Société civile et Risques sanitaires des champs électromagnétiques

2. Les acteurs de la société civile
Les acteurs de la société civile cherchent à s’imposer dans la sphère publique et à peser sur les débats, voire à les provoquer, pour que soient pris en compte leurs préoccupations au sujet de la dangerosité des champs électromagnétiques. Ils contribuent ainsi à la définition du risque et à sa constitution possible comme problème de santé publique. Les différents groupes d’acteurs issus de la société civile présentent des spécificités, mais ils ont en commun de revendiquer l’identification d’un risque sanitaire et, dès lors, une meilleure réglementation concernant l’exposition des personnes aux champs électromagnétiques131. Ils cherchent également à obtenir une reconnaissance de l’hypersensibilité électromagnétique et sa prise en charge par les pouvoirs publics. A cet égard, ces acteurs font souvent référence à la Suède où les symptômes dont se plaignent les électrosensibles sont reconnus comme un handicap, et sont donc pris en charge par les autorités locales qui financent des travaux de protection des foyers132. Pour défendre leurs revendications, les différents collectifs ou associations mettent en œuvre des actions qui participent à publiciser leur cause. Nous pouvons distinguer différents niveaux d’actions:

129 Information disponible sur le site Internet de l’AFOM, http://archive.afom.fr/v4/TEMPLATES/contenus_l2.php?doc_ID=1097&rubrique_ID=255&rubLimit=255, [consulté le 13/03/2011].
130 Résolution du Parlement européen du 2 avril 2009 sur les préoccupations quant aux effets pour la santé des champs électromagnétiques.
131 Ils revendiquent notamment l’abaissement des seuils d’exposition des antennes-relais à 0,6 volt par mètre.

– Comme nous l’avons vu précédemment, ils s’immiscent dans la controverse scientifique, et ceci de plusieurs manières:
o Ils initient leurs propres recherches afin d’accélérer les études et faire en sorte que les personnes souffrant d’hypersensibilité électromagnétique soient traitées de façon la plus efficace possible;
o Ils mettent en cause les valeurs limites d’exposition, lesquelles sont dénoncées pour deux raisons. 1) Parce qu’elles sont basées sur l’exposition aux champs générés par une technologie, alors qu’il existe une accumulation des doses générées par des expositions multiples (Wifi, téléphonie portable…). 2) Parce qu’elles sont calculées sur des effets d’exposition à court terme alors qu’une très faible exposition à long terme, en deçà des seuils préconisés, peut provoquer des effets indésirables pour la santé ou le bien-être des gens;
o Ils augmentent la portée et la visibilité des travaux de contre-experts. Il en est ainsi par exemple de Priartem et d’Agir pour l’environnement qui entretiennent des relations avec un ensemble de contre-experts et donnent en outre un large écho aux études épidémiologiques de R. Santini133. C’est également le cas de Robin des Toits ou de Next-up par exemple, qui diffusent notamment les travaux de Dominique Belpomme, de Gérard Ledoigt ou de chercheurs étrangers. L’écho donné aux recherches ne vise pas seulement les études tendant à montrer la nocivité des champs électromagnétiques, la plupart des acteurs transmettant également un ensemble d’informations sur les différentes recherches demandées par les institutions nationales ou organisations internationales et proposant, pour ces dernières, des traductions. Ils mettent également en ligne des rapports officiels, des actes de colloques, les derniers résultats des recherches étrangères, etc.
– Ils développent des compétences techniques, des savoirs et des savoir-faire alternatifs:
o Une multitude d’associations locales proposent de réaliser des relevés dans des logements sur la demande de particuliers de manière à mesurer et à contrôler la puissance des champs électromagnétiques134;
o Certains groupes permettent le recueil de témoignages et le partage d’expériences entre personnes souffrant d’hypersensibilité électromagnétique. Par exemple, le collectif électrosensible.org propose plusieurs forums spécifiques à cette question135. L’association Robin des Toits travaille quant à elle sur le projet d’un site Internet spécifique à l’hypersensibilité électromagnétique, dans le but de répertorier et de catégoriser toutes les informations disponibles sur ce sujet136. Notons que c’est en accédant à ces informations que certaines personnes disent avoir pu, après de longs mois de questionnement sur leur état de santé, établir un lien entre leurs symptômes et l’hypersensibilité électromagnétique137. Cet aspect est important, nous le verrons, dans la construction des problèmes publics, qui passe par une phase nommée Naming consistant à réaliser qu’un problème est lié à un litige;
o Les différents groupes proposent la transmission et la vulgarisation d’informations alternatives à travers les sites Internet, lors de réunions publiques, de conférences, ou à l’occasion de rencontres évènementielles ou de colloques.
– Les associations et les collectifs entreprennent des actions en justice qui, nous le verrons, ont eu pour impact de déstabiliser l’institution judiciaire avec la mise en évidence de postures contradictoires entre juges administratifs et juges judiciaires.

132 Borraz Olivier, « Quand ‘‘Le Monde 2’’ émet des ondes très moyennes », in Mediapart, 2/05/2008.
133 Borraz Olivier, Devigne Michel, Salomon Danielle, Controverses et mobilisations autour des antennes relais de téléphonie mobile, op. cit., pp. 83-85.
134 Vincenot Pierre, « Ondes de choc dans votre intérieur », in La Dépêche.fr, 21/02/2011, article en ligne http://www.ladepeche.fr/article/2011/02/21/1018897-Ondes-de-choc-dans-votre-interieur.html, [consulté le 21/02/2011].
135 Le collectif propose par exemple un forum intitulé « Vos témoignages », ou un autre « Changement d’activité professionnelle ». Les différents forums sont consultables sur le site du collectif: http://www.electrosensible.org/forums/.
136 Déclaration d’un membre de Robin des Toits lors d’un entretien téléphonique le 1/03/2011.
137 Chateauraynaud Francis, Debaz Josquin, « Le partage de l’hypersensible. Le surgissement des électro- hypersensibles dans l’espace public », in Sciences sociales et santé, Vol. 28, n°3, 2010, p. 6.

En outre, les actions en justice, en étant relayées par les médias, contribuent aussi à médiatiser leur cause et à susciter le débat. Cette exposition publique des affaires judiciaires peut se lire également comme « un recours pour lutter contre la domination des sources officielles138. »
– De plus, ils mettent en œuvre une diversité d’actions collectives. Par exemple, le collectif Une terre pour les EHS a coordonné en 2010 l’occupation de la forêt de Saoû dans la Drôme, dans le but de revendiquer la création de zones blanches139. Il en est de même de Priartem et d’autres partenaires qui se sont associés avec Agir pour l’environnement (APE) pour une campagne intitulée « Portables, antennes relais, WIFI, GPRS, 3G, WIMAX…: TcherMobile ? »140.
o Ces actions collectives visent à interpeller les pouvoirs publics. Par exemple, la campagne TcherMobile cible le ministère de la Santé, le ministère de l’Education nationale et le ministère de l’Écologie et revendique notamment la réduction de la puissance des antennes relais, une meilleure protection de la santé des riverains, l’usage de réseaux câblés dans certains bâtiments (crèches, écoles, bibliothèques, etc.) et une étude de grande ampleur sur les conséquences sanitaires de l’exposition aux champs électromagnétiques;
o Les multiples mobilisations locales autour des antennes-relais ont pour but également d’interpeller les opérateurs de téléphonie mobile de manière à ce qu’ils abaissent leur seuil d’émission;
o Certains groupes entreprennent aussi des actions qui ont une portée sociale. Par exemple, Next-up a aménagé une zone refuge dans la Drôme pour accueillir des personnes électrosensibles afin qu’elles puissent retrouver un état de santé convenable. L’association Robin des Toits se situe également dans une dynamique sociale lorsqu’elle participe, en avril 2010, au colloque « Maladies de l’hypersensibilité: quelles causes environnementales ? Du déni à l’action », pour partager une réflexion avec des ONG141, des professionnels de la santé, des malades, des chercheurs en sciences sociales et des citoyens.

138 Pailliart Isabelle, Communication, sciences et territoires, in Pailliart Isabelle (coord.), La publicisation de la science. Exposer, communiquer, débattre, publier, vulgariser, Presses Universitaires de Grenoble, Grenoble, 2005, p. 156.
139 Information disponible sur la page Internet du collectif Prévention Rayonnements Ondes 26, « EHS : Lueurs sous les MHertz », http://vital261.eklablog.com/les-ehs-a-saou-lettre-de-michelle-rivasi-deputee-europeenne-p79765, [consulté le 21/02/2011].
140 La campagne TcherMobile est consultable en ligne, http://www.tchermobile.org/dossiers/4_pages-ape29_campagne-tchermobile/, [consulté le 7/03/2011].

Les différentes associations ou collectifs ont développé un « professionnalisme » leur permettant de se présenter comme des acteurs à part entière dans la sphère publique. Ainsi, en se donnant les moyens de proposer une information et une expertise alternatives acquièrent-ils une légitimité et une capacité à bousculer la hiérarchie des savoirs142. A travers les différentes actions qu’ils mettent en œuvre, les acteurs de la société civile suscitent le débat et participent à publiciser la question de la dangerosité des champs électromagnétiques. Ils interviennent aussi bien dans le domaine scientifique, juridique, politique, social ou économique. Ils contribuent ainsi au processus de définition du risque sanitaire et se caractérisent comme des lanceurs d’alerte. En étant relayés par les médias, ils accèdent à la sphère médiatique, acquièrent une certaine visibilité et donnent une portée plus large à leur cause. Mais soulignons également que les électrosensibles, en raison de leur état de santé, sont obligés de répercuter à leurs interlocuteurs les contraintes auxquels ils doivent eux-mêmes s’astreindre. Cela signifie qu’ils demandent aux politiques, aux journalistes, etc., voulant les rencontrer, de respecter certaines « règles »: se rendre sur un lieu de rendez-vous dépourvu de champs électromagnétiques, ne pas posséder de téléphone portable sur eux, ne pas utiliser un micro émettant des champs, etc. De par leur état de santé et des contraintes qui en résultent, les électrosensibles n’ont donc pas tous les moyens pour se mobiliser; c’est pourquoi les relations de synergie avec les autres associations sont essentielles pour publiciser leur cause.
Lire le mémoire complet ==> L’activité de communication autour de l’hypersensibilité électromagnétique
Mémoire de master 2 recherche en Sciences de l’information et de la communication
Université Stendhal Grenoble 3 – Institut de la Communication et des Médias

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