Respect de la législation sanitaire française à l’épreuve de l’internationalité

Le respect de la législation sanitaire française à l’épreuve de l’internationalité – Section 2.
102- La lecture de la législation française a permis de constater qu’elle pourrait être repensée afin de s’adapter à l’immatérialité sur l’internet. Il reste cependant à déterminer comment le respect des exigences législatives sanitaires françaises peut être assuré lors de transactions transfrontières. La réflexion suivra le déroulement du processus de commercialisation des médicaments tel qu’il a été présenté en première partie : les actes préalables à la commercialisation de médicaments, puis les conditions d’accès et d’exercice de la profession de pharmacien, se heurtent successivement au caractère transnational de l’internet.
Nous l’avons vu, un médicament qui serait commercialisé en France sans avoir bénéficié au préalable d’une AMM, qu’elle soit délivrée au niveau national ou à l’échelle communautaire, serait considéré comme illicite au terme des dispositions de l’article R. 5015- 47 du CSP. Or, ces dispositions se heurtent à la vente transnationale de médicaments. Un médicament vendu via l’internet peut ne pas disposer d’une autorisation de mise sur le marché reconnue sur le territoire de réception du produit. Même s’il s’agit d’un médicament disposant d’une AMM dans le pays où il est produit ainsi que dans celui où il est destiné à être commercialisé, comment mettre en harmonie les dispositions de ces AMM qui peuvent être différentes voire parfaitement contraires ? Ces exemples pourraient être multipliés à la lecture des exigences législatives sanitaires françaises.
Il est heureux de constater que les difficultés soulevées par la vente internationale de médicaments via l’internet, lorsqu’elle est confrontée aux exigences en matière d’AMM, peuvent être résolues grâce aux travaux effectués par la Communauté européenne, du moins en son sein. Ainsi, l’article 6 du Code communautaire dispose qu’aucun médicament ne peut être mis sur le marché sans qu’une autorisation de mise sur le marché n’ait été délivrée, par l’autorité nationale compétente ou par la Commission européenne dans le cadre d’une procédure communautaire observée devant l’Agence européenne des médicaments, en application du Règlement n° 2309/ 9 3 du Conseil du 22 juillet 1993.
Les instances européennes n’ont pas occulté les difficultés juridiques que l’évolution rapide des nouvelles technologies amène, force est de constater que la législation communautaire suit le mouvement d’internationalisation des échanges. Ainsi, il est envisageable que l’administrateur d’un site de vente de médicaments s’établisse au sein de l’Europe et qu’il vise une clientèle européenne, dans le respect de la législation communautaire relative aux AMM. L’harmonisation des exigences législatives régissant l’octroi des AMM permet en effet, sous certaines conditions, la commercialisation, sur le territoire communautaire, de médicaments bénéficiant d’AMM reconnues au niveau communautaires, via l’internet.
103- Les difficultés liées à la lecture de la loi française dans l’hypothèse d’une transaction transfrontière resurgissent au regard des dispositions du Code de la santé publique qui régissent la publicité de médicaments, notamment à l’égard de l’exigence de l’usage de la langue française. En effet, les obligations relatives à l’emploi de la langue française prescrites par la loi Toubon semblent excessives lorsqu’elles sont imaginées sur l’internet. On touche l’aspect idéaliste d’une telle disposition dans un univers immatériel qui atteint la dimension internationale. Les sites situés à l’étranger et conçus en langue étrangère peuvent être consultés depuis la France, ce qui impliquerait l’usage de la langue française dans toute communication promotionnelle circulant sur l’internet. Si les juridictions françaises appliquent le critère du public ciblé245, il est possible de présager une modification de la législation française en la matière, sous l’impulsion de la Cour de Justice des Communautés européennes et de la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, d’aucuns considèrent que la loi Toubon serait incompatible avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit la liberté d’expression, d’autres jugent qu’elle porte atteinte au principe de libre circulation des marchandises que le Traité CE prône. La jurisprudence de la CJCE ne tend par ailleurs qu’à confirmer la probabilité d’une censure de sa part246 mais seul l’avenir permettra d’apporter des réponses aux difficultés générées par l’acception extensive de l’obligation de l’usage de la langue française, telle qu’elle est prévue par la loi Toubon. Des exemples intéressants sont apportés par d’autres législations247, par exemple la législation italienne prévoit que le consommateur qui souhaite obtenir des informations dans sa langue puisse exiger du fournisseur de lui donner ces indications. Cela permet à la fois d’assurer la protection du consommateur, tout en garantissant la liberté des échanges commerciaux, il n’est pas exclu que le législateur s’en inspire à l’avenir.
104- Il semble par ailleurs difficile d’assurer le respect des exigences législatives françaises relatives aux conditions d’accès et d’exercice de la profession de pharmacien sur l’internet. Cependant, il est important de constater que les exigences en terme de diplôme et de nationalité peuvent être résolues au niveau communautaire. Sur le plan communautaire, toutes les difficultés liées à la reconnaissance mutuelle des diplômes pharmaceutiques entre les Etats membres sont résolues, la plupart des règles ont été harmonisées afin de pouvoir prétendre résoudre la question au niveau européen248.
Etant donné que l’autorité qui apprécie les diplômes permettant l’exercice de la pharmacie d’officine est le Ministre chargé de la santé, il est souhaitable qu’il soit établi par ses services un contrôle des diplômes des pharmaciens qui exploitent une officine électronique à la destination de consommateurs français. Aussi, il pourrait être mis à la disposition des cyber-consommateurs de médicaments une liste des pharmaciens agréés étrangers autorisés à exercer sur l’internet et à délivrer des médicaments aux patients français. L’internaute pourrait alors savoir d’un clic si le propriétaire du site qu’il visite dispose d’un diplôme certifié par les autorités françaises qui lui permet l’accès au marché français des médicaments.
105- La disparité des exigences législatives sanitaires rend la commercialisation de médicaments en ligne hasardeuse car elle oblige le vendeur à se conformer à chaque législation nationale à chaque fois qu’il dépasse la frontière. Malgré tout, cette difficulté ne doit pas être exagérément grossie. Il appartient à l’administrateur d’un site de santé de cibler sa clientèle. Le rapport d’expertise demandé par la CJCE dans l’affaire Hugo Boss249 a démontré que les sites disposent de moyens techniques efficaces leur permettant de filtrer leur clientèle. En outre, il existe une autre solution facile à mettre en place et tout autant efficace : il suffit aux opérateurs de refuser de livrer les ressortissants des pays dont la législation interdit ou restreint la vente en ligne de médicaments. L’administrateur d’un site à vocation plurinationale peut également se conformer à la législation la plus restrictive. Il est aussi tout à fait possible qu’il œuvre « au coup par coup » : à chaque fois qu’il vise une clientèle d’une nationalité différente, il lui faut établir une partie de son site à la disposition de cette nouvelle clientèle, à laquelle il ne pourra être fait commerce que d
e médicaments disposant d’une AMM sur le territoire concerné.
106- Il n’est plus à démontrer que l’internet n’est ni une zone de non-droit, ni un vecteur de communication hors-la-loi. Le droit international privé allié au droit pénal permet la résolution de nombreux litiges, lorsqu’un consommateur français est partie à la transaction. L’attente de la consécration juridique de la vente de médicaments en France a permis d’observer les principales difficultés qu’elle génère. Si le législateur français ne semble pas disposé à reconnaître ce type d’activité, il n’a pas non plus souhaité l’interdire. Aussi, l’examen des expériences législatives étrangères permet envisager des solutions qui pourrait inspirer ce dernier afin de consacrer la pratique en droit français.
La lutte contre les pratiques illicites de l’e-commerce des produits de santé doit être menée sur plusieurs plans. Les autorités sanitaires se sont saisies des problèmes et ont entrepris de nombreux champs d’action. Elles orientent essentiellement leur combat sur le terrain de la prévention, par une information de qualité du public et la mise à disposition d’outils permettant d’assurer la transparence des communications et des sites relatifs à la santé. Les inquiétudes liées à la contrefaçon sont également le refrain de cette lutte. Or, ces autorités ne disposent pas de pouvoir législatif, il est donc vain de leur reprocher de ne pas avoir apporté de solution sur d’autres terrains. Les solutions apportées aux difficultés nées de la vente interétatique de médicaments doivent être imaginées tant par la prévention que par la règlementation, la législation et la répression. Elles doivent également être relayées par une meilleure coopération entre les Etats en le renforcement du contrôle effectué via l’internet250.
107- Le développement des pharmacies électroniques était inévitable, leur consécration par le droit français semble inéluctable dans les années à venir. L’analyse de l’encadrement juridique du commerce électronique de médicaments met en exergue l’importance d’une harmonisation des principales exigences sanitaires législatives à l’échelle mondiale. Dans l’attente de cette évolution inespérée, il était primordial d’envisager quels pourraient être les contours juridiques du commerce électronique de médicaments. Il reste à espérer que certaines adaptations soient effectuées par le législateur français. La loi pose en effet de nombreux freins à l’acceptation de la pratique, pour autant il semble que la plupart des exigences législatives puissent être repensées, afin d’en assurer le respect sur le support immatériel.
108- D’aucuns considèrent que la vente de médicaments en ligne « rem[et] profondément en cause les principes mêmes sur lesquels repose aujourd’hui [leur] distribution en France »251. En effet, il est important de constater que le développement rapide des pharmacies online trouve son fondement dans une conception commerciale de la santé, dans la plupart des Etats où il est observé. Or en France, la santé n’est pas considérée comme un marché. Il faut de toute évidence se rallier à ce constat mais cela ne semble pas pour autant justifier un refus catégorique de la consécration juridique de la pratique. Seulement peut-on remarquer que ce facteur explique que la France soit aussi longue à suivre le mouvement.
Les pharmacies online se sont par exemple imposées aux Etats-Unis, car elles répondaient à la demande des consommateurs de santé. Elles leur permettent notamment d’avoir accès à des prix moins élevés. Le système de remboursement américain ne prend pas en charge la plupart des frais liés à la santé. Le maillage de la répartition des officines est autrement moins dense qu’il ne l’est en France : dans certaines zones rurales, il n’existe pas de pharmacie de proximité. En revanche, le circuit traditionnel de distribution des médicaments français permet d’assurer un remboursement adéquat aux patients. Ils n’ont pas, ou peu, à se soucier de considérations économiques en matière de santé.
Outre le fait que la confiance en l’internet soit encore moindre, ces éléments expliquent que la demande de fourniture de médicaments via l’internet ait été moins pressante en France. Ainsi, les principes fondamentaux de la distribution de médicaments en France ont seulement ralenti l’arrivée des pharmacies électroniques. Or aujourd’hui, il semblerait que de nombreux pays aient assimilé cette pratique et les consommateurs français ont donc recours à des pharmacies qui n’ont aucune légalité en droit français. Aussi convient-il de répondre à la demande des consommateurs qui accélèrent l’intervention des nouveaux moyens de technologie dans leur univers domestique. La lecture de la loi française en matière de santé publique permet de penser qu’elle pourrait être adaptée au commerce électronique. La réception de la vente en ligne de médicaments pourrait même constituer une stratégie afin de contrer les pratiques illicites.
109- S’il faut s’indigner des dérives et des dangers que ce type d’activité engendre, toutes les évolutions technologiques ont soulevé leur part d’interrogations et de difficultés. A partir du moment où l’internet permet le recours à ce type de transaction particulière, et que le réseau a été mis à la disposition des consommateurs, il faut assumer ces risques, en tentant de les prévenir. La protection juridique des cyber-consommateurs sur ce lieu de vente immatériel doit être aussi efficace, si ce n’est plus, que celle des clients d’une officine pharmaceutique physique ne l’est, dès lors que des sujets de droit s’y rencontrent et y commercent.
110- Cette étude tend à démontrer que l’encadrement juridique de la vente en ligne de médicaments n’est pas un véritable obstacle à leur commercialisation électronique en France. L’évolution législative se fait attendre car elle n’est pas seule à permettre d’assurer un développement harmonieux de la pratique. Cependant, cette attente a permis de mettre en exergue les principales difficultés tenant à la vente de médicaments en ligne, afin d’envisager les moyens de résolution qui pourraient utilement être exploités.
Le droit comparé tend à apporter des possibilités qui permettraient au législateur français de consacrer la pratique. Certaines législations qui autorisent la vente de médicaments sur l’internet sont également strictes et protectrices. Les risques ne naissent pas de la reconnaissance juridique de la vente de médicaments sur l’internet, puisqu’ils sont également constatés en France. Ces dangers relèvent de la criminalité, non de la légalité. Or, la tentation normative de permet pas d’endiguer efficacement les pratiques illicites, de même que la tentation préventive par l’information du consommateur n’est malheureusement d’aucun secours. Il faut donc déplorer que la connaissance ne suffise pas à faire changer les comportements.
111- Le retentissement de l’avènement de la pharmacie en ligne aura eu le mérite d’attirer les professionnels et les consommateurs sur la santé et sur l’internet. La pharmacie en ligne n’est cependant que l’une des composantes du marché de la santé. Car outre les médicaments, le patient est également consommateur de polices d’assurance santé et surtout d’informations médicales. La grande question est donc de savoir comment vont s’articuler sur l’internet les offres des pharmacies en ligne, des assureurs santé, des médecins et des fournisseurs de contenus informatifs.
112- Enfin, envoyer une prescription électronique au pharmacien, et livrer des médicaments par correspondance sont une chose, permettre une vraie consultation médicale sur l’internet donnant lieu à une prescription en ligne par le médecin, sans contact visuel direct, en est une autre. La Directive commun
autaire du 8 juin 2000 sur le commerce électronique est venue libéraliser ce mode de commerce à l’intérieur du marché unique. Cependant, elle stipulait à son Considérant n° 18 q u’il y a « des activités qui, de par leur nature, ne peuvent pas être réalisées à distance ou par voie électronique, telles que (…) la consultation médicale qui requiert un examen physique de patient ». Deux mois plus tard, le Conseil national de l’Ordre des Pharmaciens se ralliait à cette thèse, dans un avis intitulé « Consultations médicales et la vente par correspondance de médicaments via l’internet »252.
Les arguments ont toujours trait au respect d’une relation en présence entre le médecin et son patient. Nul ne saurait cependant affirmer avec certitude que l’avenir ne permettra pas l’arrivée de nouveaux moyens techniques qui permettront aux médecins d’exercer leur art par ordinateurs interposés. Aux Etats-Unis déjà, la « bobologie » se soigne en supermarché, n’est-on pas en droit de se demander si les affections bénignes ne pourront pas être diagnostiquées via l’internet ? Ce type de pratique paraît dangereux mais il ne faut pas occulter cette potentialité. Lorsque l’on sera en mesure de mesurer la tension ou la température grâce à des outils informatiques et d’identifier le patient grâce à ses empreintes physiques, il sera possible d’imaginer que l’on puisse diagnostiquer et soigner un rhume via l’internet. Dès lors, « si les symptômes persistent, consultez votre médecin ». Il ne semble pas que le législateur français soit très enclin à s’aventurer sur le terrain dangereux de la cyber-médecine mais la privatisation de la santé pourrait modifier le paysage pharmaceutique. En tout état de cause, cette hypothèse relève d’un avenir lointain et « tout acte professionnel [devra] être accompli avec soin et attention, selon les règles de bonnes pratiques correspondant à l’activité considérée »253.
Lire le mémoire complet ==> (La vente de médicaments sur l’internet)
Mémoire pour le master droit des contrats et de la responsabilité des professionnels
Université de Toulouse I Sciences sociales
Sommaire :

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245 L’appréciation est faite in concreto, et ce critère est atteint dès que le marché français est l’une des cibles principales.
246 En ce sens, arrêt du 12 septembre 2000 de la CJCE : « L’article 14 de la Directive 79/ 112 concernant l’étiquetage et la présentation des denrées alimentaires destinées au consommateur final ainsi que la publicité faite à leur égard s’oppose à ce qu’une réglementation nationale impose l’utilisation d’une langue déterminée pour l’étiquetage des denrées alimentaires, sans retenir la possibilité qu’une autre langue facilement comprise par les acheteurs soit utilisée ou que l’information de l’acheteur soit assurée par d’autres mesures. Une telle obligation constituerait une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative des importations, interdite par l’article 30 du Traité ».
247 Voir G. Maria. Riccio La nouvelle loi italienne sur le commerce électronique, février 2000, page 8 : disponible sur le site www.droit-technologie.org
248 Il y a eu une harmonisation au niveau européen et la possession d’un diplôme de docteur en pharmacie délivré par un Etat membre de l’Union européenne est valable dans toute la Communauté sous certaines conditions (voir supra).
249 Voir supra.
250 Le Docteur Valerio Reggi, coordonateur pour IMPACT pour l’OMS (voir supra) souligne qu’ « il est clair qu’il ne suffit pas d’agir dans un seul domaine, comme celui de la législation ou celui de la technologie pour résoudre le problème. C’est la raison pour laquelle nous devons agir selon cinq axes–législation, répression, règlementation, technologie et communication. C’est aussi pourquoi nous devons coordonner nos actions au niveau mondial. Mais le fait que les pays prennent déjà individuellement les choses en main augure bien de l’avenir ».
251 Voir Eric Fouassier, Pharmacies virtuelles… de la chimère juridique à la baudruche médiatique, Revue de droit sanitaire et social 2001 n° 3, page 496.
252 « 1. Une consultation médicale nécessite un interrogatoire et un examen clinique par un médecin qualifié, autorisé à pratiquer l’art de guérir, et qui engage sa responsabilité. Des consultations médicales par internet sont en opposition formelle avec ces principes. Elles posent par ailleurs des problèmes de responsabilité non résolus. Il faut distinguer la consultation médicale, entre un médecin et un patient, de la télémédecine. Cette dernière constitue une communication à distance entre médecins au sujet d’un problème médical défini ou encore entre un médecin et un patient éloigné et/ou isolé. Dans ces cas, le médecin consulté ne peut formuler qu’une opinion relative.»
253 Article R. 5015- 12 du CSP.

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