La transmission sécurisée d’une ordonnance médicale électronique

Le dépassement des obstacles grâce aux évolutions technologiques et juridiques – Chapitre 2 :
52- La relation entre le pharmacien et le client paraît difficile à préserver sur l’internet dans le respect des obligations qui incombent au professionnel de la santé. Néanmoins, il est des exigences qui ne semblent pas trop souffrir de leur transposition au réseau multimédia. Les évolutions technologiques qui ont permis à ce réseau de se développer se sont poursuivies afin de sécuriser les transactions. Ainsi, les avancées technologiques permettent elles-mêmes de répondre à la transposition de certaines obligations professionnelles sur l’internet. Ces moyens de sécurisation ont, en outre, été consacrés par le droit. Dès lors, il est possible d’imaginer que certaines des exigences juridiques relatives au respect de la relation entre le pharmacien et son client puissent être respectées sur l’internet grâce aux nouvelles technologies. Si le respect des obligations de résultat (Section 3) semble peu problématique, il faut également s’interroger sur les moyens techniques consacrés par le droit qui pourraient permettre la transmission sécurisée d’une ordonnance électronique (Section 1) dans le respect du secret médical sur l’internet (Section 2).
Section 1. La transmission sécurisée d’une ordonnance électronique
53- Le pharmacien est soumis à l’obligation de contrôler l’authenticité de l’ordonnance : il doit en vérifier non seulement la régularité (il doit exiger la présentation de l’ordonnance originale et datée), la validité au regard de la durée de prescription des médicaments, mais également s’assurer que la signature est celle d’un médecin (il s’agit là d’un simple contrôle formel112). Ce contrôle a déjà soulevé le problème de la validité de l’ordonnance d’un médecin étranger : aucune disposition particulière n’interdit formellement une telle exécution, la loi est muette en ce qui concerne l’ordonnance rédigée par un médecin étranger non habilité à exercer en France.
Le Conseil d’Etat, dans une décision de 2002113, a opéré un revirement de jurisprudence par rapport à un précédent arrêt de 1990, en retenant que les dispositions du CSP qui régissent les conditions requises pour exercer la profession de médecin en France ne régissent pas les obligations des pharmaciens, « et ne sauraient avoir pour objet ou pour effet d’interdire à ceux-ci de délivrer des médicaments sur prescription d’un médecin résidant à l’étranger, ne remplissant pas les conditions pour exercer en France ». Si elle revêt une importance particulière pour l’encadrement des pratiques de vente de médicaments sur l’internet, nous devons toutefois nous montrer réservés sur le fait que cette question soit définitivement tranchée. En effet dans l’espèce précitée, les pharmaciens étaient répertoriés sur un site consulté par des clientes aux Etats-Unis qui passaient commande par courrier électronique et envoyaient des ordonnances par télécopies.
En outre, le pharmacien doit procéder à un examen approfondi de l’ordonnance qui lui est présentée, puisqu’il doit en contrôler la régularité technique en procédant à l’ « analyse pharmaceutique de l’ordonnance »114, c’est-à-dire qu’il doit s’assurer que l’ordonnance est conforme aux règles de l’art (en ce qui concerne le respect des prescriptions réglementaires élémentaires en matière de posologie, par exemple). Il doit même repérer les erreurs voire les incompatibilités, omissions ou confusions éventuelles du médecin sur l’ordonnance. Il a l’obligation de déceler, le cas échéant, l’imperfection de la prescription et les fautes commises par le prescripteur, à défaut de quoi il commettrait lui-même une erreur en exécutant cette ordonnance. Il ne faut toutefois pas confondre cette obligation avec une obligation d’interprétation de l’ordonnance, car le pharmacien a également l’obligation de se conformer à la prescription, donc ne peut suppléer de son propre chef aux omissions du médecin ou à l’absence de dosage sur l’ordonnance, pour « improviser » un médicament. En effet, il est également tenu à l’obligation d’exécuter la prescription, obligation en vertu de laquelle lorsqu’il détecte une anomalie, il doit contacter le prescripteur afin d’obtenir son accord. Ainsi, convient-il d’adopter un juste dosage de ces deux obligations et de les combiner, afin que le pharmacien puisse exercer son contrôle, sans aller jusqu’à prétendre se substituer au médecin.
54- En l’état actuel de la technologie et du droit, l’accès à la prescription médicale via l’internet constitue un obstacle qu’il est envisageable de surmonter. Déjà, aucun texte n’impose formellement l’original de l’ordonnance pour la délivrance des médicaments soumis à prescription médicale obligatoire. Cette exigence résulte de la lecture des obligations déontologiques qui incombent au pharmacien lors du contrôle de l’ordonnance effectuée par les juridictions. En cas de commande via l’internet, il est nécessaire de garantir le respect de la prescription originale. Son respect peut être garanti très facilement car il est possible d’exiger du patient qu’il transmette son ordonnance par voie postale afin de pouvoir honorer la commande, après réception puis contrôle de ce document.
Ensuite, signalons qu’assurer le respect de la prescription originale n’impose pas nécessairement la réception de l’original de l’ordonnance sous sa version « papier ». La version électronique de l’ordonnance médicale pourrait être reconnue, si son établissement et sa transmission étaient sécurisés. Or, la signature électronique permet de pallier ces difficultés. La loi n° 2000- 230 du 13 mars 2000 po rtant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique procède à une assimilation de la force probante de l’écrit électronique à celle de l’écrit papier115, « sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité »116. Elle doit consister en un procédé fiable d’identification et manifester le consentement de la personne qui l’appose ; le décret du n° 2001- 272 du 30 mars 2001 précise les conditions que doit respecter cet outil afin que la fiabilité du procédé soit présumée jusqu’à preuve contraire. Le dispositif de création de signature électronique est considéré comme sécurisé s’il garantit, par des moyens techniques et des procédures appropriés, que les données de création de signature électronique ne peuvent être établies plus d’une fois et que leur confidentialité est assurée, qu’elles ne peuvent être trouvées par déduction et que la signature électronique est protégée contre toute falsification. Ensuite, il est nécessaire que ces données puissent être protégées de manière satisfaisante par le signataire contre toute utilisation par des tiers et que le dispositif de création de signature n’entraîne aucune altération du contenu de l’acte. Enfin, la reconnaissance de la validité de la signature électronique fait intervenir un tiers certificateur qui délivre un certificat associé à la signature, garantissant que les diverses exigences précitées sont respectées.
Il est manifeste qu’il est aujourd’hui possible de générer des ordonnances électroniques sécurisées grâce à la signature électronique, qui permet de garantir une fiabilité équivalente à celle d’une ordonnance papier. Les systèmes de la carte du professionnel de santé (CPS) et de la carte Sésam-Vitale en sont d’ailleurs déjà des applications en matière de feuilles de soins électroniques. La carte CPS est la carte du Professionnel de Santé et la carte Vitale est celle de l’Assuré
Social. La carte de la famille CPS est un élément essentiel de sécurisation de tous les systèmes contenant des informations médicales et administratives. Signalons que la nouvelle carte Vitale 2 est distribuée depuis fin 2006 et a pour ambition de devenir une véritable carte d’identité de santé. Elle comporte une photographie et concrétise les dernières avancées technologiques : elle garantit notamment une sécurité renforcée (grâce à un standard de sécurité équivalent aux cartes bleues), permet l’accès au dossier médical personnel117 et constitue un support évolutif qui permettra l’intégration de nouveaux services et un contenu enrichi (sur le choix du médecin traitant, sur la couverture complémentaire par exemple).
55- Néanmoins, garantir la fiabilité d’une ordonnance médicale est une chose, accepter la télé-transmission de ce document effectuée par le médecin vers le pharmacien en est une autre. En effet, l’article R. 5015- 27 du CSP interdit « tout compérage entre pharmaciens et médecins, membres des autres professions de santé ou autres personnes ». En vertu des dispositions de l’article susvisé, on entend par le terme « compérage », « l’intelligence entre deux ou plusieurs personnes en vue d’avantages obtenus au détriment du patient ou de tiers ». La transmission en ligne des ordonnances entre médecins et pharmaciens pourrait être remise en cause si l’on considère qu’elle tombe sous le coup de ces dispositions. Mais c’est sans compter les arguments que l’on est alors en mesure d’avancer. Les avantages à la pratique sont certes manifestes, mais ils ne sont pas obtenus au détriment du patient. Le contraire peut même être postulé, en tant que c’est le patient qui bénéficie des avantages car il évite les déplacements, ne risque pas de perdre le document, etc. Si la transmission d’une ordonnance via l’internet était consacrée par le droit français, il est possible d’imaginer quels pourraient en être les contours. La transmission électronique de l’ordonnance pourrait être effectuée à la demande du patient dans la période d’expérimentation de la pratique et de ses avantages, puis être seulement soumise à son consentement dans un avenir plus lointain. Ainsi, l’assimilation de la pratique au compérage ne pourrait être effectuée, dès lors que le patient réclamerait lui-même à son médecin le recours à la transmission électronique de son ordonnance, et que l’on pourrait en déduire à juste titre qu’elle l’avantage.
En tout état de cause, la télé-transmission de l’ordonnance ne présente pas seulement des avantages. Il convient de préciser que la mise en place d’un procédé fiable de transmission électronique d’ordonnance n’est pas sans engendrer de coûts, et il reste à déterminer quelles seraient les modalités de prise en charge de ces coûts. Peut-être peut-on avancer qu’il appartiendra dans un premier temps au patient qui a sollicité ce moyen de transmission d’en supporter les frais, à moins que le recours à cette pratique ne soit légitimement justifié. La loi pourrait établir une liste des justificatifs dont la légitimité est présumée (pour les personnes dans l’incapacité de se déplacer ou résidant dans une zone rurale par exemple), et les juridictions pourraient relayer l’appréciation au cas par cas (télé- transmission nécessitée par un déplacement ponctuel, par exemple). Dans ces situations, ce serait au régime d’assurance maladie de prendre en charge les coûts supplémentaires. Dans une perspective d’avenir plus lointaine, si cette pratique venait à se développer, il faudrait revoir ce système. Partons de ce constat : les frais supplémentaires étant en majeure partie constitués par la création du procédé sécurisé de transmission des ordonnances électroniques, une fois ce procédé mis en place, il n’est plus question d’avancer cette limite. La transmission électronique des feuilles de soins a pu être financée, pourquoi en serait-il autrement de la transmission électronique des ordonnances ?
Lire le mémoire complet ==> (La vente de médicaments sur l’internet)
Mémoire pour le master droit des contrats et de la responsabilité des professionnels
Université de Toulouse I Sciences sociales
Sommaire :

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112 Voir M. Duneau, L’ordonnance médicale : le point sur les règles de prescription et de dispensation ; Médecine et Droit 1996, n° 18, page 13.
113 CE 27 février 2002, req. n° 227426, inédit, cité p ar E. Fouassier, Dispensation pharmaceutique : une intervention remarquée du Conseil d’Etat : Médecine et Droit 2002 n°57, page 13.
114 Article R. 5015- 48 du CSP.
115 Article 1316 du Code civil : « La preuve littérale, ou preuve par écrit, résulte d’une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quels que soient leur support et leurs modalités de transmission ».
116 Article 1316- 1 du Code civil.
117 Voir infra.

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