Quels acheteurs, quels vendeurs : Marché du viager immobilier français

Quels acheteurs, quels vendeurs : Marché du viager immobilier français

D- Quels acheteurs, quels vendeurs : les motivations

On a vu que le viager était un instrument qui alliait souplesse et adaptabilité, on a constaté combien il remportait de succès au cours des cinq dernières années, et on a observé les explications macro-économiques de ce plébiscite.

Il s’agit maintenant d’étudier les fondements micro-économiques du succès de la vente viagère. Quels sont les acheteurs et les vendeurs ? Quelles histoires communes font ressortir des profils généraux? Quelles sont les motivations des débirentiers et des crédirentiers. Car il y a bien des raisons qui font préférer le viager à une transaction plus classique comme nous allons le voir maintenant.

Le profil des vendeurs

Les différents interlocuteurs ont tous abordé les mêmes types de motivations et de mêmes catégories de profils de vendeurs. Les critères invoqué de manière récurrente sont les suivants :

  • la présence ou l’absence d’héritiers directs
  • l’existence d’une paupérisation
  • le bien mis en vente est-il lui-même un héritage.

D’après l’un de nos interlocuteurs, environ 80% des vendeurs ont des héritiers directs. Plusieurs buts différents les animent.

Pour une part il s’agit de faciliter la transmission du patrimoine. Lorsque plusieurs héritiers sont en jeu et qu’un seul bien est à partager, il apparaît raisonnable aux parents d’effectuer le partage de leur vivant de manière à épargner à leurs descendants les démarches prenantes et stressantes d’une vente dans le contexte post traumatique de la disparition d’un proche. Pour certains c’est aussi la manière de régler par avance une succession qui s’annonce lourde de conflit. Comme le souligne l’un de nos interlocuteurs, « une maison possède pour ceux qui l’ont habité une valeur affective distincte de leur valeur vénale. On touche ici à l’affectif, et des familles peuvent s’entre-déchirer pour des biens d’une valeur parfois dérisoire et sans rapport avec leurs besoins réels ».

Un autre interlocuteur souligne quant à lui l’augmentation de ce type de profil, notamment avec l’arrivée des premières familles recomposées dans des situations d’héritage. Lorsque il y a plusieurs demi-frères et sœurs, issus de différents mariages, et des écarts conséquents entre générations, les parents viennent voir les viagéristes en pressentant un héritage difficile.

Le viager est alors pour eux une façon d’anticiper un testament lourd de conflits en effectuant leur transmission de patrimoine pour partie de leur vivant, par des donations anticipée, et surtout sous la forme totalement dépassionnée de l’argent. « Un client est un jour venu me voir en me disant, ce que ma vie a construit, je ne veux pas que ma mort le détruise, c’est là la motivation d’un certain nombre de vendeurs ».

Les vertus de transmission du viager ont été amplifiées par l’Etat qui offre de généreux abattements fiscaux, puisqu’une exonération est possible à hauteur de 156 359 euros en cas de donation à un enfant, à hauteur de 31 272 euros pour un petit enfant.

L’INSEE souligne dans son enquête logement déjà citée, qu’un tiers des transactions viagères se font au sein d’une même famille, ce qui renforce l’approche du viager comme moyen de transmission. Il faut toutefois souligner ici que le Fisc accorde une grande attention à ce type de transactions qui ne doit pas apparaître comme une donation déguisée. L’accord écrit des autres enfants est un pré-requis impératif.

Pour d’autres, il s’agit de raisons financières. Pour certains vendeurs, le viager est la dernière planche de salut. Avec la hausse des dépenses liées à la dépendance et à la santé, conjuguée à des situations de retraite dégradées, certaines personnes âgées se retrouvent paupérisées.

Un certain nombre d’entre elles se retrouvent toutefois en possession d’un bien qui, conséquemment à la hausse des prix de l’immobilier, est maintenant de grande valeur. « un bel appartement dans le Marais ne valait pas grand-chose il y a 50 ans, il peut maintenant

peser des millions d’euros » explique l’un de nos interlocuteurs. « Il y a parfois des biens de grands luxe qui passent à la vente et qui sont paradoxalement habité par des personnes qui ont du mal à boucler leur fin de mois. J’ai vu une fois passer à la vente un grand duplex sur l’Ile de la Cité d’une valeur de 3,2 millions d’euros, la propriétaire, ancienne femme au foyer ne touchait que 9 000 euros par an de la retraite de son mari, un ancien avocat décédé 30 ans auparavant ».

A cela s’ajoute comme l’explique Corinne Griffond24 une modification des rapports de solidarité intergénérationnelle. Celle-ci est principalement dissymétrique et s’exerce des séniors vers les plus jeunes, par le biais de dons puis de l’héritage.

Cette solidarité descendante est relativement nouvelle et issue de la généralisation des systèmes de retraite par répartition dans l’après guerre. Elle s’est substituée à une solidarité ascendante, encore très présente dans les sociétés traditionnelles, rendue caduque par la retraite moderne. Cependant, avec l’allongement de la vie et les coûts qui lui sont associés, le mythe de l’indépendance des générations tend à s’estomper et l’on voit des personnes âgées retomber dans la dépendance de leur descendance.

Le drame étant que cette situation est beaucoup moins bien acceptée que par le passé. « le viager est un marché de la pudeur » souligne l’un de nos interlocuteurs, « beaucoup de personnes âgées viennent nous voir, n’osant pas appeler leurs enfants à l’aide, soit par honte, soit par conscience de la propre gêne financière de leurs héritiers et la volonté de ne pas constituer un poids supplémentaire. Parfois ce sont les enfants eux-mêmes qui viennent se renseigner pour leur parents dont ils sentent la détresse »

Un autre type de vendeurs est au contraire celui de personnes très favorisées, possédant plusieurs biens immobiliers et percevant des loyers. Pour eux, la vente viagère est une manière de sortir des contraintes de la propriété, travaux, charges administratives, différentes dépenses…Tout en continuant à percevoir le revenu qui y était associé. Le bouquet constitue un capital à transmettre à leurs éventuels descendants sous forme d’assurance vie.

Il y a enfin les vendeurs souhaitant déshériter leurs enfants. La chose est en effet interdite par la loi. Une personne pouvant en disposer de 1/ nombre, d ‘ ‘ enfants quotité de son patrimoine librement dans son testament, le reste devra aller aux enfants en respectant la quotité.

La seule manière de déshériter effectivement ses enfants est donc… de ne rien leur laisser. Il s’agit donc de consommer tout le capital amassé au long de la vie, en commençant par sa part la plus conséquente, la propriété immobilière. « Certains vendeurs ont la volonté de décéder avec un compte en banque quasi vide pour spolier leurs héritiers. Rendre la pierre liquide est pour eux le seul moyen d’y arriver, les rentes leur permettent de bien vivre, et ils vident leurs comptes bancaires au profit d’associations lorsqu’ils sentent la fin proche ». Tous les viagéristes soulignent que ce cas de figure est très marginal et ne représente guère que 4 à 5% des ventes.

L’autre grande catégorie est celle des vendeurs dépourvus de descendants directs. Ceux-ci représentent environ 20% des vendeurs et se distinguent en deux types.

  • les « rationnels » : puisque l’état ponctionnera 60% de l’héritage, autant le transmettre de manière monétaire sous forme d’assurance-vie en profitant d’une très avantageuse défiscalisation.
  • les « hédonistes » : puisque le bien devra être vendu, vu l’importance de l’impôt sur l’héritage, autant le vendre maintenant et consommer ce qui serait sinon reversé à l’Etat. Il est possible au final de léguer la même somme en choisissant d’autres supports de transmission très favorables, tels que par exemple les assurances-vie, qui supposent en revanche que le patrimoine soit liquide.

Enfin le profil sociologique du vendeur est très divers.25 Un seul point commun, la part d’anciens salariés est minoritaire. Les vendeurs sont souvent d’anciens artisans, chefs d’entreprise. Cet état de fait peut être expliqué de deux manières.

D’une part, indépendamment de leurs revenus antérieurs, ce sont des catégories mal protégées par le système de retraite public puisque non salariées. Ensuite ce sont souvent des personnes ayant acheté eux même leur bien et étant conscient qu’ils ne le « doivent » à personne, pas même à leurs héritiers.

Si transmission il y a, elle n’est que parce qu’ils le veulent bien et non parce qu’ils le doivent. Le bien hérité est en effet souvent ressenti par le propriétaire comme un patrimoine familial, et donc plus difficilement aliénable, à l’inverse le bien acheté est « une propriété en propre » de son possesseur qui ressentira moins un impératif de transmission.

Le profil des acheteurs

Toute personne possédant d’un capital, et surtout d’un revenu confortable et prévisible peut acquérir en viager. On peut pourtant établir une classification des acheteurs.

La démarche des acheteurs est surtout une démarche d’investisseurs. Comme le remarque Bruno Legasse, « 80% des acheteurs loueront ou revendront leur bien après l’entrée en jouissance ». Qui sont-ils ces investisseurs ?

Ce sont d’abord les Français de l’étranger, qui désirent amasser un capital en France et se constituer une rente en prévision de leur propre retraite. Ils sont d’après Bruno Legasse près de deux millions à consulter les sites de viager.

« J’ai dans mes clients cet expatrié, directeur d’une grande banque à Séoul, qui m’achète un viager par an depuis qu’il vit à l’étranger. Les hauts salaires, des pouvoirs d’achats garantis par une paie en euros, ainsi que l’allègement des charges fiscales confèrent un revenu très important à cette catégorie d’investisseurs qui souhaitent retourner en France passer leur retraite. » Ce sont de « purs investisseurs » qui se constituent une rente ou revendent le bien sans l’avoir jamais occupé ni s’être soucié de la gestion locative.

Il y a également les étrangers des pays riverains, Anglais, Néerlandais, Allemands, qui achètent en viager une résidence secondaire en prévision de leur retraite. Cette clientèle achète presque exclusivement sur la Côte d’Azur et en Provence.

Il y a ensuite les Français de province qui achètent un studio ou un petit appartement à Paris pour leurs enfants en prévision de ses études, quitte à le revendre une fois son usage passé, empochant ainsi une confortable plus value.

Les primo accédants sont étonnamment la dernière catégorie significative. On aurait pu toutefois penser que le viager, en raison du faible capital qu’il exige au moment de l’achat, constituerait un merveilleux moyen d’accession à la propriété. Pourtant même si les primo accédants sont une partie conséquente de la clientèle, c’est clairement les investisseurs qui dominent le marché.Une raison bien simple explique cet état de fait.

En l’absence de résidence principale, il faut que l’acheteur supporte à la fois le coût de la rente ainsi que celui de son propre loyer, ce qui peut constituer une charge écrasante. Si les primo accédants achètent en viager, ils s’orientent quasiment exclusivement vers le viager libre, qui correspond à un lend lease. Ils ont ainsi la possibilité d’occuper immédiatement le bien et conséquemment de réaliser l’économie de leur loyer.

Cette démarche se rapproche de l’achat par emprunt, à l’exception que l’acheteur ne paie pas de frais bancaires et que la durée avant l’entrée en jouissance du bien est deux à trois fois inférieure à celle d’un remboursement d’emprunt, ce qui est tout de même une véritable aubaine ! La raison de la rareté des primo accédants est à voir d’une part dans l’absence de connaissance du viager au sein de la population ainsi qu’à la pénurie de vente de viager libre.

Moins de 5% des ventes d’après l’un de nos interlocuteurs. D’après lui, seules deux catégories de vendeurs ont recours à cette forme. D’une part, les vendeurs paupérisés qui cherchent à obtenir de gros fonds pour financer une maison de retraite, d’autre part les vendeurs aisés cherchant à sortir des contraintes de la propriété liées à un bien locatif.

De manière générale, on a compris que le viager était un mode de transmission souple et adaptable, et représentait un marché qui, s’il demeure un marché de niche, est un secteur en pleine explosion.

On a vu les raison macro-économiques et macro économiques qui font du secteur un marché d’avenir : vieillissement de la population, un public de séniors qui est paradoxalement riche en capital, étant très propriétaire dans un contexte de cherté des prix, tout en étant disposant de faibles revenu à un moment de la vie où les dépenses sont plus élevées et dans un environnement d’interrogation sur l’avenir des retraites. Le viager représente ainsi pour certains une véritable planche de salut financier, tout en constituant pour d’autres le moyen privilégié d’une transmission paisible.

24 Les Viagers Immobiliers en France, Rapport du Conseil Economique et Social, Corinne Griffond. Page 22.

25 Les Ventes de Logements Anciens en Viager, Rapport au ministre de l’Aménagement du Territoire. Jacques Friggit.

Pour les acheteurs, le viager fait figure d’investissement providentiel, puisqu’il épargne le recours à l’emprunt, facilite l’achat de biens immobiliers à des prix intéressants, tout en offrant une vaste gamme d’adaptation à leurs moyens de paiement. Pourtant ce secteur n’est pas dépourvu de limites qu’il convient d’observer maintenant.

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