La réciprocité actuante et quelques enjeux d’apprentissage

La réciprocité actuante et quelques enjeux d’apprentissage

La réciprocité actuante et quelques enjeux d’apprentissage

À la faveur des développements posés jusqu’ici, la réciprocité livre progressivement son visage. Mais qu’en est-il de sa qualité « actuante ». Nous resterons simple.

L’adjectif renvoie d’abord à la nature du mouvement interne fréquenté ici et aux processus qui l’accompagnent : « La voie de circulation des informations internes emprunte le substratum subjectif du mouvement interne, animation lente, mouvante et incarnée dans la matière des deux acteurs. […] On comprend que la notion ‘actuante’ est importante car le substratum subjectif est un mouvement et la relation à celui-ci donne accès à des informations mouvantes qui elles-mêmes génèrent un processus de transformation d’état en temps réel de l’expérience chez les deux personnes » ( Bois cité par Bourhis, ibid.).

Ensuite, il y a de la part des personnes en présence la nécessité de veiller à des conditions favorables; il s’agit ici pour les partenaires d’être les « acteurs » de ces conditions qui sont résumées en somato- psychopédagogie sous le terme de « neutralité active » (Bois, Austry, 2007, op. cit.).

Pour le praticien par exemple, l’activité « consiste […] à mettre en place les cadres d’expériences manuelles, gestuelles, introspectives ou verbales succinctement présentés plus haut, ce qui constitue une interaction forte avec […] ses patients ou ses élèves » (Humpich, Bois, 2007, op. cit.). La neutralité, quant à elle, « prend le visage particulier d’un ‘épochè de tout ce qui n’est pas mouvement’. De cette façon le praticien- chercheur reste attentionnellement ouvert ‘à toute dynamique qui va s’offrir et qu’il ne connaît pas’. Dans cette attente protentionnelle, l’attention se dilate en une attentionnalité (Leão, 2002) qui se révèle compétente à installer une réciprocité avec le processus dynamique du sensible et ses résonances corporelles, gestuelles ou mentales » (Ibid.). Nous pourrions ajouter que pour le praticien, la neutralité active renvoie également à cette posture qui réunit « proximité impliquée et distanciation » (Bourhis, 2007b, p. 3).

Pour le patient/apprenant, il s’agit, grâce à l’accordage somato-psychique, d’être présent « à son corps, à sa sensation et à sa pensée en temps réel de l’expérience » (Bourhis, ibid.).

De telles attitudes s’apprennent. Reconnaître par exemple le mouvement interne dans sa lenteur, dans ses orientations créatives, dans les états d’âme qu’il déclenche en soi, n’est pas évident et demande un entraînement guidé dont le somato-psychopédagogue est expert.

D’un autre côté, pour les praticiens que nous sommes, apprendre à ne pas influencer le cours et les orientations de ce même mouvement est un entraînement redoutable. Il nous confronte au lâcher-vouloir. Plus encore, il sollicite une capacité inédite, celle de s’engager pleinement dans une orientation d’action dont nous ne sommes pas les décisionnaires parce qu’elle nous est donnée comme une information émergente.

Ainsi, dans une thérapie manuelle, épouser sans réserve les orientations qui sont prodiguées – par exemple répondre à la demande du corps de la personne accompagnée qui aspire à un élan profond de grandissement – suppose une capacité d’engagement tout-à-fait particulière.

Il faut un investissement de toute la globalité du corps et de la présence du praticien au service d’une action dont il ne dirige pas le cours. À tout moment, le mouvement interne peut exiger que l’on ralentisse et il faudra être entier dans ce ralentissement.

Il se peut aussi qu’il faille marquer une pause, offrir un point d’appui et là aussi, il faudra s’investir entièrement dans cette pause. Or, nos modes d’agissements quotidiens nous ont au mieux exercés à nous investir dans des actions dont nous sommes les auteurs, où les exécutants consentants.

Dans ce dernier cas, ces actions décidées par d’autres deviennent les nôtres. Mais en psychopédagogie perceptive il s’agit d’être totalement engagé dans ce qui va venir à nous et que nous ne connaissons pas encore. Bien souvent la nouveauté qui se donne émerge du fond perceptif commun qui touche la relation interpersonnelle sensible.

Pourquoi insister tant sur cet aspect de la neutralité active ? Parce qu’il y a là une école du rapport à l’imprévisible. Celle-ci interpelle le praticien, bien sûr, mais elle vient également solliciter l’homme ou la femme, en amont de la pratique. Sortons donc un instant du champ professionnel.

Quand l’amour nous appelle ou quand le mouvement évolutif d’une relation vivante nous surprend, nous sommes là aussi sollicités dans une adaptabilité très particulière : nous engager – ou pas –dans les orientations d’une relation dont nous ne maîtrisons pas le cours.

Nous osons penser que l’entraînement issu de la pratique de la psychopédagogie perceptive nous y prépare au moins autant que la vie elle-même. L’analyse des entretiens de nos participants devrait nous en apprendre davantage à ce sujet.

Tableau 8 : La réciprocité actuante et quelques enjeux de son apprentissage (du point de vue du praticien)

Activitémettre en place les cadres d’expérience extra-quotidiens (médiation manuelle, gestuelle, introspective ou verbale)
Neutralités’ouvrir à une attentionnalité, attitude perceptive compétente pour
entrer en relation avec le processus dynamique du sensible
Neutralité activeproximité impliquée et distanciation
s’engager pleinement dans une orientation d’action émergeant de la réciprocité et dont le praticien n’est pas le décisionnaire

 

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