Interdiction de la publicité pour la vente de médicaments

Une interdiction totale de la publicité pour la vente par correspondance de médicaments incompatible avec le droit communautaire – Section 2.

88- La Cour se prononce sur les dispositions législatives allemandes relatives à la publicité, regroupées dans la loi allemande sur la publicité pharmaceutique, Heilmittelwerbegesetz, du 19 octobre 1994206.
Les questions préjudicielles présentées au juge communautaire sont les suivantes : le portail internet d’une pharmacie présentant des médicaments à la vente peut-il être qualifié de publicité ? Le cas échéant, cette publicité peut-elle faire l’objet d’une interdiction spécifique ? Si une interdiction nationale de publicité était de nature à restreindre le commerce électronique de médicaments, doit-on restreindre la notion de publicité ou considérer que cette interdiction n’est pas opposable, afin d’assurer la libre circulation des marchandises ?
La CJCE retient que les interdictions de publicité pour les médicaments non autorisés, ainsi que pour les médicaments soumis à prescription médicale sont conformes au Code communautaire, elles constituent des mesures de transposition d’une harmonisation communautaire. En tant que telles, elles ne peuvent être remises en cause par les principes fondamentaux portés par le traité de Rome207.
En revanche, en ce qui concerne l’interdiction générale de la publicité pour la vente par correspondance des médicaments, la Cour estime qu’elle est en contradiction avec les dispositions de l’article 88 du Code communautaire qui autorise au contraire, de façon générale, la publicité à destination du public pour les médicaments conçus et prévus pour être utilisés sans l’intervention d’un médecin208.
Elle ne considère donc pas qu’il y ait lieu à répondre aux questions sur la restriction de la définition de la publicité, ni à celles sur la compatibilité de l’interdiction en cause avec les principes fondamentaux du traité de Rome209.
89- Il est une question que cette décision soulève au regard du droit français qui connaît une prohibition supplémentaire à celles posées par la législation en vigueur outre- Rhin : il s’agit de l’interdiction de la publicité pour les produits remboursables.
En effet, le statut de médicament soumis à prescription médicale ne doit pas être confondu avec celui de médicament remboursable. En France, de nombreux médicaments sont inscrits sur la liste des spécialités remboursables et font l’objet d’une réglementation de leur prix, tandis qu’ils ne sont pas soumis à prescription médicale.
Si la Cour ne s’est pas prononcée sur ce cas précis, on peut néanmoins imaginer, au vu de ses considérations en l’espèce, ce qu’elle aurait pu juger. Ainsi, cette disposition est conforme au Code communautaire et constitue la simple transposition nationale d’une mesure d’harmonisation communautaire. Elle ne peut être remise en cause au nom de la libre circulation des marchandises.
Si les juges de Luxembourg n’ont pas eu à porter le propos plus loin, l’avocat général Christine Stix-Hackl aborde toutefois ce point dans ses conclusions et considère que « la description des médicaments indiquant le nom du produit, sa soumission éventuelle à prescription médicale, les dimensions du conditionnement ainsi que le prix, assortie de la possibilité de commander ces médicaments grâce à un formulaire de commande en ligne, peut assurément être qualifiée [de publicité] ».
90- Pour autant, il convient de ne pas se méprendre sur la portée de l’arrêt DocMorris. La CJCE dit seulement qu’une législation nationale peut prohiber le commerce électronique de médicaments interdits et soumis à prescription médicale pour des raisons de protection de la santé humaine ; mais elle considère en revanche qu’un Etat membre ne saurait, au regard des articles 28 et 30 CE, interdire la vente par correspondance via un site internet de médicaments légalement autorisés et ne nécessitant pas de prescription médicale, ainsi que la publicité y afférant.
Elle ne se prononce pas sur les conditions dans lesquelles la délivrance de médicaments par correspondance doit s’effectuer, ni sur les exigences de sécurité et de qualité tenant au transport des colis.
Elle ne tranche pas les difficultés qui résultent de la qualité de l’information et du conseil, ainsi que de la langue. Elle ne résout pas non plus les problèmes liés au contrôle de la pratique, ni ceux liés à l’identification des responsables ou à la confidentialité des données210.
En outre, la solution rendue par les juges de Luxembourg n’est pas pleinement satisfaisante, même si elle présente l’avantage d’être claire et simple d’application. En effet, il n’existe pas dans la Communauté européenne d’harmonisation totale en matière de classement des médicaments, et la Directive 92/ 26 du 31 mars 1992 laisse par sa définition un large pouvoir d’appréciation aux Etats membres dans la mise en œuvre des critères de classification des médicaments à usage humain.
Ainsi, les autorités sanitaires disposent d’une importante marge de manœuvre puisqu’elles décident du statut des médicaments. Cet état de fait constitue une limite potentielle au commerce intracommunautaire des médicaments que la Cour ne pouvait éviter, tant qu’il n’existe pas de complète harmonisation des législations régissant la police des substances vénéneuses.
Cependant, la juridiction communautaire apporte des éclaircissements sur la façon dont le droit français doit appréhender l’e-commerce des produits de santé sur le sol communautaire.
Si elle remet partiellement en cause le principe d’une relation physique entre les pharmaciens d’officine et leurs clients, la CJCE conditionne toutefois clairement sa position au respect du monopole pharmaceutique, pour des raisons de santé publique, mais également au regard de considérations économiques.
Elle ne manque à aucun moment de souligner que la société DocMorris est une pharmacie légalement habilitée aux Pays-Bas et que son propriétaire, Monsieur Waterval, est pharmacien.
C’est ce monopole qu’elle oppose à la DAV qui considère que les officines virtuelles seraient favorisées par l’absence de contrôle suffisant et systématique des autorités sanitaires, ainsi que par le fait qu’elles nécessitent un investissement moindre et ne sont pas soumises aux mêmes obligations que l’officine traditionnelle, en terme de service public.
La Cour fait valoir que ces arguments ne sont pas pertinents, dans la mesure où le site internet proposant des médicaments à la vente n’est qu’une extension informatique d’une pharmacie traditionnelle et répond aux mêmes exigences, tout en étant soumis aux mêmes contrôles et aux mêmes coûts.
Ainsi, il faut envisager, à défaut d’une intervention rapide du législateur, que la France puisse être rappelée à l’ordre de la même manière, en raison des restrictions caractérisées qu’elle oppose au commerce par correspondance de médicaments.
Nous pouvons présager que la CJCE, si elle avait à connaître de la législation française régissant la matière, jugerait les restrictions au commerce à distance de médicaments que la loi française impose, disproportionnées et incompatibles avec le droit communautaire.
Quoiqu’il en soit, il n’est pas nécessaire d’attendre une intervention des juges de Luxembourg pour imaginer des moyens qui permettraient d’assurer le respect des exigences juridiques tenant à la vente de médicaments sur l’internet.
Les pharmacies online existant déjà à l’étranger, si le législateur français ne se saisit pas de cette évolution rapidement, il ne pourrait être légitimement reproché aux citoyens de se tourner vers les sites étrangers, dont la législation autorise la pratique.
Au contraire, il est nécessaire d’offrir aux consommateurs des solutions leur permettant de s’adresser à des pharmacies leur offrant toute les garanties qu’ils sont en droit d’attendre de la part de professionnels de la santé, afin qu’ils puissent effectuer leurs achats en toute légalité.
De nombreuses structures ont imaginé des outils qui pourraient permettre d’atténuer les difficultés communément soulevées par la reconnaissance juridique de l’e- commerce des produits de santé, il est intéressant de les rapporter.
Lire le mémoire complet ==> (La vente de médicaments sur l’internet)
Mémoire pour le master droit des contrats et de la responsabilité des professionnels
Université de Toulouse I Sciences sociales
Sommaire :
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206 Rappelons les principales dispositions du Heilmittelwerbegesetz relatives à la publicité de médicaments :
– Article 3bis : interdiction de « toute publicité pour des médicaments qui sont soumis à autorisation et qui ne sont pas autorisés ou considérés comme autorisés en vertu des dispositions du droit des produits pharmaceutiques ».
– Article 8 : « 1) Est illégale toute publicité qui tend à vendre par correspondance des médicaments dont la délivrance est réservée aux pharmacies […] 2) De plus, est illégale la publicité qui tend à vendre des médicaments par la voie du téléachat ou certains médicaments par la voie de l’importation individuelle […] ».
– Article 10 : « 1) S’agissant des médicaments soumis à prescription médicale, la publicité ne peut être adressée qu’à des médecins, à des dentistes, à des vétérinaires, à des pharmaciens ou à des personnes autorisées à faire le commerce de ces médicaments. 2) S’agissant des médicaments qui sont destinés à remédier, chez les humains, à des problèmes d’insomnie ou à des troubles psychiques ou à influencer l’humeur, aucune publicité n’est autorisée en dehors des milieux professionnels ».
207 Arrêt DocMorris, points 138 et 139.
208 Arrêt DocMorris, point 144.
209 Arrêt DocMorris, point 137 : Ce n’est que « lorsqu’une interdiction de publicité compatible avec le droit communautaire coïncide avec une vente par internet également compatible avec celui-ci qu’il y aura lieu d’examiner la question portant sur l’étendue de l’interprétation de la notion de publicité ».
210 Le pharmacien est soumis au secret professionnel et doit pouvoir en garantir le respect sur l’internet. Il doit alors se conformer à la loi n° 78- 17 du 6 janvier 1978, dite loi « Informatique et libertés » relative au traitement des données à caractère personnel : voir supra.
 

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