La libéralisation des pharmacies électroniques aux Etats-Unis

Aperçu des potentialités à la lumière des acquis étrangers – Titre II :
77- Force est de constater que les difficultés juridiques liées au commerce interétatique de médicaments sont rencontrées par toutes les législations. Il est alors intéressant d’étudier certaines expériences étrangères ; elles sont d’autant plus enrichissantes qu’elles sont variées. L’ambition de cette analyse n’est pas d’effectuer un exposé exhaustif de la réception de la vente en ligne de médicaments dans chaque législation, les apports peuvent résulter de l’étude de conceptions juridiques foncièrement différentes. Ainsi, la législation américaine semble se situer à l’opposé de la rigueur et de l’exigence françaises. Elle mérite dès lors d’être évoquée, afin de voir quels peuvent être les réponses apportées par l’expérience américaine des pharmacies électroniques (Chapitre 1). Cependant, les solutions ne naissent pas seulement de pratiques éloignées du droit français, il est important d’étudier quels peuvent être les apports nées de l’expérience communautaire allemande à la lecture de l’arrêt « DocMorris » (Chapitre 2), qui connaît en revanche une législation que l’on peut rapprocher de la législation française. En effet, le droit allemand comporte des restrictions similaires au commerce de médicaments, également justifiées par un souci de protection de la santé publique.
Chapitre 1- L’expérience américaine des pharmacies électroniques
78- Aux Etats-Unis, trois circuits de distribution couvrent la distribution de la quasi- totalité des médicaments : les chaînes des pharmacies, la vente par correspondance et les pharmacies indépendantes. Les premières connaissent un succès grandissant176, au détriment des pharmacies indépendantes, dont le nombre n’a cessé de diminuer lors de la dernière décennie177. Le marché du médicament et des produits de santé représente aux Etats-Unis un véritable eldorado pour les investisseurs et les acteurs de l’économie sur l’internet. En parallèle, la distribution par correspondance de médicaments se développe depuis plusieurs années aux USA : le marché du médicament par correspondance croît de 20% chaque année178. Ces facteurs expliquent que les pharmacies virtuelles rivalisent pour contrôler le secteur de la vente par correspondance de médicaments, et souhaitent avant tout conquérir le marché des ordonnances médicales179.
La solution américaine de la libéralisation des pharmacies online (Section 1) n’a cependant pas résolu toutes les difficultés, ainsi faut-il analyser les apports nés du commerce transfrontière entre les Etats-Unis et le Canada (Section 2).
Section 1. La solution américaine de la libéralisation des pharmacies online
79- La législation américaine diffère de loin de la législation française sur de nombreux points. Les produits O.T.C.180 sont en vente libre dans les supermarchés et entendus comme produits éthiques. Le Direct to Consumer Act a libéralisé la publicité relative aux médicaments éthiques, elle est aujourd’hui extrêmement développée. La définition américaine des médicaments est similaire à la définition française, il s’agit essentiellement de substances permettant de diagnostiquer, de traiter ou de prévenir les maladies. Enfin, la santé est conçue comme un marché, elle se caractérise par des consultations médicales chères et peu remboursées. La liberté des prix des médicaments de prescription constitue l’un des principaux facteurs d’évolution du paysage pharmaceutique américain, car cela induit une concurrence entre les circuits de distribution.
Avant d’être légalement commercialisés, les médicaments subissent des études cliniques sur leur sécurité et sur leur efficacité. Ils doivent bénéficier d’une autorisation de mise sur le marché délivrée par la Food and Drug Administration, « FDA ». Comme dans les Etats communautaires, le rapport positif entre les bénéfices et les risques détermine la délivrance de l’autorisation. Le Federal Food, Drug, and Cosmetic Act, « FD&C Act », régit le processus de commercialisation des médicaments aux Etats-Unis, dans les grandes lignes précitées. En dehors de ces dispositions générales, chaque Etat est libre de déterminer les modalités précises de délivrance des produits sur son sol.
On comptabilise près de 60% des pharmacies américaines présentes sur la Toile. Il faut ajouter que les pharmacies virtuelles qui respectent la législation américaine offrent certains avantages aux Etats-Unis : les prix sont parfois moins élevés pour les produits non remboursés181, les clients peuvent obtenir davantage d’informations182 et disposent enfin de plus de choix et d’impartialité183. En parallèle à tout ça, rappelons que l’accès à l’internet est très étendu outre-Atlantique. Dans ce contexte, les pharmacies online se sont développées de manière exponentielle.
80- Afin de profiter de l’expérience américaine et des standards de pharmacies virtuelles, prenons l’exemple de l’officine électronique « Drugstore.com », agréée au niveau fédéral. Montée en juillet 1998 avec une équipe de huit personnes, l’entreprise en comptait neuf mois plus tard 160. Le site a ouvert ses portes en février 1999. Il propose cinq gammes de produits, comme dans un « vrai » drugstore : produits naturels184, produits de beauté185, produits de santé186, soins personnels187 et pharmacie (médicaments vendus sur et sans prescription).
Le client dispose de plusieurs options pour transmettre l’ordonnance : il peut demander au site d’appeler son médecin, transférer les ordonnances renouvelables de sa pharmacie habituelle vers le site, envoyer par courrier son ordonnance, ou demander à don médecin de contacter Drugstore.com.
Il peut poser gratuitement des questions aux pharmaciens professionnels employés par le site, peut même consulter leur biographie et regarder leur photographie.
Le client ouvre un compte personnel en enregistrant son profil et celui des autres membres de la famille. Les différentes informations médicales y sont stockées : les antécédents et caractéristiques médicales (d’une manière générale, les informations contenues dans un dossier médical), les informations civiles, le mode de transmission des ordonnances, les coordonnées du médecin, le numéro de carte bancaire ainsi que l’historique des ordonnances. Ensuite, tout fonctionne comme sur un site d’achat en ligne « classique » : le client choisit le mode d’expédition qui lui convient et peut suivre l’acheminement de sa commande, voire l’annuler si elle n’a pas été expédiée. La pharmacie dispose même d’un ingénieux système d’alerte email par lequel elle peut rappeler aux clients de ne pas oublier de prendre leur traitement, de renouveler leur ordonnance ou de ne pas oublier de changer leur brosse à dents, par exemple.
Le visiteur du site peut librement consulter la liste des médicaments et leur prix, lire les notices d’information et connaître les risques d’interactions médicamenteuses.
Les autres leaders de la pharmacie en ligne, Soma.com et PlanetRx, présentent globalement les mêmes produits et services. Notons cependant que Soma.com est le seul des trois à disposer d’une hotline disponible 24 heures sur 24. PlanetRx offre de son côté un peu plus d’informations que Drugstore.com et développe des thèmes intéressants des communautés de visiteurs comme le poids, la médecine alternative, la santé mentale, etc.
81- Les difficultés générées par ces pharmacies en ligne hébergées aux Etats-Unis rayonnent à travers le monde entier, car elles sont soumises à une législation des plus clémentes et ont tout intérêt à viser des consommateurs au-delà des frontières. Qui n’a jamais reçu dans sa boîte mail de spam proposant d’acquérir des médicaments du type Viagra ou Xeni
cal en provenance des Etats-Unis ? Ces médicaments sont soumis à prescription médicale dans la plupart des pays où ils sont autorisés. Afin de contourner l’exigence légale d’ordonnance, certaines pharmacies électroniques proposent simplement aux internautes des consultations online, en toute illégalité. En pratique, il s’agit d’un questionnaire médical plus ou moins détaillé sur l’état de santé, qu’un médecin est censé valider avant de faire la prescription. Il suffit ensuite de donner son numéro de carte bleue. La société facture au client le prix d’une consultation médicale et celui des médicaments qui arrivent à son domicile par voie postale. Or, les sites internet qui dispensent des médicaments obligatoirement soumis à prescription médicale enfreignent le FD&C Act, qui exige la présentation d’une ordonnance « valide ». Chaque Etat est libre de déterminer quelles sont les conditions d’une prescription valide. En général, la prescription est valide quand elle poursuit un objectif médical légitime ; quand elle est rédigée par un physicien ou par un autre professionnel de la santé autorisé à prescrire des médicaments ; enfin, elle doit être basée sur une relation « légitime », c’est-à-dire en présence, entre le médecin et le patient. Aussi, la consultation online n’est pas consacrée par le droit fédéral américain.
Les pratiques des pharmacies américaines online, même lorsqu’elles exercent leur activité en toute légalité sur leur territoire, sont incontestablement contraires aux exigences françaises en matière de dispensation de produits médicaux soumis à prescription médicale dans le respect du monopole pharmaceutique. Les règles relatives à la vente de médicaments par correspondance ainsi qu’à leur livraison et à leur importation sont bafouées. Les exemples d’infractions pourraient être multipliés, les dispositions législatives et règlementaires françaises que les pharmacies américaines online violent sont nombreuses.
Ces pratiques ne peuvent manifestement pas être transposées en droit français en son état actuel. En outre, signalons que la France n’appréhende pas a distribution des produits pharmaceutiques comme un marché. Le système d’assurance maladie est autrement plus efficace. Ainsi, le développement des pharmacies électroniques aux Etats-Unis a répondu aux exigences du marché. Il est possible de postuler que dans ce contexte, les économies engendrées sont bénéfiques en matière de protection de la santé des américains qui ont pu bénéficier d’un accès aux soins plus abordable. Le fait que le maillage de la répartition des officines sur le territoire soit moins dense qu’il ne l’est en France et qu’il ne réponde pas systématiquement aux besoins de la population vient appuyer cette thèse. Cependant, il est possible de s’étonner qu’il soit arrivé aux médecins qui valident les formulaires électroniques de s’abstenir de vérifier l’état de santé du patient ainsi que les informations qu’il lui transmet. En outre, il est tout à fait possible d’obtenir aisément des médicaments en passant sous silence ses antécédents ou en donnant plus simplement des renseignements erronés : le message qui s’affiche est clair au moment de procéder au « check out », « please enter this information carefully, so our pharmacists can protect your health »188, les professionnels se dédouanent de leur responsabilité. De nombreuses dérives ont été observées suite au développement rapide de ces pharmacies sur l’internet en l’absence de cadre juridique contraignant. Citons pour illustration le cas d’un mineur du Kansas qui a réussi à se procurer des médicaments contrôlés alors qu’il avait signifié sa véritable date de naissance dans le formulaire, ce qui tend à prouver qu’aucun médecin n’a réellement vérifié l’information. D’autres fois, les médecins ne sont même pas autorisés à exercer dans l’Etat en question, les pharmacies ne sont pas inscrites au registre officiel ou indiquent des adresses falsifiées par exemple. N’oublions pas les récurrents cas de contrefaçons, ainsi que le témoigne une société allemande qui a commercialisé des bonbons à la menthe colorés en bleu à la place du médicament Viagra.
Tous ces abus représentent de toute évidence un danger pour la santé publique et nuisent à l’image des pharmacies électroniques. La dispensation de médicaments soumis à prescription médicale relève de la juridiction de la National Association of the Board of Pharmacy. La FDA a intenté des actions contre les pharmacies qui enfreignent les exigences législatives fédérales et a mis en place un système permettant aux consommateurs de dénoncer ces dernières. Les problèmes soulevés par ces « rogue pharmacies »189 ont amené l’American Medical Association, en accord avec la National Association of the Board of Pharmacy, à mettre en place un programme de certification des pharmacies électroniques. Ainsi le statut de « Verified Internet Pharmacy Practice Site » a été mis en place et les pharmacies ne sont certifiées que lorsqu’elles répondent avec succès à un certain nombre de critères de qualité. Parmi ces critères figurent le respect de la confidentialité, de la sécurité et le respect des normes législatives de l’Etat dans lequel elles sont implantées. De toute évidence cela ne résout pas tous les problèmes. Les internautes sont rassurés en s’adressant à ces « VIPPS » mais au sein même des Etats-Unis, les législations diffèrent d’un Etat fédéré à l’autre. Et lorsqu’il s’agit de transactions avec des ressortissants de nationalités différentes, les difficultés se multiplient.
Lire le mémoire complet ==> (La vente de médicaments sur l’internet)
Mémoire pour le master droit des contrats et de la responsabilité des professionnels
Université de Toulouse I Sciences sociales
Sommaire :

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176 Fin 2000, 60% des points de vente appartenaient à des chaînes de pharmacie : de 1990 à 2000, on a comptabilisé 7352 points de vente supplémentaires liés à ces chaînes.
177 De 1990 à 2000, le nombre des pharmacies indépendantes est passé de 31879 à 20896.
178 Source IMS Health.
179 La croissance des ordonnances à renouvellements fréquents est liée au vieillissement de la population car de plus en plus de personnes doivent suivre des traitements prolongés : en 1998, 50% des médicaments ont été délivrés sur renouvellement d’ordonnances.
180 Voir supra.
181 Les pharmacies virtuelles sont compétitives pour tous les médicaments et les produits non remboursés par l’assurance santé. Plus le médicament est acheté longtemps à l’avance, plus les pharmacies en ligne se révèlent compétitives (en cas de tarif lent, les frais de port sont moindres et permettent de prix jusqu’à 35% inférieurs à ceux pratiqués en pharmacie traditionnelle) — BusinessWeek, Mai 1999.
182 Les pharmacies virtuelles ont un avantage énorme par rapport à leurs compétiteurs réels : leur service client est supérieur puisqu’elles offrent beaucoup plus d’informations. Le pharmacien n’a pas toujours le temps de répondre et certaines questions peuvent être considérées par le patient comme embarrassantes.
183 Une pharmacie traditionnelle dispose en moyenne de 3000 à 5000 références, elle est chaque jour en rupture de stock sur 28% d’entre elles (France.internet.com, Etude Procter & Gamble), alors que le catalogue des pharmacies virtuelles est comparativement pléthorique et que la plupart des officines électroniques disposent d’un centre de distribution unique. Du fait de leur énorme
catalogue, ces pharmacies sont potentiellement plus impartiales que le pharmacien traditionnel qui n’ose pas toujours critiquer les produits qu’il a en rayon afin de vendre ceux dont il dispose.
184 Les produits naturels désignent les herbes, les vitamines, les produits diététiques, etc.
185 Les soins de la peau, des cheveux en font partie par exemple.
186 Les produits de santé comprennent les contraceptifs, aspirines, produits contre les allergies, pour arrêter de fumer, etc.
187 Les shampooings, rasoirs, dentifrices, tampons hygiéniques relèvent (entre autres) de cette catégorie.
188 « Veuillez remplir ce questionnaire soigneusement afin que nos pharmaciens puissent protéger votre santé ».
189 Pharmacies malhonnêtes.

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