4. L’INNOVATION dans l’enseignement
Avant d’approfondir la question de l’innovation liée à l’usage des TIC dans l’enseignement, je souhaite préciser quelques points sur le concept d’innovation en général.
Qu’est-ce que l’innovation ?
L’innovation est un changement associé à un progrès (Charlier, Bonamy et Saunders, 2003), une stratégie volontariste de certains acteurs pour favoriser, voire provoquer certains changements (Perrenoud, 2003).
Si innover, c’est introduire du neuf dans un contexte donné, de Ketele (2002) souligne l’aspect relatif de l’innovation : ce qui est nouveau dans un contexte ne l’est pas forcément dans un autre, et il en va de même pour les personnes, les groupes ou les catégories d’acteurs.
L’innovation se situe aussi à différents niveaux, elle peut être une idée, une pratique ou un objet (Rogers et Shoemaker, 1971) 18. Il est donc à chaque fois utile de s’interroger sur le type de progrès concerné en se rappelant que dans l’enseignement les innovations impliquent des progrès pédagogiques, dont tous les acteurs ne sont pas forcément convaincus.
Innover à quel niveau et pour qui ?
Parler d’innovation nécessite de préciser à quel niveau elle se situe et quels acteurs sont concernés. Une vision systémique permet d’envisager l’ensemble de la situation en décrivant :
– le contexte de la société qui définit les finalités de innovation et décide des moyens octroyés,
– le contexte institutionnel qui gère les conditions dans lesquelles se déroulera l’innovation,
– le contexte de l’activité pédagogique, incluant les ressources humaines (les différents acteurs) et matérielles (usage des TIC, ou non) ainsi que le cadre direct (classe…) et institutionnel (programme de cours, évaluation…).
Les termes de ‘macro’, ‘meso’ et ‘micro’ ont souvent été utilisés pour préciser ces différents niveaux, mais il faut remarquer à leur propos qu’ils sont toujours relatifs selon l’endroit où on se place pour décrire une situation.
D’autres variables peuvent être utilisées pour décrire la complexité systémique d’une innovation :
– Les variables structurelles concernent les différentes dimensions institutionnelles constituées comme un ensemble de sous-ensembles imbriqués.
– Les variables actancielles tiennent compte des acteurs avec leurs différents rôles et fonctions.
– Les variables individuelles, envisagent les connaissances, les compétences, les représentations et conceptions, les envies et les attentes… des différents acteurs avec leurs caractères sociologiques.
– Les variables dimensionnelles (pédagogie, disciplines, technologie…) qui sont souvent considérées comme objets d’analyse (Peraya, 2003).
Ces différents critères permettent d’affiner l’analyse d’une innovation en s’interrogeant sur les progrès qu’elle apporte. A quel niveau se situe la plus-value ) Pour qui est-elle bénéfique ? De quelle nature sont les valeurs ajoutées ? (Viens, 2003)
Pourquoi innover ?
Les causes d’une innovation, selon de Ketele (2002), se situent toujours dans un problème à résoudre, exprimé par les différents acteurs comme une difficulté ou une insatisfaction. Cet état nécessite une évaluation du contexte pour dégager ce qui paraît prioritaire compte tenu des missions de l’école, en analysant les facteurs en amont, leurs effets dans les pratiques quotidiennes et leur impact en aval.
Pour qu’il y ait véritablement projet et innovation, il faut que se dégage de cette démarche d’analyse et d’évaluation du contexte, un inédit, quelque chose de nouveau, qui paraissait impensable aux yeux des acteurs impliqués, et qui leur semble soudain possible.
Pour faciliter cette démarche d’émergence de l’inédit, un outil méthodologique nommé ‘IRPV’ permet de cerner plus précisément les perceptions des acteurs face à une innovation à introduire. Il s’agit de faire un inventaire assez large d’actions susceptibles de contribuer à la réalisation du projet, en demandant aux différents acteurs de répondre aux quatre questions ‘IRPV’, selon son point de vue personnel :
– I : pensez-vous que cette action soit Idéalement souhaitable ?
– R : vous arrive-t-il de Réaliser cette action ?
– P : pensez-vous que mettre en œuvre cette action soit Possible ?
– V : si on vous le demandait, auriez-vous la Volonté de vous engager dans cette action ?)
Cette démarche est intéressante à mener avec les acteurs de terrain qui raisonnent prioritairement en terme d’actions à mettre en œuvre alors que les décideurs pensent plutôt aux résultats ou aux effets à rechercher. Elle permet entre autre d’harmoniser ces deux visions et d’éviter la confusion fréquente entre moyens et effets.
Comment innover ?
Selon Perrenoud (2003), jusqu’aux années ‘70, la recherche de stratégies efficaces d’innovation n’était pas une préoccupation particulière, sauf dans le domaine des technologies et de l’organisation du travail dans les entreprises. Aujourd’hui on sait que pour avoir quelques chances de succès, les innovateurs doivent identifier :
– les facteurs qui leur sont favorables,
– les leviers sur lesquels ils peuvent agir,
– les processus qu’ils peuvent maîtriser,
– les forces qui font obstacle au changement.
L’innovation est difficile à piloter dans de domaine social car ce secteur dépend fortement des représentations des acteurs et du sens qu’ils accordent à leurs pratiques. La nécessité, le rythme et les finalités du changement ne font jamais l’unanimité. L’innovation part d’une intention, se concrétise dans un projet qui représente un long travail subjectif animé par une stratégie de changement. Il faut se dépenser pour convaincre, gagner l’adhésion d’acteurs déterminants, dépasser blocages et conflits…
L’innovation est avant tout une affaire humaine, qui concerne des êtres rationnels, intégrés dans une culture, faite de réseaux de relations. Ces personnes poursuivent leur quête d’identité et d’estime de soi, mais recherchent aussi une certaine sécurité. Les innovateurs ont donc intérêt à disposer de connaissances et de savoir-faire spécifiques et solides, pour optimiser leurs interventions et leurs stratégies.
L’innovation impose un ‘sur-travail’ qui exige beaucoup des différents acteurs. Elle est forcément créatrice de conflits car les personnes impliquées n’ont jamais le même intérêt à innover. La lenteur du changement des systèmes les épuisent alors que les évolutions durables ne se jouent que sur le long terme.
Pour Perrenoud (2001), l’atout le plus précieux est alors la ‘pratique réflexive’ (point développé plus loin) des différents acteurs, notamment des enseignants sur lesquels s’appuie l’innovation, mais aussi de l’encadrement administratif. L’attitude réflexive est un outil de travail indispensable dans toutes les tâches comportant une dimension stratégique et la résolution d’un problème inédit. La réflexivité est le regard que l’on apprend à porter sur ses actions, décisions et confrontations dans le but de faire évoluer ses connaissances et ses pratiques, en partageant ses expériences à celles d’autres innovateurs et en s’appropriant les savoirs issus de la recherche en sciences sociales.
Quels effets ?
Comme le souligne Charlier (2003), l’innovation pédagogique peut être étudiée selon deux éclairages : son adoption et son implémentation. Dans un premier temps, la question du sens revêt une grande importance pour les acteurs qui sentent la nécessité de se lancer dans de nouveaux projets et de changer leurs pratiques, comme nous l’avons vu avec le concept de l’IRPV de de Ketele. « Mais la valeur, le bien fondé de ce changement ne peuvent être observés que dans l’action. La situation se complexifie encore puisqu’il faut observer à la fois les acteurs individuels, la communauté d’acteurs et le contexte socio-politique dans lequel ils s’inscrivent, selon deux perspectives : la définition du changement et la manière dont il se vit dans les pratiques » (Charlier, 2003, p. 48). Ces deux dimensions sont indissociables : la première concerne l’adoption d’une innovation, son sens et sa valeur, alors que la seconde, correspondant à son implémentation, interroge sa mise en pratique et finalement son évaluation.
Pour estimer les apports d’une innovation de Ketele (2002) décrit trois types d’effets (les 3 ‘pros’) :
– les effets ‘produits’ ou résultats, effets directement observables (augmentation du taux de réussite chez les élèves, augmentation du nombre de réunions de concertation chez les enseignants…)
– les effets ‘processus’, effets pas directement observables : démarches nouvelles, démarches mieux appliquées ou de façon plus pertinente, savoir-être importants (augmentation de la motivation chez les élèves, habitude prise par les enseignants de réfléchir ensemble à leurs pratiques);
– les effets ‘prospectifs’ ou d’impact, effets qu’on ne peut identifier qu’à plus long terme, souvent générés par le type d’environnement (par exemple l’utilisation de méthodes transmissives génère peu de curiosité intellectuelle chez les élèves…)
L’évaluation d’une démarche innovante est complexe et le sentiment d’échec est fréquent dans les réformes scolaires (Perrenoud, 2003). Après les discours volontaristes des premières phases de conception puis d’adoption, les bilans sont souvent mitigés et de nombreuses innovations se dispersent. Les pionniers changent de poste ou se découragent, la signification de l’innovation se perd, d’autres changements prennent la priorité… L’échec d’une innovation s’explique à la fois par un manque d’analyse du contexte ou par un rapport de forces défavorable, mais elle dépend aussi de la personnalité de ceux qui tentent de la piloter. L’innovation nécessite donc des outils pour analyser les énergies présentes, anticiper les obstacles, concevoir des stratégies et créer des synergies.
Lire le mémoire complet ==> (Les apports des TIC à l’apprentissage)
Mémoire de Diplôme d’Etude Supérieure Spécialisée TECFA
Université de Genève – Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education

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