La fatigue du consommateur et le traitement visuel d’une publicité

Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne
Ecole des Hautes Etudes Commerciales de Paris (HC Paris)

Ecole Doctorale « Sciences du Management/GODI » – ED 533
Gestion Organisation Décision Information

Thèse en vue de l’obtention du Doctorat en sciences de gestion
Influence de la fatigue du consommateur sur le processus de traitement visuel d'une publicité
Influence de la fatigue du consommateur sur le processus de traitement visuel d’une publicité

Par :
Dina Rasolofoarison

Jury
Président de jury : Monsieur Luk WARLOP
Professeur – Katolic University Leuven – Belgique

Co-Directeurs de Recherche : Monsieur Gilles LAURENT
Professeur – Ecole des Hautes Etudes Commerciales

Monsieur Marc VANHUELE
Professeur Associé – Ecole des Hautes Etudes Commerciales

Rapporteurs : Monsieur Didier COURBET
Professeur des Universités – Université de la Méditerranée Aix-Marseille

Monsieur Bernard PRAS
Professeur des Universités – Université Paris Dauphine et Professeur Affilié à l’ESSEC

Suffragants : Madame Géraldine MICHEL
Professeur des Universités – I .A.E. de Paris 1 – Panthéon Sorbonne

Présentée et soutenue publiquement le 21 septembre
2011

Ecole des Hautes Etudes Commerciales
Le Groupe HEC Paris n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

Remerciements

Influence de la fatigue du consommateur sur le processus de traitement visuel de la publicité

Résume

La recherche en marketing ne s’est pas souvent penchée sur les conditions de réception des publicités. Or, la qualité d’exposition à la publicité est une variable qui peut expliquer nombre de résultats mitigés en termes d’efficacité publicitaire.

La fatigue est un état qui affecte les individus quotidiennement et de façon importante.

C’est donc un facteur susceptible de fortement influencer la qualité d’exposition au message publicitaire et, en conséquence, les réactions du consommateur face à la publicité. Or, à ce jour très peu de recherches en marketing et encore moins en publicité, ont étudié les effets de la fatigue.

Cette thèse a donc pour objectif d’examiner l’effet du niveau de fatigue du consommateur sur sa façon de percevoir et de traiter des publicités.

Certaines publicités sont intrinsèquement plus difficiles à comprendre que d’autres. Le vocabulaire utilisé, la disposition des images ou encore la présentation des arguments de vente peuvent contribuer à faciliter ou compliquer le traitement d’une publicité.

Nous postulons que la fatigue n’a pas le même impact selon le niveau de complexité de publicité.

En effet, selon la théorie d’adéquation des ressources, sur laquelle nous nous appuyons pour nos hypothèses, le traitement de l’information publicitaire est optimal quand le niveau de ressources cognitives disponible correspond au niveau de ressources exigé pour comprendre la publicité.

Dans cette recherche, nous considérons le niveau de fatigue du consommateur comme un déterminant du niveau de ressources disponibles, et la complexité de la publicité comme un déterminant du niveau de ressources exigé.

Pour mesurer le traitement de l’information publicitaire, nous observons les mouvements des yeux de nos participants à l’aide d’un oculomètre. Les caractéristiques du parcours des yeux sur la publicité, appelées stratégies visuelles, nous permettent en effet d’inférer l’intensité du traitement de l’information.

Pour obtenir un large panorama des effets de la fatigue et de la complexité, nous mesurons également les indicateurs d’efficacité publicitaire que sont les attitudes et la mémorisation.

Cela nous permet de comprendre d’une part comment la fatigue et la complexité influencent conjointement les stratégies visuelles, et d’autre part les conséquences de ces stratégies visuelles en termes d’attitudes et de mémorisation.

Nous réalisons nos expérimentations sur deux échantillons :

  1. des étudiants et
  2. des salariés.

Nous trouvons que la fatigue se manifeste au niveau des mouvements des yeux de façon différenciée.

De façon plus spécifique, nous observons que les étudiants adoptent une stratégie de balayage pour compenser les effets de la fatigue et continuer à visionner les stimuli tout en économisant le peu de ressources encore disponibles.

Ainsi, plus les étudiants sont fatigués, moins ils fixent les stimuli, moins ils passent de temps dessus, et moins ils les parcourent du regard.

Quant aux salariés, ils adoptent plutôt une stratégie visuelle d’attention soutenue qui consiste à mobiliser le peu de ressources disponibles pour accomplir la tâche de visionnage de façon efficace.

Donc, plus les salariés sont fatigués, plus ils fixent les stimuli, plus ils passent de temps dessus, et plus ils les parcourent du regard.

Les attitudes ne semblent pas être influencées par les stratégies visuelles.

En effet, la stratégie de balayage adoptée par les étudiants fatigués n’entraine pas de différence significative en termes d’attitudes par rapport aux étudiants non fatigués; et la stratégie d’attention soutenue adoptée par les salariés fatigués n’entraine pas non plus de différence significative en termes d’attitudes par rapport aux salariés non fatigués.

Cependant, si la stratégie de balayage des étudiants fatigués n’entraine pas de différence significative quant aux mesures de mémorisation, nous trouvons que la stratégie d’attention soutenue adoptée par les salariés fatigués conduit à de meilleurs scores de rappel et de reconnaissance de la marque que pour les salariés pas fatigués.

Quant à l’interaction entre fatigue et complexité, nos résultats vont à l’encontre de la théorie d’adéquation des ressources.

Nous observons que les publicités les plus efficaces ne sont finalement pas celles pour lesquelles il y a adéquation entre niveau de ressources disponible et niveau de ressources exigé.

Dans le cas des salariés, ce sont même les cas d’inadéquation qui obtiennent les meilleurs scores de rappel de la marque.

Ainsi, de façon inattendue, ce sont les participants fatigués qui se souviennent le mieux de la marque lorsqu’ils visionnent les publicités complexes.

Nous pensons que le surcroit d’élaboration qui permet de compenser la fatigue fournit aux participants fatigués des traces durables des informations présentées, leur permettant ainsi de mieux se souvenir de la marque promue.

La théorie d’adéquation des ressources prévoit que les participants fatigués n’ont pas assez de ressources disponibles pour traiter les publicités complexes.

Or, nous observons que les salariés mobilisent le peu de ressources disponibles pour traiter efficacement le message complexe.

Ainsi, plutôt que l’adéquation des ressources, ce serait plutôt le principe de stratégie dynamique d’adaptation des ressources (Desmond et Matthews, 1997; Matthews et al, 1996) qu’il semble pertinent de mobiliser pour expliquer nos résultats.

Ce courant développé dans la littérature en psychologie de la performance, dépasse la vision statique de la théorie d’adéquation des ressources pour adopter une vision dynamique des ressources cognitives.

Il suppose qu’un individu peut se motiver pour adapter son niveau de ressources disponible à la tâche à accomplir.

Il semble que nos résultats soient conformes à cette vision : les étudiants, apparemment peu motivés, n’adaptent pas leur niveau de ressources; les salariés, apparemment plus motivés, adaptent leur niveau de ressources.

Introduction générale
Contexte de la recherche

Le soir devant la télévision après une longue journée de travail, ou le matin dans le métro et pas encore bien réveillé, le consommateur est exposé aux publicités à tout moment et quel que soit son niveau de fatigue.

Cet état peut affecter la façon dont le consommateur reçoit et traite les informations publicitaires auxquelles il est exposé. Pour autant, la recherche en marketing s’intéresse encore assez peu aux conditions de réception des publicités.

Elle ne s’est notamment pas encore penchée sur le concept de fatigue du consommateur. Or, la fatigue est un état qui affecte les individus au quotidien et de façon importante.

C’est donc un facteur susceptible de fortement influencer la qualité d’exposition au message publicitaire et, en conséquence, les réactions du consommateur face à la publicité.

L’objectif de cette recherche est donc d’étudier l’impact de la fatigue du consommateur sur la façon dont il reçoit et traite les informations contenues dans un message publicitaire.

Certaines publicités sont intrinsèquement plus difficiles à comprendre que d’autres. Le vocabulaire utilisé, la disposition des images ou encore la présentation des arguments de vente peuvent contribuer à faciliter ou compliquer le traitement d’une publicité.

Nous postulons que la fatigue n’a pas le même impact selon le niveau de complexité de publicité.

En effet, selon la théorie d’adéquation des ressources, sur laquelle nous nous appuyons pour nos hypothèses, le traitement de l’information publicitaire est optimal quand le niveau de ressources cognitives disponible correspond au niveau de ressources exigé pour comprendre la publicité.

Dans cette recherche, nous considérons le niveau de fatigue du consommateur comme un déterminant du niveau de ressources disponibles, et la complexité de la publicité comme un déterminant du niveau de ressources exigé.

Pour mesurer le traitement de l’information publicitaire, nous observons les mouvements des yeux de nos participants à l’aide d’un oculomètre.

Les caractéristiques du parcours des yeux sur la publicité, appelées stratégies visuelles, nous permettent en effet d’inférer l’intensité du traitement de l’information.

Pour obtenir un large panorama des effets de la fatigue et de la complexité, nous mesurons également les indicateurs d’efficacité publicitaire que sont les attitudes et la mémorisation.

Cela nous permet de comprendre d’une part comment la fatigue et la complexité influencent conjointement les stratégies visuelles, et d’autre part les conséquences de ces stratégies visuelles en termes d’attitudes et de mémorisation.

La fatigue du consommateur : un concept important et pourtant pas encore étudié en marketing

S’il n’existe pas de définition unique de la fatigue dans la littérature, on peut la décrire de façon simplifiée comme une baisse de performance liée à l’activité et réversible par le repos (Sherrer, 1989). A notre connaissance, la fatigue du consommateur n’a encore jamais été étudiée dans la littérature en marketing.

Nous voyons pourtant deux raisons fondamentales pour lesquelles l’étude de cette variable est importante.

  1. Premièrement, la fatigue au sens général est un état vécu quotidiennement par les individus (Gledhill, 2005).

C’est donc un facteur que l’on ne peut ignorer dans l’étude du comportement du consommateur et de ces réactions aux variables marketing.

  1. Deuxièmement, la fatigue influence les capacités cognitives des individus (Gledhill, 2005; Sherrer, 1989; Vermeil, 1977).

Il est donc légitime de supposer que dans le cadre du comportement du consommateur, le degré de traitement visuel des publicités est affecté par le niveau de fatigue du consommateur.

Cadre théorique de la recherche : Fatigue, complexité et adéquation des ressources cognitives

La fatigue du consommateur a un impact important sur les capacités cognitives des individus. Cependant, à la différence de la fatigue chronique extrême, les effets de la fatigue générale quotidienne sont souvent difficiles à observer.

Ils ne peuvent être correctement appréhendés qu’en soumettant les individus à une tâche exigeant une plus grande mobilisation des ressources cognitives (Hockey et Earle, 2006).

La complexité de la publicité

C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de prendre en compte la complexité de la publicité (déterminant du niveau de ressources cognitives exigé par la publicité) pour étudier correctement les effets de la fatigue (déterminant du niveau de ressources cognitives disponibles par le consommateur).

La complexité de la publicité est elle aussi un concept difficile à appréhender.

Elle se compose de plusieurs dimensions :

  1. une dimension visuelle (= nombre, disposition, et relation entre les éléments visuels),
  2. une dimension technique (= jargon utilisé),
  3. une dimension lexicale (= structure syntaxique), et
  4. une dimension informationnelle (= quantité d’informations utiles à l’évaluation du produit) (cf. Chamblee et al, 1993; Putrevu et al, 2004).

Dans notre recherche, nous prenons en considération ces quatre dimensions pour manipuler la complexité des publicités utilisées dans nos expérimentations.

Ces quatre dimensions se combinent pour déterminer le niveau de ressources cognitives exigé pour traiter et comprendre l’information contenue dans le message publicitaire.

Ainsi, nous devons étudier d’un côté le niveau de ressources disponible représenté par la fatigue du consommateur et de l’autre, le niveau de ressources exigé par la publicité représenté par son niveau de complexité.

Il existe dans la littérature en marketing et en psychologie un cadre théorique spécialement adapté pour étudier les effets d’interaction de ces différents types de ressources cognitives. Il s’agit de la théorie d’adéquation des ressources (Anand et Sternthal, 1989 et 1990).

D’après cette théorie, une publicité est plus persuasive si le niveau de ressources cognitives exigé par la publicité correspond au niveau de ressources disponible du consommateur.

En revanche, si les ressources exigées sont supérieures ou inférieures aux ressources disponibles, la publicité est moins efficace.

Sans toujours faire l’unanimité, cette théorie a déjà fait l’objet de nombreuses applications dans la recherche en marketing.

Si la complexité a déjà été utilisée pour représenter le niveau de ressources exigé, les opérationnalisations des niveaux de ressources disponibles sont assez diverses : manipulation de la charge cognitive (Jacoby, 1991), du niveau de motivation (Meyers-Levy et Peracchio, 1995; Peracchio et Meyers-Levy, 1997), ou encore de la fréquence de répétition du message publicitaire (Anand et Sternthal, 1989; Malaviya et Sternthal, 1997).

A notre connaissance, aucune recherche jusqu’ici n’a utilisé le niveau de fatigue du consommateur pour manipuler ce niveau de ressources cognitives disponible.

La mesure du traitement de l’information par les stratégies visuelles

Le niveau (ou intensité) de traitement de l’information publicitaire se situe sur un continuum allant de superficiel à profond (Nordhielm, 2002).

Le traitement superficiel d’un stimulus correspond à l’analyse de ces éléments physiques ou sensoriels. L’individu va donc examiner les formes, les couleurs, la densité ou la luminosité du stimulus.

Lors d’un traitement profond, l’individu cherche plutôt à extraire et construire le sens des informations qu’il voit. Il procède alors à une analyse sémantique ou cognitive du stimulus.

Nous cherchons à mettre en lumière dans cette recherche l’existence d’une relation entre le traitement de l’information publicitaire et les mouvements des yeux.

Ainsi, les mouvements des yeux peuvent traduire les stratégies visuelles adoptées, qui à leur tour peuvent représenter le niveau de traitement de l’information.

Le modèle conceptuel de la recherche

Nous proposons donc dans cette recherche d’étudier les effets d’interaction entre la fatigue (niveau de ressources disponible) et la complexité (niveau de ressources exigé) sur le traitement visuel de la publicité.

D’après les hypothèses que nous formulons dans cette thèse, ce traitement visuel de l’information publicitaire devrait à son tour influencer les attitudes des consommateurs et leur mémorisation des éléments de la publicité.

La figure 1 représente le modèle conceptuel de cette recherche.

Figure 1. Modèle conceptuel de la recherche

 Modèle conceptuel de la recherche

Méthodologie de recherche et design expérimental

Pour étudier le traitement visuel de l’information publicitaire, nous utilisons un oculomètre. Il s’agit dans notre cas d’un appareil ressemblant à un écran d’ordinateur muni d’une caméra, qui ne peut pas être remarquée par le participant.

Cela permet d’enregistrer le mouvement des yeux des participants pendant qu’ils regardent un stimulus à l’écran.

L’analyse des mouvements des yeux s’avère être un outil précieux pour étudier le processus perceptuel en cours lors de l’exposition à une publicité.

Il a en effet été montré qu’il est possible d’inférer et de découvrir, à partir des structures récurrentes de mouvements des yeux, les stratégies cognitives de traitement de l’information adoptées par les individus (Chapman et al, 2002; Pieters et Warlop, 1999).

Nous identifions les stratégies visuelles adoptées en nous appuyant sur les méthodes d’analyses utilisées dans la littérature sur les mouvements des yeux.

Ces études mesurent entre autres le nombre de fixations et de saccades, leur localisation et leur durée.

Ces indicateurs peuvent concerner l’ensemble de la publicité et/ou seulement des zones spécifiques telles que le titre, l’image, le texte ou encore le logo (Duchowski, 2007; Wedel et Pieters, 2000).

Nous effectuons une première étude préalable qui a pour objectif d’identifier un lien formel entre les niveaux de traitement de l’information et les stratégies visuelles d’encodage des publicités. Les niveaux de traitement (profond / superficiel) sont difficiles à observer directement.

Nous cherchons donc à savoir si, en les manipulant, il est possible de les voir se manifester à travers les mouvements des yeux, qui eux sont directement observables.

En d’autres termes, nous faisons l’hypothèse que les mouvements des yeux peuvent s’apparenter à des variables manifestes du niveau de traitement de l’information publicitaire, qui lui correspondrait plutôt à une variable latente.

Nous montrons qu’un traitement superficiel de l’information correspond à une stratégie visuelle dite « de balayage », composée de peu de fixations, des fixations courtes, et de peu de saccades; et qu’un traitement intense de l’information correspond à une stratégie visuelle dite « d’attention soutenue », composée de fixations nombreuses et longues et de nombreuses saccades.

Grâce à l’identification dans cette première étude d’un lien formel entre ces deux types de variables, nous pouvons alors légitimement faire des inférences dans l’étude principale sur le niveau de traitement de l’information à partir des résultats des mouvements des yeux.

Dans un deuxième temps, dans nos deux études principales nous enregistrons les mouvements des yeux de nos participants lorsqu’ils visionnent des publicités, et nous mesurons l’efficacité de ces publicités en termes d’attitudes et de mémorisation, mesurées au moyen de questionnaires auto-administrés.

L’étude des stratégies visuelles couplée à celle des mesures d’efficacité de la publicité nous permet de déterminer les processus attentionnels et cognitifs sous-jacents aux scores de mémorisation et de persuasion.

Nous effectuons notre recherche sur deux échantillons très différents.

Un premier échantillon est composé de jeunes étudiants entre 20 et 25 ans, comme c’est souvent le cas dans la littérature en psychologie cognitive et en comportement du consommateur.

Cependant, nous ne pouvions nous limiter à ce seul échantillon particulier dans cette recherche sur les effets de la fatigue.

En effet, il a été montré que la gestion de la fatigue et des moments de journée peut s’avérer différer grandement selon les tranches d’âge (Yoon, 1997). C’est la raison pour laquelle nous étudions un deuxième échantillon, composé d’adultes salariés.

Comme nous le verrons au cours de la thèse, les résultats montrent de grandes différences quant à l’impact de la fatigue entre les deux échantillons.

Résultats et interprétations

Si les effets de la complexité sont en ligne avec nos prévisions (i.e. plus la publicité est complexe, plus le niveau d’élaboration est élevé), les effets de la fatigue semblent suivre une logique différenciée selon les échantillons.

Nous observons que les étudiants adoptent une stratégie de balayage pour compenser les effets de la fatigue et continuer à visionner les stimuli tout en économisant le peu de ressources encore disponibles.

Ainsi, plus les étudiants sont fatigués, moins ils fixent les stimuli, moins ils passent de temps dessus, et moins ils les parcourent du regard.

Quant aux salariés, ils adoptent plutôt une stratégie visuelle d’attention soutenue qui consiste à mobiliser le peu de ressources disponibles pour accomplir la tâche de visionnage de façon efficace.

Donc, plus les salariés sont fatigués, plus ils fixent les stimuli, plus ils passent de temps dessus, et plus ils les parcourent du regard.

Les attitudes ne semblent pas être influencées par les stratégies visuelles.

En effet, la stratégie de balayage adoptée par les étudiants n’entraîne pas de différence significative en termes d’attitudes par rapport aux étudiants non fatigués; et la stratégie d’attention soutenue adoptée par les salariés fatigués n’entraîne aucune différence significative non plus par rapport aux salariés non fatigués.

Cependant, si la stratégie de balayage des étudiants n’entraine pas non plus de différence significative quant aux mesures de mémorisation, nous trouvons que la stratégie d’attention soutenue des salariés conduit à de meilleurs scores de rappel et de reconnaissance de la marque pour les participants fatigués.

Cette stratégie manifeste un surcroît d’élaboration de la part des salariés pour continuer d’accomplir leur tâche de visionnage de façon efficace. Ce surcroit d’élaboration leur permet ainsi d’être encore plus performants lorsqu’ils sont fatigués.

Quant à l’interaction entre fatigue et complexité, nos résultats vont à l’encontre de la théorie d’adéquation des ressources.

Nous observons que les publicités les plus efficaces ne sont finalement pas celles pour lesquelles il y a adéquation entre niveau de ressources disponible et niveau de ressources exigé.

Dans le cas des salariés, ce sont même les cas d’inadéquation qui obtiennent les meilleurs scores de rappel de la marque.

Ainsi, de façon inattendue, ce sont les participants fatigués qui se souviennent le mieux de la marque lorsqu’ils visionnent les publicités complexes.

Nous pensons que le surcroît d’élaboration qui permet de compenser la fatigue fournit aux participants fatigués des traces durables des informations présentées, leur permettant ainsi de mieux se souvenir de la marque promue.

La théorie d’adéquation des ressources prévoit que les participants fatigués n’ont pas assez de ressources disponibles pour traiter les publicités complexes.

Or, nous observons que les salariés mobilisent le peu de ressources disponibles pour traiter efficacement le message complexe.

Ainsi, plutôt que l’adéquation des ressources, ce serait plutôt le principe de stratégie dynamique d’adaptation des ressources (Desmond et Matthews, 1997; Matthews et al, 1996) qu’il semble pertinent de mobiliser pour expliquer nos résultats.

Ce courant développé dans la littérature en psychologie de la performance, dépasse la vision statique de la théorie d’adéquation des ressources pour adopter une vision dynamique des ressources cognitives.

Il suppose qu’un individu peut se motiver pour adapter son niveau de ressources disponible à la tâche à accomplir.

Il semble que nos résultats soient conformes à cette vision : les étudiants, apparemment peu motivés, n’adaptent pas leur niveau de ressources; les salariés, apparemment plus motivés, adaptent leur niveau de ressources.

Implications théoriques et managériales

Cette recherche fournit plusieurs implications théoriques. Tout d’abord, nous intégrons la fatigue dans le domaine du comportement du consommateur.

Cette implication est fondamentale puisque nous montrons que la fatigue influence fortement le traitement de l’information.

Ensuite, nos résultats montrent que la fatigue influence les stratégies visuelles adoptées au moment de l’encodage des informations visuelles, et ce de façon différenciée selon nos échantillons.

Nous trouvons qu’il est ainsi possible d’obtenir de meilleurs scores de mémorisation lorsqu’on est fatigué, à condition d’adopter une stratégie d’attention soutenue pour compenser la fatigue à l’encodage.

Une autre implication théorique importante concerne l’étude de l’interaction de la fatigue du consommateur et de la complexité de la publicité. Cet effet d’interaction ne suit pas le principe de la théorie d’adéquation des ressources comme nous le pensions originellement.

Nous montrons ici que cet effet d’interaction suit plutôt le principe de stratégie dynamique d’adaptation des ressources.

En effet, nos résultats montrent que ce sont les cas d’inadéquation des ressources qui remportent les meilleurs scores de rappel de la marque.

De façon étonnante, ce sont les publicités complexes qui permettent aux salariés de mieux se souvenir de la marque lorsqu’ils sont fatigués.

D’un point de vue managérial, il est difficile aujourd’hui d’accéder à des études portant sur la qualité d’exposition à la publicité.

Ce type d’informations est rare car il existe peu de recherches académiques sur le sujet et les études managériales, si elles existent, sont contraintes de rester confidentielles pour des raisons stratégiques d’avantage concurrentiel.

Nous espérons que ce travail de thèse va contribuer au développement dans le domaine public de l’investigation de la qualité d’exposition à la publicité, de façon à en améliorer l’efficacité.

Plan de la thèse

Cette thèse est organisée en deux grandes parties : une revue de littérature à partir de laquelle nous bâtissons notre modèle conceptuel et nous construisons nos hypothèses de recherche; puis le test empirique de notre modèle grâce à deux études expérimentales.

La première partie est divisée en trois chapitres : tout d’abord, nous présentons le thème de la thèse, à savoir le traitement cognitif de la publicité, et l’influence de ses conditions de réception sur ce traitement cognitif (chapitre 1).

Parmi les facteurs modifiant la qualité des conditions de réception, nous nous intéressons plus particulièrement à la fatigue du consommateur.

Nous passons donc en revue la littérature sur la fatigue et nous expliquons pourquoi il est nécessaire de prendre en compte la complexité de la publicité pour pouvoir observer les effets de notre variable focale, la fatigue (chapitre 2).

Enfin, nous présentons notre cadre conceptuel, s’appuyant sur la théorie d’adéquation des ressources, et nos hypothèses de recherche (chapitre 3).

La deuxième partie est également composée de trois chapitres : d’abord nous décrivons la méthodologie d’enregistrement et d’analyse des mouvements des yeux (chapitre 4).

Ensuite, nous décrivons une étude préliminaire visant à valider que les structures de mouvements des yeux que nous observons correspondent bien à des stratégies spécifiques de traitement de l’information publicitaire.

Cette première étude est fondamentale puisqu’elle nous permet d’inférer légitimement les stratégies de traitement de l’information employées par les individus à partir de l’observation des mouvements de leurs yeux (chapitre 5).

Enfin, nous présentons notre étude expérimentale principale, où nous examinons les effets de la fatigue (niveau de ressources cognitives disponible) et de la complexité (niveau de ressources cognitives exigé) sur les stratégies visuelles d’encodage des publicités, les attitudes et la mémorisation (chapitre 6).

Pour terminer, nous concluons cette thèse en discutant ses résultats, en montrant ses contributions mais aussi ses limites, et nous ouvrons sur des perspectives de recherches futures vers lesquelles ce travail conduit.

Sommaire

Introduction générale
Première partie. Revue de littérature
Chapitre 1. Publicité et traitement visuel de l’information
1.1 Le traitement cognitif de l’information publicitaire
1.2. L’importance des conditions de réception de la publicité
Chapitre 2. Publicité et niveaux de ressources cognitives
2.1 Niveau de ressources disponible : La fatigue et le moment optimal de la journée
2.2 Niveau de ressources exigé : Complexité de la publicité
Chapitre 3. Modèle conceptuel et hypothèses
3.1 La théorie d’adéquation des ressources
3.2 Application à l’étude des effets de la fatigue et de la complexité sur le traitement de la publicité
3.3 Développement des hypothèses de recherche
Deuxième partie. Etudes expérimentales
Chapitre 4. Méthodologie d’enregistrement des mouvements des yeux
4.1 Le système visuel
4.2 Les mouvements des yeux : saccades et fixations
4.3 Attention visuelle et mouvements des yeux
4.4 Collecte de données de mouvements des yeux : design expérimental avec un oculomètre
5 Applications au traitement de l’information par le consommateur
Chapitre 5. Effet des niveaux de traitement de l’information sur les stratégies visuelles d’encodage des publicités
Chapitre 6. Effets de la fatigue et de la complexité sur les mouvements des yeux, les attitudes, et la mémorisation
Chapitre 7. Discussion et limites de la recherche
Conclusion

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La fatigue du consommateur et le traitement visuel d’une publicité
Université 🏫: Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne
Auteur·trice·s 🎓:
Dina Rasolofoarison

Dina Rasolofoarison
Année de soutenance 📅: Thèse en vue de l’obtention du Doctorat en sciences de gestion - 21 septembre 2011
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