Infractions commises par le cyber-pharmacien et le cyber-consommateur

Une solution pénale en renfort – Chapitre 2 :
71- Il est nécessaire d’approuver Madame Pancrazi lorsqu’elle juge que « la difficulté ne doit pas être exagérément grossie car elle trouve sa réponse dans l’« impérialisme » de la loi française, et plus précisément de la loi pénale française »161. Ainsi, en application du principe selon lequel la loi pénale française s’applique à toute infraction commise sur le territoire français162, et qu’il en est ainsi lorsque l’un des éléments constitutifs de l’infraction a été commis sur le territoire français163 (que ce soit le fait générateur du dommage ou le préjudice lui-même qui soit localisé en France : déconstruction du délit164) ; la loi pénale française aura vocation à s’appliquer et à régir les infractions aux dispositions législatives et règlementaires commises via l’internet. Enfin, il faut rappeler le principe français de la solidarité des compétences juridictionnelle et législative en matière pénale. En vertu de ce principe, l’opérateur qui se rend coupable d’une infraction sur le territoire français est non seulement soumis à la loi pénale française, mais les tribunaux répressifs français sont également compétents.
Les sites de vente en ligne de médicaments sont de toute évidence susceptibles de commettre de nombreuses infractions à la législation française, cependant il ne faut pas oublier que le consommateur qui cherche à user de l’internet afin de contourner sa législation nationale se place lui aussi en situation illicite. Il est important d’étudier l’arsenal répressif dont la loi dispose afin de sanctionner le non respect de ses prescriptions sanitaires. Ceci permet d’envisager les infractions que le cyber-consommateur de médicaments est susceptible de commettre (Section 1) ainsi que les infractions que le cyber-pharmacien est susceptible de commettre (Section 2), afin d’envisager le cas particulier de la contrefaçon de médicaments, une infraction partagée (Section 3).
Section 1- Les infractions que le cyber-consommateur de médicaments est susceptible de commettre
72- Nul n’ignore la facilité avec laquelle il est possible de se procurer des médicaments auprès de sites étrangers, qui apparaissent comme de véritables entreprises de vente par correspondance. Ce commerce international n’est pas un phénomène nouveau inhérent à l’internet car ces filières permettant aux particuliers se de faire adresser des médicaments par voie postale existaient déjà. Le développement des nouvelles technologies de l’information a simplement permis à ces sociétés de s’organiser et d’atteindre un public plus étendu. La plupart du temps, le consommateur recherche sur l’internet un médicament dont la délivrance est prohibée dans son territoire de résidence ou soumise à prescription médicale obligatoire. Il arrive également qu’il soit davantage motivé par des considérations d’ordre économique, vu la disparité des législations déterminant le statut des médicaments et fixant leurs prix.
Dès lors, il est logique de se demander si le consommateur français qui cherche à contourner la législation nationale relative aux produits de santé à usage humain ne se place pas lui-même en situation illicite, lorsqu’il se procure par correspondance des médicaments interdits en France ou dont la distribution relève du monopole pharmaceutique.
Il convient de se référer au Code de la santé publique dont les articles L. 5124- 13 et R. 5142- 13 organisent l’importation de médicaments à usage humain par des particuliers. Eu égard à ces dispositions, la pratique est de manière générale licite, dès lors qu’elle est réalisée dans l’optique d’un usage personnel des produits en cause et qu’elle porte sur des quantités compatibles avec cet usage.
Sous réserve du respect de ces prescriptions, le consommateur peut transporter personnellement les médicaments sur le territoire français. En revanche, s’il souhaite se les faire adresser par voie postale, il doit obtenir une autorisation d’importation délivrée par l’Afssaps. C’est à cette étape que surgissent les difficultés liées à l’acquisition transfrontière de médicaments. En effet, si nul n’est censé ignorer la loi, il est patent que les particuliers qui utilisent l’internet afin de se procurer des médicaments provenant de fournisseurs étrangers ignorent, sciemment ou non, l’impératif de la loi. En outre, il est difficile de contrôler tous les paquets qui traversent les frontières, d’autant plus que les colis transportant des médicaments en petite quantité ne sont pas aisément identifiables.
Il faut ajouter à ces observations que la loi elle-même porte un frein à l’application de ses dispositions, car il n’a pas été créé d’infraction spécifique à la violation des dispositions précitées. Au plus, le non-respect de ces exigences constitue une infraction douanière en vertu de l’article 38 du Code des douanes165 mais il est notable que les peines qui sont encourues ne sont pas sévères et paraissent par là même peu dissuasives.
73- Précisons que le consommateur, plus généralement tous les intervenants de la chaîne pharmaceutique, pourrait également être poursuivi sur le fondement de la complicité, pour les infractions que le commerçant en ligne commet lorsqu’il vend des produits en violation de la loi française, si les conditions requises sont démontrées. C’est le raisonnement qui a amené le Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens à citer le dirigeant d’une société commerciale, qui avait fourni des tests de grossesses à des grandes surfaces qui les revendaient en dehors du monopole pharmaceutique, pour complicité d’exercice illégal de la pharmacie. La Cour de Cassation a cassé l’arrêt d’appel, au motif qu’il n’avait pas été répondu aux arguments du CNOP qui faisait valoir que « la fourniture de moyens, donc de produits pharmaceutiques, à un revendeur détaillant non pharmacien caractérise la complicité du délit commis par ce dernier »166.
Il faut cependant se garder de croire que toute participation aux infractions commises par le pharmacien en ligne est systématiquement punissable sur le fondement de la complicité. En vertu des dispositions de l’article L. 121- 7 du Code pénal, la complicité suppose le constat par le juge de trois éléments : un fait principal punissable, une participation par l’un des modes prévus par la loi, une participation intentionnelle. L’on pourrait arguer que l’achat illicite effectué sur l’internet est manifestement fait en toute connaissance de cause ; si ce n’est pour contourner la législation, pourquoi avoir recours à l’e-commerce ? Or, ce serait mal raisonner. Nombreuses sont les malheureuses victimes de charlatans sur l’internet, nombreux sont ceux qui n’ont pas d’autre moyen de se procurer des traitements, ainsi que ceux dont la législation ne prohibe pas la vente de médicaments sur l’internet et qui tombent malencontreusement sur des sites peu fiables. Dès lors, l’exigence de la preuve de l’intention est heureuse en ce qu’elle permet de protéger le consommateur qui a participé à une infraction sans avoir l’intention de la commettre.
Les infractions que le cyber-pharmacien est susceptible de commettre – Section 2.
74- Il est heureux de constater que si l’on se place du côté de l’opérateur qui vend et livre des médicaments aux consommateurs français, toutes les atteintes à la règlementation sur la dispensation de médicaments sont frappées de sanctions pénales. En effet, l’article L.
5421- 2 du Code de la santé publique s’intéresse à la commercialisation de médicaments sans l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché. Il dispose : « la commercialisation ou la distribution à titre gratuit ou onéreux, en gros ou au détail, d’une spécialité pharmaceutique ou
de tout autre médicament fabriqué industriellement, (…) sans autorisation de mise sur le marché ou lorsque cette autorisation est suspendue ou supprimée, est punie de 3750 euros d’amende ». Pour sa part, la délivrance sans prescription d’un médicament contenant une substance vénéneuse est prohibée par l’article L. 5432- 1 dudit Code. Elle rend son auteur passible de deux ans d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende.
L’article L. 4223- 1 du même Code énonce la prohibition de l’exercice illégal de la pharmacie, et la plupart des pratiques douteuses de vente en ligne de médicaments à des particuliers sont susceptibles de tomber sous le coup de ces dispositions. Ainsi l’article L.4223- 1 du Code de la santé publique dispose : «Le fait de se livrer à des opérations réservées aux pharmaciens, sans réunir les conditions exigées pour l’exercice de la pharmacie, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende »167.
C’est le cas des opérateurs étrangers qui vendent et livrent aux consommateurs français des médicaments qui relèvent du monopole des pharmaciens régulièrement inscrits à l’Ordre des pharmaciens et installés sur le territoire national. Ce délit n’est pas un délit d’habitude, il est donc constitué dès la commission du premier de ses éléments constitutifs168. En outre, il suffit que l’une des conditions requises pour l’exercice de la pharmacie fasse défaut pour caractériser que l’infraction est constituée. Ainsi, même un opérateur exerçant en toute licéité dans son pays d’origine sous le titre de pharmacien n’est pas à l’abri de poursuites en France.
De ce fait, la vente de médicaments en dehors de l’officine par un pharmacie comme la vente de médicaments ou l’exploitation d’une officine par une personne dépourvue du titre nécessaire tomberont sous le coup des sanctions prévues par le Code pénal pour le délit d’usurpation de titre.
Lire le mémoire complet ==> (La vente de médicaments sur l’internet)
Mémoire pour le master droit des contrats et de la responsabilité des professionnels
Université de Toulouse I Sciences sociales
Sommaire :

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161 Madame Pancrazi, L’E-commerce des produits de santé : dimension internationale, Gazette du Palais Dimanche 24 au Mardi 26 mars 2002, page 38.
162 Article 113- 2 alinéa 1 du Code pénal.
163 En vertu des dispositions de l’article L. 113- 2 alinéa 2 du Code pénal, c’est le lieu de livraison qui permet d’apprécier si l’infraction a été commise en France.
164 Les tribunaux français « déconstruisent » les cyber-délits complexes en délits simples, entièrement localisés en France. La déconstruction du délit vient de la localisation identique du fait générateur et du préjudice : la lex loci delicti est désignée de ce fait aussi bien par le lieu du fait générateur que par le lieu du préjudice. Voir Jurisclasseur Commercial, Conflits de lois et compétence internationale des juridictions françaises, 2003, n°Fasc. 3000, n°17 à 21.
165 L’article 38 du Code des douanes, dernièrement modifié par l’ordonnance n° 2006- 1224 du 5 octobre 2006, article 59 du Journal Officiel du 6 octobre 2006, puis par l’article 16 de la loi du 26 février 2007, dispose à son alinéa 2 : « Lorsque l’importation ou l’exportation n’est permise que sur présentation d’une autorisation, licence, certificat, etc., la marchandise est prohibée si elle n’est pas accompagnée d’un titre régulier ou si elle est présentée sous le couvert d’un titre non applicable ».
166 Voir Cass. Crim., 30 octobre 1996, Bull. crim., n° 380.
167 Voir également l’article L. 4223- 5 du CSP, inséré par la loi n° 2002- 303 du 4 mars 2002, article 64 (Journal Officiel du 5 mars 2002) : « Toute personne qui se sera prévalue de la qualité de pharmacien sans en remplir les conditions exigées par l’article L. 4221- 1 est passible des sanctions prévues à l’article L. 433- 17 du Code pénal ».
168 En vertu d’une jurisprudence ancienne de la chambre criminelle de la Cour de cassation : voir Cass. Crim., 31 août 1922, S. 1923. 237.

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