La relation de couple : Données sociologiques

La relation de couple : Données sociologiques

Chapitre 6

La relation de couple

Quels référents théoriques recruter pour venir éclairer notre réflexion sur la relation de couple ? La littérature sur le sujet est vaste. Notre choix d’une approche multidisciplinaire ne nous simplifie pas la tâche mais demeure ajusté au sens où nous souhaitons convoquer plusieurs éclairages, tant les processus à l’œuvre au sein du couple relèvent de dynamiques et même d’échelles différentes : le biologique, le psychologique et le social, par exemple, sont autant de dimensions actives dans les enjeux de la relation de couple16.

Données sociologiques

Quand commence le couple ? Quand finit-il ? Tenter de répondre à ces deux questions est une première façon de dessiner les contours du couple.

Dans son ouvrage intitulé La sociologie du couple, Jean-Claude Kaufmann nous affirme qu’il est aujourd’hui difficile de répondre à la première question : « Est-ce aux premiers rapports sexuels ? Aux débuts de la cohabitation ? A la mise en place d’un système collectif de gestion du quotidien ? » (Kaufmann, 1993, p.59).

Aujourd’hui, les frontières entre les différentes phases d’attachement, de mise en commun des biens matériels et de partage des tâches quotidiennes sont mouvantes et incertaines. « À ce problème général de définition de seuils, s’ajoute le fait que pour chaque couple pris isolément, il est souvent difficile de dire à quel niveau il se situe dans le processus. […] Alors que l’intégration ménagère est un processus cumulatif et progressif, l’attachement sentimental entre les deux partenaires est au contraire fluctuant » (Ibid., pp. 60-61). La formation du couple apparaît en fait comme un processus comportant à la fois une organisation matérielle, une dynamique des sentiments et une dimension statutaire – le statut marital par exemple de l’union des partenaires.

Pour les sociologues, depuis les années 60, le bouleversement des valeurs familiales est énorme. Nous sommes à l’ère de ce qu’ils nomment la « seconde modernité ». Nous l’avons évoqué dans l’examen des pertinences sociales, « les normes morales ont été remplacées pour une large part par des normes de type psychologique ou relationnel » (De Singly, 2004, op. cit., p. 12).

Au sein de la dynamique de notre société, il y a une forte émergence de la « personne ». Celle-ci souhaite de plus en plus prendre part à ses choix, à sa vie et tente de se poser ainsi en sujet de son expérience. Rappelons qu’avant cette période, dans les sociétés traditionnelles, c’était les institutions qui prenaient en charge l’individu.

En matière de couple par exemple, le mariage signait l’entrée dans la vie adulte.

Autre élément de notre société contemporaine, la vie conjugale et relationnelle s’est diversifiée : « Le nombre des divorces a augmenté fortement, pendant que celui des mariages diminuait : l’union libre se généralise, les naissances hors mariage se multiplient, ainsi que le nombre des familles monoparentales et celui des personnes vivant seules. » Et l’auteur ajoute : « La conclusion est nette : le couple est devenu une réalité moins institutionnalisée et moins stable » (Ibid.).

Attardons-nous un instant sur les données statistiques liées au couple. Dans un ouvrage de 1999, le sociologue Serge Chaumier nous précise que la progression du concubinage a été fulgurante dans les trente dernières années : « 90 % des unions sont commencées hors mariage, contre seulement un quart dans les années 1960. » Le mariage, quand il a lieu, intervient de plus en plus tard dans la vie du couple. En ce qui concerne les données relatives à la rupture du couple, un mariage sur trois est suivi d’un divorce (2004, op. cit., pp.13-14).

L’auteur nous précise que dans les grandes villes comme New-York ou Paris, le divorce concerne plus d’un mariage sur deux. J.-C. Kaufmann nous donne à voir plus précisément l’évolution de ces tendances : « en dix ans (de 1975 à 1985), le nombre de mariage a baissé de 30 % en France » (1993, op. cit., p. 49). L’évolution du nombre des divorces est elle aussi très significative : « En vingt ans, le taux de divorce est passé de 5-10 % des ménages à 20-30 % en Europe centrale et de 10-20 % à 30-40 % voire 50 % en Europe du Nord ».

Même si notre étude n’aborde pas le couple dans son rapport à la dimension de la parentalité, il est intéressant néanmoins de prendre note de quelques données à ce sujet. Elles contribuent à faire prendre la mesure des bouleversements qui touchent les structures familiales dans nos sociétés. À l’occasion du recensement de 1990, on pouvait remarquer que « le nombre de familles monoparentales avait augmenté de 63% en vingt ans » (Chaumier, op. cit., p. 14). En cumulant les familles monoparentales et les familles recomposées, en 1990, « ce sont plus de deux millions d’enfants qui ne vivent plus avec leurs deux parents d’origine » (Ibid.).

Autre donnée concernant la dynamique de couple, dans une étude publiée en 1989, le démographe Louis Roussel note que le divorce survient de plus en plus tôt : « Le point culminant des séparations se trouve vers la quatrième année » (Cité par Chaumier, Ibid.).

Les données les plus récentes confirment les tendances évoquées plus haut : aujourd’hui, 45 % des mariages en France se terminent par un divorce (55 % à Paris). Leur durée de vie moyenne est de quatre ans17.

Face à ces données, les chercheurs nous invitent à ne pas dramatiser : « Au-delà des souffrances et des crises passagères que peuvent entraîner des séparations, souffrances sociales qu’il convient de ne pas sous- estimer, il ne faut pas […] y voir, comme certains, qu’un écroulement des structures familiales […] et une décadence de la civilisation » (Ibid.). Il faut plutôt y voir un profond mouvement de renouvellement des structures sociales : « Il y a dans ce mouvement de recomposition des structures familiales un formidable mouvement dynamique d’invention de nouveaux rapports sociaux » (Ibid.).

16 Pour une bibliographie riche sur le sujet, nous renvoyons le lecteur aux ouvrages de De Singly, Kaufmann et Chaumier cités dans notre travail et surtout aux très nombreuses références bibliographiques rassemblés par ces auteurs.

17 Source : Insee, www.insee.fr

L’étude plus approfondie des facteurs de séparation offre un point de vue sur les contours du couple. Tentons de regarder les propositions des sociologues face à l’interrogation suivante : « Pour quelles raisons les conjoints se séparent-ils ? » Dans une première analyse, les travaux sociologiques dégagent quatre facteurs « d’instabilité conjugale :

  •  la trop forte hétérogamie initiale entre les partenaires (ils se sont trompés dès le départ en s’élisant);
  •  l’instauration de la routine et des habitudes qui suit l’enchantement de la première phase;
  •  le faible attachement que les individus qui divorcent accordent à la durée;
  •  les effets inhérents aux rapports sociaux de sexe, avec l’éventuelle prise de conscience féminine d’un coût trop élevé du mariage » (De Singly, op. cit., p. 83).18

Concernant le dernier élément, précisons simplement que la femme fait bien souvent le constat, au niveau des charges liées à l’intendance et aux soins prodigués aux enfants, que le mariage est un lourd tribut à payer. Pour E. Badinter, par exemple, quand la réciprocité entendue comme partage des tâches ne fonctionne pas alors même que la femme travaille, une lassitude s’installe, voire un ressentiment en cas d’impossibilité de communiquer sur ces thèmes : « Dans ces conditions, pourquoi rester ensemble ? Lorsque les femmes jouissent d’une relative indépendance économique, elles ont tout intérêt à divorcer » (op. cit., p.318).

Au passage, l’analyse faite par l’auteur nous éclaire sur les valeurs en vigueur dans le couple : « Avec ou sans enfant, la séparation signifie aussi l’espoir de renouer des liens plus heureux avec un autre. Mieux vaut une solitude momentanée (et relative), que le partage de sa vie avec un être qu’on ne reconnaît plus pour sien.

La nouvelle morale conjugale réprouve sévèrement l’union poursuivie par ‘la force des choses’. Quand le cœur n’y est plus, on considère que rester ensemble serait céder à l’hypocrisie. Le lien forcé est à la fois une lâcheté morale et un inconfort affectif grave » (Ibid.).

Dans un paragraphe intitulé Fidélité à soi, fidélité à l’autre, De Singly approfondit l’analyse dans une direction qui nous intéresse tout particulièrement et qui a trait au processus de changement qui anime les personnes.

Pour l’auteur, au-delà de toutes les raisons d’instabilité des unions évoquées plus haut, il en est une qui semble prendre une importance grandissante : le partenaire peut « devenir encombrant parce qu’il remplit un rôle qui n’est plus adéquat à la demande » (op. cit., p. 84).

Dans la fonction de « validation de l’identité de son coéquipier », la personne est tenue de modifier sa manière d’être proche quand le partenaire se transforme. Dans les mots de l’auteur : « Soumis à la pression sociale de l’épanouissement personnel, les couples modernes doivent suivre le rythme des transformations identitaires de chacun.

La mobilité conjugale est obligatoire : elle est assurée par une nouvelle définition des fonctions assurées par chacun des partenaires, ou elle engendre la séparation, précédant la formation éventuelle d’autres couples » (Ibid.). Cette attention portée par les sociologues au changement identitaire amène De Singly à poser un constat cru : « Le soi n’est pas stable. Quand il se modifie, que faire du conjoint ? » (Ibid., p.31)

18 Pour davantage de détails sur ces éléments, nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage de De Singly et aux références que celui-ci mentionne précisément à ce sujet.

Nous pouvons anticiper qu’auprès de personnes activement engagées à travers la psychopédagogie perceptive dans un processus de renouvellement du moi, l’enjeu de « l’accordage » entre partenaires et de l’aptitude au renouvellement des modalités relationnelles sera d’actualité. Faut-il voir là un facteur supplémentaire d’instabilité ? N’y aurait-il pas plutôt une donnée favorable à la stabilité des unions, le renouvellement permettant d’éviter l’écueil de la routine par exemple ? Il est trop tôt pour le dire.

Avançons simplement que le processus de transformation au contact du sensible va dans le sens d’un enrichissement des manières d’être dans le rapport à soi et aux autres. L’articulation des renouvellements de chacun avec la dynamique de la relation reste à étudier.

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