La juridiction française compétente, l’e-commerce de médicaments

La juridiction compétente sur l’internet – Section 1 :
67- En matière civile et commerciale, il convient de se référer à la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, signée au départ par les six Etats membres du Marché Commun, qui a fait l’objet du Règlement communautaire (CE) n° 44/ 2001 du 22 décembre 2000, dit « Règlement Bruxelles I ». Elle s’applique tant aux obligations contractuelles que non-contractuelles. Son objectif est de déterminer la compétence des juridictions des Etats parties dans l’ordre international, en vue de « faciliter la reconnaissance et d’instaurer une procédure rapide afin d’assurer l’exécution des décisions ainsi que des actes authentiques et transactions judiciaires »135.
Il est prévu, à l’article 5 alinéa 3, qu’en matière délictuelle et en l’absence de clause attributive de compétence, il faut retenir comme critère de rattachement le lieu du fait dommageable. Selon une jurisprudence constante, ce dernier est le lieu de l’événement causal, le lieu de survenance effective du dommage, ou celui où le dommage risque de se produire. Cependant, si les tribunaux du lieu du fait générateur sont compétents pour réparer l’entier préjudice, les tribunaux de chaque pays où le dommage a été ressenti ne sont compétents qu’à la hauteur du préjudice subi dans leur ressort136.
Les juges ont eu à interpréter ce texte afin de l’appliquer au support interactif. Ainsi, la première chambre civile de la Cour de cassation a, dans l’affaire Castellblanch137, considéré que la simple accessibilité du site depuis la France suffit à reconnaître la compétence des juges français et de la loi française : « en admettant la compétence des juridictions françaises pour connaître de la prévention et de la réparation de dommages subis en France du fait de l’exploitation d’un site internet en Espagne, la Cour d’appel qui a constaté que ce site, fût-il passif, était accessible sur le territoire français, de sorte que le préjudice allégué du seul fait de cette diffusion n’était ni virtuel ni éventuel, a légalement justifié sa décision (…) ».
Mais la Cour d’appel de Paris ne conçoit pas le risque de survenance du dommage de la même manière dans une décision du 26 avril 2006138. En effet, elle considère que, « sauf à vouloir conférer systématiquement, dès lors que les faits ou actes incriminés ont eu pour support technique le réseau internet, une compétence territoriale aux juridictions françaises, il convient de rechercher et de caractériser, pour chaque cas particulier, un lien suffisant, substantiel ou significatif, entre ces faits ou actes et le dommage allégué ».
Plus récemment, dans un arrêt du 20 mars 2007, la chambre commerciale de la Cour de cassation139 retient pour sa part que la simple accessibilité d’un site internet en France peut fonder la compétence internationale des juridictions françaises en matière délictuelle.
Elle légitime sa compétence par la potentialité de survenance du préjudice, elle souligne que« les faits allégués de commercialisation de ces produits seraient susceptibles de causer un préjudice ».
Puis, dans une décision du 6 juin 2007, la 4e chambre de la Cour d’appel refuse de reconnaître la compétence du Tribunal de Grande Instance de Paris qui avait été saisi d’une procédure en contrefaçon par les sociétés Axa, Avanssur et Direct Assurance Vie à l’encontre des sociétés Google Inc et société Google France. Elle motive sa décision dans les termes exacts qui avaient été employés dans son arrêt en date du 26 avril 2006. Aucun « lien suffisant, substantiel ou significatif » entre les faits incriminés et le dommage allégué n’ayant été prouvé, la déduction d’un risque de survenance du dommage sur le territoire ne peut être tirée, et les juridictions françaises ne sont pas compétentes. Il ne s’agit pas seulement d’un désaccord entre la Cour de Cassation et la Cour d’appel de Paris, puisque cette dernière a également retenu en 2006 le critère de l’accessibilité afin d’évaluer la potentialité du survenance du dommage en France140.
Le débat reste ouvert entre ceux qui souhaitent que la compétence des juridictions françaises soit internationalement reconnue, et prônent par là même la théorie de l’accessibilité, selon laquelle les juges français peuvent retenir leur compétence dès lors que le site litigieux est accessible en France, et ceux qui lui préfèrent la « théorie de la focalisation », qui ne reconnaît la compétence des juridictions françaises qu’à la condition que le site soit dirigé vers le public français. Si en matière de cyber-délits, il est admis que le lieu du fait générateur se situe à l’endroit où est localisé l’opérateur fautif, indépendamment du lieu de mise en ligne et de rétention du contenu litigieux141, il paraît utopique de pouvoir déterminer à ce jour de façon certaine quelle est la conception civile française de la localisation du préjudice à retenir en matière délictuelle, c’est-à-dire de l’interprétation à retenir du « risque de se produire ». Le doute est largement permis car les juridictions françaises effectuent une appréciation extrêmement extensive de la potentialité de survenance du préjudice en matière délictuelle sur l’internet, au regard de l’appréciation qu’en font les juridictions des autres Etats membres, qui en principe ne reconnaissent leur compétence que s’il existe un lien étroit entre les actes incriminées et le préjudice allégué. Une évolution en la matière n’est donc pas à exclure.
La théorie de l’accessibilité constitue en effet un critère de rattachement délicat à mettre en œuvre, puisqu’il consacre la compétence universelle des juridictions françaises en matière de cyber-délits. En effet, les sites en ligne sont par nature accessibles en tout endroit du monde, à partir du moment où une connexion au réseau est possible. Ainsi, la protection de la victime est maximale mais si l’on raisonne en parallèle, les inconvénients pour les professionnels qui exercent leur activité via l’internet sont considérables. Toutefois, en s’alignant à la solution retenue par la CJCE dans son arrêt Fione Shevill142, la Cour de Cassation limite la compétence française « à la prévention et à la réparation de dommages subis en France ». Ainsi, l’équilibre est rétabli : les juridictions françaises peuvent être internationalement reconnues compétentes en matière délictuelle sur l’internet, par la simple potentialité d’un risque ; mais elles ne connaissent que de la réparation des dommages qui ont été effectivement subis en France. Ainsi, un pharmacien qui mettrait en ligne des médicaments contrefaits serait susceptible d’être poursuivi devant les juridictions françaises, s’il est prouvé qu’un dommage risque de se produire sur l’hexagone. Tout dépend donc de savoir interpréter le « risque » qu’a le dommage de se produire, et de le prouver. Les tribunaux français, une fois leur compétence retenue, ne répareront néanmoins que les dommages subis en France.
68- En matière contractuelle, le principe est la loi d’autonomie des parties143. En cas de silence, le demandeur peut choisir entre les tribunaux de l’Etat communautaire du défendeur et le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée. A cet égard, le Règlement constitue une innovation importante par rapport à la Convention de Bruxelles, puisqu’il définit le lieu d’exécution qui doit être retenu dans les types contrats les plus fréquents en matière d’échanges commerciaux : ainsi, dans des contrats de vente de marchandises ou de fourniture de service, le lieu d’exécution de l’obligation litigieuse est, « pour la vente de marchandises, le lieu [de l’]Etat membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont
été ou auraient dû être livrées » et « pour la fourniture de services, le lieu [de l’]Etat membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ». Ainsi, un non professionnel résidant au sein de la Communauté européenne qui vend des médicaments à un particulier français sur son territoire peut, en cas de litige, être amené devant le tribunal du lieu où ces produits ont été ou auraient dû être livrés, en vertu du Règlement Bruxelles I. L’un des atouts majeurs de l’internet réside dans l’absence de déplacement nécessaire en vue de l’acquisition de produits, ainsi il est logique que le lieu de livraison des marchandises convenu est, la plupart du temps, le lieu de résidence de l’acheteur.
Dans tous les cas, les règles de compétence posées aux sections III, IV et V du chapitre II du Règlement ont pour objectif de protéger la partie réputée faible en lui permettant de saisir le tribunal le plus proche de son domicile, en matière de contrats d’assurance, de consommation et de travail. Le champ d’application de la protection accordée au consommateur comprend désormais les contrats de toutes sortes, lorsque « le contrat a été conclu avec une personne qui exerce ses activités commerciales ou professionnelles dans l’Etat membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout autre moyen, dirige ses activités vers cet Etat membre ou vers plusieurs Etats, dont cet Etat membre, [si] le contrat entre dans le cadre de ces activités »144. Ainsi, à la différence de l’article 13 alinéa 1 point 3 de la Convention de Bruxelles, l’article 15 paragraphe 1 c) du Règlement vise tous les contrats de consommation et ne reprend pas les conditions qui étaient imposées par la Convention145. Il les remplace toutefois par le critère de l’ « activité dirigée ». La disparition de ces conditions confirme la volonté du législateur de viser tous les consommateurs internautes. En outre, le commentaire article par article qui précède la proposition de Règlement Bruxelles I de la Commission européenne précise que « ce concept d’activité dans ou dirigée vers l’Etat du domicile du consommateur a pour objet de rendre clair que le point 3) s’applique au contrat de consommation passé par un site Internet interactif accessible dans l’Etat du domicile du consommateur »146.
Ainsi, les règles sont clairement en faveur du cyber-consommateur s’il bénéficie de la protection du Règlement, et lui permettent d’attraire le cyber-pharmacien devant le tribunal de l’Etat de son domicile. Toutefois, afin de ne pas consacrer trop extensivement la compétence universelle des juridictions nationales pour les contrats de consommation conclus via l’internet, il est précisé que « le simple fait que le consommateur ait pris connaissance d’un service ou de la possibilité d’acheter des marchandises dans un site Internet passif accessible dans l’Etat de son domicile ne suffit pas à faire jouer la compétence protectrice ». Ainsi, les pharmaciens établis sur l’internet doivent limiter volontairement l’accessibilité de leur site, ce qui est techniquement possible147.
De la même manière, les sites de santé peuvent contenir des dispositions précises sur les marchés ciblés. A la limite, les pharmaciens administrateurs de sites de vente de médicaments peuvent tout à fait refuser de contracter avec des consommateurs domiciliés dans certains pays et de les livrer. En effet, en précisant les pays dans lesquels la livraison peut être effectuée, le pharmacien online peut parfaitement se mettre facilement à l’abri de poursuites de la part ressortissants des pays qu’il refuse de livrer. Certes, les règles établies par le Règlement Bruxelles I sont protectrices du consommateur, mais elles le sont dans une mesure tout à fait raisonnable à l’égard des professionnels à qui il appartient de cibler leur clientèle.
Lire le mémoire complet ==> (La vente de médicaments sur l’internet)
Mémoire pour le master droit des contrats et de la responsabilité des professionnels
Université de Toulouse I Sciences sociales
Sommaire :

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135 Convention de Bruxelles, Préambule.
136 CJCE, 7 mars 1995, Fione Shevill et autres c/ Presse Alliance ; JDI C-68/ 93 1996. 543, note A. Huet, Rev. Crit. DIP., 1996. 495, obs. P. Lagarde.
137 Cass. Civ. 1., 9 décembre 2003, SA Castellblanch c/ SA Champagne Louis Roederer ; RCDIP 2004. 632, note O. Cachard.
138 CA de Paris, 4°chambre- Section A ; 26 avril 2006, Monsieur Fernand S. et SA Normalu c/ SARL Acet.
139 Arrêt de la Cour de cassation, Chambre commerciale n°522 du 20 mars 2007.
140 Voir infra, Google France c/ Louis Vuitton Malletier.
141 Voir Olivier Cachard, La régulation internationale du marché électronique, Thèse de Doctorat Paris- II, Paris, LGDJ, 2002, n°144.
142 Voir supra.
143 Cf. article 5 alinéa 1 du Règlement 44/ 2001.
144 Article 15 §1c) du Règlement 44/ 2001.
145 La section IV de la Convention de Bruxelles prévoyait que l’action intentée par un consommateur contre son cocontractant puisse être portée devant les tribunaux de l’Etat où le consommateur est domicilié, à condition que le contrat ait été conclut par un « consommateur passif ». La passivité du consommateur ressortait d’une double condition cumulative : il fallait que la conclusion du contrat ait été précédée d’une « proposition spécialement faite ou d’une publicité » dans le pays du consommateur et que le consommateur ait accompli dans ce pays les actes nécessaires à la conclusion du contrat. Ces conditions visaient à garantir l’existence d’un lien suffisant entre le litige et la juridiction du domicile du consommateur.
146 Com. (1999) 348 final, publié au J.O., C 376 E, 28 décembre 1999, page 17.
147 Voir à ce sujet TGI Paris, Ord. Ref. du 11 août 2000, Association « Union des Etudiants Juifs de France », la « Ligue contre le Racisme et l’Antisémitisme » c/ Yahoo ! Inc. et Yahoo France. Il faudra attendre la décision de la Cour d’Appel de San Francisco du 23 août 2004, validée par l’arrêt rendu le 12 janvier 2006 par la neuvième Cour d’Appel de district de Californie, pour que soit reconnue la force contraignante de la décision française du TGI de Paris, ainsi que des limites juridiques au premier amendement (relatif à la liberté d’expression) puissent être justifiées sur le réseau internet.

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