Justice, Pouvoirs publics et Risque sanitaire du champ électromagnétique

4. Les pouvoirs publics
Les pouvoirs publics sont des acteurs chargés de la médiation et de la régulation du dossier sanitaire lié à l’exposition aux champs électromagnétiques. Ce thème relevant de plusieurs instances (internationales, européennes, nationales, locales), nous analyserons donc l’interaction communicationnelle entre les différentes instances concernées par la gestion publique des risques.
– Au niveau international, l’OMS est l’autorité qui coordonne les questions de santé présentant un caractère international. Selon cette organisation, « plus les résultats de la recherche s’accumulent, plus il devient improbable que l’exposition aux champs électromagnétiques représente un grave danger pour la santé, même s’il subsiste néanmoins encore un peu d’incertitude152. » Aussi, l’organisation préconise-t-elle, pour protéger la santé des populations, de suivre les recommandations internationales concernant les normes de sécurité applicables aux champs électromagnétiques;
– Le Parlement européen quant à lui considère que les technologies sans fil (téléphonie mobile, Wifi, Wimax, etc.) génèrent des champs électromagnétiques pouvant avoir des effets néfastes sur la santé. C’est pourquoi il adopte une position de prudence. Dans sa résolution du 2 avril 2009, il demande notamment la révision des normes d’exposition, l’élaboration d’un guide des options technologiques disponibles et efficaces dans la réduction de l’exposition aux champs électromagnétiques, et le lancement d’une campagne de sensibilisation à destination des jeunes européens pour favoriser un usage prudent du téléphone mobile. Pour les personnes souffrant d’hypersensibilité électromagnétique, le Parlement invite les Etats membres à leur accorder « le statut de personne à capacités réduites » de manière à ce qu’elles puissent bénéficier d’une protection appropriée153.
En adoptant une position différente de l’OMS, la communication du Parlement vient donc interférer avec celle de l’organisation mondiale;
– L’Etat, pour sa part, s’inscrit dans une volonté de couvrir l’ensemble du territoire français en téléphonie mobile. C’est dans la perspective d’aménager les communes non couvertes qu’il s’est associé, en 2003, avec les collectivités et les trois opérateurs de téléphonie mobile dans le programme « zones blanches ». Mais avec la montée des mobilisations autour des antennes-relais, l’Etat s’est progressivement dégagé de la gestion publique du dossier et a délégué la question sanitaire au ministère de la Santé154. Quand cela est nécessaire, la Direction Générale de la Santé, qui dépend du ministère de la Santé, recoure à l’AFSSET dans le but de demander une évaluation scientifique pour l’élaboration de recommandations de santé publique. A la suite du rapport de l’AFSSET sur les radiofréquences en 2009, le ministère de la Santé estime que l’exposition aux champs électromagnétiques générés par les antennes-relais n’engendre pas de risques sanitaires et que les téléphones mobiles sont sans conséquences sanitaires, mais qu’un risque ne peut être totalement exclu155. Par ailleurs, l’Etat ne reconnaît pas l’existence d’un lien entre l’hypersensibilité et l’exposition aux champs électromagnétiques. Le ministère propose cependant un accueil adapté des électrosensibles par les équipes de l’hôpital Cochin, de manière à élaborer un protocole de prise en charge de ces personnes et dans but de soutenir la recherche sur les causes de leurs symptômes156. Le ministère affiche donc une volonté de prendre en compte le problème de l’hypersensibilité électromagnétique.

152 OMS, « Que sont les champs électromagnétiques ? », page dédiée à la question des liens entre santé et champs électromagnétiques, http://www.who.int/peh-emf/about/WhatisEMF/fr/index5.htm.153 Résolution du Parlement européen du 2 avril 2009 sur les préoccupations quant aux effets pour la santé des champs électromagnétiques.

Notons également que la communication mise en œuvre par le ministère présente un mélange de genres. En effet, le ministère met à la disposition du public, sur son site Internet, un ensemble de fiches informatives concernant la santé et l’exposition aux champs électromagnétique, mais ces fiches sont réalisées par l’association française des opérateurs mobiles157. Autrement dit, l’AFOM élabore une information, laquelle est diffusée par le ministère. Cette information, parce qu’elle est produite par un acteur économique et communiquée par une instance publique, peut apparaître comme équivoque et ne pas favoriser une bonne lisibilité de la position des différents acteurs;

154 Borraz Olivier, Devigne Michel, Salomon Danielle, Controverses et mobilisations autour des antennes relais de téléphonie mobile, op. cit., p. 5.
155 Ministère de la Santé et des Sports, Secrétariat d’État chargée de la Prospective et du Développement de l’économie numérique, Secrétariat d’État chargée de l’Écologie, « Restitution du rapport de l’agence française de sécurité sanitaire, de l’environnement et du travail », communiqué de presse, 15/10/2009.
156 Ministère de la Santé, « Dix orientations retenues par le Gouvernement suite à la table ronde “Radiofréquences, santé, environnement” », 25/05/2009.
157 Information disponible sur le site Internet du ministère, http://www.sante.gouv.fr/radiofrequences-afom.html, [consulté le 15/03/2011].

– Au niveau local, le maire est amené à répondre à l’inquiétude des administrés concernant la dangerosité des champs électromagnétiques. Toutefois, il est responsable d’une mission de service public l’obligeant à accompagner le développement de la téléphonie mobile et à garantir la couverture de son territoire. A cet égard, il incombe au maire d’informer les habitants de chaque projet d’implantation ou de modification d’une antenne-relais. Aussi le maire rencontre-t- il des difficultés à concilier des objectifs répondant à la fois à l’inquiétude d’une partie des habitants et au souhait de développement des technologies de communication (téléphonie mobile, Wifi, Wimax, etc.), lesquelles promettent également des retombées économiques. Si le maire n’a pas une grande marge de manœuvre, c’est pourtant vers lui que s’adressent les plaintes des habitants. Aussi met-il en œuvre diverses actions pouvant avoir un impact sur les rapports qu’il entretient avec les autres acteurs (associations, opérateurs, institutions, etc.). C’est le cas par exemple de communes qui ont décidé de prendre un arrêté municipal pour interdire l’installation d’antennes-relais dans un rayon de 100 mètres autour des écoles et des crèches158. Aussi une commune peut-elle, depuis juillet 2010, lorsqu’elle est propriétaire ou locataire de locaux au voisinage d’antennes-relais, intenter une action devant le juge judiciaire pour obtenir le démantèlement ou le déplacement de l’antenne, sur le fondement du trouble anormal de voisinage159. Citons également l’exemple des communes pilotes qui se sont portées volontaires pour expérimenter une réduction de l’exposition aux champs électromagnétiques dans le voisinage des antennes-relais.
Il existe donc des divergences dans la communication des différentes instances institutionnelles (internationales, européennes, nationales et locales) concernées par la gestion des risques sanitaires liés à l’exposition aux champs électromagnétiques. Le citoyen reçoit par conséquent des informations contradictoires, certaines autorités soulignant la possibilité d’effets néfastes pour la santé (Parlement européen, certaines communes), tandis que d’autres instances affirment que ce risque est improbable (OMS, Etat…). Ce faisant, ce désaccord entre institutions est présent dans les débats engagés autour des champs électromagnétiques et n’est pas sans conséquences au sujet d’un doute concernant leur dangerosité.

158 C’est le cas notamment en 2010 des communes de Voiron et de Sassenage en Isère, ou de Valence dans la Drôme. Sur la demande de l’Etat, les tribunaux administratifs ont annulé ces arrêtés municipaux, la réglementation de l’implantation des antennes-relais relevant du ministère compétent. Pour la commune de Voiron, l’information est disponible sur son site Internet, http://www.ville-voiron.fr/index.adml?r=2314, [consulté le 7/03/2011].
159 Nous reviendrons sur ce sujet dans le paragraphe suivant.

5. La justice
Avec la multiplication des mobilisations autour des antennes-relais, la justice est sollicitée pour arbitrer les plaintes déposées à l’encontre de plusieurs opérateurs de téléphonie mobile. Mais il existe une divergence de positions entre les juges administratifs et les juges judiciaires à propos des risques sanitaires liés à l’exposition aux champs électromagnétiques. A la controverse entre scientifiques s’ajoute ainsi une « controverse » entre juges. En effet, le juge judiciaire, à la différence du juge administratif, admet l’application du principe de précaution et, par conséquent, peut imposer le démontage d’antennes-relais160. Les juges judiciaires ont la possibilité de recourir au principe de précaution dans la mesure où il existe une controverse au sein de la communauté scientifique, c’est-à-dire de fortes incertitudes quant à la dangerosité des champs électromagnétiques. Ce faisant, cette divergence vient déstabiliser la justice. Mais avant d’analyser ce désaccord, rappelons brièvement les caractéristiques du principe de précaution.
Pour faire face aux situations d’incertitude scientifique liée à l’émergence de dangers échappant au processus de « mise en risque », de nouvelles conceptions ont été introduites en matière de gestion des risques. C’est ainsi que se sont développées des initiatives de « concertation », de « consultation », de « participation », et qu’a émergé également le principe de précaution. Le principe de précaution vise à rendre possible l’engagement de mesures pour prévenir un risque potentiellement grave sans attendre l’établissement de preuves scientifiques. Le recours légitime au principe de précaution doit satisfaire deux conditions: les dommages redoutés doivent avoir un caractère « grave et irréversible »; il doit y avoir une absence de certitudes scientifiques concernant ces dommages161. Le principe de précaution apparaît en février 1995 dans le droit français avec la loi Barnier, relative au renforcement de la protection de l’environnement, et indique que « l’absence de certitude, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement, à un coût économiquement acceptable ». En 2005, la Charte de l’environnement est introduite dans le préambule de la Constitution. Le principe de précaution y est défini dans l’article 5, et figure donc au niveau le plus élevé de la hiérarchie des normes juridiques: « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veilleront, par application du principe de précaution, et dans leurs domaines d’attribution, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »

160 Lherminier Céline, « Antennes relais: Les pouvoirs limités du Maire », in Le Courrier des maires, n° 225-226, juin-juillet 2009, p. 14.

Aussi, depuis 2005, les conflits engagés autour des antennes-relais font-ils l’objet d’affrontements concernant l’interprétation et le mode d’application du principe de précaution. Quand en juillet 2010, le Conseil d’Etat admet l’application du principe de précaution dans le litige concernant une antenne-relais, il l’admet en référence à l’article 5 de la Charte de l’environnement162. Dès lors, sa décision amène une transformation dans la législation du code de l’urbanisme qui intègre alors la prise en compte de préoccupations environnementales. Ce faisant, cette décision peut également avoir des conséquences sur l’appréciation des risques liés à d’autres technologies, comme les lignes électriques à très haute tension, le Wifi ou le Wimax.
Nous le voyons, la justice participe également à la publicisation de la question sanitaire liée aux champs électromagnétiques. Tout d’abord, cette question est débattue au sein des tribunaux lors de l’arbitrage des conflits engagés autour d’antennes-relais. Par ailleurs, ces affaires judiciaires, en étant relayées par les journalistes, se déploient sur la scène médiatique. Ce faisant, elles sont mises en visibilité et suscitent encore des débats. Enfin, les juges, par leurs décisions, contribuent à faire bouger les contours du problème.

161 Bourg Dominique, « Les conditions d’emploi du principe de précaution », in Risques technologiques et débat démocratique, Problèmes politiques et sociaux, n° 941, La documentation française, Paris, Octobre 2007, p. 98.
162 Arrêt du Conseil d’Etat du 19 juillet 2010 relatif à l’implantation litigieuse d’une antenne-relais.

Lire le mémoire complet ==> L’activité de communication autour de l’hypersensibilité électromagnétique
Mémoire de master 2 recherche en Sciences de l’information et de la communication
Université Stendhal Grenoble 3 – Institut de la Communication et des Médias

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top