La condamnation de l’assureur en cas de relaxe ou d’acquittement

La condamnation de l’assureur en cas de relaxe ou d’acquittement

2°. La condamnation de l’assureur en cas de relaxe ou d’acquittement

1335. L’article 388-3 du Code de procédure pénale, qui est interprété par la Cour de cassation comme faisant en principe obstacle à la condamnation de l’assureur par le juge répressif, a été créé par la loi du 8 juillet 1983.

Des auteurs ont relevé que paradoxalement, une autre disposition issue de la loi du 8 juillet 1983 pourrait permettre, dans certaines conditions, une condamnation de l’assureur du prévenu relaxé, au besoin in solidum avec ce dernier, au profit de la victime2124.

L’article 470-1 alinéa 1er du Code de procédure pénale disposait alors que : « Le tribunal saisi, à l’initiative du ministère public ou sur renvoi d’une juridiction d’instruction, de poursuites exercées pour homicide ou blessures involontaires qui prononce une relaxe demeure compétent, sur la demande de la partie civile ou de son assureur formulée avant la clôture des débats, pour accorder, en application des règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite ».

Modifié par les lois n° 96-393 du 16 mai 19962125 et n° 2000-647 du 10 juillet 20002126, le texte voit son champ d’application élargi aux cas de poursuites pour « une infraction non intentionnelle au sens des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l’article 121-3 du Code pénal ».

L’article 541 alinéa 2 du Code de procédure pénale prévoit l’applicabilité de ces dispositions au tribunal de police. Quant à la procédure criminelle, c’est l’article 372 du Code de procédure pénale qui régit la faculté de la cour d’assises de statuer sur les intérêts civils après acquittement.

Des propositions d’analyse ont été émises en doctrine pour tenter de résoudre la contradiction entre les articles 388-3 et 470-1 du Code de procédure pénale (a). La jurisprudence n’a pas vraiment tranché ce point (b). L’incertitude demeure également quant à l’article 372 du Code de procédure pénale (c).

a) Les propositions doctrinales d’articulation de l’article 470-1 avec l’article 388-3 du Code de procédure pénale

1336. L’interprétation de l’article 470-1 comme instaurant un cas de condamnation de l’assureur dérogeant à l’article 388-3.

Il résulterait de l’article 470-1 que l’assureur pourrait être condamné par le juge répressif à des dommages intérêts envers la victime, bien que le texte ne vise pas expressément cette situation. Les demandeurs à l’action sont clairement identifiés : il s’agit de la partie civile ou de son assureur.

Mais les défendeurs, c’est-à-dire les personnes qui pourront être condamnées, ne le sont pas2127. Il ne fait aucun doute que seront naturellement défendeurs le prévenu ou son civilement responsable.

Mais quid de leurs assureurs respectifs ? La formulation large du texte, qui vise la possibilité « d’accorder […] la réparation de tous les dommages », laisse penser que la compétence du juge répressif inclut la réparation due par l’assureur mis en cause2128.

1337. A cela nous pouvons ajouter un argument tiré de la symétrie de situations toujours voulue par le législateur : s’il a désigné nommément comme demandeurs la partie civile ou son assureur, il est logique que les défenseurs soient le prévenu, le civilement responsable ou leurs assureurs.

Cependant, une hypothèse reste sans réponse : la partie civile peut-elle demander la condamnation de son propre assureur à l’indemniser si celui-ci s’est montré récalcitrant ?

Nous ne voyons pas de motif de l’exclure et cet assureur, qui serait alors subrogé dans les droits de la victime, pourrait demander au juge répressif la condamnation à son profit du prévenu, de son civilement responsable ou de leurs assureurs selon le schéma envisagé par l’article 470-1.

1338. Enfin, l’esprit de la loi de 1983 est de donner compétence au juge répressif pour accorder une réparation complète des dommages résultant des faits poursuivis, et il serait paradoxal que l’assureur ne puisse pas intervenir à cette procédure alors qu’il pouvait le faire avant la décision de relaxe2129.

1339. Ainsi l’article 470-1 semble autoriser, lorsque ses conditions d’application sont remplies, la condamnation de l’assureur à indemniser la victime alors que les articles 388-1 et suivants semblent l’interdire en prévoyant que la décision est simplement opposable à l’assureur.

Le problème se pose en termes d’articulation entre des dispositions apparemment contradictoires, bien que toutes issues de la loi du 8 juillet 1983.

La lecture des textes laisse penser que seules les dispositions de l’article 470-1 permettent de condamner l’assureur du responsable à indemniser la victime, car celles des articles 388-1, 385-1 et 388-3 n’autorisent pas le juge à se prononcer sur le montant de la garantie, son rôle étant limité au maintien dans la cause de l’assureur, s’il garantit, et à sa mise hors de cause s’il ne garantit pas2130.

1340. Les dispositions organisant l’intervention de l’assureur et celles prorogeant la compétence du juge répressif en cas de relaxe avaient à l’origine un point commun, à savoir la condition d’application que les poursuites doivent avoir été exercées pour homicide ou blessures involontaires2131.

Mais les conditions d’applications de l’article 470-1 sont plus restrictives car il faut en outre que la juridiction de jugement ait été saisie sur poursuites du ministère public ou renvoi d’une juridiction d’instruction et que ces poursuites se soient soldées par une relaxe2132.

Il résulterait de ceci que lorsque seules les conditions de l’intervention de l’assureur sont réunies, celui-ci peut participer aux débats mais à l’issue, la décision lui sera seulement opposable et il ne pourra être condamné.

En revanche, si les conditions d’application de l’article 470-1 sont également remplies, non seulement l’assureur peut intervenir, mais en outre il pourra être condamné à indemniser la victime.

Le paradoxe est que la situation de la victime s’améliore alors sur le plan de la réparation à proportion qu’elle est moins grave sur le plan pénal.

Ainsi une victime de violences volontaires ne peut mettre en cause l’assureur devant le juge pénal alors que la victime d’atteintes involontaires le peut, et si la victime de ces atteintes involontaires obtient la condamnation pénale du prévenu, la décision sur les intérêts civils sera seulement opposable à l’assureur présent aux débats, alors que si le prévenu est relaxé, la victime peut obtenir la condamnation de l’assureur à l’indemniser.

1341. L’interprétation unitaire des dispositions des articles 470-1 et 388-3. Une autre lecture combinée des dispositions organisant l’intervention de l’assureur et de l’article 470-1 a été proposée afin de lutter contre « ces conséquences curieuses, obscures ou injustes »2133.

Cette interprétation repose sur une interprétation unitaire de la loi de 1983 en considérant que celle- ci déroge dans son ensemble à l’article 2 du Code de procédure pénal, ce dont il s’évince que les diverses dispositions susvisées doivent être analysées dans la même optique.

Cette analyse est possible si l’on fait abstraction de la jurisprudence relative à ces textes pour s’en tenir à leurs dispositions.

Il faut alors partir du constat que l’article 388-3, s’il n’affirme pas que l’assureur peut être condamné par le juge pénal, ne l’interdit pas2134, tandis que si l’article 470-1 ne prévoit pas expressément la condamnation de l’assureur en cas de relaxe, tel est vraisemblablement le sens qui doit lui être donné. Il n’y a donc pas de contradiction expresse entre les deux textes, qui pèchent plutôt par manque de précision.

1342. Aux termes de l’article 470-1, la juridiction répressive « demeure » compétente pour statuer en cas de relaxe et prononcer éventuellement une condamnation de l’assureur.

Ceci indiquerait qu’elle était déjà compétente, en cas de condamnation ou de déclaration de culpabilité, non seulement pour statuer sur l’action civile, mais également pour prononcer la condamnation de l’assureur.

La compétence prorogée du juge répressif en cas de relaxe serait la même que la compétence plus usuelle en cas de déclaration de culpabilité et s’il est possible de condamner l’assureur en cas de relaxe, cela devrait être possible en cas de condamnation.

Cette interprétation réconcilie sous une philosophie unique les dispositions concernant l’intervention de l’assureur et l’article 470-1.

Ces textes issus de la loi de 1983 viendraient s’opposer à la conception classique de l’action civile exprimée par l’article 2 du Code de procédure pénale.

1343. La loi de 1983 aurait donc créé, en matière d’homicide et blessures involontaires, « une conception partiellement dérogatoire à l’article 2 du Code de procédure pénale » dans laquelle « l’action civile a un objet plus étendu qu’en droit commun : elle a pour objet d’obtenir la réparation de ceux qui la doivent selon les règles de droit civil. […] La règle concernant la relaxe peut être interprétée comme la simple application d’un principe, dont on peut regretter qu’il n’ait pas été formulé explicitement »2135.

b) Les incertitudes jurisprudentielles concernant l’articulation de l’article 470-1 avec l’article 388-3 du Code de procédure pénale

1344. La conception dérogatoire précitée paraît l’avoir emporté devant des juges du fond qui ont admis la condamnation de l’assureur par un juge répressif statuant sur les intérêts civils après relaxe. Toutefois, si les décisions des juges du fond ont alors pu ne pas être censurées par la Cour de cassation, la position de cette dernière n’a pas été clairement exposée.

1345. L’admission de la condamnation de l’assureur en application de l’article 470-1. La Cour d’appel de Paris a opté pour la conception dérogatoire en prononçant la condamnation de l’assureur dans le cadre de l’application de l’article 470-1.

Après avoir relaxé le prévenu souscripteur du contrat d’assurance au motif qu’il subsistait un doute quant à sa présence au volant lors de l’accident, la Cour d’appel a condamné l’assureur sur le fondement de l’article 470-1 en estimant qu’il était tenu de garantir les conséquences de l’accident.

L’assureur ayant formé pourvoi en cassation contre cet arrêt, son recours a été rejeté2136. Cependant, la Cour de cassation n’a pas pris parti sur l’application de l’article 470-1. Le pourvoi a été déclaré irrecevable faute pour l’assureur d’intérêt à agir2137.

1346. Le rejet de la condamnation de l’assureur en application de l’article 470-1. Par la suite la Cour d’appel d’Angers a également prononcé sur le fondement de l’article 470-1 une condamnation à dommages intérêts de l’assureur du véhicule, après avoir relaxé le prévenu dont il n’était pas démontré qu’il était le conducteur.

Cette décision a été cassée, au visa des « articles 388-1 et 388-3 du Code de procédure pénale, ensemble l’article 470-1 »2138.

Les motifs de la cassation paraissent clairs à première lecture. En premier lieu, la Cour de cassation estime qu’il y a eu violation de l’article 388-1 du Code de procédure pénale car l’assureur du véhicule ne pouvait être considéré comme l’assureur du prévenu et ne pouvait donc être mis en cause.

Elle estime en second lieu qu’il y a eu violation de l’article 388-3 du Code de procédure pénale en ce que la Cour d’appel ne pouvait condamner l’assureur.

L’absence de référence à l’article 470-1, et surtout à une violation de ce dernier, tend à laisser penser que la cassation est fondée sur le fait que la cour d’appel a prononcé une condamnation sur le fondement de l’article 470-1 alors qu’elle aurait dû s’abstenir de le faire pour respecter le principe posé par l’article 388-3. La Cour de cassation paraît de la sorte faire prévaloir l’article 388-3 sur l’article 470-1.

1347. Cependant, cette analyse a été remise en cause. Pour Madame Vaux-Fournerie, « on hésite tout de même à penser que, pour la chambre criminelle, l’article 388-3 du Code de procédure pénale, qu’elle interprète avec rigueur, doive prendre le pas sur l’article 470-1 qui, alors, interdirait lui aussi, de condamner l’assureur du prévenu relaxé envers la partie civile.

Cette analyse semble difficile à admettre, car l’article 470-1 serait vidé d’une grande partie de sa substance, alors que la présence de l’assureur du prévenu, et de celui de la victime, est habituelle devant la juridiction qui prononce la relaxe »2139.

En outre, ainsi que le relève le Professeur Groutel, la méconnaissance de l’article 388-3 « n’était pas le sujet, puisque, de toutes les façon, il n’y avait matière ni à condamnation, ni à opposabilité. En réalité, c’est l’impossibilité d’appliquer l’article 470-1 qui était déterminante »2140.

L’arrêt ici évoqué serait donc à rapprocher de ces décisions qui censurent un juge du fond ayant prononcé une condamnation de l’assureur du prévenu relaxé au motif que les conditions de l’article 470-1 n’étaient pas réunies, par exemple parce que la victime ou son assureur n’avait pas présenté une demande en ce sens avant la clôture des débats2141.

1348. Or, lorsque la décision qui condamne l’assureur est censurée au motif que les conditions de la condamnation prononcée sur le fondement de l’article 470-1 ne sont pas remplies, cela ne nous éclaire pas sur le point de savoir si le principe posé par l’article 388-3 prévaut ou non.

Pour être vraiment significative, une décision devrait concerner une hypothèse où les conditions de l’article 470-1 sont remplies.

La censure de la décision du juge du fond prononçant une condamnation ne pourrait alors trouver son fondement que dans la violation de l’article 388-3 et a contrario, un rejet du pourvoi signifierait un effacement de l’article 388-3 au profit de l’article 470-1.

1349. Avant de se pencher sur la possibilité de le condamner, on pouvait se demander si l’assureur qui n’était pas en la cause a la faculté d’intervenir durant la phase civile qui s’ouvre après la relaxe2142.

L’esprit de la loi commande que l’assureur puisse intervenir à ce procès purement civil devant le juge répressif. Certes, l’article 470-1 prévoit que le juge pénal cesse d’être compétent « lorsqu’il apparaît que des tiers responsables doivent être mis en cause ».

Cependant, ainsi que nous l’avons vu, l’assureur n’est pas un tiers responsable mais un garant2143 et cette restriction de compétence ne saurait alors jouer.

Dans l’esprit du législateur, il s’agit d’éviter qu’un tiers responsable, par définition extérieur au procès pénal, intervienne devant le juge répressif et vienne alourdir sa tâche. La situation de l’assureur est différente puisque nous nous trouvons dans un cas où son intervention est prévue par la loi.

1350. La situation est donc quelque peu incertaine s’agissant de l’application de l’article 470-1 devant les juges correctionnels et de police, même si la tendance jurisprudentielle qui se dessine est l’admission de la condamnation de l’assureur par ces juges.

La situation paraît similaire s’agissant de l’article 372 concernant les cours d’assises, avec une incertitude bien plus forte sur la solution faute de jurisprudence significative.

c) La question de l’éventuelle condamnation de l’assureur en application de l’article 372 du Code de procédure pénale

1351. L’article 372 du Code de procédure pénale, qui concerne la procédure devant la cour d’assises, est rédigé différemment de l’article 470-1.

Il dispose que « la partie civile, dans le cas d’acquittement comme dans celui d’exemption de peine, peut demander réparation du dommage résultant de la faute de l’accusé, tel qu’elle résulte des faits qui sont l’objet de l’accusation ».

1352. Ce texte ne vise que la partie civile comme demandeur à la réparation sur le fondement de l’article 372. La faculté pour l’assureur de la victime d’user de ce texte n’est donc pas prévue et ne paraît donc pas être admise.

1353. Quant à la faculté de présenter une demande d’indemnisation contre l’assureur de l’accusé relaxé ou de son civilement responsable, elle n’est pas non plus évoquée, mais ceci est un point commun avec l’article 470-1.

Comme ce dernier texte, l’article 372 présente une formulation large autorisant à « demander réparation du dommage résultant de la faute de l’accusé ».

Or, nous avons vu que l’absence de précision quant au débiteur de l’indemnisation pouvait être interprétée comme autorisant à présenter la demande contre l’assureur, du moment qu’il est en la cause2144.

Toutefois, l’argument de symétrie de situation entre l’assureur de la victime et l’assureur du responsable, utilisé pour l’article 470-1, ne s’applique pas à l’article 372. Il peut même conduire à exclure son application à l’assureur.

Dans la mesure où l’assureur de la victime ne peut former de demande en application de l’article 372 car il n’est pas visé par le texte, rien ne permet de penser que l’assureur du responsable peut être défendeur à une demande fondée sur cet article.

1354. La question de la condamnation de l’assureur en application de l’article 372 du Code de procédure pénale reste donc encore plus difficile à trancher que celle de sa condamnation en application de l’article 470-1.

1355. Cela étant, nous pouvons tout de même constater une tendance jurisprudentielle à admettre la condamnation de l’assureur par un juge répressif, sous le couvert de dispositions légales spéciales paraissant autoriser une telle condamnation.

Outre les cas de condamnation de l’assureur automobile dans le cadre de l’offre d’indemnisation obligatoire ou après relaxe ou acquittement du prévenu ou de l’accusé, nous aurions également pu citer celui de la condamnation de l’assureur pour le compte de qui il appartiendra, admise devant le juge répressif sur le fondement des dispositions spécifiques admettant une telle condamnation pour compte2145.

Cependant, il apparaît que cette dernière hypothèse d’admission ne relève pas seulement de l’application restreinte d’un cas limité de condamnation, mais d’une admission plus générale de la condamnation de l’assureur répondant à l’idée d’une avance de cet assureur sur l’indemnisation due à la victime.

Il est à relever que cette idée n’est pas étrangère à l’admission ambiguë, par la Cour de cassation, de la condamnation de l’assureur dans le cadre de l’article 470-1 du Code de procédure pénale.

En effet, pour rejeter le pourvoi de l’assureur contre l’arrêt d’appel ayant prononcé sa condamnation, la Haute juridiction a retenu qu’il n’avait pas d’intérêt à se pourvoir dans la mesure où il ne pouvait opposer d’exception de garantie dans le cadre de l’assurance obligatoire2146.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’intervention de l’assureur au procès pénal
Université 🏫: Université Nancy 2 Faculté de Droit - Ecole Doctorale Sciences Juridiques
Auteur·trice·s 🎓:
Monsieur Romain SCHULZ

Monsieur Romain SCHULZ
Année de soutenance 📅: THESE en vue de l’obtention du Doctorat en Droit - le 18 novembre 2009
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