESPAX a pu établir qu’un tel cloisonnement relevait de la fiction en raison du caractère successif du contrat de travail13. Des interférences sont donc inévitables et peuvent être appréhendées dans deux directions :
* Le salarié conserve, dans le cadre de la relation de travail, une « zone d’autonomie irréductible » que le lien de subordination ne saurait entraver14.
Même dans sa vie professionnelle, le salarié conserve une certaine liberté dans l’exercice de ses droits fondamentaux tels la liberté d’expression, d’opinion ou de religion. La définition du temps de travail effectif qu’a précisé la loi du 13 juin 1998 – dite loi AUBRY – sur la réduction du temps de travail nous donnera un aperçu a contrario de ce qui peut subsister de vie personnelle au travail15. Nous nous demanderons notamment si la réduction du temps de travail à 35 heures hebdomadaires a véritablement accordé aux salariés une plus grande part de vie personnelle.
* Dans un tout autre sens, les entreprises peuvent faire valoir leurs droits eux- aussi reconnus par la Constitution pour concurrencer les droits individuels des salariés jusque dans leur vie à l’extérieur de l’entreprise. Au nom de la liberté d’entreprendre et celle de choisir ses collaborateurs, l’employeur apparaît comme le maître de la relation contractuelle. Or le contrat de travail impose aux salariés des contraintes qui se répercutent indéniablement sur leur vie personnelle.

12 Voir Cass. soc., 16 décembre 1997, précité supra note 7.
13 M. DESPAX, « La vie extra-professionnelle du salarié et son incidence sur le contrat de travail », J.C.P.,1963, I, 1776.
14 P. WAQUET, « Vie personnelle et vie professionnelle du salarié », C.S.B., 1994, n° 64, p. 289.
15 P. WAQUET, « En marge de la loi Aubry : travail effectif et vie personnelle du salarié », Dr. soc., 1998, p.963

Sans prétendre à clore les discussions sur les droits et les libertés qui sont attachés à la personne du salarié, nous essaierons de cerner au mieux la notion de vie personnelle qui semble désormais reconnue par le juge afin de pouvoir ensuite en rechercher les enjeux et en dégager les perspectives sur le contrat de travail. Un rééquilibrage du rapport de force au profit du salarié est en marche (CHAPITRE I).
Mais il est impensable de dissocier l’idée de vie personnelle de la vie professionnelle qui la contrebalance. C’est pourquoi la suite de notre développement sera consacrée aux interférences de l’une sur l’autre, favorables tantôt aux salariés tantôt à l’entreprise et qui doivent servir à maintenir un équilibre (CHAPITRE II).
Sommaire
Introduction
Chapitre I : La reconnaissance d’une vie personnelle du salarie garante de ses droits et libertés
Section I : L’émergence d’un concept nouveau
Paragraphe 1 : Les premières préoccupations en faveur de la vie extra professionnelle du salarié
A – L’introduction des libertés publiques dans l’entreprise
B – Une nouvelle liberté publique : le droit au respect de la vie privée
Paragraphe 2 : La reconnaissance d’une vie personnelle du salarié
A – Les insuffisances de la notion de vie privée
B – La substitution du concept de vie personnelle
Section II : Les perspectives d’avenir : un nouvel équilibre dans la relation de travail
Paragraphe 1 : Un nouveau souffle donné à la protection des droits de la personnalité
A – Le souci d’objectivité à la naissance et à la mort du contrat de travail
B – Un concept nouveau pour juguler des technologies nouvelles
Paragraphe 2 : Une incertitude sur la sanction du droit au respect de la vie personnelle
A – Des sanctions encore modérées
B – Un plébiscite en faveur de la nullité
Chapitre II : Les interférences entre vie personnelle et vie professionnelle
Section I : Les espaces de liberté au travail
Paragraphe 1 : L’exercice ininterrompu des droits de la personnalité
A – La transposition des libertés publiques dans l’entreprise
B – L’interdiction des clauses attentatoires à la vie personnelle
Paragraphe 2 : La vie personnelle au travail : l’exemple de la loi Aubry du 13 janvier 1998
A – Une part de vie personnelle dans le travail effectif
B – Un accroissement de la vie personnelle corrélatif à la réduction du temps de travail ?
Section II : L’emprise de la relation de travail sur la vie personnelle du salarié
Paragraphe 1 : Les restrictions légales aux droits fondamentaux des salariés
A – Des restrictions à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise
B – Le concept de vie personnelle à l’épreuve de la réalité
Paragraphe 2 : Les restrictions prétoriennes aux droits fondamentaux des salariés
A – Les restrictions justifiées par « l’intérêt de l’entreprise »
B – Les restrictions propres aux « entreprises de tendance »

  1. Les libertés publiques du salarié dans l’entreprise
  2. Le droit au respect de la vie privée du salarié
  3. La reconnaissance d’une vie personnelle du salarié
  4. Pouvoir de direction dans le respect des droits de la personne
  5. Les technologies nouvelles et la vie personnelle du salarié
  6. La sanction du droit au respect de la vie personnelle du salarié
  7. Les interférences entre vie personnelle et vie professionnelle
  8. Interdiction des clauses attentatoires à la vie personnelle
  9. La vie personnelle au travail : la loi Aubry du 13 janvier 1998
  10. Emprise de la relation de travail sur la vie personnelle du salarié
  11. Les restrictions prétoriennes aux droits fondamentaux des salariés

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